L'homélie du dimanche (prochain)

29 décembre 2019

L’épiphanie du visage

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

L’épiphanie du visage

Homélie pour la fête de l’Épiphanie / Année A
05/01/2020

Cf. également :

Épiphanie : tirer les rois
Épiphanie : êtes-vous fabophile ?
Rousseur et cécité : la divine embauche !
Épiphanie : l’économie du don

Épiphanie : Pourquoi offrir des cadeaux ?
Le potlatch de Noël
Épiphanie : qu’est-ce que l’universel ?
L’Épiphanie, ou l’éloge de la double culture
L’inquiétude et la curiosité d’Hérode
Éloge de la mobilité épiphanique
La sagesse des nations

En Chine, le visage sert à tout. Reconnu par une caméra intelligente, il vous permet de payer au supermarché sans sortir votre carte bleue ni même faire la queue. Il vous donne  accès au métro, à l’entrée de votre immeuble, et à l’argent de votre compte en banque… Grâce à la reconnaissance faciale, le visage devient une signature unique, infalsifiable, qui simplifie les démarches de la vie courante.

Le revers de la médaille de cette prouesse technologique est l’avènement d’une société de contrôle, où la surveillance généralisée des visages permet de sanctionner, d’observer, de punir, de noter les citoyens. Chacun dispose ainsi d’une sorte de « permis à points » social en fonction de ses amendes, condamnations, incivilités ou au contraire des actes approuvés par le régime. Malheur à ceux dont le nombre baisse trop ! Les caméras les dénicheront où qu’ils soient et les écarteront du train, du métro, du spectacle auquel ils n’ont plus droit. On estime à près de 400 millions le nombre de caméras intelligentes dans le pays (une pour 3,5 habitants). Il passera probablement à 600 millions en 2025.

On pense bien sûr à George Orwell : son roman « 1984 » anticipait ce type de société de contrôle où la surveillance panoptique (= ayant vue sur tout) supprime l’anonymat et la vie privée. Et cela fait froid dans le dos…

Ces calculs sur les visages pour les traduire en une série de 0 ou 1 reconnaissable par l’intelligence artificielle font aussi penser à d’autres calculs étranges sur le visage humain, ceux des soi-disant docteurs nazis prétendant caractériser la race juive par son visage caricaturé à l’extrême. De grandes expositions à Paris et ailleurs consacraient cette approche anthropométrique du visage dans les années de l’occupation allemande. Sous couvert de scientificité, la mainmise sur le visage humain servait l’idéologie nazie : dénier aux juifs leur humanité et en faire des sous-hommes (Untermenschen). Cela fait froid dans le dos…

Après-guerre, bizarrement, cette manipulation des visages connut d’autres heures de gloire avec la pseudo-science de la morphopsychologie, inventée par un psychiatre français Louis Corman (1901–1995), heureusement largement inconnu. Il voulait classer scientifiquement les visages et en déduire les caractéristiques des personnalités de chacun d’après les traits de son faciès. Ce qui n’est pas sans rappeler d’ailleurs une autre pseudo-science, chinoise à nouveau, qui régnait autrefois à la cour de Pékin. Le Mian Xiang était l’art impérial de la lecture du visage, populaire en Chine depuis l’Antiquité. Cette technique d’inspiration taoïste, vieille de plusieurs millénaires, permettrait de décrypter le caractère d’une personne mais aussi de ‘prédire’ ses actes à partir d’une analyse minutieuse des traits de son visage (la distance entre ses yeux, leur courbure, la forme du nez, des oreilles et des rides…). Elle était employée dans la Chine traditionnelle pour sélectionner les candidats aux postes de fonctionnaire, mais aussi – déjà! pour repérer les personnes malveillantes dans une foule dinvités.

À l’opposé de ces pensées calculantes et techniciennes, le philosophe juif Emmanuel Levinas a réfléchi sur ce qu’il appelle l’épiphanie du visage. Lorsque nos regards se croisent, le visage de l’autre est un appel à la responsabilité éthique envers lui, pour en prendre soin et le servir. Il y a dans le visage d’autrui la manifestation d’une transcendance, de quelque chose qui nous échappe et nous commande à la fois, qui n’est pas mesurable, qui n’est pas objet de manipulation ni de calcul. L’exposition du visage à autrui – peau nue offerte à la rencontre – est bouleversante pour qui prend le temps d’y déceler l’infini qui s’y manifeste. C’est bien une épiphanie (au sens grec du terme) c’est-à-dire une manifestation (paraître au-dessus) de l’infini (la personne humaine) dans le fini (son visage). Emmanuel Lévinas appelle épiphanie l’expression du visage en tant qu’elle résiste à la prise et se refuse à la possession. Le visage s’impose par-delà les formes qui le délimitent. Il me parle et m’invite à une relation sans aucune mesure avec tout pouvoir. Cette dimension infinie, transcendante, purement éthique, est expression et discours. Sans recourir à la force, elle résiste infiniment à toute appropriation ou négation, y compris au meurtre : c’est une résistance désarmée et désarmante.

« Le visage est sens à lui seul. Toi, c’est toi. En ce sens, on peut dire que le visage n’est pas « vu ». Il est ce qui ne peut devenir un contenu, que votre pensée embrasserait ; il est l’incontenable, il vous mène au-delà.
Le  visage  se  refuse  à  la  possession,  à  mes  pouvoirs.  Dans  son épiphanie, dans l’expression, le sensible, encore saisissable se mue en  résistance  totale  à  la  prise.  (…)  L’expression  que  le  visage introduit dans le monde ne défie pas la faiblesse de mes pouvoirs, mais mon pouvoir de pouvoir.
L’infini paralyse le pouvoir par sa résistance infinie au meurtre, qui, dure et insurmontable, luit dans le visage d’autrui, dans la nudité totale de ses yeux, sans défense, dans la nudité de l’ouverture absolue du Transcendant. Il y a là une relation non pas avec une résistance très grande, mais avec quelque chose d’absolument Autre : la résistance de ce qui n’a pas de résistance – la résistance éthique.
L’épiphanie du Visage suscite cette possibilité de mesurer l’infini de la tentation du meurtre, non pas seulement comme une tentation de destruction totale, mais comme impossibilité – purement éthique – de cette tentation et tentative.
Le visage me parle et par là m’invite à une relation sans commune mesure avec un pouvoir qui s’exerce, fût-il jouissance ou connaissance.
Emmanuel Levinas, Totalité et infini, 1961.

Les Grecs pensaient autrefois qu’il fallait se masquer le visage pour jouer son rôle. Le masque de théâtre avait pour fonction de laisser porter la voix tout en cachant le visage. La personne (prosopon en grec, persona en latin) était alors en avant du masque (pro-sopon) le son qui perçait de derrière (per-sona). Avec Levinas, la personne humaine est au contraire celle que le visage révèle au lieu de la dissimuler, dans son irréductible altérité. C’est un autre qui se tient face à moi, et son altérité me renvoie au Tout-Autre dont il est une épiphanie. C’est pourquoi le visage d’autrui résonne comme une injonction éthique absolue : ‘tu ne tueras pas’.

Ce large détour par différentes conceptions du visage peut nous aider à redécouvrir le sens de la fête d’aujourd’hui.
Qu’est-ce en effet que l’Épiphanie sinon la manifestation de l’infini divin dans le fini de l’enfant de Bethléem ? En lui le Tout-Autre se révèle, l’indicible se laisse approcher, le très Grand est tout petit, l’invisible se donne à contempler. Les mages ne s’y sont pas trompés. Avec leur science astrologique, ils auraient pu se contenter de la description de leurs calculs. Ils avaient en quelque sorte inventé la reconnaissance faciale du Messie, à lire dans les astres mieux que les Chinois dans leurs caméras vidéo… Mais ils n’ont pas voulu en rester là. Cette connaissance théorique les laissait sur leur faim. Ils voulaient voir l’enfant. Ils désiraient éprouver son regard, scruter son visage, être physiquement en sa présence, se prosterner devant un être de chair et non une forme dans le ciel. Un Dieu sans visage pourrait-il vraiment entrer en relation, en communion avec l’homme ? Dès sa naissance, Jésus est l’épiphanie du Père : tout en lui nous parle de plus grand que lui ; ses actes nous montrent comment Dieu agit ; ses paroles lui sont inspirées par l’Esprit ; son visage bouleversera même ses ennemis dans le pardon offert.

Fêter l’Épiphanie, c’est donc répondre à l’injonction éthique qui me vient du visage d’autrui (pour reprendre Levinas) : ‘sois responsable de ton frère en humanité, ne te dérobe pas devant son regard. Contemple-le face-à-face et tu frémiras de pressentir une dignité infinie, ton cœur se dilatera de frôler ce qui dépasse l’entendement humain. Dans la rencontre de Bethléem, les mages font l’expérience de ce bouleversement intérieur. Les cadeaux qu’ils offrent sont les signes de leur responsabilité envers l’enfant : de l’or pour qu’il soit reconnu comme roi, de l’encens pour discerner en lui le Grand Prêtre venu de Dieu, de la myrrhe pour que son embaumement après la croix révèle au monde sa victoire sur la mort.

Totalité et infiniAllez rendre visite à un service de pédiatrie : vous ne pourrez pas échapper aux regards de ces enfants malades dont certains semblent vous avertir du danger extrême qui les menace et vous supplie en vous tendant leurs visages. Même le pire bourreau ne pourra rester insensible à cette détresse d’autrui qui est un appel à prendre soin de lui. On raconte que les commandos nazis chargés des basses besognes d’extermination en étaient réduits à se saouler continûment pour se confronter à des statistiques de travail et non à des visages humains implorant leur pitié ou flambant de colère et de haine.

À Bethléem, c’est presque l’effet symétrique. La profondeur du mystère qui émane du visage du nouveau-né oblige les mages à prendre soin d’eux-mêmes. Grâce à un songe commun, ils repartent « par un autre chemin » pour éviter la violence du fourbe Hérode qui aurait voulu les éliminer pour les faire taire. D’ailleurs Hérode fera tuer les premiers-nés à distance, sur un ordre politique, sans se salir lui-même les mains. 

Nous ne pouvons plus comme les mages aller nous prosterner au loin devant le Roi des juifs. Mais nous pouvons en-visager (c’est-à-dire donner un visage) à ceux que nous croisons sans les voir. Les voisins de palier, de quartier, de bureau. Les SDF dans la rue qui nous gênent et dont nous détournons le regard. Les gens trop gros, trop maigres, trop grands, trop petits, trop handicapés, trop différents de peau, psychologiquement trop dérangés… Et d’abord les tous proches : conjoint, enfants, famille, dont on croit connaître la personnalité et dont nous ne voulons plus nous étonner.

Dieu le Tout-Autre se révèle sur le visage d’autrui. Face-à-face, quelque chose de plus grand que tout se dévoile. Si je renonce à mettre la main sur lui (par la technique, le calcul, l’aveuglement idéologique, l’intérêt etc.), l’appel à prendre soin qui émane de son visage changera mon chemin et mes décisions.

Telle est l’épiphanie du visage humain, qui s’enracine dans l’Épiphanie du Christ à Bethléem : ne pas passer à côté de l’autre sans contempler sur son visage l’infini qui nous fait vivre tous les deux et nous convoque à devenir responsables l’un de l’autre…

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« La gloire du Seigneur s’est levée sur toi » (Is 60, 1-6)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.

PSAUME

(Ps 71 (72), 1-2, 7-8, 10-11, 12-13)
R/ Toutes les nations, Seigneur, se prosterneront devant toi. (cf. Ps 71,11)

Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit aux malheureux !

En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu’à la fin des lunes !
Qu’il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !

Les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.

Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.

DEUXIÈME LECTURE
« Il est maintenant révélé que les nations sont associées au même héritage, au partage de la même promesse » (Ep 3, 2-3a.5-6)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère. Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile.

ÉVANGILE
Nous sommes venus d’Orient adorer le roi (Mt 2, 1-12)
Alléluia. Alléluia.Nous avons vu son étoile à l’orient, et nous sommes venus adorer le Seigneur. Alléluia. (cf. Mt 2, 2)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda,tu n’es certes pas le dernierparmi les chefs-lieux de Juda,car de toi sortira un chef,qui sera le berger de mon peuple Israël. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Après avoir entendu le roi, ils partirent.
Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
 Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Patrick Braud

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5 août 2015

Le caillou et la barque

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Le caillou et la barque

 

Homélie du 19° dimanche du temps ordinaire / Année B
09/08/2015

 

« Imitez Dieu »

Paul n’y va pas par quatre chemins : « cherchez à imiter Dieu » (Ep 4,30- 5,2).

Il est fou de mettre la barre si haut !

On n’est pas des héros, et Dieu est inaccessible comme le rappelle Jésus dans notre évangile : « personne n’a jamais vu le Père ». Comment imiter quelqu’un qu’on ne voit pas ? Le mimétisme repose sur la reproduction de ce qui est vu et entendu. C’est ainsi que les bébés apprennent à sourire, à parler, à marcher… Mais Dieu est invisible ! Et lui c’est lui, nous c’est nous. C’est littéralement surhumain que d’essayer d’agir comme Dieu !

Comment sortir de cette aporie ?

 

Le Christ, icône de Dieu

Le caillou et la barque dans Communauté spirituelle 34524632dieu-jesus-et-l-esprit-saint-jpgLa solution chrétienne à cette impasse est assez élégante. Oui, Dieu est invisible, mais en Jésus de Nazareth il s’est donné à voir, à toucher, à suivre. Dans les évangiles, nous voyons le Christ incarner dans ses gestes, ses paroles, ses attitudes, l’amour même qu’est Dieu. Il accueille les damnés de la terre, il fréquente les intouchables, il est saisi de compassion et guérit autant qu’il peut les malades. Sa vie et son exemple sont si concrets qui nous est facile de savoir en le regardant comment Dieu se comporte. « Qui m’a vu a vu le Père ».

Pourtant, savoir n’est pas encore faire de même.

Nous voyons le Christ pardonner, et nous avons du mal à l’imiter.

Nous le voyons soigner le soldat venu l’arrêter, aller jusqu’à aimer ses bourreaux qui le crucifient, et là nous disons : stop ! Je ne suis pas le bon Dieu, je ne peux pas aller jusque-là…

 

Le caillou et la barque

Alors comment pratiquer ce que Paul commande ? « Vivez ».

Peut-être en voyant en Jésus de Nazareth un passeur plus qu’un modèle.

 Un jour, un chef scout interrogeait un louveteau qui préparait sa promesse :

-  Si je prends un caillou gros comme ça et que je le pose à la surface d’un fleuve, va-t-il couler au fond ou surnager ?
-  Il coulera bien sûr !
-  Et si je prends 100 grosses pierres, que je les place dans une barque et que je pousse la barque au milieu du fleuve, ces pierres vont-elles couler au fond ou surnager ?
-  Elles surnageront, et traverseront le fleuve grâce à la barque.
-  Alors 100 pierres et une barque sont plus légères qu’un seul caillou ?…

L’enfant tout confus ne savait plus quoi répondre.

Le chef scout continua :
- Imagine que le gros caillou c’est la promesse. Si tu comptes la porter tout seul, tu risques de couler en cours de route. Imagine que les 100 grosses pierres sont les commandements de la loi scoute et les principes, les maximes qui vont avec, et que la barque est ton amitié avec Jésus. Alors tu vois que, porté par l’amitié du Christ, tu vas pouvoir traverser le fleuve sur la barque, c’est-à-dire observer les commandements scouts et y être fidèles.

Le Christ est-il pour nous un exemple ou un passeur ? En latin, on dirait : le Christ est-il pour vous exemplum (exemple moral) ou sacramentum (sacrement qui nous fait passer en Dieu) ?

L’exemple (exemplum), c’est celui qu’il faut suivre en faisant plein d’efforts pour être comme lui.

Mais le risque est grand de faire comme le gros caillou qui voulait flotter tout seul et qui a coulé au fond.

Le passeur (sacramentum), c’est la barque qui prend sur elle les 100 pierres. Cette barque les maintient à flot, et les fait traverser le fleuve sur l’autre rive.

« Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements », nous assure le Christ dans l’évangile de Jean. En liant ainsi amour et fidélité, Jésus se révèle plus passeur qu’exemple.

C’est dans l’amour pour lui que nous trouverons le courage de la fidélité, et non l’inverse. Il ne s’agit pas tant de faire des efforts pour être fidèles que d’approfondir notre amour pour lui,  et alors la fidélité viendra.

C’est un peu semblable dans l’amitié ou le couple : c’est souvent la tiédeur qui engendra l’infidélité, la routine qui provoque l’éloignement, le manque d’intensité qui suscite la trahison…

« Si vous m’aimez, nous resterez fidèles à mes commandements ».

 

Le Christ, passeur de Dieu.

Imiter le Christ, ce n’est pas être raidi dans un effort moral pour lui ressembler. C’est au contraire laisser son Esprit, dans la communion avec lui, nous transformer en retour.

Moi je ne sais pas pardonner, mais le Christ en moi peut aimer mes ennemis.

Moi j’ai du mal à me livrer, mais uni au Christ « livré pour la multitude », ce travail se fait en moi, par lui, avec lui et en lui. Comme l’écrit Paul : « ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi ». L’imitation de Jésus-Christ a été un best-seller de la chrétienté. Ce petit ouvrage pouvait quelquefois verser dans le moralisme, mais le plus souvent il suivait ce fil d’Ariane : reste greffé au Christ, et il opérera en toi de grandes choses.

4646947_le_passeur__fond_creme02_WEB communion dans Communauté spirituelle 

L’imitation juive

Les juifs, nos frères aînés (Jean-Paul II), ont à coeur eux aussi d’imiter Dieu. Comme il n’y a pas de médiateur à leurs yeux, ils pratiquent cette imitation à partir de deux sources, toujours valable pour les chrétiens : la Bible, et l’éthique.

La Bible

Car l’Écriture dévoile l’image de Dieu en l’homme, en chaque homme. Par exemple, si les juifs les premiers appellent Dieu : notre père, ce n’est pas parce que Dieu  ressemblerait à nos parents, mais parce que à l’inverse nos parents sont créés à l’image de Dieu, source de toute paternité et de toute vie. C’est en scrutant les Écritures, en prenant le temps de l’étude des textes, qu’un père découvrira comment Dieu est Père en plénitude, qu’une mère découvrira les entrailles de Dieu à la source de son amour pour ses enfants. La Bible - lue, étudiée, psalmodiée - est la référence première pour qui veut aimer comme Dieu aime.

 

9782743604042 exempleL’éthique

La deuxième référence juive est sans aucun doute l’éthique. Respecter les 613 commandements est la base une vie humaine droite, telle que Dieu l’a voulue : à son image. Le philosophe Emmanuel Levinas par exemple a écrit des pages admirables sur cette primauté de l’éthique dans la pensée juive. Celui qui respecte l’altérité des autres êtres humains, en le considérant comme un impératif absolu, celui-là agit selon le coeur de Dieu. Évidemment, pour les chrétiens, l’éthique demeure : c’est bien un chemin pour ressembler à Dieu. Mais en régime chrétien, l’éthique est davantage une conséquence qu’un préalable. Ce qui compte, c’est la vie dans l’Esprit saint, dont le fruit sera une éthique venant de l’intime de Dieu. La grâce est plus fondamentale que la loi, l’Esprit plus que la lettre, la communion plus que la morale. Sans que pour autant les premiers contredisent les seconds : au contraire, ils les accomplissent.

 

Imiter Dieu n’est pas un marathon épuisant : c’est une transformation qu’il nous est donné de vivre en participant à l’amour divin.

En communion au pain vivant descendu du ciel, comme l’écrit Jn 6, nous ravivons en nous le désir d’agir comme le Christ, parce que unis à lui ; nous ranimons la faim  d’aimer comme lui parce que aimés par lui.

C’est ainsi que nous est donnée jour après jour la force d’imiter Dieu en toutes choses.

 

 

1ère lecture : Élie fortifié par le pain de Dieu (1R 19, 4-8)

Lecture du premier livre des Rois

Le prophète Élie, fuyant l’hostilité de la reine Jézabel, marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. »
Puis il s’étendit sous le buisson, et s’endormit. Mais voici qu’un ange le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! »
Il regarda, et il y avait près de sa tête un pain cuit sur la braise et une cruche d’eau. Il mangea, il but, et se rendormit.
Une seconde fois, l’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! Autrement le chemin serait trop long pour toi. »
Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu.

Psaume : 33, 2-3, 4-5, 6-7, 8-9

R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur !

Je bénirai le Seigneur en tout temps, 
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur : 
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

Magnifiez avec moi le Seigneur, 
exaltons tous ensemble son nom.
Je cherche le Seigneur, il me répond : 
de toutes mes frayeurs, il me délivre.

Qui regarde vers lui resplendira, 
sans ombre ni trouble au visage.
Un pauvre crie ; le Seigneur entend : 
il le sauve de toutes ses angoisses.

L’ange du Seigneur campe à l’entour 
pour libérer ceux qui le craignent.
Goûtez et voyez : le Seigneur est bon ! 
Heureux qui trouve en lui son refuge !

2ème lecture : Vivez dans l’amour (Ep 4, 30-32; 5, 1-2)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Éphésiens

Frère, en vue du jour de votre délivrance, vous avez reçu en vous la marque du Saint Esprit de Dieu : ne le contristez pas. Faites disparaître de votre vie tout ce qui est amertume, emportement, colère, éclats de voix ou insultes, ainsi que toute espèce de méchanceté. Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ.

Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré pour nous en offrant à Dieu le sacrifice qui pouvait lui plaire.

Evangile : Le pain de la vie éternelle (Jn 6, 41-51)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Tu es le pain vivant venu du ciel, Seigneur Jésus. Qui mange de ce pain vivra pour toujours. Alléluia. (cf. Jn 6, 50-51)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Comme Jésus avait dit : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel », les Juifs récriminaient contre lui : « Cet homme-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire : ‘Je suis descendu du ciel’ ? »
Jésus reprit la parole : « Ne récriminez pas entre vous. Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire vers moi, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. Tout homme qui écoute les enseignements du Père vient à moi. Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père. Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi a la vie éternelle. Moi, je suis le pain de la vie.
Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ; mais ce pain-là, qui descend du ciel, celui qui en mange ne mourra pas. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »
Patrick Braud

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2 octobre 2010

L’injustifiable silence de Dieu

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

L’injustifiable silence de Dieu

Homélie du 03/10/2010
27° Dimanche du temps ordinaire / Année C

 

« Combien de temps, Seigneur, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas ! »

 Le cri du prophète Habacuc est toujours le nôtre.

Comment se fait-il que Dieu garde le silence devant tant d’injustices ? Il reste apparemment silencieux, impuissant devant le mal qui fait des ravages.

Le tremblement de terre en Haïti, les inondations au  Pakistan, la galère des « moins que rien » chez nous, la maladie terrible, la mort trop jeune… Comment croire en un Dieu muet et indifférent ?

 

Comment espérer se sortir de cette question qui génère tant d’athéisme fort raisonné ?

Nietzsche écrivait:  » Si je connais le pourquoi, je peux endurer tous les comment »… Mais si Dieu se tait, comment connaître le pourquoi ?

 

Une réponse juive : la transcendance absolue

L'injustifiable silence de Dieu dans Communauté spirituelle _1963DifficileLiberte_mEmmanuel Levinas, philosophe juif marqué par la Shoah, en appelle à la révélation biblique d’un Dieu qui ne veut pas se substituer à la responsabilité éthique de l’homme. 

« Que signifie cette souffrance des innocents ? Ne témoigne-t-elle pas d’un monde sans Dieu, d’une terre où l’homme seul mesure le Bien et le Mal ?

La réaction la plus simple, la plus commune consisterait à conclure à l’athéisme.

Réaction la plus saine aussi pour tous ceux à qui jusqu’alors un Dieu, un peu primaire, distribuait des prix, infligeait des sanctions ou pardonnait des fautes et, dans sa bonté, traitait les hommes en éternels enfants. Mais de quel démon borné, de quel magicien étrange avez-vous donc peuplé votre ciel, vous qui, aujourd’hui le déclarez désert ? Et pourquoi sous un ciel vide cherchez-vous encore un monde sensé et bon ?

[?] Un Dieu d’adulte se manifeste précisément par le vide du ciel enfantin. Moment où Dieu se retire du monde et se voile la face. [?]  [1]

cf. http://www.akadem.org/sommaire/themes/philosophie/1/4/module_2451.php  

 

Si le silence de Dieu permet d’évacuer les représentations magiques, enfantines, providentialistes dans lesquelles les hommes veulent l’enfermer pour l’utiliser, alors ce silence est effectivement salutaire?

 

Bon nombre de chrétiens s’arrêtent à cette « solution » pour contourner le paradoxe dramatique d’un Dieu tout-puissant et pourtant silencieux. Ils privilégient alors – avec des accents très profonds – la thèse que François Varillon a magnifiée dans son très beau livre : « l’humilité de Dieu ». Dieu est désarmé, dit-il, par amour. Parce que sa toute-puissance n’est que celle de l’amour, il doit lui-même passer par la souffrance, la faiblesse, l’impuissance devant le mal qui jaillit du coeur de l’homme.

 

Si cette position contient de forts accents de vérité sur l’infini respect d’un Dieu qui ne s’impose pas à l’homme, elle oublie peut-être un peu vite le fondement spécifiquement juif de cette thèse sur l’impuissance de Dieu. Levinas précise ainsi ce fondement :

« Là se manifeste, au contraire, la physionomie particulière du judaïsme : le rapport entre Dieu et l’homme n’est pas une communion sentimentale dans l’amour d’un Dieu incarné, mais une relation entre esprits, par l’intermédiaire d’un enseignement, par la Thora. C’est précisément une parole non incarnée de Dieu qui assure un Dieu vivant parmi nous. » (ibid.)

 

Comment croire en un Dieu si transcendant qu’il en deviendrait absent et impuissant ?

Un ancien SDF disait : « en 11 années passées à vivre dans la rue, de foyer en foyer, avec l’alcool, les anxiolytiques, le mépris… Dieu n’a jamais rien dit. Dieu n’a jamais rien fait. Comment pourrais-je croire en lui ? »

Même s’il a des aspects de grandeur qui fascine les croyants pour qui tout va bien, les pauvres, sur qui s’accumulent les galères de logement, de santé, de solitude, d’inutilité… ne peuvent absoudre ce silence de Dieu qui demeure un scandale.

 

Le silence n’est pas le dernier mot de Dieu

9782750901318 blasphème dans Communauté spirituellePour les chrétiens, le dernier mot de Dieu / sur Dieu n’est pas sa transcendance, mais l’incarnation en personne d’un Dieu, qui, en Jésus, justement ne garde pas le silence…

Certes, Jésus semble silencieux parfois : devant les accusateurs de la femme adultère, dans la barque de la tempête déchaînée, devant Pilate et la foule du procès selon l’évangéliste Jean… Mais d’abord, ce silence ne dure pas, car après il parle et il agit : pour sauver la femme adultère, pour calmer la tempête, pour témoigner à son procès. Parce qu’il est la Parole en personne, Jésus parle à ceux qui souffrent, il agit pour les petits et pour les exclus, il guérit les malades… Et ensuite, le silence de Dieu après la mort de Jésus ne se termine pas par le silence et l’impuissance, mais par la résurrection, éclatante victoire sur les forces de mal et sur la mort, avec des paroles fortes qui libèrent la parole des apôtres.

Non vraiment, Jésus n’a rien d’un Dieu silencieux qui se défausse sur l’homme.

 

Plus encore, Jésus a assumé les terribles cris des psaumes, semblables à ceux du prophète ou du SDF, accusant Dieu de son silence :

 « Mon Dieu, mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné et t’éloignes-tu de moi sans me secourir, sans écouter ma plainte, pourquoi ton silence ? Mon Dieu, je t’appelle tout le jour, et tu ne réponds pas… » (Ps 22,3)

« Écoute, Seigneur, réponds-moi, car je suis pauvre et malheureux. » (Ps 86,9)

« Vite, réponds-moi, Seigneur. Je suis à bout de souffle ! Ne me cache pas ton visage. » (Ps 143,7)

 « Fais que j’entende au matin ton amour » (Ps 143,8).

« Vers toi, Seigneur, j’appelle ; mon rocher, ne sois pas sourd! Que je ne sois, devant ton silence, comme ceux qui descendent à la fosse! » (Ps 28,1)

« Ô Dieu, ne reste pas muet, plus de repos, plus de silence, ô mon Dieu ! » (Ps 83,2)

Saint Paul évoque « Jésus Christ, révélation d’un mystère enveloppé de silence aux siècles éternels », mais en prédisant aussitôt que ce mystère est « aujourd’hui manifesté » (Rm 16,24-25). Luther lui fait écho : « La foi est donc en quelque sorte connaissance, ou ténèbres, elle ne voit rien. Et cependant, saisi par la foi, Christ se tient en ces ténèbres ».

Christ se tient en ces ténèbres, comme la Parole se tient au creux du silence de Dieu :

« Nous nous trouvons ici face au « langage de la croix » (1 Co 1, 18). Le Verbe se tait, il devient silence de mort, car il s’est « dit » jusqu’à se taire, ne conservant rien de ce qu’il devait communiquer. De manière sugges­tive, les Pères de l’Église (St Maxime le Confesseur), contemplant ce Mystère, mettent sur les lèvres de la Mère de Dieu cette expression : « Sans parole est la parole du Père, la­quelle a créé toute la nature parlante, sans mouve­ment sont les yeux éteints de celui par la parole et le geste de qui est mû tout ce qui se meut » (Benoît XVI, Verbum Domini, 30/09/2010, n°12).

« Comme le montre la croix du Christ, Dieu parle aussi à travers son silence. Le silence de Dieu, l’expérience de l’éloignement du Tout-Puis­sant et du Père est une étape décisive du parcours terrestre du Fils de Dieu, Parole incarnée. Pendu au bois de la croix, il a crié la douleur qu’un tel silence lui causait : « Mon Dieu, mon Dieu, pour­quoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34 ; Mt 27,46). Persévérant dans l’obéissance jusqu’à son dernier souffle de vie, dans l’obscurité de la mort, Jésus a invoqué le Père. C’est à lui qu’il s’en remet au moment du passage, à travers la mort, à la vie éternelle : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23, 46).

Cette expérience de Jésus est comparable à la situation de l’homme qui, après avoir écouté et reconnu la Parole de Dieu, doit aussi se mesurer avec son silence. Bien des saints et des mystiques ont vécu une telle expérience qui aujourd’hui encore fait partie du cheminement de nombreux chrétiens. Le silence de Dieu prolonge ses paroles précédemment énoncées. Dans ces moments obscurs, il parle dans le mystère de son silence. C’est pourquoi, dans la dynamique de la Révélation chrétienne, le silence apparaît comme une expression importante de la Parole de Dieu. » (n° 20)

  

Inexplicable silence

Devant la Passion, devant la Shoah, devant le malheur innocent, nulle explication ne satisfait celui qui – comme Job – refuse de s’arrêter aux paroles trop faciles de ceux qui veulent innocenter Dieu de son silence.

Le pasteur Poujol insiste sur le côté inexplicable du silence de Dieu, à partir de l’histoire de Job :

« Job, contrairement au silence d’Abraham, n’obtient aucune explication, il ne lui est donné aucune promesse, aucune parole. Il est précipité dans la mort des siens, la maladie, la souffrance, et il est entouré du silence. Ce silence durera, selon certains commentateurs, quarante ans. De plus Job doit se battre contre les paroles vaines de ses amis, de ceux qui veulent rompre ce silence insoutenable pour la raison. Job leur dit : « Que n’avez-vous gardé le silence ! »

Que de bavardages, face aux Job d’aujourd’hui ! Que de paroles vaines qui finalement montrent la peur du silence, la peur de la rencontre avec soi-même. Si Abraham retrouve son fils après l’épreuve du silence, Job après son épreuve, ne retrouve pas ses enfants. Il en aura d’autres, mais les enfants ne sont pas interchangeables, nous le savons bien. Job garde la blessure du silence. En tout cela, nous dit la Bible, « Job ne pécha point ».

Job, s’il est placé face au silence de Dieu, ne reste pas, lui, dans le silence ! Il parle, il crie, il dit sa colère, son malheur à Dieu. Job apprend à ne pas tout comprendre de Dieu, il apprend que Dieu ne se réduit à l’image qu’il se fait de lui. Dans nos silences, dans nos conflits intérieurs, nous expérimentons bien souvent « la paix qui surpasse toute intelligence ».

Au fond de son silence de la nuit inexplicable, celle dont parle Jean de la Croix, Job dit : « Je sais que mon Rédempteur est vivant et qu’il se lèvera le dernier ».

Les silences de Dieu dans notre vie nous posent un conflit intérieur, d’autant plus que nous vivons dans une société de communication. Mais pour nous, le silence de Dieu n’est pas l’absence de Dieu. Le conflit dans lequel il nous place est un temps de profonde mutation personnelle. » [2]

 

Les pauvres demandent des réponses concrètes, pas des théories sur l’impuissance de Dieu.

Dans le livre d’Habacuc d’ailleurs, Dieu ne garde pas le silence en fait : il répond aux critiques des malheureux par la vision du prophète, communiquées clairement à tous.

Cette parole est plus sûre que le silence, incompréhensible. Ce serait blasphémer que de rendre le silence compréhensible.

 

Si la force de la résurrection n’est pas à l’oeuvre dans l’histoire, alors ce Dieu-là n’est plus le Dieu des pauvres; il n’est plus Dieu du tout…

  • Élie Wiesel à Genève le 20 avril 2009 constatait amèrement que l’humanité n’avait rien appris de la Shoah. Il n’acceptait pas de dédouaner Dieu de cette absence de pourquoi, de son silence? :

« - La culture ne nous a pas aidés. Moi qui crois que l’éducation est un bouclier qui nous protège contre certains actes que l’être humain cultivé ne peut pas, ne pourrait pas commettre. Non, ça n’a servi à rien, comment est-ce possible ?
- Maintenant on sait comment c’est arrivé. Tout, on sait déjà. Les historiens, les musées, les archives, on sait comment. Mais ce qu’on ne sait pas c’est le pourquoi. Pourquoi c’est arrivé.
- Ça a servi à quoi ? Et là, bien sûr, la seule réponse, c’est Dieu seul qui pourrait la donner. Humblement et sincèrement, je vous le dis que cette réponse-là, si elle existe, je la récuse. Il n’y a pas de réponse. Il faut vivre avec la question. Mais cette question-là s’étend au-delà du temps. Est-ce que le monde apprendra jamais ? Est-ce qu’il apprendra finalement ce que cela signifie de permettre à des hommes d’anéantir d’autres hommes, sans raison ? Moi, je pense que l’homme, que le monde n’a pas appris. Si le monde avait appris, il n’y aurait pas eu le Cambodge, il n’y aurait pas eu la Bosnie, il n’y aurait pas eu le Rwanda, il n’y aurait pas eu le Darfour, il n’y aurait pas eu de racisme, pas d’antisémitisme. » 

Le scandale du silence de Dieu du reste entier, même s’il est provisoire.
Peut-être n’y a-t-il pas d’autre attitude que celle de Job à la fin de son long réquisitoire contre Dieu :

« Et Job fit cette réponse à Yahvé :

Je sais que tu es tout-puissant: ce que tu conçois, tu peux le réaliser. J’étais celui qui voile tes plans, par des propos dénués de sens. Aussi as-tu raconté des oeuvres grandioses que je ne comprends pas, des merveilles qui me dépassent et que j’ignore. Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu. Aussi je me rétracte et m’afflige sur la poussière et sur la cendre. »  (Jb 42,1-6)

 

Peut-être n’y a-t-il pas d’autre courage devant ce silence incompréhensible que la plainte des psaumes avec laquelle Jésus a fait corps ?

 

La foi chrétienne n’explique pas le silence de Dieu.
Elle espère juste qu’à la fin de ce silence, il agisse…

 


[1]. Emmaunel, Lévinas, Aimer la Thora plus que Dieu in Difficile Liberté, Livre de Poche, 1973, pp. 219-223

 

 

1ère lecture : « Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3; 2, 2-4)

Lecture du livre d’Habacuc

« Combien de temps, Seigneur, vais-je t’appeler au secours, et tu n’entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas !

Pourquoi m’obliges-tu à voir l’abomination et restes-tu à regarder notre misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. Je guetterai ce que dira le Seigneur. »

Alors le Seigneur me répondit : « Tu vas mettre par écrit la vision, bien clairement sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment.

Cette vision se réalisera, mais seulement au temps fixé ; elle tend vers son accomplissement, elle ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, à son heure.

Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité. »

 

Psaume : Ps 94, 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9

 

R/ Aujourd’hui, ne fermons pas notre coeur, mais écoutons la voix du Seigneur !

 

Venez, crions de joie pour le Seigneur,

acclamons notre Rocher, notre salut !

Allons jusqu’à lui en rendant grâce,

par nos hymnes de fête acclamons-le !

 

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,

adorons le Seigneur qui nous a faits.

Oui, il est notre Dieu ;

nous sommes le peuple qu’il conduit.

 

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?

« Ne fermez pas votre coeur comme au désert,

où vos pères m’ont tenté et provoqué,

et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

 

2ème lecture : Le chef de communauté doit rester fidèle dans le service de l’Évangile (2Tm 1, 6-8.13-14)

Lecture de la seconde lettre de saint Paul Apôtre à Timothée

Fils bien-aimé,

je te rappelle que tu dois réveiller en toi le don de Dieu que tu as reçu quand je t’ai imposé les mains.

Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de raison.

N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis en prison à cause de lui ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile.

Règle ta doctrine sur l’enseignement solide que tu as reçu de moi, dans la foi et dans l’amour que nous avons en Jésus Christ.

Tu es le dépositaire de l’Évangile ; garde-le dans toute sa pureté, grâce à l’Esprit Saint qui habite en nous.

 

Evangile : La puissance de la foi – L’humilité dans le service (Lc 17, 5-10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »

Le Seigneur répondit : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous obéirait.

Lequel d’entre vous, quand son serviteur vient de labourer ou de garder les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite à table’ ?

Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et que je boive. Ensuite tu pourras manger et boire à ton tour.’

Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?

De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : ‘Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n’avons fait que notre devoir.’ »
Patrick Braud

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