L'homélie du dimanche (prochain)

26 mai 2024

Communier, est-ce bien moral ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Communier, est-ce bien moral ?

 

Homélie pour la Fête du Saint Sacrement (Fête du Corps et du Sang du Christ) / Année B 

02/06/24

 

Cf. également :

Fêtons le Saint Sacrement avec Chrysostome
Le réel voilé sous le pain et le vin
L’Alliance dans le sang
Les 4 présences eucharistiques
Bénir en tout temps en tout lieu
Les deux épiclèses eucharistiques
Les trois blancheurs
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédech
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie


Le moine et le crapaud

Communier, est-ce bien moral ? dans Communauté spirituelle 220px-Ill_dict_infernal_p0205-189_crapauds_dansant_sabbatCésaire était le prieur de sa communauté cistercienne de Heisterbach, près de Bonn, au XIII° siècle. Ayant remarqué que ses frères communiaient très peu, par peur d’en être indignes, il leur inventa cette fable (exemplum en latin) pour les détourner de leur puritanisme eucharistique [1] : « Celui qui prend en horreur le corps et le sang du Christ est mal avisé, car il est quasiment impossible que l’homme n’encoure pas de péril d’âme ou de corps, si ce n’est des deux. Et à ce sujet je vais donner un exemple vrai et manifeste ». Voici la fable de Césaire :

Un moine n’osait pas communier à la messe du monastère. On ne savait pas pourquoi, mais il fuyait à chaque fois la file de la communion. Déchiré par ce grand écart, le moine finit précisément un Jeudi Saint par quitter bel et bien le monastère, et jette son habit monastique. Il s’assoupit sous un arbre, la bouche ouverte. Un immonde crapaud en profite pour se faufiler dans sa gorge, et s’y cramponne jusqu’à y élire domicile ! Les souffrances que lui inflige l’animal le conduisent à chercher un remède. Il trouve enfin une femme qui parvient à s’adjoindre les services d’une guérisseuse. Placé devant une décoction d’herbes, ouvrant la bouche et fermant les yeux, le moine sent le batracien sortir de son corps par là où il est entré. Assagi par ces épreuves, il retourne au monastère. Il y relate ses déboires et on lui fait boire une potion qui le purge de plus de soixante-dix petits crapauds qui étaient restés dans son corps.

Césaire tire lui-même la leçon de son historiette : c’est à bon droit que celui qui refuse le remède du salut s’expose au danger du poison. Se priver de la communion est suicidaire [2].


On enseignait encore récemment ce puritanisme eucharistique aux fidèles terrorisés : ‘si vous n’êtes pas en état de grâce, votre communion sera votre condamnation et vous irez en enfer’. Mieux valait alors communier le moins possible, car qui sait si je ne suis pas en état de péché mortel sans le savoir ? D’où, en réaction, l’obligation du concile de Latran (1215) de « faire ses Pâques » au moins une fois par an : se confesser et communier tout de suite après (pour ne pas pécher entre-temps) le jour de Pâques. Si bien que 51 dimanches par an on allait « assister à la messe » (sans participer à la communion), et l’on communiait une fois à Pâques.

Durant les siècles marqués par la rigueur janséniste (XVII°-XIX° siècles), l’eucharistie est la récompense rare à un comportement moral exceptionnel. Le pécheur doit être tenu à distance de ce grand mystère. Bien significative est la lettre envoyée par un curé, un soir de Noël à son évêque [3] : « Monseigneur, réjouissez-vous avec moi. Il n’y a pas eu de communion sacrilège aujourd’hui, car je n’ai pas ouvert le tabernacle ». À une époque encore pas si lointaine, Thérèse et ses sœurs du carmel de Lisieux étaient soumises au jugement de leur confesseur qui, seul, pouvait les autoriser à communier.


Kirill et Kigali

Le patriarche Kirill lors d'une messe de Noël à Moscou, le 6 janvier 2023.Le mouvement s’est inversé de façon spectaculaire, et c’est presque l’excès contraire : maintenant : tout le monde communie, sans se poser de questions. ‘Parce que j’y ai droit, parce que je le vaux bien, parce que j’en ai besoin, parce que tous les autres le font et je ne veux pas être à l’écart’ etc. Si bien que les divorcés-remariés ou les catéchumènes voient avec étonnement de fieffés filous, des libertins notoires, des patrons véreux, bref de vrais salauds s’approcher les mains ouvertes en toute innocence sans que personne n’en dise rien, alors que eux n’y ont pas droit. Un peu facile, non ?

Regardez Kirill, chef du patriarcat russe orthodoxe de Moscou. Enseveli sous des kilos d’étoffes rutilantes, de chasubles brodées d’or et d’argent, chamarré comme un cheval de cirque, il célèbre l’eucharistie avec componction et gravité, et se met juste après à remercier Dieu pour « le miracle Poutine » et à faire prier ses fidèles pour la victoire de la Sainte Russie en Ukraine.

À quoi servent ces belles célébrations orthodoxes aux chœurs sublimes si c’est pour contredire en pratique la communion reçue ?


240404_Affiche-Rwanda-300dpi crapaud dans Communauté spirituelleOu encore souvenez-vous du génocide du Rwanda, dont nous avons marqué le triste trentenaire cette année. En avril 1994, 90% de la population du Rwanda était catholique. Tous pratiquants réguliers. Tous allaient à la messe avec enthousiasme, chantaient, dansaient et animaient des célébrations eucharistiques extraordinairement ferventes comme l’Afrique Noire sait en faire. Las, à peine sortie de l’église, ce 7 avril 1994 et après, le pain azyme à peine fondu dans la bouche, ils ont pris leurs machettes et commencé à rompre d’autres corps que celui de l’autel, à verser d’autres sangs que celui du calice. Ils ont gorgé le sol rwandais du sang de 800 000 à 1 million de victimes. Ils ont déchiqueté et démembré des corps plus que les charniers ne pouvaient en contenir. Ils ont massacré ceux avec qui ils communiaient le dimanche… C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que la violence intra-religieuse connaissait un tel niveau d’horreur. Même les guerres de religion en Europe ont fait moins de victimes, et c’était entre catholiques et protestants, pas entre catholiques. À cela il faut ajouter hélas les 10 millions de morts (oui, vous avez bien lu !) que ce confit Hutus/Tutsis a provoqué en République Démocratique du Congo depuis 1994…

À quoi servent alors les belles messe dominicales, les magnifiques costumes endimanchés multicolores, les communions recueillies, les prières à genoux sur les bancs de l’église si c’est pour massacrer les co-paroissiens Tutsis (ou les Hutus ensuite) à la sortie ?


Les responsables politiques français n’étaient pas plus au clair, comme le président Macron l’a enfin reconnu récemment. Mitterrand avait nié en son temps être complice de quoi que ce soit dans ce génocide, « les yeux dans les yeux ». Mais heureusement, lui n’allait pas communier le dimanche…

Kirill et ses sbires, ou les génocidaires du Rwanda et leurs complices feraient bien de relire Saint Jean Chrysostome, liant fermement la communion eucharistique et l’amour de l’autre, le sacrement de l’autel et le sacrement du frère (il a d’ailleurs été condamné à l’exil pour avoir osé refuser à l’empereur la communion en public dans sa cathédrale, parce qu’il sortait des jeux du cirque et avait ainsi du sang sur les mains) :


Calice de messe orné de saphirsQuel avantage y a-t-il à ce que la table du Christ soit chargée de vases d’or, tandis que lui-même meurt de misère ? Commence par rassasier l’affamé et, avec ce qui te restera, tu orneras son autel. Tu fais une coupe en or, et tu ne donnes pas un verre d’eau fraîche ? Et à quoi bon revêtir la table du Christ de voiles d’or, si tu ne lui donnes pas la couverture qui lui est nécessaire ? Qu’y gagnes-tu ? Dis-moi donc : Si tu vois le Christ manquer de la nourriture indispensable, et que tu l’abandonnes pour recouvrir l’autel d’un revêtement précieux, est-ce qu’il va t’en savoir gré ? Est-ce qu’il ne va pas plutôt s’en indigner ? Ou encore, tu vois le Christ couvert de haillons, gelant de froid, tu négliges de lui donner un manteau, mais tu lui élèves des colonnes d’or dans l’église en disant que tu fais cela pour l’honorer. Ne va-t-il pas dire que tu te moques de lui, estimer que tu lui fais injure, et la pire des injures ?

 

Pense qu’il s’agit aussi du Christ, lorsqu’il s’en va, errant, étranger, sans abri ; et toi, qui as omis de l’accueillir, tu embellis le pavé, les murs et les chapiteaux des colonnes, tu attaches les lampes par des chaînes d’argent ; mais lui, tu ne veux même pas voir qu’il est enchaîné dans une prison. Je ne dis pas cela pour t’empêcher de faire de telles générosités, mais je t’exhorte à les accompagner ou plutôt à les faire précéder par les autres actes de bienfaisance. Car personne n’a jamais été accusé pour avoir omis les premières, tandis que, pour avoir négligé les autres, on est menacé de la géhenne, du feu qui ne s’éteint pas, du supplice partagé avec les démons. 

Par conséquent, lorsque tu ornes l’église, n’oublie pas ton frère en détresse, car ce temple-là a plus de valeur que l’autre.

Jean Chrysostome, Homélie sur l’Évangile de Matthieu

Ou Saint Augustin tonnant contre l’hypocrisie de communiants trop dévots pour être honnêtes :


Imaginez – disait-il – que vous vous approchez du Christ pour l’embrasser au visage alors que vous lui écrasez les pieds avec de gros souliers ferrés. Eh bien, le Christ criera plus fort pour ses pieds qu’on écrase que pour sa tête qu’on honore » !

Homélies sur la première épître de saint Jean, X, 8

 

Et le cardinal Ratzinger écrivait autrefois :
« seul célèbre vraiment l’Eucharistie celui qui l’achève dans le service divin de tous les jours qu’est l’amour fraternel » [4].


Ce qui est moral, c’est de s’interroger

Le moine et le crapaud nous encouragent à aller communier fréquemment pour trouver la force de lutter contre le mal. Mais à l’inverse, Kirill ou Kigali nous montrent en négatif la contradiction meurtrière qu’il y aurait à communier sans aimer « en actes et en vérité ». D’un côté il nous faut affirmer que communier n’est pas moral, au sens où ce n’est pas une démarche reposant sur la valeur morale de nos actes. D’un autre côté, il nous faut nous souvenir de l’avertissement de Paul sur une communion qui ne porterait aucun fruit éthique de conversion :  « celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation » (1 Co 11,29).

cranium-2028555__340 eucharistieEn cette fête du Saint Sacrement, laissons donc cette question nous tarauder, sans y répondre trop vite : est-ce bien moral que j’aille communier ce dimanche ?

Si je réponds non, je risque de dissocier la foi et l’éthique de manière irresponsable, ou je risque de me condamner à ne jamais y avoir accès car je ne serai jamais à la hauteur. J’avale le crapaud en refusant l’hostie.

Si je réponds oui, je risque de faire de l’eucharistie une récompense, une médaille méritée par mes efforts pour une vie droite.


Dissocier radicalement eucharistie et morale, c’est s’exposer aux aberrations de Kirill et de Kigali.

Lier la communion à mes vertus serait tout aussi dangereux, car cela ferait de l’eucharistie une médaille et non un remède, un sommet uniquement et non une source avant le sommet…

Beaucoup de chrétiens ont encore un crapaud cramponné dans la gorge, les décourageant d’aller communier. Et ce crapaud fait des petits en eux…

Beaucoup d’autres – la majorité sans doute – ne veulent pas faire le lien entre l’hostie et le corps de l’autre, entre le calice et le sang de l’autre. Ils communient par habitude, par conformisme, par superstition, par revendication individuelle, pour leur épanouissement personnel etc.


Y a-t-il une autre voie eucharistique que ces deux-là ?

Ne pas déserter la communion, et ne pas s’y habituer.

S’en approcher en tremblant et la recevoir avec confiance.

S’examiner loyalement à la lumière des textes de la messe, et s’en remettre à Dieu qui seul est Juge.

Communier pour faire le bien, mieux, davantage, et non parce que je suis moralement dans les clous.

Recevoir l’hostie comme un don, un cadeau immérité, une grâce incroyable, et s’engager de toutes mes forces à la faire fructifier en famille, en entreprise, entre voisins, entre nations…


Les non-pratiquants disent souvent pour se justifier : ‘les chrétiens qui vont à la messe ne sont pas meilleurs que les autres’. On peut leur répondre en souriant : ‘Peut-être. Mais qui sait s’ils ne seraient pas pires s’ils n’y allaient pas ?…

Laissons à nouveau la parole à Saint Jean Chrysostome, qui prie ainsi juste avant de recevoir la communion :
Je ne suis pas digne, ô mon Maître et mon Seigneur, de te recevoir sous le toit de mon âme ; mais puisque, dans ton amour des hommes, tu veux habiter en moi, je prends confiance et je m’approche de toi. Tu ordonnes que j’ouvre largement les portes de mon cœur, que toi seul as créées, pour que tu puisses entrer avec cet amour qui est ta nature ; je le crois fermement, tu entreras et tu illumineras mon esprit enténébré. Car tu n’as pas chassé la prostituée venue à toi en larmes, ni repoussé le publicain repentant, ni rejeté le larron qui confessait ton royaume, ni abandonné à lui-même le persécuteur converti. Mais tous ceux qui sont venus à toi par la pénitence, tu les as placés au rang de tes amis, toi qui es le seul béni en tout temps et dans les siècles sans fin. Amen.

 

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[1]. Cf. François Wallerich, L’eucharistie, l’apostat et le crapaud. Sur un exemplum de Césaire de Heisterbach, Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 21.2 | 2017, consultable ici : https://journals.openedition.org/cem/14731

[2]. « Nous rompons un même pain qui est remède d’immortalité, antidote pour ne pas mourir, mais pour vivre en Jésus-Christ pour toujours », Ignace d’Antioche, Eph. 20, 2.

[4] . Joseph Ratzinger, Le nouveau peuple de Dieu, Aubier, 1971, p. 17.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu t’a donné cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue » (Dt 8, 2-3.14b-16a)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »

PSAUME
(Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20)
R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! (Ps 147, 12a)

Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.
Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.


Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.
Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.


Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.


DEUXIÈME LECTURE
« Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps » (1 Co 10, 16-17)


Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.


SÉQUENCE
Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges »
Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères.
Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.
* Le voici, le pain des anges, il devient le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.


ÉVANGILE
« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51.58)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD

 

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28 février 2022

Petite théologie de la guerre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 18 h 19 min

Petite théologie de la guerre

[UKRAINE] Bilan du jour 3 : Kiev tient toujours, progression russe au sud, nombreuses pertes dans les deux campsAlors que les chars russes roulent sur Kiev, quels repères la foi chrétienne peut-elle nous fournir pour penser et agir en temps de conflit armé ?

Dans un « Message aux fidèles et aux citoyens d’Ukraine », du 24 février 2022, le métropolite Onuphre de Kiev et de toute l’Ukraine a dénoncé la guerre actuelle comme « fratricide ». « La guerre entre ces deux peuples est une répétition du péché de Caïn, qui a tué son propre frère par envie », a-t-il déclaré. « Une telle guerre ne mérite aucune excuse, ni de Dieu, ni des populations ». La position du patriarche ukrainien est avant tout biblique ; quelques soient les intérêts en jeu, rien ne justifie le meurtre du frère.

Par contre, le dimanche suivant 27 février, le patriarche de Moscou, Kirill, a déclaré lors de son sermon dominical : « Que Dieu nous préserve de ce que la situation politique actuelle en Ukraine, pays frère qui nous est proche, soit utilisée de manière à ce que les forces du mal l’emportent ». « Nous devons tout faire pour préserver la paix entre nos peuples et en même temps protéger notre patrie historique commune de toutes ces actions de l’extérieur qui peuvent détruire cette unité », a poursuivi le patriarche.

Coat of arms of Russia with two-headed eagle. Golden symbol of Russian Federation. 3D render Illustration isolated on a white background. - 99888459Il semble donc apporter son soutien à l’invasion russe de l’Ukraine. Selon lui, les « forces du mal » sont ceux qui « combattent l’unité » de l’Église orthodoxe russe avec les pays issus de la Rus’, un État médiéval qui est considéré comme l’ancêtre de la Russie, de l’Ukraine et du Bélarus. Or, l’Ukraine s’était dotée en 2019 d’une Église orthodoxe indépendante du patriarcat de Moscou, une décision historique qui a mis fin à plus de 300 ans de tutelle religieuse russe et avait provoqué la colère de la Russie et de Kirill.
En 2012, Kirill avait déjà exprimé sa fidélité au maître du Kremlin en proclamant que la présidence de M. Poutine est « un miracle de Dieu » (sic.).

C’est l’illustration flagrante du « péché originel » des Églises orientales : être trop liées au pouvoir en place, quel qu’il soit (tsariste, communiste, poutiniste…), au point d’en perdre toute liberté critique. L’aigle bicéphale russe (un pouvoir, deux têtes) est le symbole de cette « symphonie des pouvoirs » chère aux orthodoxes russes qui confondent ainsi nation et Église, culture nationale et patrimoine chrétien. Ils voudraient rester la religion d’État, à l’exclusive des autres Églises – même orthodoxes – ou religions, pour régner en maitres sur la société. On voit en Grèce ou ailleurs que cette confusion Église-nation est une tentation toujours présente… Bizarrement, ces Églises tombent ainsi dans le même piège que les États islamiques !

Soyons honnêtes : l’Église catholique d’Occident n’a pas toujours évité cette confusion ! La lutte entre les pouvoirs temporel et spirituel a donné lieu à des joutes célèbres entre Rome et les empires successifs. De Canossa à la suppression des États pontificaux, du sacre des rois ou empereurs par le pape au principe « Cujus regio, ejus religio » du XVI° siècle (« chacun doit adopter la religion de son souverain »), la foi chrétienne a été souvent confondue avec le pouvoir politique, et instrumentalisée pour faire la guerre au nom de Dieu : croisades, Inquisition, guerres européennes, prétentions royales d’incarner la volonté divine, guerres coloniales pour convertir les Indiens des Amériques etc. Pourtant, peu à peu, le principe évangélique de séparation des pouvoirs entre César et Dieu s’est mis en place, au point que la laïcité française – la plus rigoureuse au monde – n’est pas sans racines évangéliques… Distinguer foi et politique demande de ne pas instrumentaliser l’une au service de l’autre, surtout pour faire la guerre !

 

Une Église ne devrait pas faire çà…

On peut distinguer plusieurs périodes dans l’évolution de la doctrine catholique sur la guerre :

- du temps de Jésus

Le Christ ne traite pas des questions politiques de son temps, pressé qu’il est par l’imminence du Royaume de Dieu qui va tout renouveler. Ce qu’il dit sur la violence concerne les relations individuelles : tendre l’autre joue, aimer son ennemi, pardonner sans cesse. Envers les militaires, il se montre accueillant, en louant même leur foi, en leur demandant comme Jean-Baptiste de ne pas dépasser leur mission, et c’est un centurion romain qui confesse le premier au pied de la croix : « vraiment, cet homme était le fils de Dieu ! »

 

- pendant les persécutions

Les premiers chrétiens ont été pendant trois siècles en butte aux persécutions juives et romaines, et devaient donc faire « profil bas » pour ne pas s’attirer les foudres d’un pouvoir déjà méfiant à leur égard. D’où le célèbre : « tout pouvoir vient de Dieu » de Paul (Rm 13, 1-6), si mal interprété par la suite ! Paul voulait que les chrétiens soient civiquement exemplaires pour qu’on n’ait rien çà leur reprocher sur ce plan-là. Aucune soumission aveugle au pouvoir en place dans ses propos. D’ailleurs, il a lui-même désobéi à Rome en refusant d’adorer l’empereur, ce qui était un acte d’insoumission politique à l’époque.
Pendant 300 ans, les chrétiens auront le souci d’éviter de participer à toute violence d’État, au point que les militaires devaient changer de métier (comme les gladiateurs, les prostituées etc..) pour pouvoir demander le baptême.
Le pouvoir romain fait la guerre à ces chrétiens, jusqu’à l’empereur Constantin et l’Édit de Milan (313). On comprend que ces chrétiens dénoncent toute forme de guerre comme un péché contre Dieu et contre nos frères.

 

- du IV° siècle au XIX° siècle

Petite théologie de la guerre dans Communauté spirituelle e7

Avec Constantin, tout change. L’empereur et l’Église marchent main dans la main pour gouverner les peuples d’Occident et au-delà. Pour le meilleur (adoucissement des mœurs, protection des femmes, des esclaves, fécondité artistique etc.) et pour le pire (répression des non-chrétiens, mainmise religieuse sur la société, ‘le sabre et le goupillon’ etc.). Dans le pire, il y a la guerre au nom de Dieu. Mais il y a également le meilleur, avec une certaine humanisation de la guerre pourrait-on dire, grâce à la théorie de St Augustin qu’on a appelée la « théorie de la guerre juste ». Augustin voulait limiter la guerre. Il développa une argumentation légitimant, dans certains cas exceptionnels, le recours aux armes pour un chrétien : à titre individuel, un chrétien devrait se laisser tuer plutôt que de tuer son assaillant (amour des ennemis), mais la défense de l’autre – surtout les plus faibles (la veuve, l’orphelin, le vieillard) – oblige à repousser une agression qui les menacerait. D’autre part, c’est aussi aimer son ennemi (selon le précepte évangélique) que de l’empêcher de faire le mal, lorsqu’il est agresseur.
Cette doctrine a donné lieu à de vives controverses. Certes, elle tendait à limiter la guerre mais elle conduisait aussi à la légitimer dans certains cas.

Les siècles suivants verront « l’alliance du trône et de l’autel » connaître des heurts divers, avec l’apparition de la « théorie des deux glaives » (Bernard de Clairvaux) au XI° siècle, prônant la supériorité du pouvoir spirituel (le Pape) sur le pouvoir temporel. Dans ce contexte, la guerre a souvent eu droit à la bénédiction des papes et évêques, que ce soit entre princes européens ou contre l’islam. En même temps, l’Église intervint souvent pour protéger les plus petits, pour servir de médiation entre les belligérants et faciliter la négociation de trêves, de traités de paix.
La prétention temporelle du Pape et la volonté de mainmise de l’Église sur la société suscitèrent en réaction l’émancipation progressive des royaumes et empires, jusqu’au XVIII° siècle, où les Lumières pousseront cette émancipation jusqu’à la séparation. L’Orient – on l’a dit – n’a pas suivi cette évolution.

 

- Vatican II

B006JYFJNE.01._SCLZZZZZZZ_SX500_ bicéphale dans Communauté spirituelleComme toute institution, l’Église a profondément changé sa façon de voir (tout en prétendant le contraire). Son discours sur la guerre aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui qu’elle tenait au XVII° siècle. Les deux guerres mondiales et la guerre froide ont fait évoluer la doctrine catholique au XX° siècle. Le cri de Paul VI devant l’ONU en 1965 : « Plus jamais la guerre ! » est devenu célèbre.
Le concile Vatican II (1962-65) a parlé de la guerre dans le document Gaudium et Spes. La synthèse de l’enseignement de ce concile est résumée ainsi dans le catéchisme universel (1992) :

Pas de paix sans justice

N° 2304      Le respect et la croissance de la vie humaine demandent la paix. La paix n’est pas seulement absence de guerre et elle ne se borne pas à assurer l’équilibre des forces adverses. La paix ne peut s’obtenir sur terre sans la sauvegarde des biens des personnes, la libre communication entre les êtres humains, le respect de la dignité des personnes et des peuples, la pratique assidue de la fraternité. Elle est “ tranquillité de l’ordre ” (S. Augustin, civ. 10, 13). Elle est œuvre de la justice (cf. Is 32, 17) et effet de la charité (cf. GS 78, §§ 1-2).

Éviter la guerre autant que possible, mais se défendre si besoin

N° 2307      Le cinquième commandement interdit la destruction volontaire de la vie humaine. À cause des maux et des injustices qu’entraîne toute guerre, l’Église presse instamment chacun de prier et d’agir pour que la Bonté divine nous libère de l’antique servitude de la guerre (cf. GS 81, § 4).

N° 2308      Chacun des citoyens et des gouvernants est tenu d’œuvrer pour éviter les guerres. Aussi longtemps cependant “ que le risque de guerre subsistera, qu’il n’y aura pas d’autorité internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifiques, le droit de légitime défense ” (GS 79, § 4).

B00TAVH0N0.01._SCLZZZZZZZ_SX500_ guerreN° 2309      Il faut considérer avec rigueur les strictes conditions d’une légitime défense par la force militaire. La gravité d’une telle décision la soumet à des conditions rigoureuses de légitimité morale. Il faut à la fois :
– Que le dommage infligé par l’agresseur à la nation ou à la communauté des nations soit durable, grave et certain.
– Que tous les autres moyens d’y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces.
– Que soient réunies les conditions sérieuses de succès.
– Que l’emploi des armes n’entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer. La puissance des moyens modernes de destruction pèse très lourdement dans l’appréciation de cette condition.
Ce sont les éléments traditionnels énumérés dans la doctrine dite de la “ guerre juste ”.
L’appréciation de ces conditions de légitimité morale appartient au jugement prudentiel de ceux qui ont la charge du bien commun.

N° 2310      Les pouvoirs publics ont dans ce cas le droit et le devoir d’imposer aux citoyens les obligations nécessaires à la défense nationale.
Ceux qui se vouent au service de la patrie dans la vie militaire, sont des serviteurs de la sécurité et de la liberté des peuples. S’ils s’acquittent correctement de leur tâche, ils concourent vraiment au bien commun de la nation et au maintien de la paix (cf. GS 79, § 5).

Même en temps de guerre, tout n’est pas permis

N° 2312      L’Église et la raison humaine déclarent la validité permanente de la loi morale durant les conflits armés. “ Ce n’est pas parce que la guerre est malheureusement engagée que tout devient par le fait même licite entre les parties adverses ” (GS 79, § 4).

Les prisonniers notamment ont de droits

N° 2313      Il faut respecter et traiter avec humanité les non-combattants, les soldats blessés et les prisonniers. Les actions délibérément contraires au droit des gens et à ses principes universels, comme les ordres qui les commandent, sont des crimes. Une obéissance aveugle ne suffit pas à excuser ceux qui s’y soumettent. Ainsi l’extermination d’un peuple, d’une nation ou d’une minorité ethnique doit être condamnée comme un péché mortel. On est moralement tenu de résister aux ordres qui commandent un génocide.

Les guerres « totales » sont condamnables et injustes

N° 2314      “Tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants, est un crime contre Dieu et contre l’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sans hésitation” (GS 80, § 4). Un risque de la guerre moderne est de fournir l’occasion aux détenteurs des armes scientifiques, notamment atomiques, biologiques ou chimiques, de commettre de tels crimes.

Arrêter la guerre est un signe messianique

N° 2317      Les injustices, les inégalités excessives d’ordre économique ou social, l’envie, la méfiance et l’orgueil qui sévissent entre les hommes et les nations, menacent sans cesse la paix et causent les guerres. Tout ce qui est fait pour vaincre ces désordres contribue à édifier la paix et à éviter la guerre. Dans la mesure où les hommes sont pécheurs, le danger de guerre menace, et il en sera ainsi jusqu’au retour du Christ. Mais, dans la mesure où, unis dans l’amour, les hommes surmontent le péché, ils surmontent aussi la violence jusqu’à l’accomplissement de cette parole : Ils forgeront leurs glaives en socs et leurs lances en serpes. On ne lèvera pas le glaive nation contre nation et on n’apprendra plus la guerre” (Is 2,4) (GS 78,§6).

« I’m gonna study war no more… » chante le gospel « Down by the riverside »


La feuille de route des chrétiens en temps de guerre est ainsi clairement fixée : tout faire pour éviter la guerre, mais protéger les plus faibles, et empêcher un agresseur de semer la mort et la désolation autour de lui comme Hitler, Lénine, Staline, Mao, Pol-Pot et tant d’autres l’ont fait au XX° siècle…

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