La revanche de Dieu et la nôtre
La revanche de Dieu et la nôtre
Homélie du 23° Dimanche du temps ordinaire / Année B
06/09/2015
Le retour de Dieu sur la scène publique
« La revanche de Dieu ».
La formule d’Isaïe dans notre première lecture est devenue célèbre :
« Dites aux gens qui s’affolent : ‘Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver’. » (Is 35, 4-7)
Le livre éponyme de Gilles Kepel [1] en 1991 a fait date en France. Il y expliquait pourquoi et comment la question de Dieu et de la religion – que les Lumières en Europe et la laïcité en France avec cru faire disparaître de la sphère publique – revenait en force dans tous nos débats de société. Depuis, ce constat s’est d’ailleurs renforcé : voile islamique, cantines et halal, djihadistes français, « je ne suis pas Charlie »… : les sujets foisonnent où la religion - et singulièrement l’islam – redevient une dimension essentielle du fameux « vivre ensemble républicain ». De quoi faire se retourner le petit père Combes dans sa tombe !
La raison pour Gilles Kepel de cette revanche de Dieu dans la vie publique réside dans le retournement des arguments des Lumières contre la raison elle-même. Les promesses de l’émancipation révolutionnaire n’ont pas été tenues. Pire encore, les ‘désillusions du progrès’ (Raymond Aron) font douter de l’idée de bonheur prophétisée par les idéaux du XVIIIe siècle. La science devient dangereuse pour l’homme et manipule la dignité humaine. La technique devient catastrophique, et la protestation écologique a bien du mal à endiguer sa domination destructrice. L’économie mondialisée continue à générer des inégalités monstrueuses et de plus en plus répandues. La question de l’infini n’en finit pas de tarauder l’inconscient collectif, et l’au delà de la mort – un hors champ pour les Lumières – ne disparaît pas de la quête individuelle et collective, etc. Les religions monothéistes ont bien saisi qu’il y avait là un moment favorable pour partir à la reconquête de l’espace social.
Une très sérieuse étude du Pew Research Center estime que les sans-religion (‘unaffiliated’) baisseront de 16,4% à 13,2% de la population mondiale entre 2010 et 2050 [2]…
La phrase attribuée à Malraux sur le retour du religieux au 21° siècle s’avère être une bonne prévision sociologique !
Dans cet océan de religiosité, la France reste un îlot singulier, puisque les sans religion deviendront majoritaires, à 44% de la population, alors qu’en 2010 les chrétiens (= baptisés) sont encore à 63%.
Serait-ce donc cela, la revanche de Dieu prophétisée par Isaïe ? Serait-ce le retour en force sur la scène publique - quelquefois violent - du sentiment religieux décidément incontournable ?
Oui et non, pourrait-on dire.
- Oui, car vivre comme si Dieu n’existait pas est bien une idée folle, et finalement idolâtre, que la Bible dénonce comme une situation meurtrière, une illusion génératrice de violence et d’inhumanité. En ce sens, Dieu prend sa revanche lorsque l’homme découvre qu’il ne peut vivre sans lui.
- Non, car la revanche dont parle Isaïe n’est pas celle des sociologues et des historiens.
Elle comporte au moins deux différences que les chrétiens devront affirmer haut et fort face aux autres revanches terriblement mises en œuvre par des nostalgiques ou des fanatiques de toutes obédiences :
1) La revanche de Dieu n’est pas une vengeance.
2) La revanche de Dieu se mesure à l’assomption des petits et des pauvres.
Approfondissons chacun de ces deux points.
1) Prendre sa revanche sans se venger
La tentation existe de confondre revanche et vengeance.
Isaïe semble être encore tributaire de cette confusion, puisqu’il cite les deux dans la même phrase. Mais ce n’est pas du tout la même chose. Car finalement c’est bien le salut qui en jeu grâce à la revanche divine : « Dieu vient lui-même et va vous sauver », annonce Isaïe (Is 35,7). Pas question ici de supplicier les offenseurs d’Israël pour les punir, mais de donner la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, la marche aux boiteux, la parole aux muets etc.
La Bible se méfie de la vengeance et du cercle infernal de représailles successives qu’elle engendre. Déjà la loi du talion avait pour mission de restreindre la violence en infligeant des peines justement proportionnées au mal subi : un œil pour un oeil, pas deux ; une dent pour une dent, pas deux. Le but de la justice biblique n’est pas de se venger, mais d’arrêter la violence.
Le Christ ira au bout de cette logique du talion en demandant d’aimer ses ennemis et de tendre l’autre joue à celui qui te frappe.
Se venger n’est donc pas dans les mœurs de Dieu.
Il fait tomber la pluie sur les bons comme sur les méchants. Il ne désire pas la mort du pécheur mais qu’il change de vie en se détournant du mal.
Se venger est dirigé contre l’agresseur, alors que prendre sa revanche est dirigé vers un avenir positif.
La revanche de Dieu, pour Isaïe, c’est faire revenir Israël sur sa terre. Pour le psaume 145, c’est garantir la sécurité des pauvres, de la veuve, de l’orphelin, de l’immigré. Pour les évangiles, la revanche de Dieu c’est la promotion des pauvres grâce aux guérisons de Jésus et à leur réintégration sociale. Et finalement, l’ultime revanche de Dieu sera la résurrection de Jésus, sa victoire sur le mal et la mort annonçant nos propres victoires dès maintenant et au delà.
La vengeance est contre quelqu’un.
La revanche de Dieu est pour les humbles.
Nous pouvons donc nous aussi, en participant à la nature divine, être capables de renoncer à la vengeance et de convertir le mal subi en énergie positive afin de servir le bien commun.
C‘est par exemple Stephen Hawking prenant sa revanche sur la maladie en développant une pensée scientifique puissante. C’est Martin Gray se remettant à aimer alors que par deux fois sa famille a été anéantie (dans les camps nazis, puis par un incendie). C’est le père Joseph Wresinski, originaire des bas quartiers populaires d’Angers, qui fonde ATD Quart Monde. C’est même le peuple hébreu, qui prend sa revanche sur la Shoah en créant Israël (hélas, en retombant régulièrement dans la confusion avec la vengeance et ses représailles…). C’est Jean-Paul II - saint Jean-Paul II – qui prend sa revanche sur le communisme en ouvrant aux pays de l’Est la porte de la foi sans peur etc.
Chacun de nous est appelé à creuser cette distinction vengeance / revanche : comment prendre ma revanche (en faisant réussir tel projet ambitieux, en tirant profit de l’épreuve etc.) sans me venger de l’autre (conjoint, collègues, syndicaliste, patron, voisin…) ?
2) En revanche, c’est l’assomption des petits qui compte
Ce critère là d’une revanche authentiquement divine rejoint le concept d’option préférentielle pour les pauvres de la Doctrine sociale de l’Église.
Convertir l’offense subie en expérience de solidarité avec les plus pauvres, pour les faire grandir, les libérer, est un marqueur de la revanche authentique.
Isaïe annonce une espérance pour les aveugles, les sourds, les boiteux, les muets… Le psaume 145 énumère les oubliés à qui Dieu va rendre justice : opprimés, affamés, enchaînés, veuves, orphelins, étrangers… L’évangile montre Jésus libérant un sourd, parlant mal, et étranger (cf. Mc 7, 31-37)…
Malgré les violences raciales qui empoisonnent encore la vie des USA, la présidence de Barak Obama incarne la revanche de l’idéal américain sur l’esclavagisme et le ségrégationnisme des XVIIIe - XXe siècles. Un noir peut désormais devenir président de n’importe quel État.
Malgré les dérives eugénistes toujours actives, la revanche sur le handicap est d’accompagner dès la naissance – voire dès la conception - ceux d’entre nous qu’on enfermait autrefois dans des hôpitaux psychiatriques ou centres spécialisés et inhumains.
Un jour, la revanche de Dieu se manifestera pour ceux qui sont actuellement les méprisés de notre société : les familles des bidonvilles, les ombres clochardes sur nos trottoirs, les non-nés parce que non-désirés, les migrants pourchassés etc.
À chacun de se poser la question : comment convertir la violence subie en énergie pour faire réussir les petits d’aujourd’hui ?
Comment me détourner du passé douloureux pour me mobiliser au service de ceux vers qui il m’a projeté ?
Prendre sa revanche sans se venger.
Une revanche au service des plus petits.
Que l’Esprit du Christ nous initie à participer ainsi à la véritable revanche de Dieu.
[1]. KEPEL Gilles, La Revanche de Dieu. Chrétiens, juifs et musulmans à la reconquête du monde, Paris, Le Seuil, « Points », 1991, 282 p.
Une première vidéo très courte résumant les projections du Pew research Center :
Une deuxième vidéo détaillant ces évolutions (pensez à mettre les sous-titres : cela vous aidera…)
1ère lecture : La revanche de Dieu (Is 35, 4-7a)
Lecture du livre du prophète Isaïe
Dites aux gens qui s’affolent : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. » Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie ; car l’eau jaillira dans le désert, des torrents dans le pays aride. La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif, en eaux jaillissantes.
Psaume : Ps 145 (146), 6c-7, 8-9a, 9bc-10
R/ Je veux louer le Seigneur, tant que je vis.
ou : Alléluia. (Ps 145, 2)
Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le Seigneur délie les enchaînés.
Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes,
le Seigneur protège l’étranger.
Il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !
2ème lecture : « Dieu n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres pour en faire des héritiers du Royaume ? » (Jc 2, 1-5)
Lecture de la lettre de saint Jacques
Mes frères, dans votre foi en Jésus Christ, notre Seigneur de gloire, n’ayez aucune partialité envers les personnes. Imaginons que, dans votre assemblée, arrivent en même temps un homme au vêtement rutilant, portant une bague en or, et un pauvre au vêtement sale. Vous tournez vos regards vers celui qui porte le vêtement rutilant et vous lui dites : « Assieds-toi ici, en bonne place » ; et vous dites au pauvre : « Toi, reste là debout », ou bien : « Assieds-toi au bas de mon marchepied. » Cela, n’est-ce pas faire des différences entre vous, et juger selon de faux critères ? Écoutez donc, mes frères bien-aimés ! Dieu, lui, n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour en faire des riches dans la foi, et des héritiers du Royaume promis par lui à ceux qui l’auront aimé ?
Evangile : « Il fait entendre les sourds et parler les muets »(Mc 7, 31-37)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Jésus proclamait l’Évangile du Royaume et guérissait toute maladie dans le peuple.
Alléluia. (cf. Mt 4, 23)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, et supplient Jésus de poser la main sur lui. Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement. Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »
Patrick BRAUD