L'homélie du dimanche (prochain)

21 mai 2023

Le délai entre Pâques et Pentecôte

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le délai entre Pâques et Pentecôte

Homélie pour le Dimanche de Pentecôte / Année A
28/05/2023

Cf. également :
La séquence de Pentecôte
Pentecôte : un universel si particulier !
Le déconfinement de Pentecôte
Les langues de Pentecôte
Pentecôte, ou l’accomplissement de Babel
La sobre ivresse de l’Esprit
Les trois dimensions de Pentecôte
Le scat de Pentecôte
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Le marché de Pentecôte : 12 fruits, 7 dons
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
La paix soit avec vous
Parler la langue de l’autre

Il faut du temps…
Le délai entre Pâques et Pentecôte dans Communauté spirituelle Cloud-to-ground
Quand j’étais enfant, mon père m’apprenait à compter les secondes entre l’éclair de la foudre et le grondement du tonnerre qui venait après. Il me donnait mon premier cours de physique : « tu vois, il faut du temps pour que le bruit de l’éclair parvienne jusqu’à nous. Tu divises le nombre de secondes que tu as comptées par 3, et tu as le nombre de kilomètres qui nous séparent de l’endroit où la foudre est tombée ».
J’étais fasciné par ce temps de latence entre l’éclair et le tonnerre, secondes de silence suspendues dans l’espace, pendant lesquelles on craignait être beaucoup trop près…

Depuis, j’ai appris que même la lumière met du temps à nous parvenir, comme l’atteste la découverte de Mathusalem – la bien nommée – la plus vieille étoile de l’univers (13,6 milliards d’années) située à 6000 années-lumière de la Terre. Elle pourrait donc être morte alors que nous la voyons briller dans le télescope spatial !
Il faut du temps pour que la nouvelle de la mort ou la vie d’une étoile nous parvienne !

Vous voyez une zébrure dans le ciel, et il faut du temps pour entendre le tonnerre.
Vous voyez une étoile scintiller, mais il faut du temps pour savoir si elle est vivante ou morte.
Il en est ainsi de bien des choses !
Vous vous mariez, et il faut bien plusieurs dizaines d’années avant de goûter la vraie qualité, la solidité, la fécondité de votre amour.
Vous plantez une semence, et il faut des saisons avant qu’elle fleurisse.
Vous recevez le baptême, et il vous faut des années avant de réaliser ce que cela signifie vraiment.
Vous entendez le même passage biblique chaque année, et un jour enfin il vous parle.
Vous faites cent fois le même geste au travail, en famille, et sans raison il vous apparaît soudain sous un autre jour.
Continuez vous-même la liste…

50_temoignages_annonce1 Esprit dans Communauté spirituelleIl y a souvent un délai, un écart, entre un événement et la plénitude de ce que cet événement nous apporte. La résurrection de Jésus n’échappe pas à cette règle empirique. Les apôtres ont été témoins de cet événement unique, inimaginable. Sous le choc, ils se sont confinés au Cénacle. Le temps de digérer l’énorme nouvelle et de commencer à intégrer cette donnée improbable. Après « un certain temps » – comme aurait plaisanté Fernand Raynaud autrefois – ils osent pointer le bout de leur nez dehors, encore convalescents de l’heureux traumatisme pascal. Symboliquement, Luc fixe ce délai à 50 jours pour ainsi passer de Pâques à Pentecôte, en situant le grondement du tonnerre de l’Esprit Saint 50 jours après la lumière fulgurante de Pâques :
« Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble… » (Ac 2,1).
Évidemment, on ne parle pas ici de secondes, mais de l’accomplissement de la promesse du Christ d’envoyer l’Esprit ; on parle de la plénitude de la Résurrection du Christ qui est l’effusion de l’Esprit sur tous et chacun.

Parcourons quelques interprétations symboliques de ces 50 jours par lesquelles il nous faut toujours passer aujourd’hui.

 

1. Il faut du temps pour récolter
jours_de_croisance_50 jubilé
Les hébreux n’ont pas inventé la fête de Pentecôte. Ils l’ont empruntée aux cananéens qui étaient là avant eux dans le pays. C’est une fête agricole comme il y en a tant, célébrant le renouveau de la vie grâce aux premières récoltes qui arrivent. On l’appelait à cause de cela la « fête des prémices », car devait apporter les premières gerbes de céréales aux divinités païennes pour les remercier de l’abondance qui revient. Israël a gardé cette coutume, en la transposant sur YHWH et non plus Baal. Le sens est le même : il faut du temps entre les semailles et la moisson. La récolte demande d’être patient, d’anticiper le bon moment pour enfouir les graines et ensuite d’attendre le délai qu’imposera la nature pour cueillir et récolter.

Le nombre 50 est ainsi devenu symbolique d’une durée d’accomplissement. Par exemple, la Bible fixe la retraite des lévites … à 50 ans !
« À cinquante ans, le lévite se retirera du service actif, il ne servira plus » (Nb 8,25).
Et ses adversaires doutent que Jésus soit un prophète mature, car il n’a pas encore atteint cet âge de plénitude :
« Les Juifs lui dirent alors : ‘Toi qui n’as pas encore cinquante ans, tu as vu Abraham !’ » (Jn 8,57)

Ainsi en est-il de nos propres semailles : le délai de 50 jours nous apprend à être patients, envers nous-mêmes et envers les autres. Nous ne pouvons récolter immédiatement les fruits de ce que nous avons semé. Que ce soit au travail, en famille, dans la vie associative, la sagesse est de voir à long terme, de ne pas calculer trop court, de miser sur le temps avant de juger ou de récolter.

 

2. Il faut du temps pour intérioriser ce qui m’arrive
 Pentecôte
Tout en gardant le sens agricole de la fête, les hébreux lui ont associé un événement historique majeur : le don de la Loi à Moïse sur la montagne du Sinaï pendant l’Exode (Ex 19,16-25) La sortie d’Égypte était l’éclair déchirant leur servitude ; la théophanie sur la montagne fumante sera le tonnerre qui en délivre toute la signification, grâce à la Torah qui fait passer le peuple de la servitude de Pharaon au service de YHWH. D’ailleurs, le nombre 50 garde la trace de cette plénitude : c’est 5×10, soit le nombre de livres de la Torah (Gn, Ex, Nb, Lv, Dt) multiplié par le nombre de commandements inscrits sur les tables de la Loi. La Pentecôte juive fête donc la plénitude donnée par la Torah.

La Pentecôte chrétienne reprendra ce symbolisme, en allant jusqu’au bout de l’accomplissement : c’est l’Esprit de la Torah et non sa lettre qui fait vivre.
Il a fallu des années au désert pour que les fugitifs apprennent à avoir faim d’autre chose que les marmites de viande égyptiennes. Il a fallu des siècles pour que les juifs apprennent avec les prophètes que la Loi de Dieu n’est pas extérieure à l’homme. C’est dans le cœur de chacun que réside la véritable règle de conduite, et non dans des interdits extérieurs. L’Esprit de Pentecôte est celui qui fait passer la loi de l’extérieur à l’intérieur : intérioriser la Loi, c’est se laisser conduire par l’Esprit du Christ.

Shavouot prémicesNous mettons plus de 50 jours hélas à réaliser que notre foi chrétienne n’est pas un catalogue de permis et de défendus, qu’elle n’est même pas d’abord une morale, mais l’abandon confiant à l’inspiration qui nous vient de Dieu et que nous appelons fort justement l’Esprit de Dieu.

Ceux qui réduisent la religion à un marchandage pour obtenir ce qu’ils souhaitent (santé, succès, amour etc.) observent peut-être les commandements écrits sur les tables de pierre, mais ils ne les ont pas gravés dans leurs cœurs.
Ceux qui veulent imposer leurs croyances par la force ne savent pas vouloir ce que Dieu veut.
Ceux qui confondent foi et morale idolâtrent le texte, au lieu d’en retrouver le souffle.
Par contre, ceux qui font confiance à l’Esprit comme à leur ami le plus intime découvrent au contraire que Dieu n’est pas à l’extérieur, et qu’il ne se laisse enfermer par aucune loi, aucune liturgie, aucune autorité, aucune morale.
L’Esprit souffle où il veut : être chrétien, c’est le laisser devenir notre respiration la plus personnelle, c’est intérioriser ce qui nous anime.

 

3. Il faut du temps pour devenir libre
Une troisième signification de la Pentecôte tient dans sa manière de compter les semaines. Car la Bible dit : « À partir du lendemain du sabbat, jour où vous aurez apporté votre gerbe avec le geste d’élévation, vous compterez 7 semaines entières. Le lendemain du 7° sabbat, ce qui fera 50 jours, vous présenterez au Seigneur une nouvelle offrande » (Lv 23, 15-16).
C’est pourquoi les juifs appellent cette fête « shavouot » [1] (les semaines en hébreu), et la cinquantaine (πεντήκοντα = pentekonta en grec), ce qui a donné « pentecôte ».
L’allusion au Jubilé est très claire : de même que tous les 50 ans Israël devaient normalement libérer les esclaves, remettre les dettes à zéro, répartir à nouveau les terres à cultiver pour éviter d’injustes  accumulations de richesses (cf. Lv 25, la première loi antitrust en quelque sorte !), de même à Pentecôte le 50°jour Israël fête sa libération d’Égypte enfin complète.

Jubilee ShavouotLa Pentecôte est jubilaire ! La jubilation des apôtres (« ils sont pleins de vins doux ») le 50° jour à Jérusalem exprime cette liberté nouvelle accordée par l’Esprit : tous les peuples sont invités, l’inspiration accomplit la Loi, le baptême unit toutes les différences, les interdits (alimentaires, sexuels, rituels etc.) se révèlent n’être que les ombres portées de la vie spirituelle en Christ.

Nous aussi, nous mettons du temps à devenir vraiment libres…
Enserrés dans notre éducation familiale, la culture de notre pays, de notre milieu social, dans les aveuglements de notre époque, nous cherchons des sauveurs, des leaders, des modèles, des gourous. L’Esprit de Pentecôte nous délie de ces esclavages de pensée, comme il nous a déliés de l’esclavage en Égypte. Il annule nos dettes grâce au pardon, comme s’il était un Jubilé permanent. Il répartit ses dons entre tous mieux que les terres redistribuées l’année du Jubilé.

À nous de laisser l’Esprit de Pentecôte nous enivrer de sa liberté. Car la sobre ivresse de l’Esprit est de celles qui nous ouvrent les yeux sur la réalité du monde, et sur la vraie dignité de tout être humain.

 

4. Il faut du temps pour ressusciter
resurrection-tombeau-vide-1024x683 TorahFinalement, avec ses 50 jours symboliques entre Pâques et Pentecôte, Luc nous invite à laisser le renouveau pascal nous transformer en profondeur, ce qui demande du temps, de la patience, un savant mélange de désir et de laisser-faire l’Esprit en nous.

Nous ne savons pas ce que « ressusciter » veut dire.
Nous commençons juste en goûter quelques accords lorsque l’Alléluia pascal nous bouleverse.
Il nous faut des années de joies et de déceptions, de foi et de doute, de malheurs et d’extases pour que vivre en Christ devienne notre identité la plus vraie.

Apprivoisons les délais qui nous sont imposés.
Apprenons à ressusciter jour après jour.
Si nous laissons l’Esprit nous conduire sur ce chemin, comment notre mort pourrait-elle l’empêcher de continuer ?

 

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[1]. « Tu célébreras la fête des Semaines (shabuwa‘), des premiers fruits, de la moisson des blés, et aussi la fête de la Récolte, en fin de l’année. » (Ex 34,22)
« Le jour des Prémices, quand vous apporterez au Seigneur la nouvelle offrande de céréales pour la fête des Semaines (shabuwa‘), vous tiendrez une assemblée sainte et vous n’accomplirez aucun travail, aucun labeur. » (Nb 28,26)
« Tu compteras sept semaines (shabuwa‘) : dès que la faucille commence à couper les épis, tu commenceras à compter les sept semaines (shabuwa‘). Puis tu célébreras la fête des Semaines (shabuwa‘) en l’honneur du Seigneur ton Dieu, avec l’offrande volontaire que fera ta main ; ton offrande sera à la mesure de la bénédiction du Seigneur ton Dieu. » (Dt 16,9-10)

MESSE DU JOUR

PREMIÈRE LECTURE
« Tous furent remplis de l’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues » (Ac 2, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

PSAUME
(Ps 103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34)
R/ Ô Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre !ou : Alléluia ! (cf. Ps 103, 30)

Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur !
la terre s’emplit de tes biens.

Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

Gloire au Seigneur à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !
Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le Seigneur.

DEUXIÈME LECTURE
« C’est dans un unique Esprit que nous tous avons été baptisés pour former un seul corps » (1 Co 12, 3b-7.12-13)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, personne n’est capable de dire : « Jésus est Seigneur » sinon dans l’Esprit Saint. Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien.
Prenons une comparaison : le corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.

SÉQUENCE
Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut de ciel un rayon de ta lumière. Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs. Consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur. Dans le labeur, le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort. Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles. Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti. Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé. Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé. À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés. Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen.

ÉVANGILE
« De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie : recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 19-23)
Alléluia. Alléluia. Viens, Esprit Saint ! Emplis le cœur de tes fidèles ! Allume en eux le feu de ton amour ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
C’était après la mort de Jésus ; le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Patrick BRAUD

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10 septembre 2011

La dette est stable : vive la dette !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

La dette est stable : vive la dette !

 

Homélie du 24° Dimanche ordinaire Année A  11/09/2011 

 

La question de la dette est au coeur de la parabole de Mt 18,21-35.

10 000 talents et une remise de dette d’un côté, 100 talents et une exigence de remboursement intégral de l’autre.

Encore une parabole économique ! Qui a dit que l’Évangile ne s’occupait que de vie intérieure? ?

 

La question de la dette est en même temps au coeur de l’actualité sociale partout en Europe, aux USA et dans le monde entier. On nous annonce récession, austérité, du sang et des larmes à cause de l’endettement phénoménal des pays riches.

 

Passons en revue quelques emplois du mot « dette » dans la vie économique et sociale, en nous demandant quelle lumière l’Évangile peut y projeter.

 

La dette odieuse

En 1883, le Mexique avait refusé de rembourser une dette contractée auparavant par l’empereur Maximilien. Un régime injuste et illégitime ne pouvait lier le sort de son peuple pour des décennies. L’argument fit jurisprudence dans le droit international. Les États-Unis ont ainsi refusé que Cuba paye les dettes contractées par le régime colonial espagnol. Ils ont obtenu gain de cause via le Traité de Paris en 1898. C’est Alexander Nahum Sack, ancien ministre du Tsar Nicolas II, émigré en France après la révolution de 1917, professeur de droit à Paris, qui a formulé en 1927 ce concept juridique de « dette odieuse » :

« Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’État entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir. »

 

La dette est stable : vive la dette ! dans Communauté spirituelleLes disciples du Christ feront écho sans peine à cette demande de ne pas faire peser sur les épaules des enfants les dettes que les pères ont injustement contractées. Tant de régimes dictatoriaux – en Afrique comme ailleurs – ont « plombé » l’avenir de leur peuple : il est de notre devoir de militer pour l’annulation de ces dettes odieuses, d’autant que souvent elles ont été conclues en connaissance de cause par les créanciers (un peu comme les banquiers ont fermé les yeux lors du surendettement des familles pauvres jusqu’en 2008)?

Le financement des retraites des générations âgées ne releverait-il pas également de cette pratique ‘odieuse’ ?

 

Sur le plan spirituel, la « dette odieuse » est celle que l’humanité a contractée à travers Adam symboliquement.

C’est la structure même de notre condition de créatures, où nous découvrons notre complicité avec le mal, et la dette que cela engendre à l’égard de Dieu. C’est cette « dette odieuse » que le Christ a clouée sur le bois de la croix, selon le mot de Paul : « Il a effacé, au détriment des ordonnances légales, la cédule de notre dette, qui nous était contraire; il l’a supprimée en la clouant à la croix. » (Col 2,14)

Croire que nous ne vivons plus sous le régime de l’expiation pour des fautes passées est au coeur du christianisme : la grâce offerte annule les dettes odieuses.

 

 

La dette effaçable

Tous les 50 ans, la Bible prévoit de remettre en quelque sorte les compteurs à zéro entre créanciers et débiteurs.

« Vous déclarerez sainte cette cinquantième année et proclamerez l’affranchissement de tous les habitants du pays. Ce sera pour vous un jubilé: chacun de vous rentrera dans son patrimoine, chacun de vous retournera dans son clan » (Lv 25,10).

L’institution du Jubilé est l’expression d’une volonté politique pour lutter contre l’accumulation des inégalités et des handicaps sociaux, qui autrement ne feraient qu’augmenter de génération en génération. En annulant les dettes, en libérant les esclaves, en bridant l’héritage, Dieu invite l’homme à lui ressembler jusque dans ses relations sociales.

 

Dans certains documents civils grecs, le mot  »aphésis » signifie une  »remise des taxes ». Et la traduction grecque de la Bible, appelée Septante, use de ce mot pour désigner, lors de l’année sabbatique, la relâche de l’homme accablé de dettes (Deutéronome 15,1) mais aussi la relâche accordée à la terre pour qu’elle se repose (Exode 23,11) ou encore la libération des esclaves (Jérémie 34,17).


Le chap. 25 du Lévitique parle de l’année du Jubilé. Dans la Septante, le mot  »aphèsis » y traduit exactement le mot hébreu  »derôr »,  »libération » :  »Vous déclarerez sainte la cinquantième année et vous proclamerez dans le pays la libération pour tous les habitants » (v.10) Mais – et cela est capital – il traduit aussi le mot  »yobel »,  »jubilé ». Là où le texte hébreu dit  »ce sera pour vous un jubilé », la traduction grecque comprend :  »ce sera pour vous un signal de liberté » (v.10 et 11). On le voit d’emblée : comprendre le sens du Jubilé, c’est mettre en valeur ses implications économiques et sociales.

Cf. http://www.bible-service.net/site/334.html

 

La remise de dettes à chaque Jubilé ne semble guère été observée jusqu’à présent. En tout cas, la remise jubilaire des dettes reste écrite dans la Tora comme l’expression de la sainteté de Dieu.

 

Nombres d’économistes se sont inspirés de cette loi du jubilé pour demander l’annulation de la dette des pays du tiers-monde. On se souvient par exemple du sommet du G8 en 2005, où les 8 pays créanciers se sont entendus sur un effacement de dette pour 18 pays pauvres très endettés, pour un montant de 40 milliards de dollars. C’est donc qu’il est possible de poursuivre sur cette voie de libération des plus pauvres d’une dette insupportable (sous condition de lutte contre la corruption et de respect des plans d’ajustement structurel qui visent à favoriser les investissements privés).

Pourquoi ne pas en étudier les modalités pour les dettes des pays riches ?

 

 

La dette vertueuse

Le capitalisme repose sur le crédit (credo), c’est-à-dire sur la confiance (croire en l’autre). La monnaie fiduciaire (fides = foi, confiance) est le symbole de cette relation de confiance qui unit créanciers et débiteurs. Sans confiance pas d’échanges, pas d’économies modernes. En ce sens, un niveau de dette raisonnable est compatible avec la notion de risque pour faire fructifier les talents reçus.

 

Après la crise de 1929, on a mis en pratique les théories de John Maynard Keynes sur  dette dans Communauté spirituellel’offre et la demande. Si la crise est une crise de surproduction et de sous-consommation, alors il suffit d’injecter de l’argent public (quitte à ce que l’État s’endette pour cela) pour relancer la consommation et la croissance, faisant ainsi reculer le chômage et l’inflation. Hitler l’avait bien compris avec ses grands travaux d’infrastructures et ses dépenses publiques pour le réarmement de l’Allemagne. Le plan Marshal ensuite après-guerre a mis ces idées en pratique, et engendré l’hyperconsommation des années 50-80. Ces « Trente glorieuses » ont consacré la théorie keynésienne de la dette vertueuse : ce n’est pas grave d’emprunter, même massivement, car cela se retrouvera dans la croissance. C’est le fameux mythe du multiplicateur keynésien : endettez-vous de 100 ? pour relancer l’économie par des dépenses publiques, et vous en trouverez 120 ou 150 dans la richesse produite.

 

Un député ose avouer avec courage que, justement parce que cela a semblé fonctionner après-guerre, tous les responsables politiques ont cru que la dette publique serait vertueuse à la longue :

« Soyons justes ! Keynes est un géant de la pensée économique. Nous lui devons, par exemple, le FMI de Mme Lagarde. Mais il est mort en 1946 et 2011 est bien la date de sa deuxième mort, celle d’un Keynes affirmant que « le déficit de État n’était pas si grave s’il servait à soutenir la demande et la consommation ».

Keynes insiste particulièrement sur l’investissement, faisant de État un acteur économique à part qui pouvait, lui et lui seul, dépenser plus qu’il ne gagnait??.Et le plus formidable, c’est qu’au début, entre-les deux guerres, cela marche !!!!!


Les États-unis se lancent dans une politique de grands travaux, les salaires y sont maintenus à un niveau correct, le déficit reste faible dans cette période historique et il est vite compensé par les recettes fiscales générées par la relance du New Deal?..et pour être honnête, de l’économie de guerre des États-unis entre 1941 et 1945.

Depuis cette époque, nous avons tous Keynes pour alibi lorsque nous sommes interrogés souvent de manière agressive avec cette question lancinante : « Mais qu’avez-vous fait de la France ? Et de ses finances publiques ? » Le dernier budget en équilibre de la France a été présenté ?.en 1980 par Raymond Barre. Depuis, nous avons tous, droite et gauche, voté des budgets en déséquilibre (80 milliards de déficit pour environ 300 milliards de budget en 2011) et accepté l’augmentation de la dette publique jusqu’à son montant actuel de 1640 milliards d’euros. Comment avons-nous pu accepter cela ?

Comment avons-nous  été aveuglés à ce point ? Keynes a joué le rôle du grand anesthésiste. Mais, nous avons été complices et lâches. Il m’arrive d’en avoir honte. »

 

http://jeandionis.com/blog.asp?id=18265 : « La deuxième mort de sir John Maynard Keynes »

 

On s’aperçoit aujourd’hui que dépenser beaucoup plus que ce que l’on gagne est toujours catastrophique, pour les États comme pour les particuliers !

 jubilé 

Par contre, il existe bel et bien une « dette vertueuse » en régime chrétien.

« Ne gardez entre vous aucune dette, sinon celle de l’amour mutuel » (Rm 13,8) : Saint-Paul ne veut pas d’une économie basée sur l’emprunt dans la communauté chrétienne. Mais il sait que la circulation du don est liée à la reconnaissance de la dette d’amour, envers Dieu d’abord et tous ensuite.

Je suis aimé avant que d’aimer.

Je reçois la vie avant de la donner.

Cette antériorité de l’amour reçu crée une dette vertueuse qui oblige à la faire circuler entre tous. Chacun, ne pouvant rembourser cette dette-là, accorde à l’autre un crédit qu’il renonce par avance à récupérer.

La parabole du bon samaritain qui soigne le blessé à l’auberge et disparaît pour ne pas être remboursé de sa dette en est la figure évangélique la plus aboutie.

 

Si la dette est stable, alors vive la dette qui circule et crée l’échange !

 

 

La dette souveraine

C’est la dette d’un État souverain.

Celle de la France suit la courbe ci-dessous. On voit que les intérêts de la dette coûtent désormais plus chers que la dette elle-même !

 

Dette_evolution_avec_et_sans_interets_G Keynes

L’explosion des dettes américaines et européennes est en effet en train d’engendrer une crise plus grave que celle des subprimes en 2008. À l’époque, c’étaient les pauvres qui s’endettaient trop – sous la pression des banques – pour acheter leur maison aux USA. Aujourd’hui, ce sont les États riches qui risquent de devenir insolvables…

 

Les partisans d’une certaine sobriété ne manqueront pas d’en tirer avantage, en s’appuyant sur les appels évangéliques à une certaine simplicité de vie. La frugalité était une vertu du capitalisme naissant. On ferait bien d’y revenir !

Dettes publique des Etats, en % du PIB

Fichier:Public debt percent gdp world map.PNG 

 

Remets-nous nos dettes

Pourquoi la traduction française du Notre Père a-t-elle remplacé le mot dettes par offenses ? Ce n’est pas fidèle au texte (le latin l’était : sicut et nos dimittimus debitoribus nostris). Quel dommage ! Car la prière que nous a enseignée le Christ parle bien de remise de dettes, sur un modèle économique, et pas de pardon ou de fautes ni d’offenses au sens moral du terme. Ce qu’enseignait le Christ est dans la droite ligne du Jubilé (Lévitique 25) : pratiquer régulièrement l’effacement des dettes mutuelles, pour éviter que ne s’accumulent la haine, la rancoeur et les vengeances sans fin (cf. la 1° lecture : Si 27, 30 ; 28, 1-7).

 

« Ne gardez entre vous aucune dette, sinon celle de l’amour mutuel ».

Si cette dette-là est stable, c’est bon signe !

 

 

 

 

1ère lecture : Comment un homme pécheur ne pardonnerait-il pas ? (Si 27, 30 ; 28, 1-7 )

 

Lecture du livre de Ben Sira le Sage

Rancune et colère, voilà des choses abominablesoù le pécheur s’obstine.
L’homme qui se venge éprouvera la vengeance du Seigneur ; celui-ci tiendra un compte rigoureux de ses péchés.

Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait ; alors, à ta prière, tes péchés seront remis.

Si un homme nourrit de la colère contre un autre homme, comment peut-il demander à Dieu la guérison ?

S’il n’a pas de pitié pour un homme, son semblable, comment peut-il supplier pour ses propres fautes ?

Lui qui est un pauvre mortel, il garde rancune ; qui donc lui pardonnera ses péchés ?

Pense à ton sort final et renonce à toute haine, pense à ton déclin et à ta mort, et demeure fidèle aux commandements.

Pense aux commandements et ne garde pas de rancune envers le prochain, pense à l’Alliance du Très-Haut et oublie l’erreur de ton prochain.

 

Psaume : Ps 102, 1-2, 3-4, 9-10, 11-12

R/ Le Seigneur est tendresse et pitié.

Bénis le Seigneur, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits ! 

Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ; 
il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.

Il n’est pas pour toujours en procès,
ne maintient pas sans fin ses reproches ; 
il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses. 

Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint ; 
aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés.

 

2ème lecture : Nous vivons et nous mourons pour le Seigneur (Rm 14, 7-9)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

En effet, aucun d’entre nous ne vit pour soi-même,
et aucun ne meurt pour soi-même :

si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur.

Car, si le Christ a connu la mort, puis la vie, c’est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants.

 

Evangile : Instruction pour la vie de l’Église. Pardonner sans mesure. (Mt 18, 21-35)

 

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le Seigneur nous a laissé un commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Alléluia. (cf. Jn 13, 34)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander : « Seigneur, quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? »

Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.


En effet, le Royaume des cieux est comparable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.

Il commençait, quand on lui amena quelqu’un qui lui devait dix mille talents (c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent).

Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette.

Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.’

Saisi de pitié, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette.

Mais, en sortant, le serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : ‘Rembourse ta dette !’

Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : ‘Prends patience envers moi, et je te rembourserai.’

Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé.

Ses compagnons, en voyant cela, furent profondément attristés et allèrent tout raconter à leur maître.

Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : ‘Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié.

e devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?’

Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il ait tout remboursé.
C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son coeur. »
Patrick BRAUD 

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