L'homélie du dimanche (prochain)

8 mai 2022

Ouvrir à tous la porte de la foi

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ouvrir à tous la porte de la foi

Homélie du 5° Dimanche de Pâques / Année C
15/05/2022

Cf. également :

Conjuguer le « oui » et le « non » de Dieu à notre monde
Dieu nous donne une ville
À partir de la fin !
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Persévérer dans l’épreuve
Comme des manchots ?
Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
J’ai trois amours
Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses dures
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Conjuguer le verbe aimer à l’impératif
Dieu est un trou noir
Briefer et débriefer à la manière du Christ

Matteo Ricci et la querelle des rites chinois

Matteo RicciAvez-vous déjà entendu parler de cette controverse célèbre ? Elle opposa les jésuites et les Missions Étrangères de Paris (MEP) autour d’une question stratégique pour l’évangélisation de la Chine au XVII° siècle : faut-il occidentaliser l’Église chinoise naissante ou siniser la foi chrétienne ?
En effet, trente années après la mort de François Xavier aux portes de la Chine (1552), des jésuites italiens, Michel Ruggieri et Matteo Ricci, pénètrent dans ce territoire. Ils se font admettre dans la société des lettrés chinois. Leur souci est de respecter les coutumes et la culture chinoise. Ils vont jusqu’à adapter la célébration de la messe, et en 1615 le pape Paul V autorise la liturgie en chinois. Il fut accordé en particulier l’autorisation de célébrer la tête couverte, car tel était le signe du respect en Extrême-Orient. Ce point peut paraître mineur, mais c’était l’indice d’une adaptation possible des rites sacrés, dès lors que leur signification profonde n’en était pas altérée. La Congrégation de la Propagande, créée en 1622 par Grégoire XV, va dans le même sens.
Mais l’arrivée des ordres mendiants en Chine provoque la ‘querelle des rites chinois’. Ils dénoncent « avec horreur les pratiques des jésuites qui permettaient aux chrétiens chinois de rendre à Confucius et aux morts les honneurs traditionnels habituels aux idolâtres de ce pays ». La querelle opposera surtout les jésuites, défenseurs des rites chinois, et les missionnaires des MEP, adversaires.
Dans cette controverse il y avait trois points importants :
- la question de savoir si la commémoration des ancêtres était en pratique un rite civil ou si elle avait une signification religieuse,
- la question de savoir si les cérémonies exécutées en l’honneur de Confucius par des savants chinois étaient séculières ou religieuses,
- la question de savoir si on pouvait trouver un accord concernant le mot chinois le plus approprié pour exprimer le concept « Dieu ».

Après bien des interdictions et autorisations successives, Benoît XIV finit par condamner définitivement dans un décret l’usage des rites chinois en 1742. L’incompréhension dont la papauté fait preuve à l’occasion de la querelle des rites détourne alors nombre de Chinois : en 1717, l’empereur chinois Kangxi, qui avait publié un édit de tolérance en faveur de la foi catholique en Chine, est tellement mécontent de la décision de Rome qu’il retire l’édit en question. Dès 1723, les missionnaires sont expulsés et les chrétiens persécutés, fragilisant une Église qui ne comptait guère plus de 200 000 chrétiens en Chine dès la fin du XVII° siècle. L’Église venait de perdre une occasion de se développer à l’intérieur de la culture chinoise.
Pie XII allait mettre fin en 1939 à l’interdiction de pratiquer les « rites chinois ». Et en 1946 l’Église catholique en Chine sera autorisée et encouragée par le pontife romain à établir une hiérarchie autochtone de plein droit, acceptée par le gouvernement chinois.
Trop tard, pourrait-on dire ! La querelle des rites chinois était une occasion historique dont l’Église n’a pas su tirer parti pour se préparer aux mutations ultérieures.

Dans un premier temps cependant, les autorités romaines avaient pris le parti des jésuites, avec notamment en 1659 une lettre admirable de la Congrégation De Propaganda Fide aux vicaires apostoliques du Tonkin et de Chine. Cette lettre est devenue ensuite une charte de l’évangélisation en pays inconnu, inspirant des missionnaires envoyés en Amérique latine, en Asie, en Afrique, dans les îles et ailleurs les siècles suivants. La lettre énonce les principes de ce qu’on appellerait aujourd’hui l’inculturation de l’Évangile dans des pays non occidentaux :

Ouvrir à tous la porte de la foi dans Communauté spirituelle 220px-Ricci_Guangqi_2« Ne mettez aucun zèle, n’avancez aucun argument pour convaincre ces peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs mœurs à moins quelles ne soient évidemment contraires à la religion et à la morale. Quoi de plus absurde que de transporter chez les Chinois la France, lEspagne, l’Italie ou quelque autre pays d’Europe ? Nintroduisez pas chez eux nos pays, mais la foi, cette foi qui ne repousse ni ne blesse les rites ni les usages daucun peuple, pourvu quils ne soient pas détestables, mais bien au contraire veut quon les protège.

Il est pour ainsi dire inscrit dans la nature de tous les hommes d’estimer, d’aimer, de mettre au-dessus de tout au monde les traditions de leur pays et ce pays lui-même. Aussi n’y a-t-il pas de plus puissante cause d’éloignement et de haine que d’apporter des changements aux coutumes propres à une nation, principalement à celles qui y ont été pratiquées aussi loin que remontent les souvenirs des anciens. Que sera-ce si, les ayant abrogées, vous cherchez à mettre à la place les mœurs de votre pays, introduites du dehors ? Ne mettez donc jamais en parallèle les usages de ces peuples avec ceux de lEurope ; bien au contraire, empressez-vous de vous y habituer.

Admirez et louez ce qui mérite la louange. Pour ce qui ne le mérite pas, s’il convient de ne pas le vanter à son de trompe comme font les flatteurs, vous aurez la prudence de ne pas porter de jugement, ou en tout cas de ne rien condamner étourdiment et avec excès.

Quant aux usages qui sont franchement mauvais, il faut les ébranler plutôt par des hochements de tête et des silences que par des paroles, non sans saisir les occasions grâce auxquelles, les âmes une fois disposées à embrasser la vérité, ces usages se laisseront déraciner insensiblement ».

Il s’agissait donc de ne pas confondre la substance de la foi et son expression culturelle, le fond et la forme, le fruit et sa gangue. Que ce soit en matière de foi, de morale ou de liturgie, il est injuste d’imposer à un peuple des coutumes et des normes occidentales s’il a déjà dans son génie propre de quoi exprimer le cœur de l’Évangile.
La lettre indiquait également qu’il serait sage pour les missionnaires de se tenir à l’écart de toute affaire politique au sein des royaumes chinois, et de renoncer absolument à toute forme d’exercice du pouvoir, en lien avec le pouvoir colonisateur français notamment, pour éviter que l’annonce de l’Évangile soit polluée par des intérêts politiques :

« Aux peuples prêchez l’obéissance à leurs princes (…) ne critiquez pas leurs actions, même celles des princes qui vous persécuteraient. N’accusez pas leur dureté, ne reprenez rien dans leur conduite, mais dans la patience et le silence attendez de Dieu le temps de la consolation. Refusez-vous absolument à semer dans leurs territoires les germes d’aucun parti, espagnol, français, turc, persan ou autre. Bien au contraire, extirpez à la racine autant qu’il est en votre pouvoir toutes les rivalités de ce genre. Et si l’un de vos missionnaires, dûment averti, continue à alimenter de telles dissensions, renvoyez-le immédiatement en Europe, de peur que son imprudence ne mette les affaires de la religion en grand péril ».

Maximum illud. - Aux sources d'une nouvelle ère missionnaireLes objectifs sont clairs : créer un clergé autochtone, s’adapter aux mœurs et aux coutumes du pays tout en évitant de s’ingérer dans les affaires politiques, et enfin, ne prendre aucune décision importante sans en référer à Rome. Ajoutons que la condition de vie des missionnaires devrait s’inspirer de la pauvreté évangélique pour ne pas peser sur les communautés locales, et pour ne pas dépendre de l’argent étranger :

« Vous ne voudrez pas vous rendre odieux pour des questions matérielles. Souvenez-vous de la pauvreté des Apôtres qui gagnaient de leurs mains ce qui leur était nécessaire ».
‘Prêtres au travail’ aurait dû être la condition ordinaire des missionnaires, voire du clergé autochtone…

Benoît XV en rétablissant la légitimité d’une liturgie chinoise rappellera ce critère :

« Si le missionnaire se laisse en partie guider par des vues humaines et se préoccupe, fût-ce partiellement, de servir les intérêts de sa patrie, au lieu de se conduire en tout point en véritable apôtre, toutes ses démarches seront aussitôt discréditées aux yeux de la population ; celles-ci en viendront facilement à s’imaginer que le christianisme n’est que la religion de telle nation étrangère, que se faire chrétien est accepter la tutelle et la domination d’une puissance étrangère et renier sa propre patrie ».
Benoît XV, Maximum illud, 1919

 

Ouvrir aux nations la porte de la foi

Voyage_Paul_1 Camus dans Communauté spirituellePaul et Barnabé de retour à Antioche racontent leur voyage autour de la Méditerranée : Lystre, Iconium, Antioche de Pisidie, la Pamphylie, Pergé, Attalia, et finalement retour à Antioche de Syrie d’où ils étaient partis, envoyés par l’Église qui leur avait imposé les mains pour cela. Notre première lecture (Ac 14,21-27) montre ces deux envoyés faire leur débrief : ils racontent comment l’Esprit « a ouvert aux nations païennes la porte de la foi ». Superbe expression ! Pour en mesurer toute la portée, il faut se souvenir qu’aujourd’hui encore devenir juif implique d’accepter toutes les obligations et coutumes juives, de la circoncision au shabbat en passant par le châle de prière, les tsitsits etc. Les premiers chrétiens n’étaient jamais que des juifs messianiques, ils auraient pu vouloir obliger les païens à adopter toutes ces règles pour se convertir au Christ. D’ailleurs, c’est ce qui a failli arriver, sous la pression des juifs un peu traditionalistes de Jérusalem. Il aura fallu une assemblée plénière (« le premier concile ! ») et une vigoureuse intervention de Pierre racontant le baptême du centurion Corneille pour adopter une philosophie missionnaire dont la lettre de 1659 est très proche : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci, qui s’imposent : vous abstenir des viandes offertes en sacrifice aux idoles, du sang, des viandes non saignées et des unions illégitimes. Vous agirez bien, si vous vous gardez de tout cela. Courage ! » (Ac 15,28-29).

Du coup, on comprend qu’ouvrir aux nations la porte de la foi implique de ne rien leur imposer qui serait étranger au cœur du message. Et surtout ne pas confondre l’expression sémitique de la foi naissante avec son substrat essentiel. Sinon, comme il faut être de mère juive pour être juif, le christianisme des premiers siècles serait resté une petite secte confidentielle…
Il y avait tant d’interdits et d’obligations qui auraient rebuté les païens et les auraient empêché d’entrer dans l’Église : la circoncision pour les hommes, les bains rituels pour les femmes, la cacherout, les strictes obligations du shabbat, l’hébreu, les vêtements, l’interdiction de manger avec des impurs etc. Le passage aux païens a décanté la foi juive de son habillage, certes légitime en Israël, mais superflu et même contre-productif ailleurs.

Malheureusement, la querelle des rites chinois montre que, à partir de l’Édit de Milan environ (313), l’Église de Rome imposera souvent ses coutumes romaines, sa liturgie, sa langue, ses fêtes aux peuples colonisés. Byzance, la seconde Rome, fera de même à l’exception notable de Cyrille et Méthode au IX° siècle : ils créeront l’alphabet slave pour traduire le génie des peuples de l’Est, leur inventer une liturgie propre, et leur évangélisation intégrera le meilleur des cultures slaves.

Laisser Dieu ouvrir aux nations la porte de la foi demande donc de ne pas faire de copier-coller dans l’évangélisation, et de discerner les pierres d’attente qui dans chaque culture permette d’enraciner l’Évangile, au lieu de badigeonner une société d’un vernis de foi occidentale qui se lézarderait et disparaîtrait aussi vite que les Églises chrétiennes du nord de l’Afrique sous les coups de boutoir de l’islam dès le VII° siècle…

 

L’inculturation

Couverture Inculturation et problématique de l'unité de l'EgliseMais que signifie inculturer l’Évangile ? À vrai dire, les juifs avaient déjà commencé à tenir compte des cultures non sémitiques, notamment pour les juifs exilés qui devaient y vivre leur foi. On pense évidemment à la LXX (Septante), la traduction grecque de la Torah hébreu. C’est tellement difficile à avaler pour les traditionalistes de l’époque – on ne touche pas à la langue sacrée ! – qu’il a fallu inventer la légende des 70 vieillards pour légitimer la traduction grecque de la Torah. On aurait confié cette difficile tâche de traduction à 70 savants chevronnés qui travaillaient chacun de leur côté, sans communiquer, mais arrivèrent au final à la même version grecque, mot pour mot ! Belle légende que ce miracle qui fonde l’inculturation de la Bible, et toute l’exégèse. Oui, il est légitime de traduire la Bible dans une autre langue que l’original ! Les musulmans ne franchiront jamais le pas, et continuent d’apprendre le Coran par cœur en arabe. Juifs et chrétiens ont découvert que chaque langue peut porter la révélation du Dieu unique.

Il n’y a pas que la LXX qui témoigne de l’effort incessant d’inculturation du peuple choisi. La Commission Théologique Internationale rappelle qu’Israël a emprunté aux peuples voisins la plupart de ses rites et de ses fêtes :

« Les plus anciennes institutions d’Israël (par exemple la circoncision, le sacrifice du printemps, le repos du sabbat) ne lui sont pas spécifiques. Il les a empruntées aux peuples voisins. Une grande partie de la culture d’Israël a une origine semblable. Cependant, le peuple de la Bible a fait subir à ces emprunts de profonds changements quand il les a incorporés à sa foi et à sa pratique religieuse. Il les a passés au crible de la foi au Dieu personnel d’Abraham, libre créateur et sage ordonnateur de l’univers, en qui le péché et la mort ne sauraient trouver leur source. C’est la rencontre de ce Dieu, vécue dans l’Alliance, qui permit de comprendre l’homme et la femme comme des êtres personnels et de rejeter en conséquence les comportements inhumains inhérents aux autres cultures ».
Commission Théologique Internationale, Foi et inculturation, 1988, n° 2,3

Le génie d’Israël a été d’historiciser ces fêtes et coutumes, c’est-à-dire de les rattacher à des moments-clés de l’histoire du peuple (l’Exode, l’Exil, la Création etc.), superposant ainsi une signification monothéiste aux significations naturelles, rurales, intégrées dans la fête nouvelle. Saint Martin évangélisait la Gaule en pratiquant ce type d’inculturation, reprenant des lieux sacrés païens pour y construire des églises, baptisant des sources et des bois pour en faire des lieux de pèlerinage, s’inspirant des personnages des contes et légendes pour en faire des héros chrétiens etc.

La Commission Théologique Internationale précise que l’inculturation est un processus, c’est-à-dire un échange permanent entre Églises :

« Le processus d’inculturation peut être défini comme l’effort de l’Église pour faire pénétrer le message du Christ dans un milieu socioculturel donné, appelant celui-ci à croître selon toutes ses valeurs propres, dès lors que celles-ci sont conciliables avec l’Évangile. Le terme inculturation inclut l’idée de croissance, d’enrichissement mutuel des personnes et des groupes, du fait de la rencontre de l’Évangile avec un milieu social ».
Commission Théologique Internationale, Foi et inculturation, 1988, n° 1,11

Apôtres des Slaves (Slavorum Apostoli - Lettre encyclique) (Documents d'Église) par [Jean-Paul II]Le Synode des évêques de 1985, qui célébrait le vingtième anniversaire de la clôture du concile Vatican II, a parlé de l’inculturation comme de « l’intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme, et l’enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines ».

La même année, Jean-Paul II fêtant Cyrille et Méthode la définissait simplement :

« L’inculturation est l’incarnation de l’Évangile dans les cultures autochtones et, en même temps, l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Église ».
Jean-Paul II, Lettre encyclique Slavorum Apostoli à l’occasion du 11° centenaire de l’œuvre d’évangélisation des saints Cyrille et Méthode, 1985, n°21.

On le voit : il ne s’agit pas de canoniser trop vite tous les éléments d’une culture, car certains seront contraires à l’Évangile. Par exemple : l’excision des fillettes, la culture de la mafia, les discriminations hommes-femmes, la peur animiste devant l’invisible, l’individualisme moderne etc. De même, il serait injuste d’occidentaliser une Église naissante sous prétexte de lui annoncer la foi. Il s’agit en somme de « conjuguer le oui et le non de Dieu à notre monde » : en chaque culture, des éléments magnifiques témoignent du travail de l’Esprit bien avant l’arrivée de missionnaires chrétiens. Et d’autres éléments sont au contraire foncièrement opposés à l’Évangile. Entre ces deux extrêmes, beaucoup de valeurs locales demandent à être travaillées, transformées, baptisées pour porter le plus fidèlement possible le cœur de la foi.

C’est sur le plan liturgique que l’inculturation est la plus spectaculaire. Par exemple, le passage du latin aux langues locales dans la liturgie grâce à Vatican II a fait grincer bien des dents, mais sans cette inculturation de la liturgie, où en serions-nous ? Le passage au latin à Rome au IV° siècle, alors que seul le grec était la langue noble, avait déjà choqué les tenants d’une Tradition figée, immobile. En Afrique, on est allé plus loin en africanisant les rites des funérailles chrétiennes, en parlant de l’Église comme d’une famille africaine, ou même au Zaïre en célébrant la messe selon un rite propre, le rite zaïrois approuvé par Rome depuis 1988. Tous ceux qui ont vécu des messes en Afrique noire savent que les danses, les costumes traditionnels, les youyous des femmes, l’omniprésence des ancêtres etc…, tout cela est repris et assumé dans la liturgie eucharistique où l’assemblée se reconnaît, adhère, participe avec joie, corporellement et affectivement, sans rien perdre du contenu essentiel de la foi.

Inculturer l’Évangile, c’est encore pour chaque Église locale traduire la Bible dans sa langue, ses langues, instaurer des catéchistes laïcs ici ou des diacres permanents là, publier un catéchisme national actualisant le catéchisme de l’Église catholique, discerner ce qui est bon ou dangereux dans les lois votées dans le pays, susciter et accompagner les spiritualités intégrant le génie de chaque peuple etc.

L’inculturation est une œuvre ecclésiale, où chacun de nous a sa part. Car il est de notre devoir de baptisés d’écouter ce que l’Esprit dit à notre Église pour faire évoluer notre culture et mieux y adapter l’expression de notre foi.

 

Ouvrir à mon prochain la porte de la foi

Je%CC%81sus%20frappe%20porte_0 ChineTerminons sur une note plus personnelle, qui impliquera chacun. Car l’inculturation n’est pas qu’une œuvre collective. C’est également une attitude personnelle, qui concerne notre relation à nos collègues, amis, familles qui sont loin du Christ. À nous de trouver les mots qui sauront toucher le cœur de l’autre. Au lieu de réciter un discours appris, à nous de partir de la culture de l’autre pour y greffer notre témoignage, notre annonce. Ouvrir à mon prochain la porte de la foi relève d’une pédagogie pleine de respect et d’attention, pratiquant par questionnements plus que par affirmations, par témoignage plus que par contrainte, afin de mettre l’autre en contact avec le Christ, tel Jean-Baptiste au bord du Jourdain.

Cela nous demande encore de lever les obstacles qui empêchent l’autre de croire, comme un verrou tourné sur la porte de sa foi. C’est par exemple un malheur innocent qui l’éloigne de la possibilité de croire (un deuil, un accident, un handicap…), ou bien une vision déformée de l’Église, ou bien une ignorance de la profondeur humaine de la Bible, ou bien des arguments intellectuels qui demandent à débattre (l’Inquisition, les croisades, l’origine de l’univers, la science etc.). Ouvrir à l’autre la porte de la foi, c’est lever un à un ces verrous, ces obstacles qui l’empêchent, et patiemment lui permettre d’entendre le Christ lui murmurer : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (Ap 3,20).

Ouvrir la porte de la foi, c’est également fermer celle du malheur. Au sens où Albert Camus décrivait cette porte dans l’Étranger (1942), lorsque Meursault tire sur un arabe qui le menace de son couteau sur la plage :

C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le révolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux. Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût.
Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur »…

Nos meurtres, nos enfermements, nos dénis font claquer sur nous la porte du malheur. Seule une pédagogie du pardon, un cheminement de vérité et de réconciliation pourront déverrouiller cette porte pour ouvrir celle de la foi, de la confiance dans la puissance de l’amour sur le mal. Que serait la mission chrétienne sans cette dimension proprement thérapeutique ?

« L’Esprit à ouvert aux nations païennes la porte de la foi ».
Inculturons donc l’Évangile, en général dans la vie de chaque Église, et en particulier dans nos relations avec nos proches, avec nous-même !

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux » (Ac 14, 21b-27)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Paul et Barnabé, retournèrent à Lystres, à Iconium et à Antioche de Pisidie ; ils affermissaient le courage des disciples ; ils les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. » Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en lui. Ils traversèrent la Pisidie et se rendirent en Pamphylie. Après avoir annoncé la Parole aux gens de Pergé, ils descendirent au port d’Attalia, et s’embarquèrent pour Antioche de Syrie, d’où ils étaient partis ; c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu pour l’œuvre qu’ils avaient accomplie. Une fois arrivés, ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux nations la porte de la foi.

Psaume
(Ps 144 (145), 8-9, 10-11, 12-13ab)
R/ Mon Dieu, mon Roi, je bénirai ton nom toujours et à jamais ! ou : Alléluia. (Ps 144, 1)

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.

Ils annonceront aux hommes tes exploits,
la gloire et l’éclat de ton règne :
ton règne, un règne éternel,
ton empire, pour les âges des âges.

Deuxième lecture
« Il essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 21, 1-5a)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé. » Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. »

Évangile
« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres » (Jn 13, 31-33a.34-35)
Alléluia. Alléluia. Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Alléluia. (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
Patrick BRAUD

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25 novembre 2015

Bonne année !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Bonne année !


Homélie du 1° Dimanche du temps de l’Avent / Année C

29/11/2015

Cf. également :

Sous le signe de la promesse

Le syndrome du hamster

 

Meilleurs vœux d’Avent

Puisque la nouvelle année liturgique commence avec notre premier dimanche de l’Avent, on pourrait effectivement se présenter tous nos voeux comme au 1er Janvier ! Peu de chrétiens ont le sentiment d’entrer dans une année différente. C’est plutôt la course aux cadeaux de Noël, ou à la préoccupation des congés d’hiver qui prend le dessus ! Ou hélas l’inquiétude liée aux récents attentats à Paris.

Pourtant, à y réfléchir, chaque Avent nous repose la question de notre rapport au temps.

Quelle est votre philosophie du temps qui passe ?

Vivez-vous dans la mémoire et le souvenir ?

Ou tendus vers les buts que vous vous êtes fixés ?

Ou goûtez-vous le présent sans penser à autre chose ?

Le temps liturgique est profondément original. Il ne se réduit à rien de connu.

 

Le temps traditionnel cyclique

Ce n’est pas le temps mythique des sociétés traditionnelles.

Les cultures animistes par exemple reposent pour la plupart sur des mythes fondateurs. À l’origine, il y avait une harmonie entre les forces invisibles (les dieux, les génies…), la nature et les hommes. Mais régulièrement, les agissements des hommes ou de la nature ou des forces invisibles remettent en cause cet équilibre primordial. Il faut alors trouver un moyen rituel, symbolique, de réparer ce dysfonctionnement en revenant au temps primordial. C’est la plupart du temps un sacrifice animal (voire humain) qui permet de revenir en ce temps-là (in illo tempore disait-on en latin), au temps des origines. C’est ce que le grand historien roumain Mircea Eliade appelait le mythe de l’éternel retour : un peu comme l’entropie de la thermodynamique, le temps traditionnel apporte dégradation, usure, obsolescence et des crises de plus en plus graves. Par le sacrifice rituel, l’horloge est remise à l’heure d’origine, et le monde peut survivre. Les sacrifices humains aztèques sont à interpréter dans ce cadre par exemple. Le temps de ces sociétés est cyclique : l’idéal est au départ, le futur n’apporte que de la dégradation, et il faut sans cesse revenir à la pureté initiale. Certains intégrismes musulmans comme le wahhabisme ou le salafisme (dont le nom signifie le retour aux ancêtres = salaf), ou certains intégrismes catholiques comme le lefebvrisme sont très proches de cette conception païenne du temps où l’âge d’or est derrière, avant.

 

Le temps linéaire du Progrès

Le temps liturgique n’est pas non plus le temps du Progrès, cher aux Lumières du XVIII° siècle.

CourbeCourbe« Du passé faisons table rase » chantaient les communistes autrefois. Demain sera mieux qu’hier, clamaient les prophètes du progrès technique, scientifique, économique et politique. La modernité s’est nourrie de cet autre mythe fondateur selon lequel le futur se construit à la force du poignet – ou plutôt de l’intelligence humaine – et apporte une croissance indéfinie, tant qualitative que quantitative. Le temps des modernes est éminemment linéaire, orientée vers un demain meilleur qu’aujourd’hui, comme aujourd’hui est meilleur qu’hier.

Bonne année ! dans Communauté spirituelle Le-temps-lineaire_forum_large

Les désillusions du progrès (dangers du nucléaire, catastrophes écologiques, usages  inhumains de la science etc.) ont mis à mal cette croyance, mais elle reste vivace (dans la gauche française par exemple) et a nourri toutes les querelles idéologiques des deux derniers siècles.

 

On n’imagine pas le futur, on en vient

 année dans Communauté spirituelleLe temps liturgique n’est ni cyclique ni linéaire. Il serait plutôt… hélicoïdal !

Lorsque nous entrons en Avent, nous ne revenons pas en arrière, en jouant à faire semblant, comme si nous étions avant la naissance du Christ. À Noël, nous fêtons beaucoup plus, nous fêtons la deuxième venue du Christ (adventus = venue = avent) lors de l’accomplissement final.

Entrer en Avent, c’est se tourner vers la venue du Christ en nos vies, demain, hier et aujourd’hui (la liturgie privilégie cet ordre, car l’eschatologie, s’appuyant sur la mémoire du passé, nous ouvre un présent où s’effectue sacramentellement cet engendrement du Christ en nous : il viendra, il est venu, il vient).

Le temps chrétien n’est pas une prolongation du passé, comme le temps scientifique prolonge une courbe en l’extrapolant. C’est vraiment très différent.

En liturgie, on n’imagine pas le futur, on en vient.

C’est toute la différence entre la planification et la Vision :

Processus Vision

Myriem Le Saget, Le manager intuitif, Dunod, 1992, p. 125

En fait, l’avenir vient au-devant de nous, et transforme notre présent pour le configurer à ce qu’il est appelé à advenir.

« Deviens ce que tu es », écrivait le génial Augustin. Le rôle du mémorial liturgique est alors de nous ancrer dans ce que Dieu a déjà fait pour nous, pour nous ouvrir à ce qu’il va faire maintenant.

Les rabbins avaient raison de répéter à leurs disciples : souviens-toi de ton futur...

Ni cyclique quoique mémoriel, ni linéaire quoique eschatologique, le temps liturgique nous invite à nous recevoir du futur promis, afin de transformer le présent à son image, appuyé sur ce que Dieu a déjà réalisé dans le passé pour nous.

 

Prenez le temps de méditer sur le temps

Le premier dimanche de l’Avent nous invite donc à travailler notre rapport au temps :

- Ne pas sacraliser le passé avec nostalgie, mais y relire l’action de Dieu qui a commencé en nous. Car comme dit le psaume, Dieu n’arrêtera pas l’oeuvre de ses mains.

- Ne pas construire l’avenir, mais l’accueillir comme une promesse que Dieu va réaliser pour nous, avec nous. C’est là sans doute le point le plus difficile pour l’Occident : se laisser façonner par l’avenir qui reflue au-devant de nous, au lieu de croire que nous pouvons comme des dieux fabriquer notre destinée tout seuls.

- Ne pas éviter le présent, mais l’habiter comme ouvert à tous les possibles qu’il nous faut orienter vers la fin, l’accomplissement de l’histoire.

Il y a bien une idolâtrie païenne du temps dont la période d’Avent nous délivre.

Plus que jamais, les chrétiens sont des dissidents temporels : ils ne s’affolent pas avec le temps médiatique, ils ne s’engloutissent pas dans le court terme du temps financier ou de la consommation, ils résistent aux futurs idéologiques construits par les hommes contre eux-mêmes.

Ils se tiennent, libres et indéterminés, sur la ligne de crête qui unit l’avenir et le passé en un présent d’une intensité redoublée.

Dès le 2° siècle après JC, la célèbre Lettre à Diognète décrivait ainsi cette paisible dissidence chrétienne, qui s’applique également à la conception du temps :

« Ils (les chrétiens) se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ;
ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle.
Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés.
Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers.
Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère.
Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés.
Ils partagent tous la même table, mais non la même couche.
Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair.
Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel.
Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois. (…)

Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair.
Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel.
Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois. »

Demain, hier, aujourd’hui, dans cet ordre : prenons le temps de méditer sur notre rapport au temps. Cela aura dans notre vie plus de conséquences que nous l’imaginons…

 

 

1ère lecture : « Je ferai germer pour David un Germe de justice » (Jr 33, 14-16)
Lecture du livre du prophète Jérémie

Voici venir des jours – oracle du Seigneur – où j’accomplirai la parole de bonheur que j’ai adressée à la maison d’Israël et à la maison de Juda : En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai germer pour David un Germe de justice, et il exercera dans le pays le droit et la justice. En ces jours-là, Juda sera sauvé, Jérusalem habitera en sécurité, et voici comment on la nommera : « Le-Seigneur-est-notre-justice. »

Psaume : Ps 24 (25), 4-5ab, 8-9, 10.14

R/ Vers toi, Seigneur, j’élève mon âme,
vers toi, mon Dieu. (Ps 24, 1b-2)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

Les voies du Seigneur sont amour et vérité
pour qui veille à son alliance et à ses lois.
Le secret du Seigneur est pour ceux qui le craignent ;
à ceux-là, il fait connaître son alliance.

2ème lecture : « Que le Seigneur affermisse vos cœurs lors de la venue de notre Seigneur Jésus » (1 Th 3, 12 – 4, 2)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens

Frères, que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. Et qu’ainsi il affermisse vos cœurs, les rendant irréprochables en sainteté devant Dieu notre Père, lors de la venue de notre Seigneur Jésus avec tous les saints. Amen.

 Pour le reste, frères, vous avez appris de nous comment il faut vous conduire pour plaire à Dieu ; et c’est ainsi que vous vous conduisez déjà. Faites donc de nouveaux progrès, nous vous le demandons, oui, nous vous en prions dans le Seigneur Jésus. Vous savez bien quelles instructions nous vous avons données de la part du Seigneur Jésus.

Evangile : « Votre rédemption approche » (Lc 21, 25-28.34-36)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
Fais-nous voir, Seigneur, ton amour,
et donne-nous ton salut.
Alléluia. (Ps 84, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire. Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche.

Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste comme un filet ; il s’abattra, en effet, sur tous les habitants de la terre entière. Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »
Patrick BRAUD

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26 août 2015

Quel type de pratiquant êtes-vous ?

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Quel type de pratiquant êtes-vous ?

Homélie du 22° Dimanche du temps ordinaire / Année B
30/08/2015

Cf. également :  Signes extérieurs de religion

Que veut dire être pratiquant aujourd’hui en France ?


L’approche liturgique

Pratique religieuse

Les sociologues et statisticiens suivent cette question de près depuis longtemps. Dans les années 60, les célèbres enquêtes du chanoine Boulard ont fait prendre conscience de la ‘déchristianisation’ de la France, en relevant méthodiquement le nombre de ‘messalisants’ (ceux qui vont à la messe chaque dimanche), de ‘pascalisants’ (ceux qui ‘font leurs Pâques’ en se confessant et communiant) etc.

On obtient alors des courbes impressionnantes par leur déclin : la pratique religieuse se juge selon cette approche au nombre d’actes liturgiques et sacramentels posés par un pourcentage de citoyens de plus en plus restreint chez nous.

Cette définition de la pratique par la liturgie marque toujours notre inconscient. Dire : je ne suis pas très pratiquant signifie pour beaucoup : je ne vais pas souvent à la messe. À Normale Sup, on a même fini par appeler les étudiants catholiques les talas, parce qu’ils sont les rares qui vont-à-la messe…

Actuellement, selon cette approche liturgique, il n’y aurait ainsi que 5 % à 10% environ de pratiquants plus ou moins réguliers en France (cf. encadré).

 

L’approche éthique

Les lectures du jour semblent pourtant critiquer fortement cette approche finalement très réductrice où la liturgie est le seul marqueur de la pratique religieuse. Saint Jacques est le plus explicite dans notre deuxième lecture : « Devant Dieu notre Père, un comportement religieux pur et sans souillure, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, et de se garder sans tache au milieu du monde… » (Jc 1, 17-27)

Pour lui, la véritable pratique religieuse est donc éthique. Rien ne sert d’aller à la messe si nos comportements quotidiens ne sont pas profondément transformés, et différents de ceux des païens.

Jésus dans l’évangile de ce dimanche (Mc 7, 1-23) souligne l’importance de la priorité de l’éthique sur les rites : lavage de coupes, de carafes et de plats sont des pratiques inventées par les hommes, des traditions purement humaines qui servent d’alibi à l’hypocrisie des scribes et des pharisiens. La vraie pureté ne vient pas de la façon de cuisiner (casher ou halal) ou de manger, mais de l’intérieur du cœur de l’homme. La longue liste des comportements contraires à la pratique religieuse selon Jésus (« inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure »…) démontre que le prophète de Nazareth appelle à une éthique fraternelle comme premier marqueur de l’identité croyante. En cela, il est le digne héritier de tous les prophètes juifs, qui n’ont cessé de spiritualiser les obligations légales pour mettre l’amour de l’autre au cœur de la pratique de la foi.

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Liturgie / Éthique / Foi

Liturgie, éthique : un troisième terme vient également jouer dans la composition de la pratique religieuse. C’est tout simplement la foi. Saint Pierre l’affirme de manière très claire à propos du baptême : « être baptisé, ce n’est pas être purifié de souillures extérieures, mais s’engager envers Dieu avec une conscience droite » (1P 3, 18-21).

Jésus d’ailleurs avait déconcerté ses disciples en affirmant que « faire l’œuvre de Dieu, c’est croire en celui qu’il a envoyé ». Voilà donc que pratiquer a également à voir avec affirmer sa foi. Les Églises protestantes qu’on appelle confessantes ont redécouvert cette dimension de l’identité chrétienne au XVI° siècle en affirmant l’éthique comme une résultante de la foi et non l’inverse.

 

Nous voici alors devant un triangle : liturgie / éthique / foi, qui est celui du baptême lui-même. Souvenez-vous : l’onction d’huile (chrismation) qui fait du baptisé un autre Christ est accompagnée de la parole : « Dieu te marque de l’huile sainte afin que tu demeures éternellement membre de Jésus-Christ, prêtre prophète et roi ».

Prêtre renvoie à la dimension liturgique de la pratique (célébrer).

Prophète renvoie à la dimension de la foi (annoncer la Parole de Dieu).

Roi à la dimension éthique (gouverner le monde).

Être pratiquant, c’est articuler ces trois dimensions : il y a donc plusieurs manières de pratiquer, qui découlent de la hiérarchisation faite par chacun entre la Foi (F), la Liturgie (L), l’Éthique (E).

fle éthique dans Communauté spirituelle

En ne retenant que les positions les plus claires (idéal-typiques, diraient les wébériens), on obtient 6 configurations de la pratique religieuse, selon l’ordre d’importance accordée à chaque composante :

 

· FLE : la foi est première, la liturgie et l’éthique sont secondes, dans cet ordre. Cela correspond assez bien historiquement à la position des Églises évangéliques, très confessantes. L’insistance est mise sur l’annonce (le kérygme) et la relation personnelle à Jésus reconnu comme Seigneur et Sauveur. Le culte et l’assemblée sont plus importants que dans le reste du protestantisme. L’éthique vient ensuite.

· FEL : Restant sauve la priorité de la foi, l’éthique vient juste après. La liturgie est bien là, mais moins importante.

C’est grosso modo la situation de la plupart des Églises réformées : la relation personnelle au Christ est première, et l’engagement social vient largement avant la dimension ecclésiale ou cultuelle.

· EFL : la transformation de la société est plus importante que les questions de dogmes, et la liturgie est minimisée. On peut y reconnaître la position du catholicisme social façon Action Catholique du début du XXe siècle : par notre action militante, ‘nous referons chrétiens nos frères’.

· ELF : l’éthique reste première, mais la liturgie vient la nourrir et soutenir le militantisme. C’est le catholicisme social façon Semaines sociales de la deuxième moitié du XXe siècle : nourris par les sacrements, les catholiques pourront exercer leurs responsabilités sociale pour le bien commun. Ce courant est plus marqué par l’appartenance ecclésiale que le précédent (qui était plus contestataire, au moins au début).

· LFE : c’est l’ordre choisi par la Lettre aux catholiques de France (1996) : leitourgia / kerygma / martyria. La « proposition de la foi » est cette construction assez originale de la pratique religieuse où, minoritaire, le petit reste catholique français sent qu’il ne tiendra pas s’il ne se nourrit pas d’abord des sacrements vécus dans l’assemblée liturgique.

· LEF : assez proche de la proposition de la foi, cette triade en est cependant distincte par l’importance accordée à l’éthique. On peut y reconnaître l’appartenance vécue dans la plupart des communautés dites nouvelles. L’expérience charismatique est essentiellement liturgique (au cours de la prière, en assemblée), et débouche sur un changement radical de vie (il y a un avant et un après la conversion). La foi fait est un peu le parent pauvre (proclamer Jésus Seigneur suffit).

 

Idéal-typiques, ces 6 configurations de la pratique religieuse ne se rencontrent jamais à l’état pur dans les personnes et les groupes réels. Elles permettent cependant de se repérer dans la constellation des sentiments d’appartenance.

On peut les projeter dans un espace identité religieuse / engagement social, car ces deux axes sont ceux qui produisent des effets visibles dans la société.

On obtient la visualisation suivante :

Pratique religieuse

Les voisinages deux à deux de ces différentes formes de pratiques religieuses peuvent étonner, mais sont finalement très logiques. La proposition de la foi rejoint l’intuition évangélique d’une minorité active qui doit être la lumière du monde. Les communautés nouvelles reprennent en fin de compte les principes de l’Action Catholique la plus fidèle à l’enseignement ecclésial, en conciliant liturgie et éthique. Les sensibilités réformées (protestantes traditionnelles) sont assez proches de celles des militants d’Action Catholique dans leur aspect contestataire et prophétique des injustice sociales etc.

 

Entre ces 6 façons de pratiquer, il y a bien sûr une infinité de nuances et de gradations. Demandez par exemple à un groupe de personnes de noter de 0 à 3 l’importance que chacune donne à la foi, la liturgie et l’éthique dans la pratique religieuse, et vous verrez qu’il y a environ… 64 combinaisons et possibilités de se définir plus ou moins religieux !

L’important n’est pas de complexifier cette classification au risque de s’y perdre, mais de repérer ‘à la louche’ dans quel endroit et proche de quelle configuration vous vous situez.

Tenir ensemble foi / liturgie / éthique demande d’être à la fois lucide et critique sur l’articulation pratiquée entre les trois (personnellement d’abord, mais également collectivement, dans la paroisse, le groupe, l’Église qui est la mienne).

Seule une circulation incessante entre ces trois dimensions nous permettra de marcher à la suite du Christ, de pratiquer en vérité.

 

 

1ère lecture : « Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne… vous garderez les commandements du Seigneur » (Dt 4, 1-2.6-8)
Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple : « Maintenant, Israël, écoute les décrets et les ordonnances que je vous enseigne pour que vous les mettiez en pratique. Ainsi vous vivrez, vous entrerez, pour en prendre possession, dans le pays que vous donne le Seigneur, le Dieu de vos pères. Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne, et vous n’y enlèverez rien, mais vous garderez les commandements du Seigneur votre Dieu tels que je vous les prescris. Vous les garderez, vous les mettrez en pratique ; ils seront votre sagesse et votre intelligence aux yeux de tous les peuples. Quand ceux-ci entendront parler de tous ces décrets, ils s’écrieront : ‘Il n’y a pas un peuple sage et intelligent comme cette grande nation !’ Quelle est en effet la grande nation dont les dieux soient aussi proches que le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons ? Et quelle est la grande nation dont les décrets et les ordonnances soient aussi justes que toute cette Loi que je vous donne aujourd’hui ? »

Psaume : Ps 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5
R/ Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? (Ps 14, 1a)

Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son cœur.
Il met un frein à sa langue.

Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.
À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.

Il ne reprend pas sa parole.
Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
Qui fait ainsi demeure inébranlable.

2ème lecture : « Mettez la Parole en pratique » (Jc 1, 17-18.21b-22.27)
Lecture de la lettre de saint Jacques
Mes frères bien-aimés, les présents les meilleurs, les dons parfaits, proviennent tous d’en haut, ils descendent d’auprès du Père des lumières, lui qui n’est pas, comme les astres, sujet au mouvement périodique ni aux éclipses. Il a voulu nous engendrer par sa parole de vérité, pour faire de nous comme les prémices de toutes ses créatures. Accueillez dans la douceur la Parole semée en vous ; c’est elle qui peut sauver vos âmes. Mettez la Parole en pratique, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion. Devant Dieu notre Père, un comportement religieux pur et sans souillure, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, et de se garder sans tache au milieu du monde.

Evangile : « Vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes » (Mc 7, 1-8.14-15.21-23)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Le Père a voulu nous engendrer par sa parole de vérité, pour faire de nous comme les prémices de toutes ses créatures.
Alléluia. (Jc 1, 18)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, les pharisiens et quelques scribes, venus de Jérusalem, se réunissent auprès de Jésus, et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées. – Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, par attachement à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats. Alors les pharisiens et les scribes demandèrent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. » Jésus leur répondit : « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres,mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. »
Appelant de nouveau la foule, il lui disait : « Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. »
Il disait encore à ses disciples, à l’écart de la foule : « C’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. »
Patrick BRAUD

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17 septembre 2011

Les ouvriers de la 11° heure

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Les ouvriers de la 11° heure

 

Homélie du 25° dimanche ordinaire / Année A / 18/09/2011

 

La vocation sociale de la foi chrétienne

Encore une parabole inspirée par la vie économique ! Et qui peut l’inspirer en retour…

Si certains voudraient cantonner la foi chrétienne à la seule vie intérieure ou aux seules pratiques rituelles, ces paraboles « économiques » obligent les Églises à demeurer – même minoritaires – un ferment de transformation sociale. Le repli sur des petites communautés chaleureuses, mais trop autocentrées, et bientôt folkloriques, ne pourra jamais assumer cette vocation socio-économique qui court dans tous les Évangiles.

Les ouvriers de la 11° heure dans Communauté spirituelle
Le travail est par-dessus tout une prérogative de l’homme en tant que personne, un facteur d’accomplissement humain, qui précisément aide l’homme à être davantage homme. Sans le travail, non seulement, il ne peut plus s’alimenter, mais il ne peut plus se réaliser lui-même, c’est-a-dire rejoindre sa véritable dimension. En second lieu et en conséquence, le travail est une nécessité, un devoir qui donne à l’homme vie, sérénité, engagement, signification. L’Apôtre Paul, rappelons-le, admoneste sévèrement, « celui qui ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas ! » (II Thessaloniciens, III 10). Ainsi chacun est appelé à développer une activité à quelque niveau qu’il soit placé, tandis que se trouvent condamnées la paresse et l’exploitation. D’autre part, le travail est un droit, c’est le grand droit fondamental de l’homme (?) En tant que tel, il doit être promu et sauvegardé par la société et aussi dans l’éventuel conflit avec les autres droits. A ces conditions le travail devient aussi un service de telle sorte que l’homme croisse dans la mesure par laquelle il se donne lui-même aux autres.
(Jean-Paul II : Angélus du 20 septembre 1981).

 

 

Embaucher, c’est divin

Une parabole qui parle de travail donc, et plus précisément d’embauche.

 11° heure dans Communauté spirituelleTous ceux qui ont connu le chômage vous raconteront la détresse non seulement financière mais plus encore humaine : se sentir inutile, ne pas avoir sa place dans la société, « rester là, toute la journée, sans rien faire » comme le constate avec tristesse le maître de la vigne.

Le travail est vraiment un lieu d’humanisation. En être privé est une souffrance que Dieu lui-même nous invite à combattre.

De six heures du matin à six heures du soir, Dieu embauche. Bien sûr, c’est pour son travail à lui. Mais il souligne par là même la grandeur de tout travail humain. L’oisiveté (« rester là sans rien faire ») est bien la mère de tous les vices ! Les moines bénédictins ont gardé précieusement ce conseil, même au coeur de leur vie contemplative : « ora et labora », « prie et travaille », car les deux vont ensemble dans le coeur de Dieu qui lui-même est toujours à l’oeuvre (cf. Jn 5,17, et le thème des oeuvres’ dans Jn).

 

La liturgie du travail, le travail liturgique

D’ailleurs, les cinq fois où Dieu sort pour embaucher sont les cinq heures liturgiques, à la  chômagefois juives et chrétiennes. Au point du jour, c’est l’office de Matines (6h du matin). La troisième heure, c’est Laudes (9h). La sixième heure, c’est Sexte (midi). La neuvième heure, c’est None (15h). La 11° heure, c’est Vêpres (17h).

Comparer l’embauche des ouvriers à l’office liturgique : voilà qui relie indissolublement le travail et la prière, la vie sociale et la pratique religieuse, l’activité économique et la vie divine !

 

Comment participer aujourd’hui à cette embauche ? Comment appeler chacun à prendre sa place dans l’activité humaine, ecclésiale, associative ?

Ne pas appeler l’autre à venir travailler est criminel .

Que chaque communauté s’examine. Ne sommes-nous pas trop habitués à fonctionner avec un petit cercle, sans oser appeler ceux qui sont là « à ne rien faire » ?

Dans la vie professionnelle, l’emploi est-il réellement un objectif prioritaire au-dessus du profit (même si celui-ci est nécessaire pour embaucher !) ?

 

Dieu sort

Cinq fois dans la journée, Dieu sort de lui-même pour ne pas laisser les ouvriers au  liturgiechômage. Comme Moïse (Ex 2,11), il faut sortir de son palais doré pour voir la misère du peuple et être témoin de son esclavage.

Sortir de soi est proprement divin.

C’est le mouvement même de la vie trinitaire. Les autres religions appellent à revenir vers soi, à retrouver l’unité intérieure, à se fondre dans le Tout. Le Dieu de Jésus est au contraire un Dieu qui ne cesse de sortir de lui-même pour aller vers l’autre. Tout le contraire de l’indépendance ou de l’autosuffisance : Dieu sort car il est amour, et l’amour veut dépendre de l’autre ; et l’amour ne veut pas se suffire à lui-même.

Cette place où il vient chercher ses ouvriers représente le monde avec ses foules mélangées, ses querelles, ses calomnies, le tumulte de tant d’affaires diverses où Dieu n’a point dédaigné de descendre
(saint Hilaire de Poitiers : commentaire de l’évangile selon saint Matthieu, XX 5).

Là encore, chacun peut réfléchir : que veut dire sortir de moi-même pour moi actuellement ?

 

Les ouvriers de la 11° heure

À tout âge il est possible d’entendre l’appel du maître de la vigne. Les Pères de l’Église voyaient dans les cinq tranches horaires de la parabole l’histoire de l’humanité (scandée par Noé, Abraham, Moïse, Jésus), ou bien les différents âges de la vie (même à la fin de sa vie, on peut venir travailler au Royaume).

Les différentes heures de la journée se retrouvent dans notre vie : le matin c’est l’enfance ; la troisième heure, la jeunesse où déjà se fait sentir la chaleur des passions ; la sixième, l’heure de midi, c’est la maturité de l’âge avec toutes les forces de l’homme dans leur plénitude ; la neuvième où le soleil se penche vers son couchant, c’est la vieillesse avec ses déclins ; et enfin la onzième l’âge de la décrépitude où la journée tend vers sa fin (saint Grégoire le Grand : homélie XVII sur les péricopes évangéliques 1 & 2).

 ouvrierLes ouvriers de la 11° heure peuvent également représenter les païens, appelés grâce à Jésus après les juifs, mais partageant avec eux le même salaire : la vie éternelle.

Les ouvriers appelés à la onzième heure représentent les Gentils. Pendant que le peuple hébreu, à toutes les heures de la journée, était venu travailler dans la vigne de Dieu, en le servant avec une vraie foi, les Gentils pendant longtemps avaient négligé de travailler pour la vie véritable, et avaient perdu leur temps dans des agitations stériles. Et ils peuvent donner comme excuse à leur désoeuvrement que personne n’était venu les employer. Ils n’on vu ni patriarches, ni prophètes, et personne n’est venu leur parler de la vie éternelle (ibid.).

 

Dans toute culture, à tout âge, quelque soit les conditions sociales, il est donc possible de devenir un ouvrier au service du Royaume de Dieu. Que nul ne désespère alors de sa jeunesse ou de son grand âge, de sa pauvreté ou de sa richesse : il n’est jamais trop tôt ni trop tard, il n’est jamais impossible de travailler à l’oeuvre de Dieu !

 

Au-delà des conventions collectives

Un mot enfin sur les salaires versés. Le salaire promis par le maître est juste. Il  parabolecorrespond aux conventions collectives de l’époque : un denier par jour de travail, du lever au coucher du soleil (pause comprise ?…).

Les ouvriers des premières heures accusent le maître d’injustice, alors qu’il est généreux. Il donne ce qui est juste, mais va au-delà de la justice.

Saint Augustin résout élégamment cette question en rappelant que le denier versé, c’est la vie éternelle, qui est infinie. Or on ne peut diviser l’infini ou en donner deux fois moins à quelqu’un !

Parce que la pièce d’argent, c’est la vie éternelle, tous jouiront d’une même vie éternelle (?). Elle sera la même pour tous. Car elle ne sera pas plus longue pour l’un, ni moins longue pour l’autre, puisqu’elle est éternelle pour tous : ce qui n’a pas de fin pour moi n’en aura pas pour toi. (St Augustin, sermon 87,6)

Quand Dieu donne la vie éternelle, aux ouvriers de la 11° heure comme à ceux du petit matin, il leur donne tout ce qu’il a, tout ce qu’il est, et comment être jaloux alors que chacun est comblé de cette plénitude ?

 

Cette révélation de la bonté de Dieu au-delà de la justice pourrait là encore inspirer bien des responsables économiques. Travailler une heure quand on a été chômeur ne peut pas être évalué au prorata de ceux qui travaillent normalement depuis le matin, c’est-à-dire de ceux qui ont toujours été bien insérés dans le monde professionnel. Les débats sur les allocations de ressources, CMU, RSA et autres aides sociales ont là une référence évangélique assez audacieuse…

 

1ère lecture : « Mes pensées ne sont pas vos pensées » (Is 55, 6-9)

Lecture du livre d’Isaïe

Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver. Invoquez-le tant qu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin,et l’homme pervers, ses pensées ! Qu’il revienne vers le Seigneur qui aura pitié de lui, vers notre Dieu qui est riche en pardon. Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées.

 

Psaume : 144, 2-3, 8-9, 17-18

R/ Proche est le Seigneur de ceux qui l’invoquent

Chaque jour je te bénirai, 
je louerai ton nom toujours et à jamais.
 
Il est grand, le Seigneur, hautement loué ;
 
à sa grandeur, il n’est pas de limite.
 

Le Seigneur est tendresse et pitié, 
lent à la colère et plein d’amour ;
 
la bonté du Seigneur est pour tous,
 
sa tendresse, pour toutes ses oeuvres.
 

Le Seigneur est juste en toutes ses voies, 
fidèle en tout ce qu’il fait.
 
Il est proche de ceux qui l’invoquent,
 
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

2ème lecture : « Pour moi, vivre c’est le Christ » (1, 20c-24.27a)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens

Frères, soit que je vive, soit que je meure, la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps. En effet, pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. Mais si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c’est bien cela le meilleur ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. Quant à vous, menez une vie digne de l’Évangile du Christ.

Evangile : La générosité de Dieu dépasse notre justice (Mt 20, 1-16)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. La bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses oeuvres : tous acclameront sa justice.Alléluia. (cf. Ps 144, 7-9)

 

Evangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus disait cette parabole : 
« le Royaume des cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit au petit jour afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux sur un salaire d’une pièce d’argent pour la journée, et il les envoya à sa vigne. Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans travail. Il leur dit : ‘Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste.’ Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : ‘Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?’ Ils lui répondirent : ‘Parce que personne ne nous a embauchés.’ Il leur dit : ‘Allez, vous aussi, à ma vigne.’
 
Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : ‘Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.’ Ceux qui n’avaient commencé qu’à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’argent. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’argent. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : ‘Ces derniers venus n’ont fait qu’une heure, et tu les traites comme nous, qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur !’ Mais le maître répondit à l’un d’entre eux : ‘Mon ami, je ne te fais aucun tort. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour une pièce d’argent ? Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mon bien ? Vas-tu regarder avec un oeil mauvais parce que moi, je suis bon ?’
 
Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »

Patrick Braud 

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