L'homélie du dimanche (prochain)

12 mai 2019

Dieu nous donne une ville

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Dieu nous donne une ville

Homélie pour le 5° Dimanche de Pâques / Année C
19/05/2019

Cf. également :

À partir de la fin !
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Comme des manchots ?
Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
J’ai trois amours
Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses dures
Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?
Conjuguer le verbe aimer à l’impératif

  • La Cité de Dieu

Dieu nous donne une ville dans Communauté spirituelleL’incendie de la toiture de Notre-Dame de Paris a révélé l’importance d’un tel symbole au cœur d’une métropole. Sans elle, la ville de lumière aurait été comme éborgnée. Comme si les parisiens faisaient corps en partie grâce à elle. Et la nation tout entière se reconnaît en Paris comme Paris se reconnaît en sa cathédrale. Et dans le monde entier !

La question de la ville est au cœur de nos identités modernes. Comment rendre nos mégapoles plus fraternelles malgré l’anonymat et le béton qui sépare ? Comment rendre nos agglomérations plus sûres alors que le crime et la délinquance y prolifèrent ? Comment mélanger ses habitants alors qu’ils ont tendance à s’isoler en une multitude d’îlots juxtaposés, par classes sociales, revenus, religions… ? Comment ouvrir nos villes à l’étranger, aux touristes, aux passants, sans pour autant perdre notre art de vivre ?

En fait, ces questions sur la ville ne sont pas nouvelles. La Bible commence avec Caïn et Abel par le conflit entre nomades et agriculteurs, et la fondation d’une ville - la première – par Caïn le fratricide. Et la Bible se termine par la grandiose image de l’Apocalypse de notre deuxième lecture de ce dimanche :

« Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. » (Ap 21, 1-5)

Entre ce point d’arrivée et le point de départ, l’histoire humaine tente de se déployer, alternant nostalgie et volonté de puissance prométhéenne.

Que retenir de cette promesse d’une cité radieuse (pour parler comme Le Corbusier) telle que l’Apocalypse nous la révèle ?

 

  • Du jardin jadis perdu à la ville

La nostalgie du jardin originel nous taraude toujours. Le mythe de l’Éden de Gn 1 est à l’opposé de Pékin ou New York ! Et nous chantions autrefois :
« Tu nous conduis, Seigneur Jésus vers la fraicheur des sources vives, vers le jardin jadis perdu ».

Or Jean nous affirme que le terme de l’histoire n’est pas un retour au point de départ, comme si l’histoire n’avait rien apporté. Le Coran cède à cette nostalgie en dépeignant le paradis sous l’effet idyllique d’un jardin où tout coule à flots, où les plaisirs terrestres deviennent infinis et permanents. Avec l’Apocalypse, on ne revient pas au jardin jadis perdu. On ne cautionne plus le mythe de l’éternel retour, où le salut serait en arrière, aux origines. Car il y a du neuf avec l’action humaine dont Dieu lui-même tient compte pour bâtir l’avenir. Aucun romantisme christiano-champêtre dans la vision de la Jérusalem céleste ! Avec l’accélération de la migration des campagnes vers les villes (75% de l’humanité fin 20° siècle vs 10% à peine dans l’Antiquité), l’enjeu n’en est que plus actuel.

390007 Jérusalem dans Communauté spirituelle

  • Une ville donnée et non construite de main d’homme

Pourtant la ville est une invention humaine, pas divine. Condamné à l’errance après le meurtre de son frère, Caïn résiste et refuse cette condition trop insécurisante. Il fonde la première ville – Hénoc - et y établit sa famille. Il s’installe au lieu d’errer. Il se protège avec des murailles au lieu d’être exposé à tous les dangers. La ville naît donc de la révolte de l’homme et de sa volonté d’autonomie. Du coup, les cités de la Bible sont à l’image de nos cités contemporaines : des concentrés de l’ambiguïté humaine capable d’édifier des Notre-Dame non loin des bidonvilles ou de la Bourse. Les villes bibliques sont pleines de bruit et de fureur. Sodome et Gomorrhe incarnent le non respect de l’hospitalité et de l’étranger ; Babel la confusion entre les peuples ; Babylone la déportation et l’exil ; Jéricho la ville refermée sur ses murailles ; Ninive la corruption ; Rome l’empire colonisateur etc. Quand nous construisons nos villes, nous y concentrons le pire et le meilleur de nous-mêmes : criminalité et entraide, animations et solitudes, cultures et argent roi, cathédrales et places financières, urbanisme délirant et quartiers magnifiques…

L’Apocalypse nous promet étrangement que Dieu tient compte de nos rêves urbains, en les purifiant de ce qu’ils recèlent d’inhumain. La ville qui descend du ciel n’est pas faite de main d’homme, mais de l’amour de Dieu. La technique de nos métiers ne peut pas la construire, pourtant il y a bien une technique divine qui a réalisé une telle conception. Elle ne ressemble pas à nos cités illustres, au contraire elle invite nos cités à lui ressembler. Cette ville qui descend du ciel est un don à recevoir et non une construction à réussir.

Dieu avait déjà retourné comme un gant le désir humain de bâtir grand avec le Temple de Jérusalem. Le grand roi David veut laisser une trace derrière lui (un peu comme Mitterrand avec la pyramide du Louvre ou Macron avec la reconstruction de Notre-Dame…) et se met en tête de bâtir un temple si extraordinaire qu’il établira son prestige et sa renommée pour les siècles des siècles. Heureusement, le prophète Nathan le fait descendre de son piédestal (2S 7) : ‘tu crois que c’est toi qui vas bâtir une demeure pour Dieu alors que c’est l’inverse. Aussi Dieu te donne une descendance royale, mais toi tu ne construiras pas le Temple. C’est ton fils Salomon qui l’achèvera, selon des plans qui lui seront inspirés par la sagesse et non par l’orgueil’.

Avec l’Apocalypse, tout se passe donc comme si Dieu nous disait : ‘tu veux une ville et non l’errance ? D’accord, je te prends au mot. Je vais te donner ce que tu désires, mais non pas selon ton rêve de puissance, de technique et de domination. Tu renonceras à faire habiter Dieu chez toi, à ta manière, parce que c’est toi qui vas habiter en Dieu lui-même.

 

  • La Jérusalem céleste, et non Rome ou Paris

Au moment où Jean écrit l’Apocalypse, Jérusalem n’est plus qu’un tas de ruines fumantes. La révolte des juifs contre l’occupation romaine a entraîné une guerre, puis le siège et la prise de la ville par l’empereur Titus, avec son lot de destructions, d’exactions et de pillages. L’Arc de Triomphe de Titus toujours visible à Rome porte gravé le souvenir de cette humiliation imposée aux juifs en 70 : la destruction du Temple de Jérusalem, le vol de ses trésors, la déportation en esclavage de ses habitants, l’incendie et la ruine de la ville.

L'Arc de Titus (Crédit : CC-BY- Steerpike/Wikimedia Commons)

Si Jean avait rêvé d’une ville forte et puissante à la manière humaine, il nous aurait dépeint une Rome éternelle enfin devenue chrétienne. Eh bien non ! C’est Jérusalem qui devient le symbole de notre avenir, justement parce que la ville est maintenant trop faible pour croire dominer le monde ou rayonner de splendeur par sa seule force. Dieu renverse  les puissants de leur trône, il élève des humbles.

Du coup, on s’aperçoit que la Jérusalem éternelle descendant du ciel n’est pas une copie de l’ancienne, terrestre. C’est plutôt l’inverse : le meilleur de la capitale de David était déjà inspiré parce qu’elle allait devenir en Dieu. Par exemple les murailles : elles protègent, mais n’isolent plus, car les portes nombreuses font respirer et communiquer avec tout l’univers. Ainsi la réconciliation entre juifs et chrétiens : la symbolique des chiffres de la nouvelle Jérusalem l’annonce. Il y a 12 portes comme les 12 tribus d’Israël ou les 12 apôtres. 12 fondations en pierres précieuses, 12 anges aux portes, 12 000 coudées de largeur. Les 12 portes sont une combinaison (4×3) du chiffre cardinal de l’univers (4) combiné à celui de la Trinité (3). Les 144 coudées de hauteur évoquent le carré de 12, c’est-à-dire la plénitude d’Israël et l’Église enfin réunis.

Il y a donc comme une conversion de notre désir de ville dans le don de cette Jérusalem céleste à l’humanité, « ville où tout ensemble ne fait qu’un ».

Dans son ouvrage « Sans feu ni lieu » (1970) Jacques Ellul commente :

« Par amour, Dieu révise ses propres desseins, pour tenir compte de l’histoire des hommes, y compris de leurs plus folles révoltes. […]

Et c’est ici, que se produit le fait le plus étrange. L’homme actuel a raison aussi spirituellement. Inconsciemment et sans le savoir lorsqu’il préfigure l’avenir sous la couleur de la ville, il a raison en vérité. Seulement, il y a un saut à faire. Alors qu’il la voit sous son aspect technique et sociologique, le véritable avenir, le véritable but de l’histoire qui apparaît quand l’histoire s’achève et se clôt est bien une ville, mais une autre que celle imaginée : il s’agit de la Jérusalem céleste ».

 

  • Reconstruire nos villes à partir de la fin

En décrivant la Jérusalem céleste descendant du ciel, Jean nous invite à transformer nos villes à cette image, pour commencer à vivre dès maintenant ce que Dieu veut nous donner pour toujours. Quel urbaniste traduira en plan audacieux la vocation urbaine à rassembler de manière trinitaire, sans confusion ni séparation, sans violence ni indifférence ? Quels architectes inventeront des murailles qui protègent tout en laissant respirer à pleines portes ? Quelles seront les fondations invisibles aussi précieuses que les bâtiments construits dessus ? Quelle Église osera proclamer que le vrai Temple de Dieu c’est l’homme, au point qu’il n’y a plus besoin de cathédrale dans la ville nouvelle ? Et si on construit quand même des cathédrales parce qu’il faut bien des panneaux indicateurs le long de la route tant qu’on n’est pas arrivé au but, comment renverront-elles au vrai sanctuaire qui est le cœur de l’homme ? Comment réconcilier juifs et chrétiens dans cette cité, musulmans et hindous, communautés de toutes religions, ethnies ou opinions comme elles sont appelées à l’être dans la Jérusalem aux 12 portes ? N’attendons pas que les puissants, les princes ou  les présidents fassent ce travail de conversion de notre vie urbaine pour nous, ou à notre place ! Chacun peut dès lors s’engager, les yeux fixés sur la cité radieuse de Jean, pour transformer son immeuble, sa maison, son quartier, sa commune à l’image de sa vocation ultime : rassembler dans une communion fraternelle ceux que tout diviserait autrement.

Futur Présent Passé

À Noël, nous chantions : « un enfant nous est né, un fils nous est donné ». En ces temps qui sont les derniers, nous chantons avec l’Apocalypse : « une ville nous est donnée ».

Venant de la fin des temps, une ville nous est donnée pour inspirer nos cités en conjurant leur dureté, leur violence. Non faite de main d’homme, la Jérusalem céleste descend du ciel pour que nos constructions ou reconstructions de Paris, de Rome ou de New York sachent accueillir la présence de Dieu en chacun et lui servent d’écrin.

Comment pouvons-nous nous engager à recevoir ce don d’une ville plus « divine » ?
Par quels engagements de quartier, d’associations culturelles ou sportives ?
Par quelle réconciliation entre groupes séparés, juxtaposés ou opposés ?
Par quels témoignages spirituels au cœur de la ville pour appeler à recevoir plutôt qu’à construire ?

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux » (Ac 14, 21b-27)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Paul et Barnabé, retournèrent à Lystres, à Iconium et à Antioche de Pisidie ; ils affermissaient le courage des disciples ; ils les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. » Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en lui. Ils traversèrent la Pisidie et se rendirent en Pamphylie. Après avoir annoncé la Parole aux gens de Pergé, ils descendirent au port d’Attalia, et s’embarquèrent pour Antioche de Syrie, d’où ils étaient partis ; c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu pour l’œuvre qu’ils avaient accomplie. Une fois arrivés, ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux nations la porte de la foi.

Psaume
(Ps 144 (145), 8-9, 10-11, 12-13ab)

R/ Mon Dieu, mon Roi,
je bénirai ton nom toujours et à jamais !
ou : Alléluia.
(Ps 144, 1)

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.

Ils annonceront aux hommes tes exploits,
la gloire et l’éclat de ton règne :
ton règne, un règne éternel,
ton empire, pour les âges des âges.

Deuxième lecture
« Il essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 21, 1-5a)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé. » Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. »

Évangile
« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres » (Jn 13, 31-33a.34-35)
Alléluia. Alléluia. Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » Alléluia. (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
Patrick BRAUD

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17 avril 2017

Deux utopies communautaires chrétiennes

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Deux utopies communautaires chrétiennes

Homélie pour le 2° dimanche de Pâques / Année A 23/04/2017

Cf. également :

Le Passe-murailles de Pâques

Le maillon faible

Que serions-nous sans nos blessures ?

Croire sans voir

Au confluent de trois logiques ecclésiales : la communauté, l’assemblée, le service public

Riches en miséricorde?

Êtes-vous plutôt centripètes ou centrifuges ?

 

Le Palais social de Guise

Deux utopies communautaires chrétiennes dans Communauté spirituelle 1.courpavilloncentralfjpgAvez-vous déjà visité le Familistère de Jean-Baptiste André Gaudin dans l’Aisne ? C’est un endroit exceptionnel, un lieu de pèlerinage social.

En 1846, Godin installa une petite usine à Guise avec 30 ouvriers pour fabriquer le célèbre poêle qu’il venait d’inventer. Il y eut bientôt 1500 ouvriers et la production, de 700 appareils par an, passa à 50 000. Soutenu par sa réussite économique, Godin put nourrir ses idéaux sociaux. Il s’imprégna des thèses du théoricien socialiste Charles Fourier qui tenta d’imaginer une alternative à l’horreur de la condition ouvrière, et synthétisa ses idées dans le Phalanstère. A 40 ans, le prospère fabricant de poêles et objets en fonte décida d’exécuter à Guise un modèle social inspiré du phalanstère, « le familistère ». De 1859 à 1882, Godin édifia le « palais social ». Le Familistère comprenait 500 logements loués aux ouvriers, mais aussi un « pouponnat », une école mixte et laïque, un théâtre, une piscine, des magasins. Parallèlement, il s’installait sur la scène politique. L’œuvre de Godin était exceptionnelle par son esprit autogestionnaire. Les ouvriers étaient intéressés à la gestion de la fabrique et aux bénéfices de l’entreprise. Surtout Godin mit en place un système de protection mutualiste. En 1880, huit ans avant sa mort, il créa la « Société du Familistère de Guise, Association du Capital et du Travail » dont les ouvriers étaient actionnaires. La coopérative fonctionna jusqu’en 1968, lorsqu’elle fit faillite sous la pression économique. Le Palais social de Guise est une de ces multiples résurgences dans l’histoire de l’utopie communautaire de vie fraternelle et de partage des biens.

De Woodstock au Larzac, des kibboutz aux communautés nouvelles, des monastères au New Age, du familistère d’André Godin à la ‘cité radieuse’ de Le Corbusier, l’aspiration à des formes de vie communautaires radicales traverse toute l’histoire humaine, et engendre régulièrement des innovations sociales bénéficiant à tous.

 

L’utopie de Jérusalem

Les Actes des Apôtres, juste après Pâques, nous offrent également dans la première lecture une description de la vie commune idéale des premiers disciples du Ressuscité :

Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. […] Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun. (Ac 2,42-44)

Sous l’angle économique, on a pu qualifier l’Église de Jérusalem de première incarnation d’un communisme intégral. C’est en effet un sens du partage élevé (« à chacun selon ses besoins »), une abolition volontaire de la propriété privée (« nul ne disait se tient ce qui lui appartenait »), une révolution sociale (plus de chefs ni de supérieurs, mais des frères et des sœurs).

Fichier:De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins.jpg

Pour être honnête, le récit des Actes mentionne quand même la fraude d’Ananie et Saphire, qui leur a valu d’être exclus de l’Église. Ils ont fait semblant de mettre leurs biens en commun, mais en dissimulant une partie de leur richesse, afin de la garder pour eux. De façon réaliste, les obstacles à l’utopie communiste de Jérusalem sont donc exposés : l’amour de l’argent, la dissimulation, le manque d’authenticité. Certains courants utopistes actuels (l’entreprise « libérée » par exemple) reposent sur l’idée que l’homme est bon. La Bible est plus réaliste : certes l’homme aspire au bien, mais il est mélangé. L’image de Dieu en lui est inaliénable, mais sa ressemblance avec Dieu est largement obscurcie par une propension à faire le mal, inextricablement mêlée à son désir d’aimer. L’échec de bien des entreprises voulant se « libérer » trop facilement repose sur une erreur anthropologique de taille : il y a toujours des Ananie et Saphire dans une collectivité, comme en chacun de nous !

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Autre limite, très réaliste également, de l’utopie de Jérusalem : sa pauvreté ! On ne sait pas si c’est une conséquence du partage intégral des biens ou seulement un contexte difficile qui l’aurait provoquée. En tout cas, les ‘partageux’ de Jérusalem sont dans une telle détresse matérielle que Paul organise une collecte à travers toutes les autres Églises pour leur venir en aide :

1 Corinthiens 16,1-3 : Quant à la collecte en faveur des saints (= les baptisés de Jérusalem), suivez, vous aussi, les instructions que j’ai données aux Églises de la Galatie. Que le premier jour de la semaine, chacun de vous mette de côté chez lui ce qu’il aura pu épargner, en sorte qu’on n’attende pas que je vienne pour recueillir les dons.  Et une fois près de vous, j’enverrai, munis de lettres, ceux que vous aurez jugés aptes, porter vos libéralités à Jérusalem;  et s’il vaut la peine que j’y aille aussi, ils feront le voyage avec moi.

2 Corinthiens 8,13-15 : Il ne s’agit point, pour soulager les autres, de vous réduire à la gêne; ce qu’il faut, c’est l’égalité.  Dans le cas présent, votre superflu pourvoit à leur dénuement, pour que leur superflu pourvoie aussi à votre dénuement. Ainsi se fera l’égalité, selon qu’il est écrit : celui qui avait beaucoup recueilli n’eut rien de trop, et celui qui avait peu recueilli ne manqua de rien.

Le mot collecte employé par Paul est d’ailleurs le terme grec koïnonia qui signifie communion, désignant aussi la communion fraternelle qui caractérise l’Église, et même l’amour divin, communion trinitaire. L’Église depuis Vatican II se définit comme le « sacrement de la communion trinitaire » (Catéchisme de l’Église catholique n° 747, 775, 780, 1108), ce qui fait de la collecte d’entraide un quasi geste liturgique !

 

L’utopie de Jérusalem

Reste que, à côté de la pauvreté économique de Jérusalem, une autre forme de vie communautaire s’élabore à Antioche. Les chrétiens d’Antioche ne mettent pas leurs biens en commun, mais donnent à la quête. Ils n’habitent pas ensemble mais se rassemblent le premier jour de la semaine. Ils se mélangent sans se dissoudre, se structurent sans règles strictes. C’est en les regardant vivre que les autres leur donnent pour la première fois le nom de chrétiens (Ac 11,26).

Carte des voyages de Paul

Bref, il y a bien de modèles de vie chrétienne !

Celui de Jérusalem a inspiré l’idéal monastique, les socialismes utopiques (Fourier, Proudhon, Godin…), les nouveaux courants communautaires. Celui d’Antioche a inspiré l’idéal protestant, la spiritualité laïque de Vatican II, l’implication dans le monde tel qu’il est.

Pourquoi faudrait-il choisir ?

Nous avons besoin de pionniers qui expérimentent de nouvelles façons de vivre communautaires : les communautés nouvelles (charismatiques) ; les monastères, fidèles aux règles anciennes toujours très pertinentes ; les fraternités de tous ordres, formelles et informelles, qui recréent des cercles chaleureux et intenses où l’expérience chrétienne apparaît dans toute sa singularité et sa différence.

Nous avons également besoin des Antiochiens du XXI° siècle, sachant mener de front affaires et spiritualité, ouverture aux autres identités et ressourcement ecclésial.

Êtes-vous plutôt hiérosolymites (style Jérusalem) ou antiochiens ?

L’important est de choisir, et d’aller au bout de cette intuition pour aujourd’hui, jusqu’à susciter des Benoît ou des Thérèse d’Avila, des Godin ou des Bernard Devert [1] dans tous les domaines !

 


[1] . Prêtre fondateur de l’association Habitat et Humanisme.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE « Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun » (Ac 2, 42-47)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. La crainte de Dieu était dans tous les cœurs à la vue des nombreux prodiges et signes accomplis par les Apôtres. Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun. Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ; ils louaient Dieu et avaient la faveur du peuple tout entier. Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés.

PSAUME

(Ps 117 (118), 2-4, 13-15b, 22-24)
R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon ! Éternel est son amour !ou : Alléluia ! (Ps 117, 1)

Oui, que le dise Israël : Éternel est son amour ! Que le dise la maison d’Aaron : Éternel est son amour ! Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur : Éternel est son amour !
On m’a poussé, bousculé pour m’abattre ; mais le Seigneur m’a défendu. Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ; il est pour moi le salut. Clameurs de joie et de victoire sous les tentes des justes.
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ; c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

 

DEUXIÈME LECTURE
« Il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts » (1 P 1, 3-9)
Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre

 Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ : dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts, pour un héritage qui ne connaîtra ni corruption, ni souillure, ni flétrissure. Cet héritage vous est réservé dans les cieux, à vous que la puissance de Dieu garde par la foi, pour un salut prêt à se révéler dans les derniers temps. Aussi vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or – cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu –, afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ. Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu ; en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi, vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire, car vous allez obtenir le salut des âmes qui est l’aboutissement de votre foi.

ÉVANGILE

« Huit jours plus tard, Jésus vient » (Jn 20, 19-31) Alléluia. Alléluia. Thomas, parce que tu m’as vu, tu crois, dit le Seigneur. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Alléluia. (Jn 20, 29)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

 Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »

 Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »

 Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Patrick BRAUD

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7 octobre 2015

Chameau et trou d’aiguille

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Chameau et trou d’aiguille

Homélie du 28° dimanche du temps ordinaire/Année B
11/10/2015

Cf. également :

À quoi servent les riches ?
Plus on possède, moins on est libre
Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?
Les sans-dents, pierre angulaire
Donne-moi la sagesse, assise près de toi
Les bonheurs de Sophie

Dans ce texte archi connu dit « du jeune homme riche » (mais dans notre évangile de Mc 10, 17-30 rien ne dit qu’il est jeune !) les pistes d’actualisation foisonnent (cf. liste ci-dessus).
Pour une fois, attardons-nous sur un détail amusant, passé dans la sagesse proverbiale populaire : « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ». Étonnant non, ce rapprochement entre un chameau et une aiguille !? Comme dirait Lautréamont (le poète), c’est beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie !

Comment interpréter cette sentence énigmatique de Jésus ?

Explorons quatre pistes.

 

1. L’hyperbole : Jésus force le trait pour décourager les riches
CamelL’image utilisée relève du procédé littéraire appelé hyperbole : on exagère, on en rajoute, on radicalise la réalité évoquée. Ainsi lorsque Jésus dit qu’il vaut mieux enlever la poutre qu’on a dans son oeil plutôt que de voir la paille qui est dans l’œil du voisin. Cela relève de ce procédé hyperbolique. Ici, le rapprochement d’un chameau et d’une aiguille est tellement improbable, impossible, qu’on voit très clairement que Jésus veut décourager les riches de persévérer dans leur richesse. Et quand on connaît la difficulté qu’il y a à faire passer un camélidé bi-bosse par le trou d’une aiguille, sauf dans le cas où cette dernière serait aux proportions de la Tour Eiffel, on se rend compte que les portes du Paradis sont définitivement fermées à notre Oncle Picsou.

Le message est fort : vous les riches, vous êtes dans une impasse si vous continuez à jouer sur les deux tableaux. Le Royaume de Dieu est incompatible avec l’état d’esprit d’égoïsme, d’absence de compassion, de séparation des pauvres, de domination, d’exploitation etc. qu’engendre inéluctablement la richesse accumulée.
Point barre.
Même la phrase suivante : « pour Dieu rien n’est impossible », ne suffira pas à sauver les riches malgré eux.

L’avertissement n’a rien perdu de son actualité.

 

2. Le symbole.

camel gateCertains commentaires font allusion à une petite porte dans les remparts de Jérusalem. Après le coucher du soleil, cette porte restait ouverte plus longtemps que les grandes portes qui étaient plus difficiles à défendre. Les chameaux ne pouvaient y passer qu’en se défaisant de toutes leurs charges. C’est une porte identique qui se trouvait autrefois à Toulouse, à l’emplacement de la place du Capitole à l’entrée de la rue du Taur ; une maquette de cette porte se trouve au musée Raymond IV de Toulouse.

Malheureusement, dans Néhémie 3, une liste des 12  portes de Jérusalem est donnée et il n’y est pas question de cette porte de l’Aiguille. On n’a trouvé aucune trace archéologique de cette porte, et l’expression ‘trou d’une aiguille’ (et non pas ‘trou de l’aiguille’) ne semble pas vraiment confirmer cette explication…

Reste que faire allusion à cette petite porte – si elle existait - était très efficace pour les auditeurs de Jésus connaissant les accès à Jérusalem.

Du coup le message est plus positif : de même que les caravaniers sont obligés de faire plier les  genoux aux chameaux, et de les décharger de leurs colis pour passer sous la porte du Trou de l’Aiguille, de même les riches, s’ils acceptent de ployer le genou devant Dieu et de se décharger de leur superflu, peuvent entrer dans le Royaume de Dieu. L’homme riche de notre évangile tombe à genoux devant Jésus : allusion à ce passage de la porte étroite ?…

D’ailleurs, les usages du mot chameau dans la Bible consonnent avec cette interprétation  symbolique. Le nombre de chameaux possédés par un clan était un étalon de sa réussite. Une dot se mesurait en chameaux, ânes et autres troupeaux d’animaux. Et quand la reine de Saba vient rencontrer le roi Salomon à Jérusalem, c’est avec des caravanes de chameaux chargés d’aromates et de pierres précieuses :
2Ch 9,1 : « La reine de Saba apprit la renommée de Salomon et vint à Jérusalem éprouver Salomon par des énigmes. Elle arriva avec de très grandes richesses, des chameaux chargés d’aromates, quantité d’or et de pierres précieuses » Cf. 1R 10,2.
Le prophète Isaïe s’en souviendra :
« Des multitudes de chameaux te couvriront, des jeunes bêtes de Madiân et d’Epha; tous viendront de Saba, apportant l’or et l’encens et proclamant les louanges de Yahvé » »  Is 60,6.

Le chameau était un animal impur, comme en témoigne Dt 14,7 :
« Toutefois, parmi les ruminants et parmi les animaux à sabot fourchu et fendu, vous ne pourrez manger ceux-ci: le chameau, le lièvre et le daman, qui ruminent mais n’ont pas le sabot fourchu; vous les tiendrez pour impurs ».
Associer le chameau à la richesse était habile, car cela engendrait instinctivement une réaction de répulsion.

Dans le Nouveau Testament, il n’y a que trois usages du mot chameau : ici en Mc 10 et parallèles, en Mc 1,6 pour Jean-Baptiste vêtu d’une peau de chameau, et encore Mt 23,24, où le chameau représente les énormes contradictions et incohérences que les pharisiens acceptent sans sourciller dans leur vie :
« Guides aveugles, qui arrêtez au filtre le moustique et engloutissez le chameau… »

Quand Jean-Baptiste s’habille de poils de chameau, c’est comme si en quelque sorte il avait tué l’animal, en portant sa dépouille : son vêtement désigne son combat contre la richesse qui empêche d’entrer l’homme dans le Royaume de Dieu.

L’avertissement symbolique lié à cette interprétation rejoint celui, explicite, de l’Apocalypse :
« Tu t’imagines: me voilà riche, je me suis enrichi et je n’ai besoin de rien; mais tu ne le vois donc pas: c’est toi qui es malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu ! » (Ap 3,17)

 

3. Un jeu de mots hébraïque

L’hébreu est une langue qui invite à jouer avec les lettres, les sens et les pictogrammes [1].  Même si nous ne devons pas forcément chercher là le premier sens, il est fort probable que Jésus tenait compte de ces images connues pour appuyer son enseignement. Chameau, “Gamal” (en Anglais : camel), vient du verbe distribuer, rétribuer, faire participer aux bénéfices. ‘Gamal’ est apparenté à la 3ème lettre de l’alphabet hébraïque : GIMEL. Le mot chameau s’écrit ainsi :

dalethgimel_resizedbeth

Le pictogramme de la lettre du milieu a la forme de quelqu’un qui marche. L’hébreu se lit de droite à gauche… La lettre GIMEL vient après la lettre BETH (qui signifie : maison – pensez à Bethléhem = maison du pain) et avant la lettre DALETH, qui signifie « pauvre ».
Selon le Midrash (commentaire rabbinique), le GIMEL suggère un homme riche qui quitte sa maison (BETH) en courant à la rencontre du pauvre DALETH avec qui il partage ses bénéfices.

riche et pauvre les 3 lettres

Tout ce jeu de lettres et de mots souligne moins l’idée que l’homme devrait se défaire de toutes les choses matérielles (ce qui est un discours religieux habituel mais assez moralisant), mais accentue plutôt la nécessité d’un élan du cœur qui conduit à un mouvement sincère et spontané vers les autres. C’est peut-être ce qui manquait à ce jeune homme riche qui semblait se contenter de ses devoirs religieux…

 

4. Un chameau qui donne du fil à retordre

Chameau et trou d’aiguille dans Communauté spirituelle 85267421_oDans cette dernière interprétation, on pense qu’il y a pu avoir confusion entre deux mots grecs : KAMELON = chameau (cf. Camel en anglais et ses fameuses cigarettes, Kamel en allemand etc.) et KAMILON = corde.

D’ailleurs, l’araméen GAMLA peut signifier aussi bien le chameau que la corde (tressée de poils de chameau).

En français, le dictionnaire Larousse de 1929 donnait encore une définition similaire du mot chameau : « Ensemble des fils de la chaîne, qui, sous le nom de poils, forment la partie veloutée des moquettes et de certains velours. Se dit aussi des velours coupés sur le métier pendant le tissage ». C’est donc un chat-mot qui a mot-chas le sens de la phrase [2]

La phrase exacte de Jésus serait alors : il est plus facile a un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu qu’à une corde de passer par le chas d’une aiguille. Ce qui avouons-le est déjà moins disproportionné ! La tâche semble difficile, mais moins improbable avec une corde qu’avec un chameau !

Signalons enfin que le Coran a gardé une trace de célèbre verset évangélique : Mohamed a réutilisé ce qu’il avait entendu des chrétiens de Médine en forgeant le verset suivant :
« Pour ceux qui traitent de mensonges Nos enseignements et qui s’en écartent par orgueil, les portes du ciel ne leur seront pas ouvertes, et ils n’entreront au Paradis que quand le chameau pénètre dans le chas de l’aiguille. Ainsi rétribuons-Nous les criminels » (Sourate 7,40).

Quelle que soit l’interprétation qui vous semble la plus pertinente - et après tout les quatre méritent peut-être d’être gardées ensemble - l’avertissement est clair : la richesse est un obstacle à la suite radicale du Christ.

À l’heure des parachutes dorés, retraites chapeaux et autres indemnités ou salaires invraisemblables de certains sportifs ou autres dirigeants, le rappel du danger que représente la richesse pour la vie spirituelle est salutaire.

Quel chameau ! Quel chas !

À bon entendeur chalut…

 


[2]. De même que le dromadaire n’est finalement qu’un chameau qui bosse à mi-temps…

 

 

 

1ère lecture : « À côté de la sagesse, j’ai tenu pour rien la richesse » (Sg 7, 7-11)
Lecture du livre de la Sagesse

J’ai prié, et le discernement m’a été donné. J’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. Je l’ai préférée aux trônes et aux sceptres ; à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse ; je ne l’ai pas comparée à la pierre la plus précieuse ; tout l’or du monde auprès d’elle n’est qu’un peu de sable, et, en face d’elle, l’argent sera regardé comme de la boue. Plus que la santé et la beauté, je l’ai aimée ; je l’ai choisie de préférence à la lumière, parce que sa clarté ne s’éteint pas. Tous les biens me sont venus avec elle et, par ses mains, une richesse incalculable.

Psaume : Ps 89 (90), 12-13, 14-15, 16-17

R/ Rassasie-nous de ton amour, Seigneur :
nous serons dans la joie.
cf. Ps 89, 14)

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :
que nos cœurs pénètrent la sagesse.
Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ?
Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.

Rassasie-nous de ton amour au matin,
que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
Rends-nous en joies tes jours de châtiment
et les années où nous connaissions le malheur.

Fais connaître ton œuvre à tes serviteurs
et ta splendeur à leurs fils.
Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu !
Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains ;
oui, consolide l’ouvrage de nos mains.

2ème lecture : « La parole de Dieu juge des intentions et des pensées du cœur » (He 4, 12-13)
Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. Pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard ; nous aurons à lui rendre des comptes.

Evangile : « Vends ce que tu as et suis-moi » (Mc 10, 17-30)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! Alléluia. (Mt 5, 3)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. » L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. » Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit: « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Jésus les regarde et dit: « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. » Pierre se mit à dire à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. » Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »
Patrick BRAUD

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3 juillet 2010

Qu’est-ce qui peut nous réjouir ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Qu’est-ce qui peut nous réjouir ?


Homélie du 14° Dimanche du temps ordinaire / Année C

04/07/2010

 

La joie coule à flots dans les textes de ce dimanche. « Réjouissez-vous avec Jérusalem », « exultez, soyez pleins d’allégresse », « votre coeur se réjouira », clame la première lecture.

« De là cette joie qu’il nous donne », chante le psaume.

« Les 72 disciples revinrent tout joyeux » de leur mission, raconte l’Évangile.

 

Si vous êtes dans une période heureuse de votre vie, vous aurez tendance à confondre peut-être cette joie avec la vôtre, sans entendre ce qu’elle a d’original.

Si au contraire vous êtes dans une période douloureuse, vous risquez d’envoyer promener ces pages en disant : ?à d’autres ! Ce n’est pas pour moi. Pas en ce moment hélas.’

Dans les deux cas, nous risquons de passer à côté de la joie promise, si différente de nos émotions, si originale par rapport à nos attentes.

 

Mais qu’est-ce qui peut nous réjouir en vérité ?

Qu'est-ce qui peut nous réjouir ? dans Communauté spirituelle mur_jerusalem-2« Jérusalem », répond Isaïe.

Se réjouir d’une ville, cela vous est peut-être déjà arrivé ! Mais c’est rare… Pourtant, se réjouir de Jérusalem, c’est anticiper le moment où la promesse de Dieu se réalisera. Oui, la paix se dirigera vers elle comme un fleuve. Oui, la gloire des nations l’irriguera mieux qu’un torrent qui déborde.

Si vous pensez au mur en béton qui sépare actuellement Jérusalem-Est, palestinienne, de Jérusalem-Ouest, juive, il y a de quoi désespérer : on n’en est pas encore à ce que promet Isaïe ! Si vous songez à la réprobation mondiale unanime qui accable le gouvernement israélien suite au blocus de Gaza et ses conséquences tragiques, l’heure  n’est pas vraiment à la joie.

Mais le prophète voit plus loin que les impasses actuelles. Il sait que cette ville, Jérusalem, a une vocation unique au sein de notre humanité, et il croit assez en la fidélité de Dieu à sa promesse pour s’en réjouir à l’avance.

 

Louer Dieu pour ce qu’il va faire et s’en réjouir par avance : voilà une première attitude, paradoxale, où la joie réalise ce qu’elle annonce…

 

La deuxième attitude, celle du psaume, est plus facile à comprendre.

Il s’agit de s’appuyer sur ce que Dieu a déjà accompli dans mon histoire personnelle / dans notre histoire collective.

Autrement dit : la joie ne manquera pas à celui qui sait faire mémoire des « hauts faits de Dieu » par le passé. C’est toujours la fidélité de Dieu à lui-même qui sera la source de la joie : ce qu’il a fait, il le fera à nouveau, de manière nouvelle, car il est fidèle. De cela nous pouvons être si sûrs que la joie gagnera sur le doute.

 

Se réjouir de ce que Dieu va faire, de ce qu’il a déjà accompli : l’Évangile unit ces deux attitudes en une formule lapidaire : « ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux. »

 

La vraie joie n’est pas l’ivresse de la puissance, même si cette puissance permet de vaincre le mal et les ennemis (« je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair »).

L’ivresse de la puissance est trop liée à la domination, à la soumission de l’autre.

La joie du Christ vient de l’avenir : « réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux ». Un avenir qui reflue déjà sur le présent, et lui donne la forme d’une confiance généreuse : « Paix à cette maison ».

Avoir son nom « inscrit dans les cieux », c’est tout simplement la joie de se savoir aimé, quoiqu’il arrive. Non pas se réjouir du mal, même de sa défaite, mais laisser l’allégresse du coeur venir de cette certitude qui change tout : quelqu’un a gravé mon nom / nos noms sur la paume de ses mains. Cette écriture « dans les cieux » est indélébile.

Des parents sont des témoins de cette inscription-là lorsqu’ils offrent à leurs enfants assez de sécurité affective pour leur donner confiance en eux, capables de se projeter dans l’avenir.

Des éducateurs sont signes de cette inscription-là lorsqu’ils accompagnent des jeunes, ou des personnes en détresse, à travers leurs épreuves : ?il y a quelqu’un qui croit en toi. N’abandonne pas’.

Des amis sont des révélateurs de cette joie lorsqu’ils expriment leur attachement indéfectible, leur affection gratuite : ‘ton nom est inscrit dans mon histoire, à jamais, quoi qu’il arrive’.

 

Qu’est-ce qui peut nous réjouir ?

Cette semaine, prenons le temps de regarder : d’où nous vient notre joie ? de qui ? Pouvons-nous apprendre à nous réjouir à la manière du Christ :  « ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux » ?

 

1ère lecture : La joie de l’ère messianique (Is 66, 10-14)

 

Lecture du livre d’Isaïe

Réjouissez-vous avec Jérusalem, exultez à cause d’elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle soyez pleins d’allégresse, vous tous qui portiez son deuil !
Ainsi vous serez nourris et rassasiés du lait de ses consolations, et vous puiserez avec délices à l’abondance de sa gloire.
Voici ce que dit le Seigneur : Je dirigerai vers elle la paix comme un fleuve, et la gloire des nations comme un torrent qui déborde. Vous serez comme des nourrissons que l’on porte sur son bras, que l’on caresse sur ses genoux.
De même qu’une mère console son enfant, moi-même je vous consolerai, dans Jérusalem vous serez consolés.
Vous le verrez, et votre coeur se réjouira ; vos membres, comme l’herbe nouvelle, seront rajeunis. Et le Seigneur fera connaître sa puissance à ses serviteurs.

 

Psaume : Ps 65, 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20

 

R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur

Acclamez Dieu, toute la terre ;
fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.
Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom.
Venez et voyez les hauts faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.

Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.
Il règne à jamais par sa puissance.

Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu :
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme.
Béni soit Dieu, qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !

2ème lecture : La croix du Christ, orgueil du chrétien (Ga 6, 14-18)

 

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Galates

Que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil. Par elle, le monde est à jamais crucifié pour moi, et moi pour le monde.
Ce qui compte, ce n’est pas d’avoir ou de ne pas avoir la circoncision, c’est la création nouvelle.
Pour tous ceux qui suivent cette règle de vie et pour le véritable Israël de Dieu, paix et miséricorde.
Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter. Car moi, je porte dans mon corps la marque des souffrances de Jésus.
Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit. Amen.

 

Evangile : Les soixante-douze en mission annoncent la joie du règne de Dieu (brève : 1-9) (Lc 10, 1-12.17-20)

 

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Sur toute la terre est proclamé la Parole, et la Bonne Nouvelle aux limites du monde. Alléluia. (cf. Ps 18, 5)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Parmi ses disciples, le Seigneur en désigna encore soixante-douze, et il les envoya deux par deux devant lui dans toutes les villes et localités où lui-même devait aller.
Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.
Allez ! Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.
N’emportez ni argent, ni sac, ni sandales, et ne vous attardez pas en salutations sur la route.
Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’
S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous.
Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous servira ; car le travailleur mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.
Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qu’on vous offrira.
Là, guérissez les malades, et dites aux habitants : ‘Le règne de Dieu est tout proche de vous.’
Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, sortez sur les places et dites :
‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous la secouons pour vous la laisser. Pourtant sachez-le : le règne de Dieu est tout proche.’
Je vous le déclare : au jour du Jugement, Sodome sera traitée moins sévèrement que cette ville. »
Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux. Ils racontaient : « Seigneur, même les esprits mauvais nous sont soumis en ton nom. »
Jésus leur dit : « Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair.
Vous, je vous ai donné pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et pouvoir sur toute la puissance de l’Ennemi ; et rien ne pourra vous faire du mal.
Cependant, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux. »
Patrick BRAUD

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