L'homélie du dimanche (prochain)

7 avril 2024

Gracier sans renier

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Gracier sans renier

 

Homélie du 3° Dimanche de Pâques / Année B 

14/04/24

 

Cf. également :

Toucher, manger, bref : témoigner
Parresia : le courage pascal
Le premier cri de l’Église
Bon foin ne suffit pas
Lier Pâques et paix
La paix soit avec vous


Préférer le coupable au Juste

Gracier sans renier dans Communauté spirituelleIl n’y a pas si longtemps, les Français préféraient Pétain à Jean Moulin, et même l’Église catholique soutenait Franco plus que les républicains espagnols, Pinochet plus que ses victimes. Actuellement, le peuple russe dans son immense majorité soutient Poutine, et ne s’est guère ému de l’élimination de Navalny. Les Américains s’apprêtent à élire Trump, et en même temps à enfermer Julien Assange jusqu’à sa mort. Le peuple chinois approuve la main de fer de Xi Jinping tout en fermant les yeux sur le sort des Tibétains ou des Ouïghours. Les Israéliens ont élu Netanyahou en tournant le dos à la ligne de paix incarnée par Yitzhak Rabin, assassiné en 1995. Les Palestiniens ont élu le Hamas et le soutiennent, alors que les préparatifs des Accords d’Abraham auraient pu ouvrir un chemin de réconciliation. La haine anti-Tutsis refait surface en RDC Congo 30 ans après le million de morts du génocide rwandais… Et que dire des Coréens du Nord ?

Bref, il semblerait que les peuples soient enclins à plébisciter leur malheur…

On ne peut dédouaner trop vite les peuples (les Églises, les pouvoirs religieux) de leur responsabilité historique dans le triomphe de l’injustice. Le peuple allemand adhérait fanatiquement à la doctrine d’Hitler. Un régime ne devient inhumain que si la majorité silencieuse laisse faire, s’arrange avec sa conscience, ou ne considère que ses intérêts à court-terme.

L’Évangile n’a pas peur de dénoncer cette culpabilité de tous, et pas seulement de quelques chefs. Dans notre première lecture (Ac 3,13-19), Pierre s’adresse à la foule ébahie de la Pentecôte à Jérusalem ; il ne mâche pas ses mots : « Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier ».

Comment et pourquoi sommes-nous capables – foules d’aujourd’hui – de cette même forfaiture : renier le juste et gracier le coupable ?


Dire la vérité

Alexandre Soljénitsyne : la vérité comme exigenceCommençons par souligner à nouveau le courage politique de Pierre : même si elle ne plaît pas à ses auditeurs, la vérité est bonne à dire. Ils ont livré, renié, tué le Juste (Jésus), et gracié le meurtrier (Barabbas). On veut nous faire taire les violences et les meurtres commis par les puissants de ce monde. Sous prétexte de réalisme politique, de prudence, de négociations secrètes, on étouffe les voix prophétique qui révèlent les massacres, les déportations, les viols, les génocides, les crimes d’État…

Pierre n’aurait jamais annoncé la résurrection de Jésus s’il avait voulu se ménager les pouvoirs juifs et romains. Paul n’aurait jamais évangélisé les païens s’il n’avait pas dénoncé l’hypocrisie religieuse et l’idolâtrie romaine. Bref : Pentecôte, c’est d’abord le courage (la parresia en grec) de dire haut et fort la vérité, quoiqu’il en coûte.


Par ignorance

Ayant ainsi lourdement chargé le peuple de Jérusalem, Pierre tempère aussitôt son accusation : « je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs ».

stazione11 coupable dans Communauté spirituelleLe motif invoqué par Pierre pour expliquer l’incompréhensible renversement de valeurs Barabbas/Jésus est donc l’ignorance. Il rejoint en cela Jésus qui avait prié pour ses bourreaux en s’appuyant sur cette circonstance atténuante : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ». La plupart des bourreaux ne savent pas ce qu’ils font lorsqu’ils exécutent l’innocent et glorifient le coupable. Nous non plus d’ailleurs : si nous réalisions en pleine conscience l’ampleur du mal que nous infligeons aux autres, nous reculerions, horrifiés et coupables…

Faire le mal par ignorance : reconnaissons que c’est bien souvent le cas ! Les Russes, empoisonnés depuis plus d’un siècle par une propagande tsariste puis communiste puis poutiniste savent-ils réellement ce qui se passe chez eux ?

Le premier devoir de l’apôtre est alors d’ouvrir les yeux de tous sur ce qui se déroule réellement. Réveiller le goût de chercher la vérité, la réalité, est un préalable. Car le goût du vrai semble s’estomper si facilement dans notre monde, au profit des Doxa officielles, quelle que soit leur orientation.

Lever le voile d’ignorance qui fait appeler mal ce qui est bien et bien ce qui est mal demande de s’engager dans un combat d’interprétations. Non, Jésus n’est pas le révolutionnaire juif qu’on vous a décrit : il est « le Prince de la vie », pour le salut de tous. Sa croix n’est pas l’échec lamentable d’un faux prophète, mais le chemin d’humilité choisi  par Dieu pour aller sauver ceux qui étaient perdus, au plus bas.

Il y a une dimension proprement idéologique (au bon sens du terme) à toute évangélisation : combattre les idées inhumaines, les doctrines travestissant la réalité pour la tordre au service des puissants, et révéler en contrepoint la dignité humaine accomplie en Jésus.

Comment lever ce voile d’ignorance ? Par le rappel des Écritures, par les signes que l’Esprit pose dans notre histoire (la Pentecôte ici), par un raisonnement cohérent et argumenté, par un engagement total des témoins, par une offre de pardon offerte à ceux qui veulent se détourner du mal commis. S’il manque un de ces éléments de Ac 3,13–19, l’annonce chrétienne sera reléguée au rang de la magie, du complotisme ou du délire religieux.

 

Comment expliquer l’inversion Jésus/Barabbas ?

La préférence de l’affreux Barabbas à bien d’autres motifs possibles que l’ignorance. Décrivons-en quelques-uns.


– La manipulation

Être manipulé ‘à l’insu de son plein gré’ par les médias, les gouvernements, les associations bien-pensantes etc. est hélas chose courante sous tous les régimes ! Notre culpabilité réside dans notre complicité avec cette manipulation, lorsque nous préférons notre paresse ou notre confort, lorsque nous regardons ailleurs, lorsque nous nous laissons asservir aux Doxa officielles. Les pouvoirs en place sont toujours très forts pour infiltrer les opinions publiques et les diriger à leur guise. Ainsi les chefs religieux ont-ils manipulé la foule à Jérusalem pour condamner Étienne : « ils soudoyèrent des hommes pour qu’ils disent : “Nous l’avons entendu prononcer des paroles blasphématoires contre Moïse et contre Dieu.” Ils ameutèrent le peuple, les anciens et les scribes, et, s’étant saisis d’Étienne à l’improviste, ils l’amenèrent devant le Conseil suprême » (Ac 6 10–12).


– La lâcheté

Pilate se lave les mains (par Duccio di Buoninsegna)Pilate s’est lavé les mains de la condamnation du Juste. Pierre l’avait renié trois fois par peur des gardes.

Oser être à contre-courant de son époque, de sa société est risqué. Les voix discordantes au minimum sont moquées, au pire sont étouffées violemment. Si les martyrs chrétiens des trois premiers siècles avaient laissé cette lâcheté idéologique les dominer, jamais l’Évangile ne se serait répandu aussi vite tout autour de la Méditerranée. La lâcheté repose sur la peur. Celui qui n’a pas peur des tyrans – quitte à y laisser sa vie – est libre d’annoncer la vérité à temps et à contretemps. À l’inverse, celui qui a peur va enfouir le talent de sa foi et deviendra alors stérile. Si le sel s’affadit…


– La déception

Judas ne comprenait pas Jésus lorsqu’il acceptait le gaspillage apparent de Marie de Béthanie répandant une fortune en parfum précieux sur ses pieds : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum pour trois cents pièces d’argent, que l’on aurait données à des pauvres ? » (Jn 12,5).

220px-Cimabue01 grâceAlors qu’il était très proche, jusqu’à mériter sa confiance dans la gestion de l’argent des Douze, Judas sera de plus en plus déçu par le pacifisme non-violent de Jésus. Il rêvait d’un Messie guerrier, libérateur par la force. D’où sans doute son ultime tentative pour négocier un arrangement avec les prêtres juifs. Judas livre Jésus parce qu’il est déçu. Étienne rappelle que les Hébreux avaient renié Moïse parce qu’il ne correspondait pas à leur image d’un chef libérateur (Ac 7,35).

Nous brûlons si facilement ce que nous avons adoré…

Le ressentiment est un moteur puissant pour l’injustice. Le traité de Versailles de 1918, la chute du mur de Berlin en 1989, l’humiliation chinoise lors des guerres de l’opium au XIX° siècle, la mémoire des colonies d’Afrique Noire… : les déçus de la paix, de la croissance, de la colonisation peuvent à leur tour préférer le meurtrier au juste, comme l’actualité le montre hélas dans ces pays. S’il n’y a pas de pardon mutuel – avec la recherche préalable de vérité que cela implique –, de conversion de chaque partie, de projet commun pour réconcilier, la déception brouillera le jugement, et l’inversion des valeurs se fera passer pour une revanche méritée.


- L’attrait pour le mal

 justeC’est l’interprétation de Jean et Luc pour expliquer la traîtrise de Judas : « Satan entra en Judas, appelé Iscariote, qui était au nombre des Douze » (Lc 22,3).
Il ne faut jamais exclure que la fascination pour le mal envahisse quelqu’un au point d’inverser en lui toute capacité de jugement.
Il ne faut jamais sous-estimer l’addiction des peuples au malheur.
Tel un drogué complètement possédé par son addiction, certains feront du mal à d’autres pour le plaisir, ou pour la seule volonté de profaner. Les soldats qui violent dans les ruines des villes conquises sont parfois submergés par cette rage meurtrière proche de la folie. Certaines cultures idolâtrent la férocité brutale…
Loin d’être une excuse, cet attrait pour le mal présent en tout homme devrait nous mobiliser pour protéger les victimes et dénoncer toute naïveté.

N’oublions pas que les Israéliens ont élu Netanyahou, les Palestiniens le Hamas, les Russes Poutine, les Américains Trump, et que les Chinois plébiscitent Xi Jinping… Les peuples sont capables de choisir le mal, et de suivre les tyrans en adhérant à leur doctrine de mort. La folie des allemands ou des italiens adhérant à leur Führer / Duce au siècle dernier devrait nous ouvrir les yeux sur la force de l’attrait du mal sur les masses…

Chacun de nous est capable du pire : lorsqu’il en a les moyens, ne croyons pas qu’il s’arrêtera uniquement avec de bonnes paroles. Pour ne pas prendre en compte la force de l’attrait du mal, nous laissons la barbarie s’installer dans les têtes et les cœurs…


Gracier sans renier

« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés » (Lc 4,18) : le jubilé proclamé par Jésus est toujours d’actualité.

Pierre reproche au peuple d’avoir exalté le meurtrier tout en reniant le juste. Pourtant ce n’est pas la grâce qu’il dénonce, c’est le prix de cette grâce lorsqu’elle s’opère en inversant les valeurs. Un autre choix est possible : gracier sans renier.

C’est ce que Jésus fait avec le même verbe gracier (χαρζομαι = charizomai, faire grâce)  dans l’Évangile de Luc : il rend la vue à plusieurs aveugles (Lc 7,21), il remet les dettes au débiteur sans le sou (Lc 7,42). La pointe de la plaidoirie de Pierre n’est donc pas de rétablir une justice punitive ‘correcte’ : reconnaître le juste et condamner le coupable, mais bien : gracier le meurtrier sans renier l’innocent. C’est là l’œuvre de l’Esprit (charizomai contient le mot charisme, c’est-à-dire un don gratuit de l’esprit).

conversion-saint-paulC’est ainsi que le criminel à la droite de Jésus est accueilli le premier en paradis. C’est ainsi que Saül le meurtrier, qui ne respirait que haine et menaces envers les chrétiens (« Saul était toujours animé d’une rage meurtrière contre les disciples du Seigneur » Ac 9,1) va se convertir grâce au pardon le renversant sur la route de Damas. Paul sait de quoi il parle quand il décrit la transformation profonde produite par le pardon accordé au coupable : « Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs »  (Rm 5,7-9).

 

Le contraire de ‘renier le juste et gracier le coupable’ n’est pas ‘condamner le coupable et exalter le juste’, comme on le croirait trop facilement. Pour Pierre ou Paul, le contraire de ‘renier et gracier’ est ‘gracier sans renier’, manifester la miséricorde sans sacrifier la justice et la vérité, offrir le pardon en faisant droit aux victimes, établir la réconciliation sans cacher la vérité ni léser les innocents.

 

Ne croyons pas que ce soient uniquement des enjeux de géopolitique internationale.

Nous avons tous des Barabbas et des Jésus entre lesquels il nous faut choisir.

Nous avons tous, en entreprise, en association, dans nos quartiers etc. des justes et des coupables qui nous obligent à prendre position. Et parfois nous sommes même l’un ou l’autre.

Demandons-nous cette semaine : comment gracier l’un sans renier l’autre ?

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Vous avez tué le Prince de la vie, lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts » (Ac 3, 13-15.17-19)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, devant le peuple, Pierre prit la parole : « Hommes d’Israël, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus, alors que vous, vous l’aviez livré, vous l’aviez renié en présence de Pilate qui était décidé à le relâcher. Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier. Vous avez tué le Prince de la vie, lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts, nous en sommes témoins. D’ailleurs, frères, je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs. Mais Dieu a ainsi accompli ce qu’il avait d’avance annoncé par la bouche de tous les prophètes : que le Christ, son Messie, souffrirait. Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés. »
 
PSAUME (4, 2, 4.7, 9)
R/ Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage ! ou : Alléluia ! (4, 7b)

Quand je crie, réponds-moi,
Dieu, ma justice !
Toi qui me libères dans la détresse,
pitié pour moi, écoute ma prière !


Sachez que le Seigneur a mis à part son fidèle,
le Seigneur entend quand je crie vers lui.
Beaucoup demandent : « Qui nous fera voir le bonheur ? »

Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage !
Dans la paix moi aussi,
je me couche et je dors,
car tu me donnes d’habiter, Seigneur,
seul, dans la confiance.

DEUXIÈME LECTURE
« C’est lui qui obtient le pardon de nos péchés et de ceux du monde entier » (1 Jn 2, 1-5a)

Lecture de la première lettre de saint Jean
Mes petits enfants, je vous écris cela pour que vous évitiez le péché. Mais si l’un de nous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste. C’est lui qui, par son sacrifice, obtient le pardon de nos péchés, non seulement des nôtres, mais encore de ceux du monde entier. Voici comment nous savons que nous le connaissons : si nous gardons ses commandements. Celui qui dit : « Je le connais », et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur : la vérité n’est pas en lui. Mais en celui qui garde sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection.
 
ÉVANGILE
« Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour » (Lc 24, 35-48)
Alléluia. Alléluia. Seigneur Jésus, ouvre-nous les Écritures ! Que notre cœur devienne brûlant tandis que tu nous parles. Alléluia. (cf. Lc 24, 32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, les disciples qui rentraient d’Emmaüs racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain. Comme ils en parlaient encore,  lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! » Saisis de frayeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit. Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. » Après cette parole, il leur montra ses mains et ses pieds. Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement. Jésus leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Ils lui présentèrent une part de poisson grillé qu’il prit et mangea devant eux. Puis il leur déclara : « Voici les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : “Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.” » Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures. Il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. À vous d’en être les témoins. »
Patrick Braud

 

 

 

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20 novembre 2014

Divine surprise

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Divine surprise

 

Homélie pour la fête du Christ Roi / Année A
23/11/2014

 

Comme sous un voile d’ignorance

Savez-vous réellement ce que vous aurez « fait de bien » dans votre vie ?
Connaissez-vous vraiment les noms et les visages de ceux pour qui vous aurez été quelqu’un d’important ?
Vous allez répondre : bien sûr ! Mon conjoint, mes enfants, telle personne que j’ai aidée, tel ami avec qui je suis très proche…

L’évangile de la fête du Christ-Roi (Mt 25, 31-46) nous invite à ne pas répondre trop vite à cette question. « Quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim et soif ? » s‘étonnent les justes. Ils ne se souviennent pas d’avoir croisé le Christ. « Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ? » : leur surprise est totale. Ils ne savaient pas l’importance d’une visite à un prisonnier ou à un malade. Ils ignoraient l’enjeu d’un verre d’eau ou d’un repas offert. Et pourtant ils l’ont fait, en oubliant le plus souvent qu’ils l’avaient fait.

Divine surprise que celle qui nous attend au terme de l’histoire : il nous sera enfin révélé la vraie qualité des gestes et des paroles posées. Amère surprise pour certains peut-être : ils ne se souviennent pas ne pas avoir fait, et pourtant ils ne l’ont pas fait.

Tant que le coup de sifflet final n’a pas retenti, nous ne savons donc pas quel est notre score réel, le nombre de buts marqués. Nous jouons notre partie comme sous un voile d’ignorance. Et cette ignorance est belle, dans la mesure où elle nous empêche de comptabiliser, de calculer, de maîtriser les résultats de nos actes.

Notons au passage que le jugement dernier de Mt 25 s’adresse aux « nations », c’est-à-dire justement à ceux qui ne connaissent pas le Christ. Les croyants eux « échappent au jugement » comme l’écrit l’évangéliste Jean. Les nations, dans l’ignorance du Christ, n’ont que leur conscience pour les guider. Il y a suffisamment d’image divine dans cette conscience humaine pour les faire choisir ce qui est juste et rejeter ce qui est injuste. Leur surprise sera donc d’autant plus grande de découvrir la valeur éternelle de leur service des pauvres, des malades et des prisonniers à qui le Christ s’identifie.

Chacun de nous participe de cette ignorance et de cette surprise.

À qui n’est-il pas arrivé de recueillir le témoignage bien des années après de quelqu’un pour qui il a été une aide, un sauveur, un déclic, sans même le savoir ? Les instituteurs par exemple qui croisent leurs anciens élèves 20 ans ou 30 ans après pourraient vous en raconter ! Et ce sont rarement ceux à qui on s’attendait qui manifestent de la reconnaissance…

Se laisser surprendre par le feed-back de nos actions est donc essentiel pour découvrir le vrai visage du Christ.
Accepter la docte ignorance de celui qui fait sans savoir ce que cela produit est salutaire.
Ne pas maîtriser le bien accompli rend libre pour continuer à diffuser ce bien hors de tout contrôle.

 

Le mal par omission

Cette ignorance concerne également le mal commis, hélas.
Nous ne savons pas – ou si peu - à qui nous n’avons pas offert un verre d’eau, un repas, une visite. Car le mal dans ce texte du jugement dernier est défini par l’absence plus que par les actes mauvais. C’est l’absence de service des pauvres que le Christ reproche aux injustes. Le péché par omission en quelque sorte.
Peut-être sommes-nous davantage détruits par le bien que nous ne faisons pas que par le mal que nous faisons ?

« Chaque fois que vous ne l’avez pas fait… » : c’est cela qui a éloigné les injustes du Christ. Visiblement, leur surprise est immense de découvrir ce qu’ils n’ont pas fait !

Pourtant, c’est évident si on y réfléchit : ce que nous ne faisons pas nous manque rarement. Un peu comme Mozart ne manque pas à celui qui n’y a jamais été initié. Chacun de nous peut vivre en toute bonne conscience sans jamais réaliser tout ce à côté de quoi il passe, tous ceux à côté de qui il passe.

C’est donc qu’il nous faut des alliés pour nous révéler ces angles morts inconnus de nous. Mieux vaudrait le dur reproche d’un allié maintenant que le terrible constat du Christ à la fin des temps : « ce que vous n’avez pas fait… »

Un tel allié met le doigt sur ce qui ne nous fait pas mal : notre absence de compassion, de service, de solidarité, d’humanité tout simplement.

Qui peut jouer ce rôle salutaire aujourd’hui pour éviter la terrible surprise demain ?

Les médias peuvent jouer un rôle, en nous éveillant à la galère des populations qui nous entourent, ou qui sont abandonnées au loin. Le voyage, le contact avec l’étranger peuvent être des déclics. Sans oublier des textes bibliques comme le jugement dernier de Mt 25, qui résonne comme une alarme d’incendie dans un gratte-ciel où tous pensent être à l’abri à leur étage. La responsabilité envers l’autre sait faire feu de tout bois pour s’inviter dans la tranquillité de celui qui croit être globalement un bon citoyen, un parent acceptable, un voisin correct, bref quelqu’un qui ne fait de mal à personne.

Or la parabole du jugement dernier laisserait penser que le problème viendra beaucoup plus de nos omissions que de nos actions…

 

Sourire aux médailles

Gen. Pace's medals as of Veterans Day 2005. Top row center is the Legion of Merit; bottom row right is the Vietnam Campaign Medal.Reste - heureusement - la divine surprise des justes qui s’ignorent comme tels. Il est donc recommandé de ne pas posséder le fruit de nos actes, même les meilleurs, comme si oublier le bien accompli était la voie la plus sûre pour laisser le Christ - in fine - nous révéler ce qui a été réellement le positif de nos vies.

Ce qui empêche d’ailleurs d’être jamais rassasié du service des plus démunis.

Celui qui comptabilise ses dons n’est pas dans le service.

Celui qui accepte de ne pas connaître ni le mal ni le bien commis sera libre de se laisser surprendre dès maintenant et à la fin.

Ce qui implique sans doute de renoncer à un tas de réflexes si bien ancrés : exiger un merci en retour, vouloir laisser une trace derrière soi, se valoriser en train de servir les autres, exercer une secrète domination sur ceux qu’on aide etc….

Vivre la divine surprise du jugement dernier demanderait plutôt de laisser l’autre s’en aller sans le retenir, de ne pas faire la liste de ce qu’on a fait de bien, d’oublier ce que les autres nous doivent, d’être libres vis-à-vis de toute forme de reconnaissance, de sourire aux médailles…

Ne pas vouloir contrôler ni maîtriser le fruit de ses actes, tout en aiguisant le désir de servir, est le chemin le plus sage pour se laisser surprendre, aujourd’hui et demain, par la révélation qui vient des autres partiellement et du Christ en plénitude.

Par qui, par quoi suis-je capable de me laisser surprendre ?

Que voudrais dire pour moi anticiper la divine surprise qui m’attend au terme de l’histoire ?

 

 

1ère lecture : Dieu, roi et berger d’Israël, jugera son peuple (Ez 34, 11-12.15-17)
Lecture du livre d’Ezékiel

Parole du Seigneur Dieu : Maintenant, j’irai moi-même à la recherche de mes brebis, et je veillerai sur elles. Comme un berger veille sur les brebis de son troupeau quand elles sont dispersées, ainsi je veillerai sur mes brebis, et j’irai les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de brouillard et d’obscurité. C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer, déclare le Seigneur Dieu. La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la soignerai. Celle qui est faible, je lui rendrai des forces. Celle qui est grasse et vigoureuse, je la garderai, je la ferai paître avec justice. Et toi, mon troupeau, déclare le Seigneur Dieu, apprends que je vais juger entre brebis et brebis, entre les béliers et les boucs.

Psaume : 22, 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6
R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer.

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.

Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.

2ème lecture : La royauté universelle du Fils (1Co 15, 20-26.28)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection. En effet, c’est en Adam que meurent tous les hommes ; c’est dans le Christ que tous revivront, mais chacun à son rang : en premier, le Christ ; et ensuite, ceux qui seront au Christ lorsqu’il reviendra. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra son pouvoir royal à Dieu le Père, après avoir détruit toutes les puissances du mal. C’est lui en effet qui doit régner jusqu’au jour où il aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qu’il détruira, c’est la mort. Alors, quand tout sera sous le pouvoir du Fils, il se mettra lui-même sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi, Dieu sera tout en tous.

Evangile : La venue du Fils de l’homme, pasteur, roi et juge de l’univers (Mt 25, 31-46)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Béni soit le règne de David notre Père, le Royaume des temps nouveaux ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Alléluia. (cf. Mc 11, 9-10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres : il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche.

Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !’
Alors les justes lui répondront : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu…? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?’
Et le Roi leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : ‘Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.’
Alors ils répondront, eux aussi : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?’
Il leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait.’
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »
Patrick BRAUD

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