L’agilité chrétienne
L’agilité chrétienne
Homélie pour le 6° dimanche de Pâques / Année A 21/05/2017
Cf. également :
Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous
Une Loi, deux tables, 10 paroles
Le Paraclet, l’Église, Mohammed et nous
Étonnamment, la façon dont les premières communautés chrétiennes ont su géré les événements (cf. 1° lecture) ! Les imprévus que l’Esprit leur faisait traverser peuvent devenir une source d’inspiration pour le management en entreprise aujourd’hui. Expliquons-nous.
De plus en plus d’entreprises explorent ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’agilité. Quatre grandes raisons au moins les poussent à cela [1] :
1. La montée de la complexité et, de façon liée, une perte de sens ;
2. La montée de l’individualité, qui plaide pour une reconnaissance de la capacité de l’individu à penser et à agir, donc à avoir son libre arbitre et ses exigences, qu’il soit placé dans une posture de consommateur sur un marché ou de producteur dans une organisation ;
3. La montée de l’incertitude, qui impose naturellement la nécessité d’anticiper pour améliorer encore nos capacités de réaction.
4. La montée de l’interdépendance, qui implique de partager le pouvoir tant à l’intérieur d’une organisation qu’à l’extérieur.
Qu’est-ce qu’être agile ?
Sept principes managériaux, faisant système, caractérisent les entreprises dites agiles :
1. La capacité d’anticipation des ruptures de son environnement, mais aussi des conséquences de ses propres décisions et actions,
2. La coopération, tant en interne de façon à rechercher un optimum collectif plutôt qu’un maximum par fonction, qu’en externe vis-à-vis de tous les acteurs de son environnement grâce à de multiples conventions renégociables à loisir,
3. L’innovation permanente dans son offre client (grâce à un mix « coûts maîtrisés – valeur créée »),
4. Une offre globale s’appuyant bien sûr sur des produits toujours plus performants mais aussi sur des offres de services et une relation personnalisée avec chaque client,
5. Une culture client généralisée dans une organisation par processus où chacun est client de l’autre et réciproquement,
6. Une complexité à échelle humaine visant à favoriser la reconfiguration des équipes ou des services,
7. Une culture du changement faisant de celui-ci un allié souhaité plutôt qu’un ennemi craint.
Revisitons note première lecture ainsi que l’ensemble du livre des Actes des Apôtres, avec ces 7 principes comme grille de lecture.
1. Être capable de s’adapter, et mieux encore d’anticiper les ruptures se produisant dans son environnement.
Pour l’Église de Jérusalem, la rupture c’est la persécution qui éclate après la lapidation d’Étienne (Actes 8). Personne n’avait prévu de sortir hors de Jérusalem au début. C’est la menace de l’emprisonnement et du supplice qui provoque la dispersion des premiers chrétiens, en Samarie notamment. Alors le diacre Philippe (l’un des Sept cf. Actes 6) transforme cette fuite en un nouveau départ, la menace en opportunité. Philippe profite de cette mini-migration forcée pour annoncer le Christ, et les foules de Samarie lui font bon accueil
Les ruptures, les événements disruptifs comme aiment les appeler les économistes sont nombreux aujourd’hui dans le contexte d’une entreprise. Ruptures numériques (ubérisation…), écologiques (transformation des sources d’énergie), ruptures de consommation (le bon, le local, le sain…), ruptures technologiques (robots, automatisation, intelligence artificielle etc.). Seules survivront les entreprises sachant s’adapter, anticiper, transformer le danger en source de progrès.
2. La coopération, tant en interne qu’en externe.
Au début d’Actes 8, Philippe semble bien seul en Samarie. Mais très vite, Jérusalem entend parler de ses succès imprévus, et dépêche Pierre et Jean pour faire le lien. La coopération qui se met ainsi en place deviendra un trait structurant des Églises : donner/prendre des nouvelles, s’écrire, se visiter, s’entraider (cf. la collecte que Paul organise autour du bassin méditerranéen pour l’Église de Jérusalem en difficulté financière). Ici, c’est le ministère de Philippe qui est comme complété par celui de Pierre et Jean : ceux-ci imposent les mains pour donner aux samaritains l’Esprit Saint que le baptême du diacre Philippe n’avait pas suffi à répandre. Certains y ont vu la figure de ce qui allait devenir le sacrement de confirmation ensuite, conféré par l’évêque. D’autres y ont vu la figure de l’effusion de l’Esprit, pratiquée encore aujourd’hui dans les communautés charismatiques. Quoi qu’il en soit, c’est l’indice d’une coopération très forte entre diacres et prêtres/évêques, entre Jérusalem et la Samarie, entre anciens et nouveaux chrétiens etc.
3. L’innovation permanente dans l’offre client.
4. Une offre globale s’appuyant bien sûr sur des produits toujours plus performants mais aussi sur des offres de services et une relation personnalisée avec chaque client.
6. Une complexité à échelle humaine visant à favoriser la reconfiguration des équipes ou des services.
7. Une culture du changement faisant de celui-ci un allié souhaité plutôt qu’un ennemi craint.
Évidemment, l’Église n’est pas une entreprise et n’a pas de clients ! Cependant, le peuple de Dieu est bien destinataire du ministère apostolique, qui doit innover en permanence pour nourrir les baptisés (pasteur = faire paître). C’est ainsi que Philippe, l’un des Sept, avait été institué pour le service des tables, et non pour l’annonce de la parole, apparemment réservée aux apôtres (Ac 6,2–4) ! Pourtant, face à une situation nouvelle, Philippe n’hésite pas à innover, même ministériellement : il proclame l’Évangile, il baptise, il rassemble l’ekklèsia.
L’Esprit fait toutes choses nouvelles : c’est lui qui conduit l’Église à trouver à chaque époque les ministères, les rôles et les fonctions de chacun qui vont permettre à tous de ne pas mourir de faim (spirituelle). Les Sept eux-mêmes sont la preuve éclatante de l’agilité chrétienne. Jésus n’avait jamais prévu ni demandé ce ministère diaconal. Mais l’Esprit a poussé l’Église à innover. Il continue à le faire ! Seuls les traditionalistes refusent l’innovation de l’Esprit : pour eux, la vérité est immobile, l’identité figée. Or ne pas être agile est sans doute le véritable « péché contre l’Esprit » ! L’agilité spirituelle conduit à complexifier relativement l’organisation de l’Église, plutôt dans le sens d’une complexité adaptée à la société environnante que d’une complication rébarbative. Complexité ne signifie pas compliqué !
Lorsque l’Église n’a pas voulu innover, ses raidissements ont provoqué des catastrophes : la rupture d’avec Luther voulant réformer l’Église, le rejet par la Chine (cf. Matteo Ricci et l’affaire des rites chinois) ou le Japon (le dernier film de Martin Scorcèse : Silence, évoque l’imperméabilité du Japon aux croyances et rites romains du XVIIe siècle). À l’inverse, chaque fois que l’Église a su faire du changement un allié, elle a suscité une adhésion immense : en Afrique avec l’inculturation, en Amérique latine avec la théologie de la libération, en Europe ou en Amérique du Nord avec le rétablissement du diaconat permanent etc.
5. Une culture client généralisée.
Avec Philippe en Samarie, l’Église expérimente que les ministères sont pour les croyants. Paul exprimera cette « conviction-client » à sa manière : « C’est le Christ qui a donné (à l’Église) certains comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres comme évangélistes, d’autres enfin comme chargés d’enseignement, afin de mettre les saints en état d’accomplir le ministère pour bâtir le corps du Christ » (Ep 4, 11-12).
Dans la famille chrétienne, nous sommes tous clients (au sens noble) les uns des autres. Les fidèles sont redevables aux prêtres/diacres/évêques des sacrements et de la présidence ecclésiale. Les ministres se nourrissent de la foi des fidèles, de leur générosité, de leur témoignage de vie en tant que laïcs dans leurs entreprises, familles, communes etc. La réciprocité, multiple et croisée entre tous, est le signe d’une Église en bonne santé. Le Concile de Trente lui-même évoquait cet état d’esprit où le bien commun du peuple de Dieu est le critère final du ministère et de l’eucharistie, « pour que les brebis du Christ ne meurent pas de faim et que les petits ne demandent pas du pain et que personne ne leur en donne » (Session XXII ch VIII).
Résumons-nous : dès le début, les premiers disciples du Ressuscité sont poussés par l’Esprit à innover, à s’adapter, à complexifier le service rendu au peuple élu en fonction des événements (persécution) ou des besoins (s’occuper des veuves, mettre en place des responsables de communauté etc.).
Cette agilité chrétienne est la caractéristique de l’Esprit animant l’Église. Elle n’est pas étrangère à l’agilité managériale que bon nombre d’entreprises recherche aujourd’hui : pourquoi s’en étonner ? C’est de la même humanité qu’il s’agit : une humanité à nourrir spirituellement et économiquement, à écouter dans ses besoins fondamentaux, à accompagner dans les changements de société.
Que l’Esprit du Ressuscité nous donne d’être agiles à sa manière !
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint » (Ac 8, 5-8.14-17)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie, et là il proclamait le Christ. Les foules, d’un même cœur, s’attachaient à ce que disait Philippe, car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait, ou même les voyaient. Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs, qui sortaient en poussant de grands cris. Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris. Et il y eut dans cette ville une grande joie. Les Apôtres, restés à Jérusalem, apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu. Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean. À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ; en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux : ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint.
PSAUME
(Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20)
R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur ! ou : Alléluia ! (Ps 65, 1)
Acclamez Dieu, toute la terre ; fêtez la gloire de son nom, glorifiez-le en célébrant sa louange. Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »
« Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom. » Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes.
Il changea la mer en terre ferme : ils passèrent le fleuve à pied sec. De là, cette joie qu’il nous donne. Il règne à jamais par sa puissance.
Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu : je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ; Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour !
DEUXIÈME LECTURE « Dans sa chair, il a été mis à mort ; dans l’esprit, il a reçu la vie » (1 P 3, 15-18)
Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ. Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous ; mais faites-le avec douceur et respect. Ayez une conscience droite, afin que vos adversaires soient pris de honte sur le point même où ils disent du mal de vous pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ. Car mieux vaudrait souffrir en faisant le bien, si c’était la volonté de Dieu, plutôt qu’en faisant le mal. Car le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair ; mais vivifié dans l’Esprit.
ÉVANGILE « Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur » (Jn 14, 15-21) Alléluia. Alléluia. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia (Jn 14, 23)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : l’Esprit de vérité, lui que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. »
Patrick BRAUD