Quand Dieu appelle
Quand Dieu appelle
Un appel objectif
Cela fait des décennies qu’en France on parle de « crise des vocations » : la chute vertigineuse du nombre de prêtres et de séminaristes transforme en profondeur le paysage paroissial. D’où vient cette « crise » ? Dieu appellerait-il moins qu’avant ? Les jeunes sont-ils plus éloignés de lui au point de ne plus l’entendre ?
Un petit détour par la première lecture de ce dimanche peut nous aider (Ac 1, 15-26). Il s’agit de la situation du groupe des disciples au lendemain de la résurrection. Les « frères » sont environ 120, nombre symbolique qui correspond bien aux 12 tribus d’Israël (multiplié par 10, le nombre du minian c’est-à-dire du groupe minimum de 10 juifs pour réciter la prière). Mais les apôtres eux ne sont plus que 11, depuis que Judas s’est pendu. Matériellement, ils pouvaient rester 11, cela suffirait. Pas symboliquement : Jésus les a appelés à faire 12, et c’est à 12 qu’ils doivent rester des témoins de la vie/mort/résurrection du Messie, accomplissant en cela la vocation d’Israël.
Tout par non donc non pas d’un désir personnel de tel ou tel frère de servir en remplaçant Judas, mais du besoin de l’Église de faire corps autour des 12 à nouveau constitués.
Cette première indication est capitale : ce n’est pas l’envie personnelle de tel ou tel qui le qualifie pour devenir apôtre, c’est le besoin de l’Église, objectif.
Un appel porté par l’Église locale
Deuxième indication : à partir du moment où ce besoin ecclésial est clairement identifié et reconnu par tous, on ne demande pas qui a envie de se proposer. Il n’y a pas de campagnes électorales, pas de candidats qui chercheraient à se faire élire. Il n’y a même pas d’auto-proposition spontanée où il faudrait prendre le temps de discerner (comme dans les séminaires) si cela convient et si le candidat peut être accepté. Non, c’est l’assemblée qui propose, et apparemment sans même demander aux choisis s’ils sont d’accord ! « On en présenta deux ». C’est donc que l’ekklésia participe activement au choix de ses ministres. L’assemblée locale propose. Elle entre en prière pour laisser le choix ultime à Dieu, à travers la méthode du tirage au sort entre les deux présentés.
Cette deuxième indication du texte des Actes explique peut-être en partie notre crise des vocations : si nos assemblées locales étaient effectivement davantage associées au choix et au soutien spirituel des candidats, on n’en serait plus à attendre que des jeunes viennent d’eux-mêmes, mais on leur demanderait s’ils sont d’accord pour être proposés !
Dieu ne choisit pas à la manière des hommes
Troisième indication : lorsque Dieu choisit, c’est rarement selon les critères des hommes. On se souvient que c’était déjà le cas pour les rois (David par exemple n’est que le dernier des enfants de Jessé, et en plus il est roux), les prophètes (Jérémie s’en plaint assez), les prêtres (la tribu de Lévi n’était pas la plus prestigieuse) : « Dieu ne juge pas selon les apparences ».
Ceci est confirmé de manière spectaculaire dans le choix du remplaçant de Judas. On présente deux membres de la communauté. Le premier est couvert de titres et visiblement très apprécié de tous. Il a trois prénoms, et pas des moindres : Joseph, Barsabbas, et en plus on le surnomme « le Juste » (Justus). Le second présenté (il n’est pas « candidat », répétons-le) n’a qu’un seul prénom : Matthias. Eh bien, le tirage au sort (procédé pratique pour laisser symboliquement le dernier mot de l’appel à Dieu lui-même) désigne celui qui a le moins de titres : Matthias.
C’est souvent le cas encore aujourd’hui ! Rappelez-vous du bon pape Jean XXIII qui était plus proche des bergers italiens que des intellectuels et diplomates de la Curie romaine. Ou du cardinal Marty, paysan du Rouergue à l’accent rocailleux qui a laissé un souvenir indéfectible dans le coeur des parisiens dont il a été l’évêque aimé. Ou du curé d’Ars réussissant avec peine les examens du Séminaire.
Nul anti-intellectualisme dans ce choix de Dieu, mais seulement ce rappel du Magnificat : « il élève les humbles ».
Résumons-nous : ce petit texte de Ac 1, 15-26 nous donnent trois précieuses indications sur la façon dont Dieu procède pour appeler des ministres :
- tout part d’un besoin ecclésial clairement reconnu
- l’assemblée locale choisie qui elle veut pour satisfaire ce besoin ; elle présente, soutient et accompagne les désignés
- le choix ultime est laissé à Dieu, en acceptant que ses critères ne soient pas les critères du monde.
S’il y a une crise des vocations, elle vient sans doute moins des jeunes d’aujourd’hui que de la coupure meurtrière qui a été établie entre les églises locales et l’appel des ministres. Sous prétexte de respecter l’intimité et le secret des coeurs, on a laissé la vocation devenir une histoire privée, individuelle, voire individualiste. Du coup cela fait peur ; et l’église locale devient étrangère à ces itinéraires privés.
La controverse Branchereau-Lahitton
Une controverse célèbre dans l’histoire avait pourtant raisonné comme un avertissement contre cette privatisation de l’appel au ministère. C’est la fameuse controverse Branchereau ? Lahitton au début du XX° siècle.
Branchereau était un sulpicien qui défendait une approche subjective de la vocation: l’appel est selon lui l’effet d’une grâce divine déposée directement par Dieu dans le coeur du candidat. C’est la théorie dite « des germes de vocation » dans le coeur des candidats au ministère. Le rôle de l’Église est alors de fortifier cette grâce après l’avoir discerné. La vie laïque s’applique à tous ceux qui ne se sentent pas appelés à autre chose. Il y a vocation sacerdotale là où Dieu appelle, de façon impérative, pour confier un honneur et un pouvoir particuliers. La pastorale des vocations s’appuie alors sur cette théorie des germes: l’appel existe, mais il est étouffé dans le coeur des jeunes gens (=> Petits Séminaires pour les accueillir plus tôt, avant qu’ils ne soient corrompus par l’esprit du monde). Le signe de la vocation, c’est l’attrait personnel, conjoint aux aptitudes requises. S’il y a les deux, c’est que la vocation est réelle et vient de Dieu. Voilà la théorie qui a largement marqué (et encore aujourd’hui) l’accès aux ministères. Le lien Église locale – ministres y disparaît, au profit de l’aventure personnelle de l’aspirant au pouvoir sacramentel. Elle oublie le souci d’édification du corps ecclésial, et fait « du » prêtre « l’homme de Dieu », l’homme du sacré.
Lahitton était un dominicain, qui contestait fortement contre cette théorie des germes de la vocation. Pour lui, c’est l’appel adressé à quelqu’un par l’Église hiérarchique qui est le critère déterminant de la vocation au ministère. Il critique les Petits Séminaires qui confondent vie parfaite et ministère: le ministère est subverti en un moyen d’être plus proche de Dieu, au lieu de vouloir servir l’Église dans le monde. L’expression « vocation tardive » traduit bien cette conception où l’appel est censé exister normalement dès l’enfance, mais à la manière d’une vocation religieuse dévoyée… La dimension infantile de la théorie des germes de vocation dès l’enfance se traduit par une recherche éperdue des germes de vocation, confondus avec la certitude subjective d’être appelé. Pour Lahitton, c’est l’appel objectif par l’Église (évêque) qui est déterminant. Les ministres sont appelés, même s’ils n’ont pas d’attrait personnel: ainsi Aaron, Marie, les Apôtres… D’ailleurs, dans l’Église ancienne, beaucoup d’hommes furent appelés à l’épiscopat contre leur gré (invitus, coactus comme l’écrit Congar): Ambroise de Milan (vox populi, vox Dei), Grégoire de Nazyance (ordonné malgré lui!), Grégoire de Nysse, Augustin, Jean Chrysostome, Cyprien, Germain, Hilaire, Martin, Paulin de Nole, Grégoire le Grand, Rémi, Philippe de Néri (sacerdos ex obedientia factus, disait-on de lui) etc… Voilà, parmi les plus connus, quelques prêtres qui n’avaient pas « l’attrait » pour le ministère, mais qui furent des pasteurs et des saints remarquables! Et les liturgies d’ordination commencent encore par une phrase rituelle qui a tout son sens: « Père, la sainte Église vous présente son fils N. ». À laquelle répond l’interrogation de l’évêque: « savez-vous s’il a les aptitudes requises ? » Les aptitudes en question ne proviennent pas du désir du candidat, mais doivent être attestées par les chrétiens consultés. Cette ligne « objective » où l’appel vient de l’Église plus que d’une motion intérieure peut s’appuyer sur la thèse de l’idonéité chère à St Thomas: les deux critères pour ordonner quelqu’un sont avoir une ?bonne vie’, et une science compétente. Il suffit donc de trouver des hommes idoines et de les ordonner. C’est d’ailleurs encore le cas pour les évêques : si l’Église appelle un prêtre à devenir évêque sans que celui-ci se soit proposé, pourquoi ne le ferait-elle pas, a fortiori, pour les autres ministres ?
La solution à cette controverse a été formellement énoncée par Pie X, dans un jugement publié dans les Acta Apostolicae Sedis en 1912, et qui acquiert par là une force magistérielle très haute. « Nul n’a jamais aucun droit à l’ordination, antérieurement au libre choix de l’évêque ». Ni « l’attrait intérieur », ni les « invites du Saint Esprit » ne sont nécessaires, mais seuls l’appel de l’évêque, et de la part du candidat « l’intention droite unie à l’idonéité ».
Si on suit les conclusions de cette dispute, comme celle de notre première lecture, on devrait réintroduire la responsabilité des Églises locales dans l’appel de ses ministres.
Mais cela bousculerait bien des traditions purement humaines…
1ère lecture : Élection de Matthias en remplacement de Judas (Ac 1, 15-17.20a.20c-26)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, les frères étaient réunis au nombre d’environ cent vingt. Pierre se leva au milieu de l’assemblée et dit :
« Frères, il fallait que l’Écriture s’accomplisse : par la bouche de David, l’Esprit Saint avait d’avance parlé de Judas, qui en est venu à servir de guide aux gens qui ont arrêté Jésus, ce Judas qui pourtant était l’un de nous et avait reçu sa part de notre ministère. Il est écrit au livre des Psaumes : Que sa charge passe à un autre. Voici donc ce qu’il faut faire : il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis son baptême par Jean jusqu’au jour où il nous a été enlevé. Il faut donc que l’un d’entre eux devienne avec nous témoin de sa résurrection. »
On en présenta deux : Joseph Barsabbas, surnommé Justus, et Matthias. Puis l’assemblée fit cette prière : « Toi, Seigneur, qui connais le c?ur de tous les hommes, montre-nous lequel des deux tu as choisi pour prendre place dans le ministère des Apôtres, que Judas a déserté en partant vers son destin. »
On tira au sort, et le sort tomba sur Matthias, qui fut dès lors associé aux onze Apôtres.
Psaume : 102, 1-2, 11-12, 19.22
R/ Gloire à toi, Seigneur, à la droite du Père !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits !
Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint ;
aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés.
Le Seigneur a son trône dans les cieux :
sa royauté s’étend sur l’univers.
Toutes les ?uvres du Seigneur, bénissez-le,
sur toute l’étendue de son empire !
2ème lecture : « Nous avons reconnu l’amour de Dieu » (1Jn 4, 11-16)
Lecture de la première lettre de saint Jean
Mes bien-aimés,
puisque Dieu nous a tant aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres.
Dieu, personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour atteint en nous sa perfection. Nous reconnaissons que nous demeurons en lui, et lui en nous, à ce qu’il nous donne part à son Esprit. Et nous qui avons vu, nous attestons que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde.
Celui qui proclame que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.
Et nous, nous avons reconnu et nous avons cru que l’amour de Dieu est parmi nous. Dieu est amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui.
Evangile : La grande prière de Jésus : « Consacre-les dans la vérité » (Jn 17, 11b-19)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le Seigneur ne vous laisse pas orphelins : il reviendra vers vous, alors votre c?ur connaîtra la joie. Alléluia. (cf. Jn 14, 18)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
À l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, les yeux levés au ciel, il priait ainsi : « Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné en partage, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes.
Quand j’étais avec eux, je les gardais dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Écriture soit accomplie. Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, en ce monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés.
Je leur ai fait don de ta parole, et le monde les a pris en haine parce qu’ils ne sont pas du monde, de même que moi je ne suis pas du monde. Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du Mauvais. Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.
Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité. »
Patrick BRAUD