L'homélie du dimanche (prochain)

3 novembre 2019

D’Amazonie monte une clameur

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

D’Amazonie monte une clameur

Homélie du 32° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
10/11/2019

Cf. également :

Mourir pour une côtelette ?
Aimer Dieu comme on aime une vache ?
N’avez-vous pas lu dans l’Écriture ?
Sur quoi fonder le mariage ?

document préparatoire synode Amazonie spiritualités païennes anticolonialismeAmazonie, Allemagne : de ces deux immenses régions du monde - l’une par sa taille, l’autre par son poids historique et économique - monte une immense clameur qui retentit jusqu’à Rome : donnez-nous la possibilité d’ordonner des hommes mariés et de confier des ministères ordonnés à des femmes ! Le synode de l’Amazonie qui s’est conclu au Vatican les 26 et 27 octobre dernier a remis au pape François cette demande express (avec d’autres demandes concernant l’écologie, la déforestation, les inégalités sociales etc.) : « établir des critères et des dispositions par l’autorité compétente, d’ordonner des prêtres appropriés et reconnus de la communauté qui ont un diaconat permanent fécond et reçoivent une formation adéquate pour le sacerdoce, pouvant avoir une famille légitimement constituée et stable, pour soutenir la vie de la communauté chrétienne par la prédication de la Parole et la célébration des sacrements dans les zones les plus reculées de la région amazonienne ». Ce Document final a recueilli 128 voix pour et 40 contre.

L’une des raisons de ce vote est la dispersion géographique des communautés chrétiennes dans l’immense territoire amazonien : beaucoup ne voient un prêtre qu’une fois par an, de passage. Sauf à dire que le ministère ordonné n’est pas essentiel à la croissance d’une communauté chrétienne, on voit mal comment cette situation pourrait durer sans compromettre l’avenir de cette Église particulière. D’autant que - et c’est la deuxième raison - la concurrence des évangéliques se fait pressante. Ils pourraient devenir majoritaires en quelques décennies si rien n’est décidé.

En Allemagne, c’est le départ massif des catholiques qui inquiète, suite notamment aux scandales sexuels. En 2018, 216078 catholiques ont quitté l’Église. Ordonner des hommes mariés est un enjeu de santé affective pour le clergé selon les Allemands. La place des femmes dans l’animation et la vitalité des paroisses/aumôneries etc. est si importantes que l’opinion publique ne comprend plus qu’elles soient exclues des ministères et donc des prises de décision au plus haut niveau de l’Église. Ordonner des femmes diacres serait pour une majorité d’Allemands une juste réponse à la légitime aspiration à l’égalité hommes/femmes.

À vrai dire, il n’y a pas que l’Amazonie et l’Allemagne pour désirer une réforme des ministères ordonnés et du gouvernement de l’Église…

La dispute de Jésus avec les Sadducéens en ce dimanche peut nous aider à réfléchir sur cette brûlante question d’actualité. Bien sûr la pointe de cette controverse porte sur la résurrection des morts. Mais au passage, nous en apprenons beaucoup sur le statut conjugal et son avenir en Dieu. En nous appuyant sur ce texte, développons un raisonnement en trois temps : le mariage dit l’intensité de l’amour divin ; le célibat annonce l’universalité de cet amour ; les ministères ordonnés ont donc besoin des deux.

 

1. Le mariage dit l’intensité de l’amour divin.

page_le_mariageDe la création du monde au Cantique des cantiques, l’alliance homme/femme s’enracine dans la communion d’amour trinitaire. C’est ensemble et diiférents que l’homme et la femme sont « à l’image de Dieu », l’Unique et le Tout-Autre (d’où d’ailleurs la réticence biblique envers l’homosexualité qui ne peut porter cette symbolique d’altérité). Parce qu’ils sont différents et pourtant appelés à s’unir, l’homme et la femme dans le mariage disent quelque chose de cette intensité de relation qui unit le Père au Fils dans l’Esprit. Saint Paul élèvera cette union au rang de mystère (mysterion en grec = sacramentum en latin), c’est-à-dire de symbole désignant et rendant présent l’amour qui unit le Christ à son Église :

« C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne seront qu’une seule chair. Ce mystère est grand : moi, je déclare qu’il concerne le Christ et l’Église » (Ep 5,31-32).

L’incarnation de l’amour divin dans le couple est si forte qu’elle débouche naturellement sur la fécondité. Être ensemble à l’image de Dieu se traduit naturellement par cette générosité divine de donner la vie. D’où la loi du lévirat (Dt 25, 5-10) que les Sadducéens utilisent fort habilement dans l’Évangile de ce dimanche pour tendre un piège à Jésus. Laisser la femme de son frère sans enfant après son veuvage serait un affront, une humiliation, reléguant la veuve à une grande précarité matérielle et sociale. Le frère se devait donc autrefois d’assurer une descendance à la femme du défunt. Après sept tentatives infructueuses, le piège est alors en place : à la résurrection des morts, de qui cette femme sera-t-elle l’épouse puisqu’elle a eu les sept comme mari ? La réponse de Jésus est très claire : 

« Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection. »

Autrement dit, le mariage est pour ici-bas. Le mariage est un sacrement de l’amour divin qui s’arrête avec la mort, ou plutôt qui sera transfiguré à travers la mort. Il ne peut donc être absolutisé. Il a besoin de l’autre état de vie - le célibat - pour signifier la plénitude de l’amour. Car la limite de l’amour humain est de devoir privilégier une relation (et une seule à la fois de préférence !) pour atteindre cette intensité. Or l’amour divin ne se limite pas à un seul peuple, ni au roi seul, ni même aux seuls juifs ou chrétiens. Il faut donc qu’une autre manière d’aimer signifie cette ouverture à tous que le mariage ne peut porter.

 

2. Le célibat annonce l’universalité de l’amour divin.

Le Célibat religieuxViendra un temps où il n’y aura plus besoin de privilégier une relation pour aimer.

Pour annoncer le monde de la résurrection, certain(e)s restent célibataires, afin de témoigner de notre espérance en un monde où « Dieu sera tout en tous » (1Co 15,28). Le célibat de Jésus - anormal pour un juif d’une trentaine d’années, rabbin de surcroît - puise ses racines dans son espérance en la résurrection. Signe eschatologique, le célibat conteste la prétention du mariage à épuiser la réalité de l’amour par sa conjugalité et sa fécondité. Il annonce un monde où il n’est plus besoin d’exclure pour aimer, d’engendrer pour survivre. D’ici là, le mariage symbolise la puissance de l’amour trinitaire, et lutte contre l’extinction de la famille humaine à travers l’engendrement de ses enfants.

Mariage et célibat ont besoin l’un de l’autre : le premier atteint une telle intensité – corporelle surtout - qu’il rend présent le feu de l’amour divin ; le second atteint une telle universalité qu’il empêche le lien amoureux de s’enclore sur lui-même. Le célibat annonce un monde où l’intensité de toutes les relations sera élevée à l’intensité amoureuse, et même mille fois au-delà !

 

3. Les ministères ordonnés ont besoin des deux.

Quelle est la finalité des ministères ? C’est d’ordonner l’Église au Christ, collectivement et personnellement. C’est-à-dire de permettre à l’épouse (l’Église) d’être unie à l’Époux (le Christ) comme le corps à sa tête, selon une équation du type :

diacres/prêtres/évêques  Ξ     Christ

assemblée (ekklèsia)                Église

pere yuriy et sa famille petit

C’est un rapport d’équivalence et non d’identité : les ministres ne sont pas le Christ (ni d’autres christs) mais permettent à l’assemblée (dont ils font partie) de s’éprouver comme unie au Christ. Comme ce lien est d’amour, les ministres mariés signifient l’intensité de cette communion (dans le lien mariage/eucharistie par exemple), alors que les ministres célibataires rappellent l’universalité de ce lien, et la nécessaire ouverture à tous (catholicité) de l’assemblée.

Les orthodoxes ont gardé la tradition la plus ancienne : clergé marié et clergé célibataire coexistent (non sans tension parfois) depuis 2000 ans. Les protestants ont abandonné la sacramentalité du ministère pour en faire une simple fonction ; c’est pourquoi ils ont moins de mal à instituer des pasteurs mariés, des femmes pasteurs ou diaconesses. Si l’Église catholique franchissait le pas d’ordonner prêtres des hommes mariés/célibataires, et diaconesse des femmes mariées/célibataires, ce ne serait finalement que le retour à la tradition la plus ancienne, que l’Occident a infléchi au Moyen Âge pour des raisons essentiellement économiques (les problèmes liés à l’héritage des clercs !) mais pas de manière irréversible. D’ailleurs, les prêtres mariés des Églises catholiques de rite oriental (maronites, melkites etc. au Liban et ailleurs) en témoignent avec noblesse depuis toujours.

En outre, ce serait une autre manière d’annoncer le monde de la résurrection cher à Jésus. Car, comme le rappelle saint Paul : « en Christ, il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni l’homme ni la femme » (Ga 3,28). Ces distinctions sont pour un temps seulement ; elles seront abolies dans le monde à venir. Anticiper cette espérance en conjuguant mariage/célibat, masculin/féminin au sein de tous les ministères serait un témoignage très fort rendu à la résurrection !

 

4. Pour que les brebis du Christ ne meurent pas de faim…

Un dernier argument pour l’ordination d’hommes (et de femmes) mariés pourrait venir… du Concile de Trente ! En effet, ce concile au XVI° siècle a réaffirmé la célébration en latin (et non en langue vernaculaire) pour l’Occident - à l’exception notable des Églises ayant déjà l’autorisation de célébrer en langue locale - . Pourtant, il a introduit l’obligation pour les prêtres d’expliquer fréquemment en langue locale au cours de la messe et même de prononcer l’homélie en cette langue. L’argument était le besoin des fidèles de se nourrir des paroles de la messe et de ses lectures bibliques :

Bien que la messe contienne un grand enseignement pour le peuple fidèle, il n’a pas cependant paru bon aux pères qu’elle soit célébrée çà et là en langue vulgaire. C’est pourquoi, tout en gardant partout le rite antique propre à chaque Église et approuvé par la sainte Église romaine, Mère et maîtresse de toutes les Églises, pour que les brebis du Christ ne meurent pas de faim et que les petits ne demandent pas du pain et que personne ne leur en donne (Lm 4,4), le saint concile ordonne aux pasteurs et à tous ceux qui ont charge d’âme de donner quelques explications fréquemment, pendant la célébration des messes, par eux-mêmes ou par d’autres, à partir des textes lus à la messe, et, entre autres, d’éclairer le mystère de ce sacrifice, surtout les dimanches et les jours de fête. (Concile de Trente, 22° session, ch8 n° 1749&1759)

Ce même argument vaut pour l’Amazonie aujourd’hui : pour que les brebis du Christ ne meurent pas de faim, pour que les communautés ne demandent le pain eucharistique sans que personne leur en donne, il est urgent d’ordonner des prêtres parmi les hommes mariés de ces communautés, afin qu’elles puissent baptiser, se nourrir de l’eucharistie et assumer leur croissance numérique et spirituelle.

D’Amazonie monte une clameur dans Communauté spirituelle

Le pape François donnera sa réponse vers Noël ou au printemps 2020 : prions pour qu’il entende la clameur qui monte des fidèles d’Amazonie, d’Allemagne et d’ailleurs, avant qu’ils ne se détournent de l’Église catholique, engendrant une déforestation ecclésiale dramatique…

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle » (2 M 7, 1-2.9-14)

Lecture du deuxième livre des Martyrs d’Israël

En ces jours-là, sept frères avaient été arrêtés avec leur mère. À coups de fouet et de nerf de bœuf, le roi Antiocos voulut les contraindre à manger du porc, viande interdite. L’un d’eux se fit leur porte-parole et déclara : « Que cherches-tu à savoir de nous ? Nous sommes prêts à mourir plutôt que de transgresser les lois de nos pères. » Le deuxième frère lui dit, au moment de rendre le dernier soupir : « Tu es un scélérat, toi qui nous arraches à cette vie présente, mais puisque nous mourons par fidélité à ses lois, le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle. » Après cela, le troisième fut mis à la torture. Il tendit la langue aussitôt qu’on le lui ordonna et il présenta les mains avec intrépidité, en déclarant avec noblesse : « C’est du Ciel que je tiens ces membres, mais à cause de ses lois je les méprise, et c’est par lui que j’espère les retrouver. » Le roi et sa suite furent frappés de la grandeur d’âme de ce jeune homme qui comptait pour rien les souffrances. Lorsque celui-ci fut mort, le quatrième frère fut soumis aux mêmes sévices. Sur le point d’expirer, il parla ainsi : « Mieux vaut mourir par la main des hommes, quand on attend la résurrection promise par Dieu, tandis que toi, tu ne connaîtras pas la résurrection pour la vie. »

 

PSAUME
(Ps 16 (17), 1ab.3ab, 5-6, 8.15)

R/ Au réveil, je me rassasierai de ton visage, Seigneur. (Ps 16, 15b)

Seigneur, écoute la justice !
Entends ma plainte, accueille ma prière.
Tu sondes mon cœur, tu me visites la nuit,
tu m’éprouves, sans rien trouver.

J’ai tenu mes pas sur tes traces,
jamais mon pied n’a trébuché.
Je t’appelle, toi, le Dieu qui répond :
écoute-moi, entends ce que je dis.

Garde-moi comme la prunelle de l’œil ;
à l’ombre de tes ailes, cache-moi,
Et moi, par ta justice, je verrai ta face :
au réveil, je me rassasierai de ton visage.

 

DEUXIÈME LECTURE

« Que le Seigneur vous affermisse « en tout ce que vous pouvez faire et dire de bien » (2 Th 2, 16 – 3, 5)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens

Frères, que notre Seigneur Jésus Christ lui-même, et Dieu notre Père qui nous a aimés et nous a pour toujours donné réconfort et bonne espérance par sa grâce, réconfortent vos cœurs et les affermissent en tout ce que vous pouvez faire et dire de bien. Priez aussi pour nous, frères, afin que la parole du Seigneur poursuive sa course, et que, partout, on lui rende gloire comme chez vous. Priez pour que nous échappions aux gens pervers et mauvais, car tout le monde n’a pas la foi. Le Seigneur, lui, est fidèle : il vous affermira et vous protégera du Mal. Et, dans le Seigneur, nous avons toute confiance en vous : vous faites et continuerez à faire ce que nous vous ordonnons. Que le Seigneur conduise vos cœurs dans l’amour de Dieu et l’endurance du Christ.

 

ÉVANGILE

« Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Lc 20, 27-38)
Alléluia. Alléluia.Jésus Christ, le premier-né d’entre les morts, à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Alléluia. (Ap 1, 5a.6b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, quelques sadducéens – ceux qui soutiennent qu’il n’y a pas de résurrection – s’approchèrent de Jésus et l’interrogèrent : « Maître, Moïse nous a prescrit : Si un homme a un frère qui meurten laissant une épouse mais pas d’enfant,il doit épouser la veuvepour susciter une descendance à son frère. Or, il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ; de même le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfants. Finalement la femme mourut aussi. Eh bien, à la résurrection, cette femme-là, duquel d’entre eux sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour épouse ? »
Jésus leur répondit : « Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection. Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. »
Patrick BRAUD

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20 août 2018

Sur quoi fonder le mariage ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Sur quoi fonder le mariage ?


Homélie pour le 21° dimanche du temps ordinaire / Année B
26/08/2018

Cf. également :

Voulez-vous partir vous aussi ?
La liberté de partir ou de rester
Le peuple des murmures
L’homme, la femme, et Dieu au milieu


Notre deuxième lecture (Ep 5, 21-32) est devenue presque illisible un dimanche ordinaire en paroisse. Ce texte est le pilier de la théologie du sacrement de mariage pour les catholiques, mais aucun couple ou presque n’ose plus le choisir pour leur liturgie de mariage. Car certaines expressions ne passent plus dans notre culture contemporaine : « femmes, soyez soumises à vos maris ». « Pour la femme, le mari est la tête (le chef) ». La réputation machiste de Paul vient de là, et son influence sur l’Église en est d’autant plus décriée.

« Frères, par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres ; les femmes, à leur mari, comme au Seigneur Jésus ; car, pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l’Église, le Christ est la tête, lui qui est le Sauveur de son corps. Eh bien ! puisque l’Église se soumet au Christ, qu’il en soit toujours de même pour les femmes à l’égard de leur mari. »

Comment interpréter aujourd’hui ces versets apparemment insupportables ?

Revenons d’abord au texte.

La première ‘soumission’ dont il est question n’est pas celle des femmes à leurs maris mais la soumission fraternelle de chacun envers chacun qui doit être la règle générale dans une communauté vraiment chrétienne : « soyez soumis les uns aux autres ». Tout le monde est concerné donc. Comme Paul l’écrit ailleurs : « que chacun estime l’autre comme supérieur à lui-même » (Ph 2,3). D’ailleurs, le texte grec original ne mentionne pas ce mots soumis la première fois qu’il évoque la relation homme / femme : il se contente de poser le parallèle (homme / femme) // (Christ / Église) :

Ep5,22

Les         femmes,         envers   leurs     maris   ,   comme envers le Seigneur (Ep 5,22)

De plus, il ne s’agit pas de n’importe quelle ‘soumission’. Ce n’est pas celle d’un dominé envers un dominateur. Ce n’est pas celle de l’islam où le croyant doit obéir absolument à Dieu dont la volonté est censée être transcrite littéralement dans le Coran et la charia. Non : le modèle de cette soumission est la relation Christ / Église (« puisque l’Église se soumet au Christ ») dont Paul précise bien que c’est une relation d’amour. « Le Christ a aimé l’Église, il s’est livré pour elle ». Se soumettre au Christ, c’est donc reconnaître l’amour premier dont il nous entoure, jusqu’à livrer sa vie pour chacun. C’est accepter ce don qui nous précède : nous sommes placés au-dessous (c’est ce que signifie le verbe grec employé ici : hypotássō = soumettre) du Christ en ce sens qu’il est avant nous, plus grand que nous, nous constituant comme sujets libres et aimants. Car nous ne sommes pas à nous-mêmes notre propre origine. Le but de cette « soumission » est que finalement Dieu soit tout en tous :

« Et lorsque toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous. (1Co 15,28) »

Ce que complète l’autre image employée par Paul, celle de la tête et du corps : « pour la femme, le mari est la tête » (le chef, du terme latin caput = tête, qui a donné par exemple le chapeau, couvre-chef), tout comme pour l’Église le Christ est la tête. Encore une fois, on commet un contresens si on comprend ce binôme tête (chef) / corps sans le référer au binôme Christ / Église. C’est la même qualité de relations unissant le Christ à son Église qui doit unir maris et femmes.

6.PNGOn peut sans doute reprocher à Paul d’avoir trop vite identifié terme à terme les protagonistes de cette identité relationnelle, ce que la culture de son époque jugeait évident (comme il nous est évident aujourd’hui que l’égalité est première). Or, le programme de mathématiques de la classe troisième au collège nous oblige à respecter les règles de calcul des fractions ! Dans le texte de Paul, c’est une identité de rapport, et pas une identité terme à terme. Et nous avons tous appris en algèbre que (a/b = c/d) n’implique pas que a=c ou b=d !

Christ/Église = mari/femme, mais le mari n’est pas le Christ et la femme n’est pas l’Église !

La liberté de partir ou de rester dans Communauté spirituelle mariageRedisons-le c’est une identité de relation et non pas une identité terme à terme. Autrement dit : la relation entre un homme et une femme est élevée à une intensité si grande dans le sacrement de mariage qu’elle devient un signe, un sacrement de la relation Christ – Église.

La réponse est peut-être dans la comparaison que Paul fait entre la relation mari / femme et la relation Christ / Église. « Ce mystère (mysterion en grec = sacramentum en latin = sacrement) est grand : je le dis en pensant au Christ et à l’Église ». En grec, le terme mysterion (mystère) que nous traduisons par sacrement désigne une réalité inépuisable, infinie, que seule une approche symbolique peut évoquer sans la trahir. Le mariage est sacrement de l’amour Christ / Église parce qu’il la symbolise (il la rend présent) aux yeux des hommes et la désigne comme l’horizon de tout amour humain.

Dans l’histoire, souvent l’Église a « trompé » le Christ (et elle continue…) : en s’égarant à la recherche du pouvoir politique ou financier, en enfouissant ses trésors culturels par peur de déplaire, en n’incarnant pas les valeurs évangéliques etc. Les Pères de l’Église la décrivaient comme une prostituée, capable de se vendre à ceux qui lui promettaient le plus… mais une « prostituée que le Christ ré- épouse tous les jours ».

La relation Christ – Église est réellement indissoluble, parce que sans cesse Dieu vient séduire et reconquérir l’humanité tentée par les idoles. « Si nous sommes infidèles, lui reste fidèle, car il ne peut se renier lui-même » (2Ti 2,12).

On touche là une des limites du Nouveau Testament : il contient de quoi dynamiter et révolutionner les évidences des cultures de tous pays et de tous temps, mais les auteurs n’osent pas à en tirer toutes les conséquences, notamment sociales, économiques et politiques.

« Femmes, soyez soumises à vos maris, comme il se doit dans le Seigneur.
Maris, aimez vos femmes, et ne leur montrez point d’humeur.
Enfants, obéissez en tout à vos parents, c’est cela qui est beau dans le Seigneur.
Parents, n’exaspérez pas vos enfants, de peur qu’ils ne se découragent.
Esclaves, obéissez en tout à vos maîtres d’ici-bas, non d’une obéissance tout extérieure qui cherche à plaire aux hommes, mais en simplicité de cœur, dans la crainte du Maître. (…)
Maîtres, accordez à vos esclaves le juste et l’équitable, sachant que, vous aussi, vous avez un Maître au ciel ». (Col 3,19-4,1)

Ainsi pour l’esclavage, que Paul n’ose pas appeler à abolir, alors que pourtant il met le ver dans le fruit en appelant à traiter les esclaves comme des frères. Ainsi pour la séparation juifs / païens, que Jésus n’ose pas abolir de son vivant (« je ne suis envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël » Mt 15,24) alors même qu’il la transgresse en pratique assez souvent. Il faudra la Pentecôte pour que les apôtres découvrent que l’Esprit du Christ abolit les séparations sociales antérieures. Et là, Paul est à la pointe du combat : « en Christ, il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, » (Ga 3,28).

Sur quoi fonder le mariage ? dans Communauté spirituelle Lapinbleu668C-Jn16_13C’est peut-être cela la promesse du Christ : « l’Esprit vous conduira vers la vérité tout entière » (Jn 16,13). Autrement dit : avec le temps, avec l’inspiration divine, vous découvrirez les conséquences (personnelles, sociales, politiques, économiques…) de l’Évangile. Car les textes seuls ne peuvent contenir la vérité tout entière.

Pour en revenir à notre lecture, l’équivalence (homme / femme) = (Christ / Église) est posée  avec force, sans que Paul en tire toutes les conséquences que nous y voyons actuellement. D’ailleurs, dans quelques siècles, on en tirera sûrement d’autres conséquences encore !

Reste que cette équivalence est posée, établissant le mariage comme un sacrement (mysterion en grec = mystère) de la relation Christ / Église.

Du coup, Paul – il n’est pas idiot ! – prend soin de développer longuement tout ce que cela implique pour le mari vis-à-vis de sa femme. Il emploie environ deux fois plus de mots pour les maris que les femmes ! Dans ce paragraphe deux fois plus long, il parle d’aimer sa femme, de se livrer pour elle, d’en prendre soin et de s’en occuper comme de son propre corps. C’est sans doute parce qu’il a bien conscience que la tâche sera deux fois plus ardue du côté des hommes que des femmes…

Qu’en conclure ?

- Paul affirme que le mariage est un sacrement (mysterion) parce qu’il symbolise la relation Christ / Église : la relation mari / femme se nourrit de la relation Christ / Église et la rend présente au milieu de nos contemporains. En voyant les gens mariés s’aimer, on devrait comprendre comment le Christ aime l’Église (et réciproquement).

- Nous ne sommes pas obligés de suivre Paul lorsqu’il identifie terme à terme les partenaires de ces deux relations, comme le faisait sa culture liée à son époque.

amour_nonpartag%C3%A9 détachement dans Communauté spirituelle- Par contre, nous devons en tirer toutes les conséquences, et pas seulement celles conformes à la culture de notre époque et de notre continent. Il y a bien sûr l’égalité fondamentale, le principe de l’amour mutuel et la symétrie des obligations dans ce que Paul dit du mariage. Mais il y a également d’autres conséquences plus ‘piquantes’ pour un occidental du XXI° siècle : le mariage ne se réduit pas au seul sentiment, il suppose une volonté de se livrer pour l’autre, inconditionnellement, ce qui implique l’indissolubilité, à l’image de l’amour du Christ pour l’Église et chacun d’entre nous.

Le texte d’Éphésiens 5 est un bon exemple du danger qu’il y a à lire un texte trop rapidement en plaquant les évidences de son siècle. Qui sait si dans mille ans les observateurs ne jugeront pas très sévèrement les relations homme / femme de nos sociétés postmodernes ? Je me souviens par exemple de la figure épouvantée d’amis africains venus pour la première fois en France. « À voir les femmes sur vos affiches, disaient-il, sur vos écrans, la publicité partout, à parler avec tant de mères célibataires galérant pour élever seules leurs enfants, à entendre la souffrance de tant de couples qui explosent en plein vol après quelques années de mariage ou de vie commune, à écouter les femmes si nombreuses qui ont connu une IVG, ne venez pas nous dire que l’avenir de la femme est chez vous ! Nous ne voulons pas de ce modèle de société individualiste engendrant plus de solitudes que de couples heureux de vieillir ensemble ! »

On est toujours le ‘sauvage’ d’un autre …

Puissions-nous continuer à scruter les Écritures, pour que l’Esprit du Christ nous conduise à la vérité tout entière. Or, sur la question des relations homme / femme, notre société comme les autres a encore bien du chemin à parcourir.

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Nous voulons servir le Seigneur, car c’est lui notre Dieu » (Jos 24, 1-2a.15-17.18b)

Lecture du livre de Josué

En ces jours-là, Josué réunit toutes les tribus d’Israël à Sichem ; puis il appela les anciens d’Israël, avec les chefs, les juges et les scribes ; ils se présentèrent devant Dieu. Josué dit alors à tout le peuple : « S’il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir : les dieux que vos pères servaient au-delà de l’Euphrate, ou les dieux des Amorites dont vous habitez le pays. Moi et les miens, nous voulons servir le Seigneur. » Le peuple répondit : « Plutôt mourir que d’abandonner le Seigneur pour servir d’autres dieux ! C’est le Seigneur notre Dieu qui nous a fait monter, nous et nos pères, du pays d’Égypte, cette maison d’esclavage ; c’est lui qui, sous nos yeux, a accompli tous ces signes et nous a protégés tout le long du chemin que nous avons parcouru, chez tous les peuples au milieu desquels nous sommes passés. Nous aussi, nous voulons servir le Seigneur, car c’est lui notre Dieu. »

Psaume
(Ps 33 (34), 2-3, 16-17, 20-21, 22-23)
R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! (cf. Ps 33, 9)

Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

Le Seigneur regarde les justes,
il écoute, attentif à leurs cris.
Le Seigneur affronte les méchants
pour effacer de la terre leur mémoire.

Malheur sur malheur pour le juste,
mais le Seigneur chaque fois le délivre.
Il veille sur chacun de ses os :
pas un ne sera brisé.

Le mal tuera les méchants ;
ils seront châtiés d’avoir haï le juste.
Le Seigneur rachètera ses serviteurs :
pas de châtiment pour qui trouve en lui son refuge.

Deuxième lecture
« Ce mystère est grand : je le dis en référence au Christ et à l’Église » (Ep 5, 21-32)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres ; les femmes, à leur mari, comme au Seigneur Jésus ; car, pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l’Église, le Christ est la tête, lui qui est le Sauveur de son corps. Eh bien ! puisque l’Église se soumet au Christ, qu’il en soit toujours de même pour les femmes à l’égard de leur mari.
Vous, les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ : il a aimé l’Église, il s’est livré lui-même pour elle, afin de la rendre sainte en la purifiant par le bain de l’eau baptismale, accompagné d’une parole ; il voulait se la présenter à lui-même, cette Église, resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel ; il la voulait sainte et immaculée. C’est de la même façon que les maris doivent aimer leur femme : comme leur propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime soi-même. Jamais personne n’a méprisé son propre corps : au contraire, on le nourrit, on en prend soin.
C’est ce que fait le Christ pour l’Église, parce que nous sommes les membres de son corps. Comme dit l’Écriture : À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ce mystère est grand : je le dis en référence au Christ et à l’Église. 

Évangile
« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 60-69) Alléluia. Alléluia.
Tes paroles, Seigneur, sont esprit et elles sont vie ; tu as les paroles de la vie éternelle. Alléluia. (cf. Jn 6, 63c.68c)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus avait donné un enseignement dans la synagogue de Capharnaüm. Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » Jésus savait en lui-même que ses disciples récriminaient à son sujet. Il leur dit : « Cela vous scandalise ? Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant !… C’est l’esprit qui fait vivre, la chair n’est capable de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. » Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait. Il ajouta : « Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »
À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner. Alors Jésus dit aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Simon-Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. »
Patrick BRAUD

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12 mars 2018

Grain de blé d’amour…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Grain de blé d’amour…

Homélie du 5° Dimanche de Carême / Année B
18/03/2018

Cf. également :

La corde à nœuds…
Qui veut voir un grain de blé ?
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Le mariage et l’enfant : recevoir de se recevoir


Léa et Paul se sont mariés en choisissant l’évangile de ce Dimanche (Jn 12, 20-26) où Jésus se compare au grain de blé jeté en terre. Et c’est vrai qu’il y a un lien entre l’aventure conjugale / familiale et celle du grain de blé.
Essayons de voir comment.

Au commencement, il y a le désir…

Désir d’une rencontre vraie : « Nous voulons voir Jésus ». Désir de la rencontre de l’autre, car entre les Grecs et les Juifs de l’époque, la différence doit être aussi radicale qu’entre Juifs et Palestiniens aujourd’hui… En choisissant cet Évangile, Léa et Paul ont placé d’emblée leur mariage sous le signe du désir de l’autre, et plus précisément de la croissance dans le désir de l’autre, croissance à la quelle Jésus nous appelle tout au long de notre existence.

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La première différence, la première altérité, c’est la différence homme / femme, qui nous structure très profondément. Les fiancés croient peut-être connaître avant de se rencontrer, par leurs amitiés, leurs relations de travail etc… Mais dès qu’ils sont proches l’un de l’autre, depuis les fiançailles où cette proximité devient une promesse d’avenir, ils n’en finissent pas de découvrir combien le respect de cette différence demande du temps, de la patience, de l’écoute, du dialogue, du pardon … Au-delà des clichés trop faciles sur les soi-disant caractéristiques du féminin et du masculin, le véritable enjeu de l’identité homme / femme, c’est de sortir de soi, sortir du « même », pour aller à la rencontre de l’autre. Et d’ailleurs, cette irréductible altérité homme / femme se redouble de beaucoup d’autres différences : deux éducations familiales, deux histoires personnelles, deux caractères, Paris et la province, la Hollande et la France, la Banque et l’Éducation Nationale …

Heureuses différences qui sont le carburant de votre rencontre : « je veux voir l’autre … »

Dans la foi chrétienne, nous croyons que le visage de l’être aimé, lorsqu’il est désiré pour lui-même et non pas dans nos projections imaginaires, ce visage devient sacrement de la rencontre de Dieu. « Il est possible, à partir de l’autre relativement autre que nous voyons, de pressentir l’Autre absolument autre que nous ne voyons pas et appelons Dieu » [1]. Voilà pourquoi la recherche du visage aimé renvoie à Dieu lui-même.

À condition de rester vigilant sur son couple, pour que l’usure du temps n’émousse pas ce désir. Mais qu’au contraire, la durée permette à cette recherche amoureuse de grandir et de croître sans cesse. Il faut insister sur cette vigilance : rester en éveil, renouveler à chaque instant sa confiance et sa fidélité, raviver jour après jour la soif de la communion avec l’être aimé, se laisser étonner par ce qu’on ne finit pas de découvrir chez son mari ou sa femme, être capable de l’étonner encore, 10 ou 20 ou 50 ans après!…

Au IV° siècle, un évêque (Grégoire de Nysse) parlait déjà de cet infini du désir qui interdit de figer la course vers l’être aimé :

« Au fur et à mesure que quelqu’un progresse vers ce qui surgit toujours en avant de lui, son désir augmente lui aussi. Ainsi, à cause de la transcendance des biens qu’il découvre toujours à mesure qu’il progresse, il lui semble toujours n’être qu’au début de l’ascension. C’est pourquoi la Parole répète : ‘Lève-toi’ à celui qui est déjà levé, et : ‘Viens’ à celui qui est déjà venu. À celui qui se lève vraiment, il faudra toujours se lever. Celui qui court vers le Seigneur n’épuisera jamais la large espace pour sa course.

Ainsi celui qui monte ne s’arrête jamais, allant de commencements en commencements, par des commencements qui n’auront jamais de fin ». « Car c’est là proprement voir Dieu que de n’être jamais rassasié de le désirer » [2]

Chasse à courre 1

« Nous voulons voir Jésus » est l’autre versant de votre propre recherche amoureuse : « je veux découvrir qui tu es, et je n’aurai jamais assez de toute ma vie pour cela ».

Ensuite, il y a le jeu de l’écho, qui amplifie et répercute ce désir de l’autre. Les Grecs le disent à Philippe, qui le dit à André, et tous les deux le transmettent à Jésus. Mais c’est déjà l’Église qui apparaît là! L’Église, comme un réseau de liens fraternels, pour que ma recherche aboutisse. Une sorte d’Internet à la puissance 10, et mieux encore, car ce sont ici des visages et pas seulement des écrans … L’Église est ce lieu où nous pouvons dire le manque qui nous habite, la soif qui nous tient, l’envie de vivre que nous creusons en la partageant avec des frères. L’Église est cette eau tendue qui soutient nos rebonds successifs dans la recherche de l’autre, jusqu’à faire ricocher jusqu’aux nuages ce galet nommé désir…

Par la vie paroissiale ou par les pèlerinages, par des équipes de partage ou par la formation spirituelle et théologique, certains fiancés ont déjà expérimenté la force de ce soutien fraternel. Dans leur vie de couple et de famille, ils continueront à tisser ces liens ecclésiaux : ils les aideront à rester vigilants et confiants.

L’Évangile nous dit ensuite que la rencontre entre les Grecs et Jésus a lieu pendant la fête, c’est-à-dire la grande, l’unique fête de la Pâque. Que le mariage soit une fête, parce qu’on y rencontre l’être aimé, c’est évident. Il n’y a rien à renier de la fête humaine que le Christ a voulu assumer en prolongeant la joie de la noce, pour qu’elle dure toute la vie et pas seulement une soirée. Si le mariage est une fête, c’est surtout une fête pascale, c’est-à-dire une fête où l’amour de l’autre vous libère peu à peu de nos enfermements, de nos solitudes, une fête où la confiance en l’autre nous fait passer de la mort à la vie.

Et là, l’histoire du grain de blé que nous propose Jésus est très parlante. Se marier, c’est accepter de se laisser transformer par l’autre, pour ne plus rester seul. C’est consentir à se laisser aimer pour ne plus vivre centré sur soi. C’est accepter de se laisser faire, comme le grain de blé, pour pouvoir porter du fruit. La mort et la Résurrection est au cœur de votre amour, qui est pascal, comme cela est au cœur de l’amour du Christ, que nous célébrons dans l’eucharistie. En buvant ensemble à la même coupe, les mariés expriment la dimension pascale de la relation entre l’homme et la femme : aimer, c’est se désaltérer à la même source, boire ensemble le même calice, verser son sang, livrer sa vie. Lorsque les mariés donnent la communion eucharistique à l’assemblée, ils nous rappellent que l’Église est une communion qui se nourrit de leur amour lorsqu’ils le vivent dans l’Esprit du Christ.

Pourtant, que de résistances mettons-nous avant d’accepter de lâcher-prise ainsi sur notre propre vie ! Souvenez-vous de votre période d’apprivoisement réciproque, et de tous les décapages que ce temps de préparation vous a permis de faire. Eh oui !, le petit grain de blé était plus tranquille avant, ‘en père peinard’ dans son grenier, en tas avec les autres [3]. Un certain bonheur, qui était le vôtre quand vous étiez célibataires : un appartement, du travail, des amis, la liberté d’improviser votre emploi du temps, que demander de plus ? Et pourtant, il vous manquait quelque chose, ou plutôt quelqu’un, et ce bonheur vous semblait trop petit, un peu étroit…

calendrier amour dans Communauté spirituelle

Un jour, on charge ce tas de grains de blé sur une charrette et on le sort dans la campagne. C’est le début de l’ouverture à l’autre, avec un petit côté excitant pas désagréable… : ça se passe bien, il y a plein de gens nouveaux à découvrir, tout en gardant sa liberté.

41rgwvtZoqL bléPuis on verse les grains sur la terre fraîchement labourée : petit frisson d’un contact plus personnel, d’une proximité avec un corps étranger à la fois inquiétant et attirant.

Puis on enfonce le grain de blé tombé en terre. Et là, le grain de blé se demande s’il n’a pas fait une grosse bêtise en se laissant conduire jusque-là. Il ne voit plus rien, il n’entend plus rien, l’humidité le transperce jusqu’au dedans de lui-même… Le grain de blé qui, par la mort inévitable, est en train d’être transformé, de devenir ce qu’il doit être, c’est-à-dire un bel épi, regrette le grenier où en effet il était très heureux, mais heureux d’un petit bonheur humain. Sa tentation est alors de faire machine arrière, de céder à la panique, de refuser de se laisser faire. C’est dommage, car c’est précisément là que Dieu agit : le Dieu qui le transforme, pour le faire passer de l’état de grain à l’état d’épi, ce qui n’est possible que par une mort à soi-même et une nouvelle naissance. Dieu veut notre croissance, et il n’y a pas de croissance sans transformation.

Le mariage est notre Pâque, notre croissance personnelle par l’autre, grâce à l’autre. À condition d’aimer l’autre pour lui-même, tel qu’il est en vérité, et non pas pour ce qu’il me donne ou ce que je rêve de lui. Ce qui implique de savoir mourir à une certain possession de l’autre, pour naître à une attitude de service de sa croissance à lui. C’est cela la chasteté dans l’amour : c’est cette dépossession enrichissante où je renonce à utiliser l’autre pour mon bonheur, et où je commence à servir sa croissance, son épanouissement. C’est cela la dimension pascale de l’amour humain : passer du désir de l’autre – ce qui est encore trop possessif – au désir du désir de l’autre, ce qui est crucifiant, mais véritablement libérateur et fécond.

Désirer le désir de l’autre… : vous le vivez dans le couple, en renonçant à mettre la main sur le mystère de l’être aimé. Vous le vivez également comme parents, en renonçant à utiliser vos enfants pour vous-mêmes. Vous vivez ainsi à votre tour les ruptures familiales qui vous feront grandir. Quand vos propres enfants deviendront différents, ce sera votre joie de voir partir ceux que vous aurez aidé à grandir, sans les posséder jamais…

Bien sûr, sur ce chemin de croissance, il faut savoir quitter. Au début, les pertes sont visibles et conséquentes : son indépendance, ses habitudes, quelque fois sa région, ses amis, sa famille… Avec le temps, elles deviennent plus subtiles, plus difficiles : quitter ses certitudes toutes faites, son égoïsme, sa nostalgie… Mais au même moment, il vous sera donné à chaque fois de faire l’expérience de la joie et de la fécondité de cette Pâque permanente : votre couple, vos enfants, votre travail, vos engagements vous rendront féconds, avec la même efficacité que l’épi par rapport au grain de blé : 100, 1000 pour 1 ! Un tel rendement mérite bien un investissement massif et sans réserve…

Vous devinez que l’histoire du grain de blé n’est pas seulement celle du début : vous pourrez la relire encore en fêtant vos noces d’or, ce sera toujours votre histoire du moment… Puissiez-vous choisir chaque jour de vous laisser faire ainsi par la puissance de l’amour, pour notre plus grand bonheur à nous qui pourrons nous nourrir des fruits qu’ensemble vous porterez. Savourez sans cesse la croissance en épis que Dieu vous donne d’offrir à l’autre, dans et par votre amour…

 


[1]. VARILLON F., L’humilité de Dieu, Le Centurion, Paris, 1974, p. 39.

[2]. Homélies sur le Cantique des Cantiques.

[3]. Cf. VARILLON F., Joie de croire, joie de vivre, Le Centurion, Paris, 1981, p. 38s.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je conclurai une alliance nouvelle et je ne me rappellerai plus leurs péchés » (Jr 31, 31-34)

Lecture du livre du prophète Jérémie
Voici venir des jours – oracle du Seigneur –,où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle.Ce ne sera pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères,le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte :mon alliance, c’est eux qui l’ont rompue,alors que moi, j’étais leur maîtreoracle du Seigneur.
Mais voici quelle sera l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passésoracle du Seigneur.Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ;je l’inscrirai sur leur cœur.Je serai leur Dieu,et ils seront mon peuple.Ils n’auront plus à instruire chacun son compagnon,ni chacun son frère en disant :« Apprends à connaître le Seigneur ! » Car tous me connaîtront,des plus petits jusqu’aux plus grandsoracle du Seigneur.Je pardonnerai leurs fautes,je ne me rappellerai plus leurs péchés.

PSAUME(50 (51), 3-4, 12-13, 14-15)
R/ Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu. (50, 12a)

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ;
vers toi, reviendront les égarés.

DEUXIÈME LECTURE
« Il a appris l’obéissance et est devenu la cause du salut éternel » (He 5, 7-9)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Le Christ,pendant les jours de sa vie dans la chair,offrit, avec un grand cri et dans les larmes,des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort,et il fut exaucé en raison de son grand respect.Bien qu’il soit le Fils,il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection,il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

ÉVANGILE
« Si le grain de blé tombé en terre meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 20-33)
Gloire à toi, Seigneur,gloire à toi.
Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive,dit le Seigneur ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur.
Gloire à toi, Seigneur,gloire à toi. (Jn 12, 26)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là,il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque.Ils abordèrent Philippe,qui était de Bethsaïde en Galilée,et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. » Philippe va le dire à André,et tous deux vont le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclare :« L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ;mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir,qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.
Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ?Père, sauve-moi de cette heure” ?Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci !Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait :« Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient :« C’est un ange qui lui a parlé. » Mais Jésus leur répondit :« Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.
Patrick BRAUD

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18 mai 2016

L’Esprit, vérité graduelle

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

L’Esprit, vérité graduelle

Homélie pour la fête de la Trinité / Année C
22/05/2016

Cf. également :

Trinité : Distinguer pour mieux unir
Trinité : ne faire qu’un à plusieurs
Les bonheurs de Sophie
Trinité : au commencement est la relation
La Trinité en actes : le geste de paix
La Trinité et nous

Pensez-vous être parvenu à la plénitude de votre vie de couple ?
Êtes-vous à 100 % cohérent avec vos principes de vie ?
Avez-vous atteint le sommet de votre vie professionnelle, si bien qu’il n’y ait plus rien à découvrir ?

Le départ du Ressuscité et l’envoi concomitant de l’Esprit répondent à ce constat inévitable : nous sommes toujours en chemin, jamais arrivés au terme. « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. » (Jn 16, 12-13)

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C’est donc qu’il y a des choses que nous n’avons pas la force de porter aujourd’hui, mais peut-être demain, avec la force de l’Esprit. C’est donc que nous habitons une région de la vérité, mais pas la vérité tout entière. Il nous faut accepter d’être conduits – pas d’y aller par nous-mêmes – par l’Esprit vers la vérité tout entière.

Qui serait alors si fanatique qu’il prétendait détenir seul la vérité, et toute la vérité ?

Qui serait assez fou pour ne pas reconnaître le chemin qu’il a encore à parcourir, guidé par l’Esprit, pour aller vers une plénitude de vérité que seule la mort nous donnera de rencontrer en personne ?

Dans la foulée de Pentecôte, le Christ avertit ses disciples qu’ils sont en chemin, qu’ils ne doivent jamais se croire arrivés au but. Ce chemin n’est ni l’erreur ni la vérité absolue, ni les ténèbres ni la pure clarté, mais cet entre-deux où le discernement spirituel tâche de reconnaître les formes de l’éternité dans les événements de nos vies. Entre chiens et loups, nous avançons, événement après événement, en déchiffrant une part de vérité, en restant aveugles sur bien d’autres…

C’est ce que la théologie morale appelle la loi de gradualité : la vérité révélée en Jésus Christ ne se communique pas en une seule fois, ni totalement. Nous allons certes vers la vérité, mais graduellement, marche après marche, avec des progrès parfois spectaculaires et des régressions qui peuvent l’être tout autant.

La meilleure définition de cette loi de gradualité a été formulée par Jean-Paul II, à propos des époux dans le mariage, mais cela vaut pour tout parcours humain :
[…] Il faut une conversion continuelle, permanente, qui, tout en exigeant de se détacher intérieurement de tout mal et d’adhérer au bien dans sa plénitude, se traduit concrètement en une démarche conduisant toujours plus loin. Ainsi se développe un processus dynamique qui va peu à peu de l’avant grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et absolu dans toute la vie personnelle et sociale de l’homme. C’est pourquoi un cheminement pédagogique de croissance est nécessaire pour que les fidèles, les familles et les peuples, et même la civilisation, à partir de ce qu’ils ont déjà reçu du mystère du Christ, soient patiemment conduits plus loin, jusqu’à une conscience plus riche et à une intégration plus pleine de ce mystère dans leur vie.
Familiaris Consortio n° 9, Jean-Paul II, 1981

Autrement dit, on ne peut pas tout demander tout de suite à ceux qui viennent de se marier. Il leur faudra beaucoup de joies et de peines partagées, beaucoup d’essais et d’erreurs pour grandir ensemble vers la vérité de leur amour. Même après 50 ou 70 ans de vie commune, ils n’auront jamais fini d’explorer la grandeur, la profondeur de leur relation, jusqu’à ce que la mort les sépare, et même après !

Le Pape François reprenait ce concept pour demander à l’Église d’accompagner avec patience et délicatesse les jeunes couples qui commencent souvent par cohabiter (en Occident), sans renoncer pour autant à leur proposer l’intégralité de l’idéal évangélique :

Dans ce sens, saint Jean-Paul II proposait ce qu’on appelle la ‘‘loi de gradualité’’, conscient que l’être humain « connaît, aime et accomplit le bien moral en suivant les étapes d’une croissance ». Ce n’est pas une ‘‘gradualité de la loi’’, mais une gradualité dans l’accomplissement prudent des actes libres de la part de sujets qui ne sont dans des conditions ni de comprendre, ni de valoriser ni d’observer pleinement les exigences objectives de la loi. En effet, la loi est aussi un don de Dieu qui indique le chemin, un don pour tous sans exception qu’on peut vivre par la force de la grâce, même si chaque être humain « va peu à peu de l’avant grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et absolu dans toute la vie personnelle et sociale de l’homme ».
Amoris Laetitia n° 295, 2016

Ce cheminement pédagogique de croissance ne vaut pas que pour le mariage. Le Directoire Général pour la Catéchèse prend bien soin d’évoquer la pédagogie des étapes qui doit animer la proposition de la foi :

88. La foi, animée par la grâce de Dieu et alimentée par l’action de l’Église, connaît un processus de maturation. La catéchèse, au service de cette croissance, est une activité graduelle. Une catéchèse opportune se fait par degrés. […]
89. Ces étapes, pleines de la sagesse de la grande tradition catéchuménale, inspirent la gradualité de la catéchèse. […]
Celle-ci, comme accompagnement du processus de conversion, est essentiellement graduelle; et, étant au service de celui qui a décidé de suivre Jésus-Christ, elle est éminemment christocentrique.

D’ailleurs, le catéchuménat des adultes est lui-même structuré autour de cette pédagogie de la progressivité :

287 Cette gradualité se perçoit aussi dans les noms que l’Église utilise pour désigner ceux qui suivent les diverses étapes du catéchuménat baptismal : « sympathisant », pour celui qui a un penchant pour la foi même s’il ne croit pas pleinement; « catéchumène » pour celui qui est fermement décidé à suivre Jésus; « élu », ou « concourant » pour celui qui est appelé à recevoir le baptême; « néophyte », pour celui qui vient de naître à la lumière grâce au baptême; « fidèle chrétien », pour celui qui atteint la maturité de la foi et qui est membre actif de la communauté chrétienne.
Directoire Général pour la Catéchèse / JP II / 15 Août 1997

« On ne naît pas chrétien, on le devient » : à cette maxime si juste de Tertullien, on pourrait rajouter qu’on le devient sans cesse, rencontre après rencontre, de sécheresse en illumination, de période de foi tranquille aux remises en question orageuses…

Comment dès lors désespérer d’un conjoint, d’un enfant, d’un collègue, sous prétexte qu’il ne serait pas encore arrivé assez haut selon votre attente ?

Comment désespérer de soi-même, puisque je suis également sur ce chemin, guidé par l’Esprit – à travers heurts, bonheurs et malheurs – vers la vérité tout entière ?

Les intransigeants sont ceux qui se croient déjà arrivés, ceux qui croient posséder la vérité. Les religieux extrémistes, quel que soit leur bannière, commettre un réel péché contre l’Esprit ! Ils figent ce qui est vivant, ils objectivent ce qui est de l’ordre de la relation, ils imposent aux autres leur part de vérité sans se laisser conduire plus avant eux-mêmes.

Pour nous conduire vers la vérité, l’Esprit du Christ fait feu de tout bois. Tantôt patiemment, imperceptiblement, comme à feu doux. Tantôt avec violence, renversant Paul sur la route de Damas ou faisant pleurer Claudel écoutant le Magnificat derrière les piliers de Notre-Dame de Paris…

Le plus difficile pour nous est de nous laisser conduire. Pierre on a fait l’expérience, lui qui croyait être l’apôtre de Jérusalem, mais qui a planté l’Eglise de Rome en mourant dans le cirque Romain du Vatican. « Quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » (Jn 21,18).

Se laisser conduire vers la vérité tout entière est donc un cheminement graduel, une ascension col après col, une croisière port après port.

La gradualité nourrit notre humilité, car qui peut se dire déjà arrivé ?

La gradualité ravive en même temps notre désir, car il y a toujours à découvrir.

Que ce soit au premier emploi ou au départ en retraite, la vie professionnelle est également placée sous le signe de cette loi de la gradualité. Sans être une trajectoire linéaire, tout parcours professionnel peut devenir un « cheminement pédagogique de croissance », pour en découvrir toujours davantage sur l’être humain, sur la grandeur et la misère du travail humain, sur l’intelligence qui produit, la solidarité qui unit, l’amour d’un métier, la compétence dans un domaine puis un autre…

À y réfléchir, il n’y a pas un aspect de notre existence qui serait hors gradualité ! Même la politique, avec ses renouvellements réguliers des formes de gouvernement et de participation des peuples, est sur le chemin d’une vérité plus grande que nos seules formes démocratiques occidentales.

Découvrir la puissance de transformation qui réside dans le principe de gradualité nous invite à ne jamais absolutiser ce que nous avons seulement commencé à découvrir de la vérité d’un être, d’un métier, d’une entreprise, d’une société.

Car en christianisme, la vérité n’est pas un système de pensée, mais une personne.

La foi chrétienne n’est pas une doctrine, mais une relation de communion avec Jésus le Christ.

Ce n’est pas un ensemble de choses à croire ou à faire, mais un compagnonnage avec Celui qui est déjà sur l’autre rive, guidés par son Esprit qui devient peu à peu notre souffle, notre respiration.

Il y a bien des révélations que nous n’avons pas la force de porter aujourd’hui. Comme le plongeur remontant à la surface, il nous faut des paliers de décompression, et bien des étapes avant d’émerger enfin totalement hors de l’océan.

Soyons donc humbles et patients, avec les autres et avec nous-mêmes, car le chemin n’est pas fini. Et l’Esprit de réserve bien des surprises !

Prions l’Esprit du Christ de nous guider pas à pas « vers la vérité tout entière »

 

 

1ère lecture : La Sagesse a été conçue avant l’apparition de la terre (Pr 8, 22-31)
Lecture du livre des Proverbes

Écoutez ce que déclare la Sagesse de Dieu : « Le Seigneur m’a faite pour lui, principe de son action, première de ses œuvres, depuis toujours. Avant les siècles j’ai été formée, dès le commencement, avant l’apparition de la terre. Quand les abîmes n’existaient pas encore, je fus enfantée, quand n’étaient pas les sources jaillissantes. Avant que les montagnes ne soient fixées, avant les collines, je fus enfantée, avant que le Seigneur n’ait fait la terre et l’espace, les éléments primitifs du monde. Quand il établissait les cieux, j’étais là, quand il traçait l’horizon à la surface de l’abîme, qu’il amassait les nuages dans les hauteurs et maîtrisait les sources de l’abîme, quand il imposait à la mer ses limites, si bien que les eaux ne peuvent enfreindre son ordre, quand il établissait les fondements de la terre. Et moi, je grandissais à ses côtés.
Je faisais ses délices jour après jour, jouant devant lui à tout moment, jouant dans l’univers, sur sa terre, et trouvant mes délices avec les fils des hommes. »

Psaume : Ps 8, 4-5, 6-7, 8-9

R/ Ô Seigneur, notre Dieu, qu’il est grand, ton nom, par toute la terre ! (Ps 8, 2)

À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts,
la lune et les étoiles que tu fixas,
qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui,
le fils d’un homme, que tu en prennes souci ?

Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu,
le couronnant de gloire et d’honneur ;
tu l’établis sur les œuvres de tes mains,
tu mets toute chose à ses pieds.

Les troupeaux de bœufs et de brebis,
et même les bêtes sauvages,
les oiseaux du ciel et les poissons de la mer,
tout ce qui va son chemin dans les eaux.

2ème lecture : Vers Dieu par le Christ dans l’amour répandu par l’Esprit (Rm 5, 1-5)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, nous qui sommes devenus justes par la foi, nous voici en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, lui qui nous a donné, par la foi, l’accès à cette grâce dans laquelle nous sommes établis ; et nous mettons notre fierté dans l’espérance d’avoir part à la gloire de Dieu. Bien plus, nous mettons notre fierté dans la détresse elle-même, puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance ; la persévérance produit la vertu éprouvée ; la vertu éprouvée produit l’espérance ; et l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné.

Evangile : « Tout ce que possède le Père est à moi ; l’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître » (Jn 16, 12-15)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit : au Dieu qui est, qui était et qui vient !
Alléluia. (Ap 1, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »
Patrick BRAUD

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