L'homélie du dimanche (prochain)

31 décembre 2023

Hérode, ou le côté obscur de l’Épiphanie

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Hérode, ou le côté obscur de l’Épiphanie

 

Homélie pour la fête de l’Épiphanie / Année B 

07/01/2024

 

Cf. également :
Épiphanie : que peuvent les religions en temps de guerre ?
Signes de reconnaissance épiphaniques
L’Épiphanie du visage
Épiphanie : tirer les rois
Épiphanie : êtes-vous fabophile ?
Épiphanie : l’économie du don
Épiphanie : Pourquoi offrir des cadeaux ?
Le potlatch de Noël
Épiphanie : qu’est-ce que l’universel ?
L’Épiphanie, ou l’éloge de la double culture
L’inquiétude et la curiosité d’Hérode
Éloge de la mobilité épiphanique
La sagesse des nations
Êtes-vous plutôt centripètes ou centrifuges ?


Le massacre des innocents

Hérode, ou le côté obscur de l’Épiphanie dans Communauté spirituelle OTAGES-430x400

Photo d’enfants kidnappés par le Hamas le 07/10/23

7 octobre 2023 : les vidéos et photos publiées après les attaques terroristes du Hamas en Israël montrent des enfants tués devant leurs parents, des parents tués devant leurs enfants, des cadavres profanés au-delà de l’horreur, des femmes enceintes éventrées, des adolescents pris en otage, des femmes violées, des personnes âgées exécutées ou emmenées de force, des maisons brûlées avec leurs habitants : plus de 1400 morts et 240 otages en un jour. Le premier pogrom après la Shoah.
On pourrait lire Péguy au milieu des larmes : 

« Ils avaient fait ceci 

Qu’ils étaient venus au monde. Un point, c’est tout.

Ou si vous préférez,

Ils avaient fait ceci qu’ils étaient des petits nouveau-nés.

C’étaient des espèces de petits nourrissons juifs » 

(Charles Péguy, Cahiers de la Quinzaine, 1912, Le Mystère des saints Innocents)

Les représailles israéliennes ont déjà fait plus de 20 000 morts dans la bande de Gaza, dont une grande partie de civils. Encore tant de larmes, encore tant de souffrances. Comme d’habitude, les innocents payent un lourd tribut à la guerre dans les deux camps. Rappelez-vous les familles massacrées dans le génocide du Rwanda, ou les enfants-soldats du Congo,  criminels de guerre à 8 ans…

 

Nous fêtons aujourd’hui l’Épiphanie, cette fête si familiale qui réjouit les enfants par la galette des rois, la fève, la couronne, le choix d’une reine ou d’un roi. Pourquoi faut-il qu’Épiphanie et Massacre des Innocents aillent toujours ensemble ? Les premiers à attester de la naissance du Christ dans l’Évangile de Matthieu sont les nouveau-nés de Bethléem qu’Hérode élimine avec méthode pour ne pas avoir de rival plus tard. L’apparition de la Lumière des nations suscite le déchaînement des forces obscures. Ce mystère d’iniquité se reproduit sous nos yeux de siècle en siècle, et apparemment nous n’arrivons pas à enrayer ce cercle infernal de violence jalouse.

drapeau-d-israël-les-emirats-arabes-unis-l-eau-avec-la-colombe-de-paix-traité-196412867 Epiphanie dans Communauté spirituelle
C’est par exemple au moment où Israël allait conclure des négociations de paix avec l’Arabie Saoudite, la Jordanie, les pays arabes du Maghreb (les ‘Accords d’Abraham’) que le Hamas a lancé ses attaques : torpiller la paix possible était visiblement un de ses objectifs, appuyé en cela par l’Iran chiite nostalgique de l’empire perse, ou la Turquie nostalgique de l’empire ottoman.


Pour nous rassurer, les historiens nous rappellent que Bethléem était une petite bourgade à l’époque de Jésus, peu peuplée en fait. Tuer tous les nouveau-nés de moins de deux ans ne devait concerner qu’une vingtaine de bébés au maximum, ce qui bien sûr est déjà monstrueux, mais n’atteint pas les proportions des massacres d’innocents des deux derniers siècles. Ce qui explique d’ailleurs que les sources historiques extrabibliques n’en parlent pas. Seul un certain Macrobe, historien et païen au IV° siècle, mentionne une tuerie d’enfants par Hérode en Syrie.


Notre époque s’émeut – à raison – du massacre des innocents en Palestine, Israël, Ukraine, Arménie. Mais elle ferme les yeux sur les enfants sacrifiés du Congo, les enfants kidnappés par Boko Haram, les tout-petits exilés d’Afghanistan, puis du Pakistan, du Tibet, de la  terre des Ouïgours, de l’exploitation humaine, de la prostitution etc.


En Occident, notre conscience morale s’est même obscurcie jusqu’à considérer comme un progrès et un droit fondamental le nombre d’avortements qui pourtant traduit des situations de détresse incommensurable. En France, une grossesse sur 4 se termine par un IVG : 234 000 pour 726 000 naissances en 2022. Au lieu de sonner le tocsin sur cette question de santé publique, afin d’améliorer l’efficacité des politiques de contraception ou d’éducation sexuelle, la Doxa bien-pensante se réjouit d’y voir un signe d’émancipation féminine, et va inscrire la liberté d’avorter dans la Constitution. C’est toujours plus facile de dénoncer la barbarie chez les autres.


Revenons à Hérode. Les exégètes pointent le parallèle voulu par Matthieu entre la naissance de Jésus et celle de Moïse, quand Pharaon ordonnait la mort de tous les nouveau-nés hébreux mâles (Ex 1,16–22) afin de supprimer un rival potentiel. Pour Matthieu, camper  Hérode en nouveau Pharaon permet d’identifier Jésus comme le nouveau Moïse accomplissant la première Alliance, renouvelant la Pâque et conduisant vers la Terre promise.

Reste que les premiers à attester la vocation messianique de Jésus sont des enfants qui témoignent du Christ par leur mise à mort sans paroles (in-fans = ‘qui ne peut pas parler’, en latin) …


Quel mystère qu’il faille payer le prix du sang et subir la tyrannie du mal pour prêcher le salut !

Quel retournement de l’histoire qu’Hérode accomplisse sans le savoir les Écritures alors qu’il croit affermir sa domination !

Quelle accusation terrible que Dieu ait laissé le mal se déchaîner alors qu’il mettait l’amour en terre ! Pourquoi tant de Shoah en Israël et de Nakba en Palestine alors que le Prince de la paix est là, offert à tous ?


Hérode, l’Antéchrist

Herode_le_Grand HérodeEn mettant Hérode en scène, Matthieu veut sans doute ancrer la naissance de Jésus dans l’histoire. Pas de chance, on sait qu’Hérode est mort en 4 av. J.-C. : Jésus est donc né… avant lui-même, puisque Matthieu le fait naître alors qu’Hérode est encore en vie ! Ce que nous appelons l’exactitude historique n’était pas du tout la préoccupation des évangélistes, pour qui les dates importent bien moins que la signification des événements. Mettre  Hérode en scène permet à Matthieu de faire un parallèle antithétique entre les deux « rois des juifs » : Hérode et Jésus, deux manières de gouverner, antagonistes.


Pourtant Hérode fut un grand roi (d’où son nom d’Hérode le Grand), cruel et cynique à la manière des puissants de tous les temps. Il régna de -36 à -4, soit environ 32 ans. Ce qui lui laissa le temps de bâtir des merveilles architecturales aujourd’hui encore admirées par les pèlerins en Terre sainte : le second Temple de Jérusalem, les murailles de la ville, des forteresses grandioses comme Massada ou Hérodion, le magnifique port artificiel de Césarée, des monuments publics à Tyr, Sidon ou Tripoli, des villes nouvelles comme Sébaste, un palais somptueux à Jéricho etc. Même le Talmud le reconnaît : « Qui n’a pas vu de bâtiment du roi Hérode n’a rien vu de beau de sa vie ».


Jésus lui n’a rien bâti. Il n’avait même pas une pierre où reposer sa tête ! La frénésie de bâtisseur d’Hérode relève de la peur de mourir : les « grands » veulent laisser une trace de leur nom derrière eux. Ils croient naïvement que leurs palais, pyramides, monuments ou statues leur apportent l’immortalité. Vanité des vanités…

« Ils croyaient leur maison éternelle, leur demeure établie pour les siècles ; sur des terres ils avaient mis leur nom.  L’homme comblé ne dure pas : il ressemble au bétail qu’on abat » (Ps 49,12–13).

Si vous voulez bâtir (une entreprise, une famille, une œuvre, un monument, une ville…) pour soi-disant survivre dans le souvenir des générations futures, malheureux êtes-vous !
Si vous voulez écrire un livre pour être célèbre et que votre nom vous survive quelques décennies sur Amazon, malheureux êtes-vous !


Jésus n’a rien écrit. Et ce n’est pas parce que nous parlons de lui aujourd’hui qu’il est vivant : c’est parce qu’il est vivant que nous parlons de lui.

Sa royauté – et la nôtre – n’est pas celle d’Hérode, cherchant à graver son nom dans la pierre pour qu’on ne l’oublie pas.


Jésus est d’autant moins Hérode que celui-ci fut cruel, usant de toutes les perfidies pour accéder au pouvoir et s’y maintenir. Machiavélique avant l’heure. Ainsi il fait exécuter 45 opposants politiques entre -36 et -25, noie le frère de sa femme dans une piscine près de Jéricho, élimine son beau-frère et emprisonne sa belle-mère. Il épouse successivement 10 femmes, mais assassine Mariamme la seule qu’il aimait, ainsi que trois de ses propres fils. D’où l’humour noir de Macrobe : « mieux vaut être un cochon d’Hérode que son fils »…

Macrobe fait un jeu de mots (douteux) entre cochon (υἷεϛ, hus) et fils (υιός, huios) pour souligner l’inhumanité d’Hérode, pour qui la vie d’un de ses enfants a moins de prix que celle  d’un animal impur. La décapitation de Jean-Baptiste et le massacre des innocents de Bethléem viennent s’ajouter à la longue liste des crimes d’Hérode, digne des pires régimes totalitaires.

Le poète et philosophe Fabrice Hadjadj relaie cette interrogation profonde d’Hannah Arendt :

Hérode

Giuseppe Arcimboldo (1527-1593), Tête d’Hérode

« Ô mon Dieu comment, 
Comment se fait-il, 
Comment cela s’est fait que, de ces petits qui ne savent point parler, 
Le massacre soit votre premier témoignage 
Et qu’ainsi le premier témoignage 
Soit aussi la première objection ? »

(Fabrice Hadjadj, Massacre des innocents, Les provinciales, 2006, Paris)

Hannah Arendt rappelle que les systèmes totalitaires se caractérisent par le « refus de la naissance », c’est-à-dire le refus d’une singularité inattendue, réfractaire à tout programme contrôlé par le pouvoir. Hérode le Grand, non-juif auxiliaire de l’Empire, apparaît comme le sbire de ce monde inquiétant : il fait massacrer les enfants de Bethléem parce que le caractère irréductible de la foi juive empêche les croyants de se prosterner devant l’empereur, troublant ainsi l’ordre de la pax romana.

Se sachant haï par le peuple, Hérode avait même prévu de faire exécuter un grand nombre de notables juifs le jour de sa mort, pour être sûr que les foules pleurent lors de ses funérailles… Le Talmud résume son règne avec mépris : « Il a volé le trône comme un renard, a régné comme un tigre et est mort comme un chien ».


Le contraste avec Jésus intronisé roi des juifs sur le gibet de la croix est total. Hérode est l’Antéchrist par excellence, son négatif : si vous voulez savoir comment exercer la royauté baptismale, regardez Hérode, et faites l’inverse !


L’Épiphanie manifeste (c’est le sens étymologique du nom) la royauté de Jésus sur toutes les nations, représentées par les mages.

Le côté brillant de l’étoile de Bethléem est cette réconciliation de tous les peuples célébrée par Paul dans notre 2e lecture (Ep 3,2-6) : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile ».

Le côté sombre de l’Épiphanie se dévoile en la personne d’Hérode, qui nous lance cet avertissement : se prosterner devant le Christ nous attirera toujours les foudres des puissants, eux qui se croient grands et éternels alors qu’ils ne sont que cruels et cyniques. Les nouveau-nés du baptême chrétien courent les mêmes dangers, subissent les mêmes menaces que les innocents de Bethléem.

Fêtons l’Épiphanie en démasquant les Hérode de notre temps, autour de nous (peut-être en nous) et au-delà.



 
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE

« La gloire du Seigneur s’est levée sur toi » (Is 60, 1-6)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin, et tes filles sont portées sur la hanche. Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera. Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi, vers toi viendront les richesses des nations. En grand nombre, des chameaux t’envahiront, de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha. Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ; ils annonceront les exploits du Seigneur.
 
PSAUME
(71 (72), 1-2, 7-8, 10-11, 12-13)
R/ Toutes les nations, Seigneur, se prosterneront devant toi. (cf. 71,11)

Dieu, donne au roi tes pouvoirs,
à ce fils de roi ta justice.
Qu’il gouverne ton peuple avec justice,
qu’il fasse droit aux malheureux !


En ces jours-là, fleurira la justice,
grande paix jusqu’à la fin des lunes !
Qu’il domine de la mer à la mer,
et du Fleuve jusqu’au bout de la terre !


Les rois de Tarsis et des Îles apporteront des présents.
Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande.
Tous les rois se prosterneront devant lui,
tous les pays le serviront.


Il délivrera le pauvre qui appelle
et le malheureux sans recours.
Il aura souci du faible et du pauvre,
du pauvre dont il sauve la vie.

 
DEUXIÈME LECTURE
« Il est maintenant révélé que les nations sont associées au même héritage, au partage de la même promesse » (Ep 3, 2-3a.5-6)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère. Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile.
 
ÉVANGILE
Nous sommes venus d’Orient adorer le roi (Mt 2, 1-12)
Alléluia. Alléluia. Nous avons vu son étoile à l’orient, et nous sommes venus adorer le Seigneur. Alléluia. (cf. Mt 2, 2)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Patrick BRAUD

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27 juin 2021

Je t’envoie vers les nations rebelles

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Je t’envoie vers les nations rebelles

Homélie pour le 14° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
04/07/2021

Cf. également :
Nul n’est prophète en son pays
Quelle est votre écharde dans la chair ?
Le Capharnaüm de la mémoire : droit à l’oubli, devoir d’oubli
La grâce étonne ; c’est détonant !
Un nuage d’inconnaissance
La parresia, ou l’audace de la foi
Secouez la poussière de vos pieds
Avez-vous la nuque raide ?

Peuple d’élite…
 de Gaulle Les Juifs un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur

« Un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur » : la sortie du général De Gaulle en pleine Guerre des six jours (qu’il désapprouvait) est célèbre [1]. Remarque cinglante qui cache mal une certaine admiration au travers de la condamnation apparente. Car enfin, voilà un petit peuple qui aurait dû être rayé de l’Histoire plusieurs fois, et qui à chaque fois est rené de ses cendres, des décennies ou des siècles après l’esclavage en Égypte, l’Exil à Babylone, la Diaspora romaine, la Shoah nazie… Pourtant, la Bible n’est pas tendre avec ce petit peuple décrit comme ayant « la nuque raide », refusant de courber la tête devant YHWH. Ézéchiel particulièrement ne mâche pas ses mots envers Israël. Notre première lecture (Ez 2, 2-5) se fait l’écho de la sévère condamnation portée contre Israël qualifié de « nations rebelles » qui se sont « révoltées » contre YHWH : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers ces nations rebelles qui se sont révoltées contre moi » [2].

 

La relecture faite par Ézéchiel
Le rédacteur du livre n’a pas de mots assez durs envers la génération qui a précédé l’Exil à Babylone (-597) : sa responsabilité dans le désastre de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor est écrasante. C’est parce qu’il s’est rebellé contre YHWH, multipliant les infidélités avec les dieux étrangers, n’obéissant plus à la loi de justice transmise par Moïse, que ce peuple a si facilement été conquis, massacré, déporté. Relecture de l’histoire très courante dans les temps antiques : on cherchait les causes d’une défaite nationale dans les fautes de la nation, et l’on attribuait à Dieu le pouvoir de punir ainsi ceux qui lui avaient désobéi. Aujourd’hui, on n’oserait évidemment pas expliquer la Shoah par le péché des juifs ! Ce serait insupportable religieusement et non pertinent sur le plan historique. Bien d’autres causes ont provoqué ces catastrophes pour le peuple juif. Au VI° siècle avant J. C., c’était la corruption, les ambitions démesurées des monarchies israélites, les injustices, le mépris des pauvres… Tout cela entretenait un délitement intérieur du pays et une cohésion sociale de plus en plus faible.

Toutefois, la relecture religieuse d’Ézéchiel selon laquelle l’Exil est dû à la rébellion des juifs contre YHWH peut nous servir d’avertissement très contemporain : chaque fois qu’un peuple tourne le dos à ce qui le structure (ses valeurs, son sens de la justice, son Dieu), il le paie cash.
Au XX° siècle, l’effondrement des fascismes allemand et italien, du communisme russe, des rêves d’empire japonais etc. peuvent très bien être analysés avec cette grille de lecture. Si la France – voire l’Europe ou l’Occident – deviennent également des « nations rebelles » à ce qu’elles portent de plus sacré en elles, alors leur déclin est proche. Les Ézéchiel du XXI° siècle pourraient prophétiser un exil intérieur, et bientôt la destruction de l’équivalent du Temple de Jérusalem.
Nos défaites sont souvent les conséquences de nos reniements.
Nos exils résultent largement de nos infidélités.
Nos déportations sont rendues possibles par nos lâchetés.
La destruction de nos temples fait suite à nos rebellions insensées.

 

Nations, rebelles, révoltées
Ézéchiel emploie 3 mots assassins pour qualifier la responsabilité des fils d’Israël : nations (2,3), rebelles (2,5), révoltées (2,3).

Je t’envoie vers les nations rebelles dans Communauté spirituelle MINUI_NANTE_1956_01_L204- Traiter les fils d’Israël de « nations » (goïm) est suprêmement insultant pour les juifs. Car Israël s’est toujours considéré comme un peuple à part, distinct des autres nations païennes et idolâtres, au point d’employer deux mots différents. Aujourd’hui encore, les juifs appellent goy un non-juif. Les goïm sont donc normalement des incirconcis, des polythéistes, des adorateurs de faux dieux. Et voilà qu’Ézéchiel traite Israël de goïm ! Ses infidélités font tomber le peuple bien bas, au niveau des autres nations, comme s’ils avaient annulé l’Alliance qui les distinguait des autres. Qui plus est, goïm est un pluriel (les nations) là où YHWH avait commencé à façonner un peuple uni, « son épouse bien-aimée », « la joie de ses yeux » comme il le dira à Ézéchiel pleurant sa femme décédée brutalement (Éz 24,15–27). Se détournant de YHWH, Israël a perdu son unité, il est devenu pluriel, il est réduit au rang de nations. L’éparpillement, la dispersion, la désunion nous guettent dès lors que nous nous détournons de la présence de Dieu au milieu de nous…

 

9782203318236 exil dans Communauté spirituelle- Le 2e terme employé par Ézéchiel pour qualifier la responsabilité d’Israël est l’adjectif « révoltées ». Rien à voir avec la révolte au sens d’Albert Camus, nécessaire et juste réaction contre l’absurdité ou l’oppression. Non : la révolte d’Israël était contre lui-même en fait, une sorte de pulsion de mort dont la folie suicidaire effrayait les prophètes : « ils ont été rebelles, ils se sont révoltés contre toi, ils ont rejeté ta Loi derrière leur dos ; ils ont tué les prophètes qui les adjuraient de revenir à toi ; ils ont été coupables de grands blasphèmes » (Ne 9, 26). Ézéchiel emploie 4 fois ce terme de révoltées pour dénoncer les ruptures d’Alliance dont Israël s’est rendu coupable, répétitions mortelles du Veau d’or…

 

detail-representant-jugement-menees-enfer-facade-occidentale-Notre-Dame-Paris_0 Ezéchiel- Il en rajoute (si l’on peut dire) en qualifiant 15 fois les juifs de « famille de rebelles » comme dans notre première lecture (2,5). Pourquoi rebelles ? Parce qu’ils refusent d’écouter les prophètes leur révélant leurs déviances. Ils sont dans le déni de leur responsabilité dans la chute de Jérusalem, l’Exil, puis la destruction du Temple (-587). Ils vont chercher auprès d’étrangers et de leurs dieux des alternatives pour échapper à leur conversion. Ils refusent le retour vers YHWH qui les rétablirait dans l’Alliance, la paix et la prospérité.

Cette rébellion n’a rien de romantique, rien de social. C’est vraiment la nuque raide, l’obstination dans le mal dont Israël est capable et qui le ravale au rang des autres nations.

On est loin du « peuple dominateur et sûr de lui » décrit par De Gaulle… Ou plutôt on en serait tout proche si l’Israël d’aujourd’hui se comportait à nouveau en « nations révoltées et rebelles » contre son Dieu, ce qui n’est jamais à exclure hélas.

Reste qu’Ézéchiel est envoyé vers ces nations révoltées et rebelles qu’est devenu Israël, et pas vers d’autres.
Devenus prophètes en Christ par le baptême, nous sommes nous aussi envoyés vers les rebelles de ce siècle, vers les nations en voie de désunion, vers les révoltées refusant toute transcendance autre que la leur. Nous ne sommes pas envoyés vers les gentils (au sens bisounours du terme), mais vers les gentils (au sens païen du terme goïm). « Comme des agneaux au milieu des loups », précisera même Jésus gravement (Mt 10,16).

 

Qui sont nos rebelles d’aujourd’hui ?
Couv_203506 Israël

Si l’on suit Ézéchiel, ce sont ceux qui sont responsables de catastrophes comme un exil, une destruction de l’identité nationale (dont le Temple de Jérusalem était la figure), de ruptures d’alliance (infidélités à la loi divine, injustices, corruptions, oppressions). Pas si simple d’être envoyé à ces gens-là…
Je pense aux martyrs de l’Ouganda (au XIX°), ces premiers chrétiens osant affronter leur roi et sa cour aux mœurs douteuses et au pouvoir tyrannique.
Je pense à l’enseignement courageux des papes sur le danger du communisme russe, appelant les nations de l’Est à retrouver leurs racines.
Je pense au Père Joseph Wrezinski révélant les processus d’exclusion maintenant le Quart-Monde à la marge de notre société depuis des générations, et appelant à bâtir à partir de ces familles et avec elles.
Et à tant d’autres…

Autour de nous
Regardez bien autour de vous : il y a sûrement des rebelles, des révoltés, des nations à qui nous devons une parole de vérité et un appel courageux à changer de voie.
Car la bonne nouvelle d’Ézéchiel, c’est bien sûr le retour possible à Jérusalem, même après 50 ans d’exil. La bonne nouvelle que nous devons à ceux vers qui nous somme envoyés est celle de la responsabilité personnelle : ce que leur infidélité a défait peut être restauré par une fidélité retrouvée. Ce que le péché a provoqué de délitement, de dispersion, d’exil peut-être retourné comme un gant s’ils choisissent une autre voie. Le petit reste d’Israël qui a su tirer les conséquences de l’Exil a finalement préparé le retour improbable en Terre promise. Il suffirait donc aujourd’hui d’une poignée de rebelles qui se convertissent pour ouvrir de nombreux chemins d’avenir (économiques, politiques, écologiques…). Rien ne sert de demeurer dans l’entre soi de bons cathos de service : nous sommes envoyés vers les violents, les destructeurs, les loups d’aujourd’hui. Non pour les punir : pour qu’ils reviennent à Dieu, qu’ils changent leur cœur et renoncent au mal.

En nous
Regardons également en nous : il y a un rebelle en chacun ! Notre part d’ombre est justement celle qui résiste à être révélée par l’Écriture. Nous sommes à ce titre envoyés vers nous-mêmes : quelle est ma part de responsabilité dans les exils intérieurs qui me rongent ? les destructions qui me navrent ? les catastrophes qui s’abattent sur moi ? À bien s’examiner, chacun détectera les rebellions, les révoltes, les infidélités et compromissions qui délitent son unité intérieure, sa cohérence de vie. Et si vous n’en trouvez pas, demandez à ceux qui ne vous aiment pas ! Ils vous donneront des pistes…

« Fils d’homme, va je t’envoie vers ces nations rebelles » : en nous et autour de nous, cet envoi nous oblige. C’est notre vocation de prophètes en tant que baptisés, dont l’enjeu est le retour d’exil, de nos exils collectifs et personnels.

 


[1]. « Et certain même redoutait que les juifs, jusqu’alors dispersés, et qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent – une fois qu’ils seraient rassemblés dans les sites de son ancienne grandeur – n’en viennent à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis 19 siècles :  » l’an prochain à Jérusalem « . » (27/11/1967).

[2]
. La traduction liturgique n’est pas fidèle au texte hébreu qui parle de nations (gō·w·yim) au pluriel.

 

 LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« C’est une engeance de rebelles ! Qu’ils sachent qu’il y a un prophète au milieu d’eux ! » (Ez 2, 2-5)

Lecture du livre du prophète Ézékiel

En ces jours-là, l’esprit vint en moi et me fit tenir debout. J’écoutai celui qui me parlait. Il me dit : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers une nation rebelle qui s’est révoltée contre moi. Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi. Les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné ; c’est à eux que je t’envoie. Tu leur diras : ‘Ainsi parle le Seigneur Dieu…’ Alors, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas – c’est une engeance de rebelles ! – ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. »

PSAUME
(Ps 122 (123), 1-2ab, 2cdef, 3-4)
R/ Nos yeux, levés vers le Seigneur, attendent sa pitié. (cf. Ps 122, 2)

Vers toi j’ai les yeux levés,
vers toi qui es au ciel,
comme les yeux de l’esclave
vers la main de son maître.

Comme les yeux de la servante
vers la main de sa maîtresse,
nos yeux, levés vers le Seigneur notre Dieu,
attendent sa pitié.

Pitié pour nous, Seigneur, pitié pour nous :
notre âme est rassasiée de mépris.
C’en est trop, nous sommes rassasiés
du rire des satisfaits, du mépris des orgueilleux !

DEUXIÈME LECTURE
« Je mettrai ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure » (2 Co 12,7-10)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, les révélations que j’ai reçues sont tellement extraordinaires que, pour m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime. Par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.

ÉVANGILE
« Un prophète n’est méprisé que dans son pays » (Mc 6, 1-6)
Alléluia. Alléluia.L’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alléluia. (Lc 4, 18ac)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

 En ce temps-là, Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et ses disciples le suivirent. Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet. Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Et il s’étonna de leur manque de foi. Alors, Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant.
.Patrick Braud

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21 mars 2021

Rameaux : vous reprendrez bien un psaume ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Rameaux : vous reprendrez bien un psaume ?

 Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur / Année B
28/03/2021

Cf. également :

Rameaux : la Passion hallucinée de Jérôme Bosch
Rameaux : le conflit ou l’archipel
Comment devenir dépassionnés
Rameaux : assumer nos conflits
Rameaux, kénose et relèvement
Briser la logique infernale du bouc émissaire
Les multiples interprétations symboliques du dimanche des rameaux
Le tag cloud de la Passion du Christ
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
C’est l’outrage et non pas la douleur
Il a été compté avec les pécheurs
Sortir, partir ailleurs…

Le récit de la Passion que nous venons d’entendre – de vivre – en ce dimanche des Rameaux est le cœur du Nouveau Testament. Les premières traditions orales se sont constituées autour de ces trois jours à Jérusalem ; les premiers écrits de ce qui deviendra les Évangiles également. Une caractéristique de ces lignes saute aux yeux : elles sont truffées de citations de psaumes du début à la fin. Quand on en fait la recension, on obtient le tableau suivant, montrant que 7 psaumes sont cités par les rédacteurs à partir du procès. Et les célèbres 7 paroles du Christ en croix (si magnifiquement mises en musique pas Schütz, Pergolèse, Haydn, Franck ou Gounod) sont des bouts de psaumes mis sur les lèvres de Jésus agonisant.

                                              LES PSAUMES DE LA PASSION

Les psaumes de la Passion

En italique ou souligné, les allusions ou citations mises dans la bouche de Jésus

Que peut nous apprendre aujourd’hui ce recours aux psaumes pour décrire la Passion du Christ ?
À quel usage des psaumes cela peut-il nous appeler pour nos propres passions ?
Pourquoi donc prier les psaumes ?

 

1. Pour trouver les mots lorsqu’on n’en a plus

Rameaux : vous reprendrez bien un psaume ? dans Communauté spirituelle M02204011738-sourceTout au long des sept offices quotidiens, les moines et les moniales chantent les 150 psaumes de la Bible en une semaine, chaque semaine. À force, ils les connaissent par cœur. Ou plutôt par le cœur : leurs mots leur viennent aux lèvres naturellement quand une émotion vient les bouleverser, heureuse ou dramatique. Les millions de prêtres, religieux et religieuses, et même de laïcs pratiquant le bréviaire (« Prière du Temps Présent ») deux ou trois fois par jour font la même expérience : lorsqu’on est submergé par un sentiment très fort, l’esprit va puiser inconsciemment dans les réserves de mots accumulées par temps calme. Alors que l’émotion nous rend muet, la mémoire nous fournit les mots. Lorsque l’angoisse nous étreint au-delà de tout, nous murmurons : « mon cœur est comme de la cire, il fond au milieu de mes entrailles » (Ps 21,15). Lorsque le désir de Dieu nous brûle, nous nous tournons vers lui : « Dieu tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube. Mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » (Ps 62,2). Lorsque nous subissons le mal de la part d’autrui : « écoute, ô mon Dieu, le cri de ma plainte ; face à l’ennemi redoutable, protège ma vie » (Ps 63,2). Lorsque la reconnaissance nous inonde pour les bienfaits reçus, nous répétons le leitmotiv du psaume 117 : « éternel est son amour… »

Relisez le psautier : à chaque strophe, vous pourrez associer un ou plusieurs épisodes de votre vie. Et inversement, à chaque moment de votre vie vous pouvez associer un ou plusieurs psaumes qui mettent en forme avec une justesse incroyable ce que vous ressentez.

Avec le lait de sa mère, Jésus lui aussi a été biberonné à la psalmodie de ces prières attribuées à David. Aussi, quand l’horreur de la Passion le saisit, il reste silencieux, ou va chercher dans les psaumes les mots pour approcher l’indicible.
Ceux qui ont un jour trop souffert, ou trop aimé, savent ce dont il est question…

Voilà donc un premier enjeu pour nous : la familiarité avec les psaumes nous fournit un réservoir de mots plus précieux que la cave du George V !

 

2. Pour endosser l’habit d’un qui a déjà traversé

Les psaumes sont écrits à la première personne. C’est donc que leur auteur est vivant : s’il  raconte une épreuve, c’est qu’il l’a traversée. S’il se plaint de ses ennemis, c’est qu’il en a triomphé. S’il multiplie les formules d’allégresse, c’est qu’il l’a sauvegardée dans sa mémoire. Alors, prier le psaume écrit par un autre (symboliquement : David) permet d’endosser son vêtement pour faire le chemin avec lui, sachant que lui est déjà parvenu au terme. Puisqu’il n’a pas été anéanti par l’angoisse qu’il exprime, je peux sans danger laisser sortir de moi mes doutes les plus terribles, mes dérélictions les plus affreuses. Puisqu’il a su résister à ses ennemis, je peux m’exposer en criant ma peur avec lui. Puisqu’il ne s’est  finalement pas détourné de Dieu, je peux crier avec lui ma révolte devant l’injuste et l’absurde. Puisque le bonheur l’a rapproché de Dieu, je peux avec lui laisser éclater ma joie pour qu’elle s’enracine au plus haut des cieux.

Le psaume me protège : l’armure des mots de son auteur m’autorise à marcher dans ses pas. La vérité de son cri est la fronde de David pour terrasser les géants qui m’effraient. En chantant les phrases d’un qui a déjà traversé sur l’autre rive (du malheur, de l’injustice, de la joie…), je peux déjà me réjouir d’être sur un sentier de vie. Parce qu’ils sont écrits par des sauvés, je peux goûter déjà ce salut rien qu’en empruntant aux psaumes leurs mots…

 

3. Pour convertir la douleur à force de louange

#Withsyria Banksy (Capture d'écran vidéo #Withsyria Banksy)Les psaumes vont souvent de la louange à la louange. Même ceux cités dans les récits de la Passion. Ainsi le psaume 21 commence comme tant d’autres au verset 1 par la suscription : « Du maître de chant. Sur la ‘biche de l’aurore’. Psaume. De David » (Ps 21,1). Par ce rappel du chant et de David, le cadre liturgique et royal est posé, en amont. Et la mention : « sur la biche de l’aurore » est sans doute une allusion à la beauté de la reine Esther qui fit se lever l’aurore dans la nuit de la persécution vécue par son peuple. Cette référence à Pourim (la fête célébrant la délivrance des juifs vivant en Perse de leur persécuteur) éclaire d’une puissante espérance le cri de déréliction qui vient juste après : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (v 2). Le corps du psaume que Jésus a prié dans son corps souffrant sur la croix décrit ensuite longuement le mépris, l’insulte, la dérision, l’abandon que traverse le juste persécuté, l’innocent qu’on élimine. Mais en finale, le psaume revient à la louange : « je te loue en pleine assemblée » (v 23)… et se termine sur une espérance dans laquelle les chrétiens reconnaîtront l’Église : « Et moi, je vis pour lui : ma descendance le servira ; on annoncera le Seigneur aux générations à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son œuvre ! » (Ps 21, 31 32).

On peut faire cette analyse pour quasiment chaque psaume. La douleur et la souffrance sont bien présents, mais comme le pli au milieu de la feuille de papier qu’on parcourt d’un bord à l’autre. On les traverse.

Dans sa Passion, Jésus éprouve une triple douleur : morale d’abord (trahison de Judas, fuite de ses amis, insultes, mépris, procès injuste), spirituel surtout (être abandonné de son Père, devenir un renégat à cause du châtiment de la croix, voir son identité de Fils dispersée avec ses vêtements partagés entre les soldats, mise en pièces par la déchéance religieuse liée à la croix), physique enfin (le fouet, les épines, les clous, l’asphyxie lente et cruelle). De ces trois douleurs, la pire est celle qui touche sa relation à Dieu. Jésus a puisé dans les psaumes de quoi convertir cette douleur extrême à force de louange. Le fiel du psaume 62 l’assimile au juste bafoué sans raison. Les moqueries, les tentations, l’abandon, le partage des vêtements, la soif du psaume 21 lui promettent la louange finale. La confiance du psaume 30,6 est le point d’orgue de son agonie.

Dans les Passions qui sont les nôtres, déchiffrer ce qui nous arrive à la lumière des psaumes nous permettra avec Jésus de donner sens à l’incompréhensible, de convertir – pas de supprimer – notre douleur en pierre d’attente. Et c’est la louange qui opère en nous cette alchimie de la douleur…

 

4. Pour rejoindre la foule des priants

Charente : avec les sœurs confinées de l’abbaye de MaumontLa plupart des psaumes supposent un climat liturgique, au Temple de Jérusalem : on y entend les foules se lamenter ou exulter, les prêtres inviter les pèlerins à gravir les marches du Temple. On y sent fumer l’encens et dégouliner la graisse des sacrifices. On y admire la mémoire d’un peuple capable de relire son histoire collective en y discernant le fil rouge de l’amour de Dieu.

Le juif qui prie ces chants tout seul dans sa chambre, ou à quelques-uns dans une synagogue de campagne, sait bien qu’il n’est pas seul : cette psalmodie l’intègre à tout un peuple, de tous les âges. Il en est de même chez les chrétiens : en priant un psaume seul devant votre smartphone (grâce à l’application géniale et gratuite AELF !), vous savez que vous êtes en communion avec les milliers, les millions de priants de par le monde qui prononcent les mêmes mots à la même heure du jour (même si c’est dans des langues et des fuseaux horaires différents). Lire, réciter, prier, méditer un psaume est un acte à la fois singulier (c’est moi qui souffre, espère, lutte dans le texte) et extraordinairement collectif (c’est l’Église qui prie les psaumes avec le Christ et en lui).

Application gratuite AELFÀ l’office de Laudes, je rejoins l’immense peuple des priants qui font se lever le jour, « biche de l’aurore ». A Vêpres, mon action de grâces pour la journée écoulée s’unit à tous ceux et celles qui en font autant au soir de leur labeur. À Complies, je me confie en paix entre les bras du « Maître souverain », et je suis relié à ce Corps immense qui se repose ainsi en lui.

Elle est bien là, la force des psaumes : nous incorporer à la communion des saints de tous les lieux et tous les âges, tout en nourrissant notre identité la plus singulière, la plus personnelle. Si la souffrance ou le malheur me font croire que je suis seul dans mon épreuve, les psaumes me donneront des compagnons invisibles par milliers. Si la joie ou l’exaltation me montent à la tête en me croyant unique, les psaumes me feront humblement unir ma louange à celle d’Israël et de l’Église, depuis toujours à toujours…

Les psaumes de la Passion du Christ peuvent devenir les nôtres : à nous de pratiquer régulièrement, obstinément, cette respiration spirituelle aussi vitale que notre souffle.

Il suffit pour cela d’une application gratuite…

MESSE DE LA PASSION

PREMIÈRE LECTURE
« Je n’ai pas caché ma face devant les outrages, je sais que je ne serai pas confondu » (Is 50, 4-7)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Le Seigneur mon Dieu m’a donné le langage des disciples, pour que je puisse, d’une parole, soutenir celui qui est épuisé. Chaque matin, il éveille, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute. Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu.

 

PSAUME
(21 (22), 8-9, 17-18a, 19-20, 22c-24a)

R/ Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? (21, 2a)

Tous ceux qui me voient me bafouent,
ils ricanent et hochent la tête :
« Il comptait sur le Seigneur : qu’il le délivre !
Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »

Oui, des chiens me cernent,
une bande de vauriens m’entoure.
Ils me percent les mains et les pieds ;
je peux compter tous mes os.

Ils partagent entre eux mes habits
et tirent au sort mon vêtement.
Mais toi, Seigneur, ne sois pas loin :
ô ma force, viens vite à mon aide !

Tu m’as répondu !
Et je proclame ton nom devant mes frères,
je te loue en pleine assemblée.
Vous qui le craignez, louez le Seigneur.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Il s’est abaissé : c’est pourquoi Dieu l’a exalté » (Ph 2, 6-11)

Lecture de la lettre de Saint Paul apôtre aux Philippiens

Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu.
Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes.
Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix.
C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom,
afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers,
et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.

 

ÉVANGILE
Passion de notre Seigneur Jésus Christ (Mc 14, 1 – 15, 47)
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus !
Pour nous, le Christ est devenu obéissant, jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom.
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (cf. Ph 2, 8-9)

La Passion de notre Seigneur Jésus Christ selon saint Marc

Indications pour la lecture dialoguée : Les sigles désignant les divers interlocuteurs son les suivants :
X = Jésus ; 
= Lecteur ; D = Disciples et amis ; = Foule ; = Autres personnages.

L. La fête de la Pâque et des pains sans levain allait avoir lieu deux jours après. Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse, pour le faire mourir. Car ils se disaient : A. « Pas en pleine fête, pour éviter des troubles dans le peuple. »

 L. Jésus se trouvait à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux. Pendant qu’il était à table, une femme entra, avec un flacon d’albâtre contenant un parfum très pur et de grande valeur. Brisant le flacon, elle lui versa le parfum sur la tête. Or, de leur côté, quelques-uns s’indignaient : A. « À quoi bon gaspiller ce parfum ? On aurait pu, en effet, le vendre pour plus de trois cents pièces d’argent, que l’on aurait données aux pauvres. » L. Et ils la rudoyaient. Mais Jésus leur dit : X « Laissez-la ! Pourquoi la tourmenter ? Il est beau, le geste qu’elle a fait envers moi. Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous, et, quand vous le voulez, vous pouvez leur faire du bien ; mais moi, vous ne m’avez pas pour toujours. Ce qu’elle pouvait faire, elle l’a fait. D’avance elle a parfumé mon corps pour mon ensevelissement. Amen, je vous le dis : partout où l’Évangile sera proclamé – dans le monde entier –, on racontera, en souvenir d’elle, ce qu’elle vient de faire. »

 L. Judas Iscariote, l’un des Douze, alla trouver les grands prêtres pour leur livrer Jésus. À cette nouvelle, ils se réjouirent et promirent de lui donner de l’argent. Et Judas cherchait comment le livrer au moment favorable.

 Le premier jour de la fête des pains sans levain, où l’on immolait l’agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent : D. « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? » L. Il envoie deux de ses disciples en leur disant : X « Allez à la ville ; un homme portant une cruche d’eau viendra à votre rencontre. Suivez-le, et là où il entrera, dites au propriétaire : ‘Le Maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?’ Il vous indiquera, à l’étage, une grande pièce aménagée et prête pour un repas. Faites-y pour nous les préparatifs. » L. Les disciples partirent, allèrent à la ville ; ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit, et ils préparèrent la Pâque.

 Le soir venu, Jésus arrive avec les Douze. Pendant qu’ils étaient à table et mangeaient, Jésus déclara : X « Amen, je vous le dis : l’un de vous, qui mange avec moi, va me livrer. » L. Ils devinrent tout tristes et, l’un après l’autre, ils lui demandaient : D. « Serait-ce moi ? » L. Il leur dit : X « C’est l’un des Douze, celui qui est en train de se servir avec moi dans le plat. Le Fils de l’homme s’en va, comme il est écrit à son sujet ; mais malheureux celui par qui le Fils de l’homme est livré ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là ! » L. Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : X « Prenez, ceci est mon corps. » L. Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : X « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu. »

 L. Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers. Jésus leur dit : X « Vous allez tous être exposés à tomber, car il est écrit : Je frapperai le berger,et les brebis seront dispersées. Mais, une fois ressuscité, je vous précéderai en Galilée. » L. Pierre lui dit alors : D. « Même si tous viennent à tomber, moi, je ne tomberai pas. » L. Jésus lui répond : X « Amen, je te le dis : toi, aujourd’hui, cette nuit même, avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois. » L. Mais lui reprenait de plus belle : D. « Même si je dois mourir avec toi, je ne te renierai pas. » L. Et tous en disaient autant.

 Ils parviennent à un domaine appelé Gethsémani. Jésus dit à ses disciples : X « Asseyez-vous ici, pendant que je vais prier. » L. Puis il emmène avec lui Pierre, Jacques et Jean, et commence à ressentir frayeur et angoisse. Il leur dit : X « Mon âme est triste à mourir. Restez ici et veillez. » L. Allant un peu plus loin, il tombait à terre et priait pour que, s’il était possible, cette heure s’éloigne de lui. Il disait : X « Abba… Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux ! » L. Puis il revient et trouve les disciples endormis. Il dit à Pierre : X « Simon, tu dors ! Tu n’as pas eu la force de veiller seulement une heure ? Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation ; l’esprit est ardent, mais la chair est faible. » L. De nouveau, il s’éloigna et pria, en répétant les mêmes paroles. Et de nouveau, il vint près des disciples qu’il trouva endormis, car leurs yeux étaient alourdis de sommeil. Et eux ne savaient que lui répondre. Une troisième fois, il revient et leur dit : X « Désormais, vous pouvez dormir et vous reposer. C’est fait ; l’heure est venue : voici que le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs. Levez-vous ! Allons ! Voici qu’il est proche, celui qui me livre. »

 L. Jésus parlait encore quand Judas, l’un des Douze, arriva et avec lui une foule armée d’épées et de bâtons, envoyée par les grands prêtres, les scribes et les anciens. Or, celui qui le livrait leur avait donné un signe convenu : D. « Celui que j’embrasserai, c’est lui : arrêtez-le, et emmenez-le sous bonne garde. » L. À peine arrivé, Judas, s’approchant de Jésus, lui dit : D. « Rabbi ! » L. Et il l’embrassa. Les autres mirent la main sur lui et l’arrêtèrent. Or un de ceux qui étaient là tira son épée, frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille. Alors Jésus leur déclara : X « Suis-je donc un bandit, pour que vous soyez venus vous saisir de moi, avec des épées et des bâtons ? Chaque jour, j’étais auprès de vous dans le Temple en train d’enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté. Mais c’est pour que les Écritures s’accomplissent. » L. Les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent tous. Or, un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour tout vêtement qu’un drap. On essaya de l’arrêter. Mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu.

 Ils emmenèrent Jésus chez le grand prêtre. Ils se rassemblèrent tous, les grands prêtres, les anciens et les scribes. Pierre avait suivi Jésus à distance, jusqu’à l’intérieur du palais du grand prêtre, et là, assis avec les gardes, il se chauffait près du feu. Les grands prêtres et tout le Conseil suprême cherchaient un témoignage contre Jésus pour le faire mettre à mort, et ils n’en trouvaient pas. De fait, beaucoup portaient de faux témoignages contre Jésus, et ces témoignages ne concordaient pas. Quelques-uns se levèrent pour porter contre lui ce faux témoignage : A. « Nous l’avons entendu dire : ‘Je détruirai ce sanctuaire fait de main d’homme, et en trois jours j’en rebâtirai un autre qui ne sera pas fait de main d’homme.’ » L. Et même sur ce point, leurs témoignages n’étaient pas concordants. Alors s’étant levé, le grand prêtre, devant tous, interrogea Jésus : A. « Tu ne réponds rien ? Que dis-tu des témoignages qu’ils portent contre toi ? » L. Mais lui gardait le silence et ne répondait rien. Le grand prêtre l’interrogea de nouveau : A. « Es-tu le Christ, le Fils du Dieu béni ? » L. Jésus lui dit : X « Je le suis. Et vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite du Tout-Puissant, et venir parmi les nuées du ciel. » L. Alors, le grand prêtre déchire ses vêtements et dit : A. « Pourquoi nous faut-il encore des témoins ? Vous avez entendu le blasphème. Qu’en pensez-vous ? » L. Tous prononcèrent qu’il méritait la mort. Quelques-uns se mirent à cracher sur lui, couvrirent son visage d’un voile, et le giflèrent, en disant : F. « Fais le prophète ! » L. Et les gardes lui donnèrent des coups.

 Comme Pierre était en bas, dans la cour, arrive une des jeunes servantes du grand prêtre. Elle voit Pierre qui se chauffe, le dévisage et lui dit : A. « Toi aussi, tu étais avec Jésus de Nazareth ! » L. Pierre le nia : D. « Je ne sais pas, je ne comprends pas de quoi tu parles. » L. Puis il sortit dans le vestibule, au dehors. Alors un coq chanta. La servante, ayant vu Pierre, se mit de nouveau à dire à ceux qui se trouvaient là : A. « Celui-ci est l’un d’entre eux ! » L. De nouveau, Pierre le niait. Peu après, ceux qui se trouvaient là lui disaient à leur tour : F. « Sûrement tu es l’un d’entre eux ! D’ailleurs, tu es Galiléen. » L. Alors il se mit à protester violemment et à jurer : D. « Je ne connais pas cet homme dont vous parlez. » L. Et aussitôt, pour la seconde fois, un coq chanta. Alors Pierre se rappela cette parole que Jésus lui avait dite : « Avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois. » Et il fondit en larmes.

L. Dès le matin, les grands prêtres convoquèrent les anciens et les scribes, et tout le Conseil suprême. Puis, après avoir ligoté Jésus, ils l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate. Celui-ci l’interrogea : A. « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus répondit : X « C’est toi-même qui le dis. » L. Les grands prêtres multipliaient contre lui les accusations. Pilate lui demanda à nouveau : A. « Tu ne réponds rien ? Vois toutes les accusations qu’ils portent contre toi. » L. Mais Jésus ne répondit plus rien, si bien que Pilate fut étonné. À chaque fête, il leur relâchait un prisonnier, celui qu’ils demandaient. Or, il y avait en prison un dénommé Barabbas, arrêté avec des émeutiers pour un meurtre qu’ils avaient commis lors de l’émeute. La foule monta donc chez Pilate, et se mit à demander ce qu’il leur accordait d’habitude. Pilate leur répondit : A. « Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? » L. Il se rendait bien compte que c’était par jalousie que les grands prêtres l’avaient livré. Ces derniers soulevèrent la foule pour qu’il leur relâche plutôt Barabbas. Et comme Pilate reprenait : A. « Que voulez-vous donc que je fasse de celui que vous appelez le roi des Juifs ? », L. de nouveau ils crièrent : F. « Crucifie-le ! » L. Pilate leur disait : A. « Qu’a-t-il donc fait de mal ? » L. Mais ils crièrent encore plus fort : F. « Crucifie-le ! » L. Pilate, voulant contenter la foule, relâcha Barabbas et, après avoir fait flageller Jésus, il le livra pour qu’il soit crucifié.

 Les soldats l’emmenèrent à l’intérieur du palais, c’est-à-dire dans le Prétoire. Alors ils rassemblent toute la garde, ils le revêtent de pourpre, et lui posent sur la tête une couronne d’épines qu’ils ont tressée. Puis ils se mirent à lui faire des salutations, en disant : F. « Salut, roi des Juifs ! » L. Ils lui frappaient la tête avec un roseau, crachaient sur lui, et s’agenouillaient pour lui rendre hommage. Quand ils se furent bien moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau de pourpre, et lui remirent ses vêtements.

Puis, de là, ils l’emmènent pour le crucifier, et ils réquisitionnent, pour porter sa croix, un passant, Simon de Cyrène, le père d’Alexandre et de Rufus, qui revenait des champs. Et ils amènent Jésus au lieu dit Golgotha, ce qui se traduit : Lieu-du-Crâne (ou Calvaire). Ils lui donnaient du vin aromatisé de myrrhe ; mais il n’en prit pas. Alors ils le crucifient, puis se partagent ses vêtements, en tirant au sort pour savoir la part de chacun. C’était la troisième heure (c’est-à-dire : neuf heures du matin) lorsqu’on le crucifia. L’inscription indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots : « Le roi des Juifs ». Avec lui ils crucifient deux bandits, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. Les passants l’injuriaient en hochant la tête ; ils disaient : F. « Hé ! toi qui détruis le Sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, descends de la croix ! » L. De même, les grands prêtres se moquaient de lui avec les scribes, en disant entre eux : A. « Il en a sauvé d’autres, et il ne peut pas se sauver lui-même ! Qu’il descende maintenant de la croix, le Christ, le roi d’Israël ; alors nous verrons et nous croirons. » L. Même ceux qui étaient crucifiés avec lui l’insultaient.

 Quand arriva la sixième heure (c’est-à-dire : midi), l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure. Et à la neuvième heure, Jésus cria d’une voix forte : X « Éloï, Éloï, lema sabactani ? », L. ce qui se traduit : X « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » L. L’ayant entendu, quelques-uns de ceux qui étaient là disaient : F. « Voilà qu’il appelle le prophète Élie ! » L. L’un d’eux courut tremper une éponge dans une boisson vinaigrée, il la mit au bout d’un roseau, et il lui donnait à boire, en disant : A. « Attendez ! Nous verrons bien si Élie vient le descendre de là ! » L. Mais Jésus, poussant un grand cri, expira.

 (Ici on fléchit le genou et on s’arrête un instant)

 Le rideau du Sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas. Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, déclara : A. « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! »
 L. Il y avait aussi des femmes, qui observaient de loin, et parmi elles, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques le Petit et de José, et Salomé, qui suivaient Jésus et le servaient quand il était en Galilée, et encore beaucoup d’autres, qui étaient montées avec lui à Jérusalem. Déjà il se faisait tard ; or, comme c’était le jour de la Préparation, qui précède le sabbat, Joseph d’Arimathie intervint. C’était un homme influent, membre du Conseil, et il attendait lui aussi le règne de Dieu. Il eut l’audace d’aller chez Pilate pour demander le corps de Jésus. Pilate s’étonna qu’il soit déjà mort ; il fit appeler le centurion, et l’interrogea pour savoir si Jésus était mort depuis longtemps. Sur le rapport du centurion, il permit à Joseph de prendre le corps. Alors Joseph acheta un linceul, il descendit Jésus de la croix, l’enveloppa dans le linceul et le déposa dans un tombeau qui était creusé dans le roc. Puis il roula une pierre contre l’entrée du tombeau.
Or, Marie Madeleine et Marie, mère de José, observaient l’endroit où on l’avait mis.
Patrick BRAUD

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9 janvier 2017

Lumière des nations

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Lumière des nations

Homélie pour le 2° dimanche du temps ordinaire / Année A
15/01/2017

Cf. également :

Révéler le mystère de l’autre
Pour une vie inspirée
De Star Wars au baptême du Christ
Baptême du Christ : le plongeur de Dieu
« Laisse faire » : éloge du non-agir
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »
Res et sacramentum
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Lot de consolation

La deuxième lecture de ce dimanche affirme qu’Israël a un rôle universel à jouer : être la « lumière des nations », qui les guide dans l’obscurité :

« Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur (…) je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » (Is 49, 3.6)

Cette vocation d’Israël est toujours d’actualité, même aux yeux des chrétiens, car ils considèrent que « les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance » comme l’écrit saint Paul (Rm 11,29), c’est-à-dire que Dieu ne retire pas à Israël son rôle universel.

 

Israël, lumière des nations

En quoi ce petit peuple réinstallé sur la terre de Palestine après 1900 ans d’exil peut-il continuer à jouer ce rôle de lumière pour les nations ? Pas par ses options politiques ou militaires, parfois très contestables. Mais indubitablement par son existence même. Là où les autres peuples veulent témoigner de leur grandeur, et laisser des monuments à la gloire de leur civilisation, le peuple juif témoigne – par sa seule existence – de la grandeur d’un Dieu unique, et ne veut pas d’autres monuments que la prière et le culte qu’il lui rend depuis 4000 ans. Peuple élu, c’est-à-dire choisi pour témoigner de l’existence et de l’unicité d’un Dieu créateur et sauveur, Israël, par sa fidélité à son histoire, est un vivant rappel de la révélation du monothéisme.

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Or ce témoignage est toujours indispensable, au moment où les polythéismes  reviennent en force en ce XXI° siècle. Les dieux postmodernes n’ont pas forcément de statues ni de temples. Mais ils ont des écrans qui fascinent et asservissent, les écrans du CAC 40, de la console de jeux ou des nouvelles machines à sous… Ils ont des cultes nouveaux, depuis les rituels de la consommation de masse jusqu’aux habitudes des réseaux sociaux où les clics, les like et les pages Facebook sont autant d’actes d’allégeance à l’omniprésence de l’e-réputation. Sans oublier la montée en puissance des vieilles pensées magiques, du chamanisme aux soi-disant pratiques orientales, qui séduisent tant d’occidentaux sous couvert de développement personnel.

Comme autrefois face au colosse aux pieds d’argile du roi de Perse, ou face aux prétentions divines des empereurs romains, le peuple juif conteste l’existence et le pouvoir de ces idoles rien qu’en continuant à chanter les psaumes, en fêtant Hanoucca ou Pourim, en étudiant la Bible dans les yeshivot etc.

Afficher l'image d'origineLa lumière qu’Israël continue d’apporter aux nations est celle de la révélation d’un Dieu personnel, unique, vivant, intervenant dans l’histoire : le Dieu d’Abraham, Isaac et de Jacob.

Israël a apporté au monde la Torah et ses exigences éthiques, la contestation prophétique de toute idolâtrie, la notion d’alliance que chaque autre peuple est invité à conclure avec YHWH, la pensée de l’altérité fondée sur la révélation du Tétragramme à Moïse, le combat pour le droit et la justice en faveur de la veuve, l’orphelin et l’immigré, indissolublement lié à la foi-confiance en Dieu Sauveur…

Et, de manière inattendue pour lui, Israël a multiplié cette lumière en engendrant le christianisme, puis l’islam, qui ne renient rien du meilleur de cet héritage monothéiste.

 

L’Église, Lumen Gentium

Afficher l'image d'origineL’Église (catholique) se sait héritière d’Israël, à un point tel que le concile Vatican II a repris l’expression d’Isaïe : « lumière des nations » (Lumen gentium en latin) pour commencer son document le plus important, celui qui traite de la nature de l’Église :

Le Christ est la lumière des peuples ; réuni dans l’Esprit-Saint, le saint Concile souhaite donc ardemment, en annonçant à toutes créatures la bonne nouvelle de l’Évangile, répandre sur tous les hommes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église (cf. Mc 16, 15).
Lumen Gentium n° 1

La différence avec Isaïe est que l’Église reconnaît en Jésus seul le serviteur annoncé par le prophète. Lui seul est lumière de nations. Ce serait trop dire de l’Église qu’elle est la source de la lumière guidant l’humanité. Mais elle participe  au rayonnement de cette unique lumière christique en la diffractant en quelque sorte dans toutes les cultures, pour tous les peuples, à toutes les époques.

Les Pères de l’Église prenaient volontiers l’image de la lune et du soleil : la lune (l’Église) ne peut éclairer par elle-même, mais parce qu’elle reflète la lumière du soleil (le Christ) pendant la nuit. Le Christ n’étant plus visiblement présent devant nos yeux de puis l’Ascension, nous sommes dans la nuit qui nous prépare à sa venue. Et l’Église peut refléter pour tous les chercheurs de Dieu la lumière du Christ les aidant à cheminer dans cette nuit. Par la rumination en Église de la Parole de Dieu (Ancien Testament et Nouveau Testament, joliment appelés par l’exégète Paul Beauchamp la première et la deuxième Alliance) ; par les sacrements ; par la diaconie active en faveur des pauvres ; par le témoignage jusqu’au martyre… Il y a assez d’éclats de lumière dans l’Église (les Églises !) pour que personne ne se perde et que chacun puisse poursuivre son pèlerinage de foi.

Le Christ seul est la lumière des nations. Le vieillard Siméon le saluait ainsi : « lumière pour éclairer les nations païennes, et gloire d’Israël ton peuple » (Lc 2,32).


Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme; il venait dans le monde. Un soleil venu dans le monde pour dissiper les ténèbres du mal et l’inonder par la splendeur de l’amour divin. « Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie » (Jn 8, 12).

Nous pouvons en refléter quelques éclats pour les hommes de bonne volonté. « Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux » (Mt 5,16).

C’est notre vocation de baptisés, que le concile Vatican II a synthétisé dans cette autre définition fondamentale de l’Église : « sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen Gentium n° 1)…

À nous d’être fidèles à cette vocation ecclésiale !


1ère lecture : « Je ferai de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49, 3.5-6)
Lecture du livre du prophète Isaïe

Le Seigneur m’a dit : « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur. » Maintenant le Seigneur parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force. Et il dit : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »

Psaume : Ps 39 (40), 2abc.4ab, 7-8a, 8b-9, 10cd.11cd

R/ Me voici, Seigneur, je viens faire ta volonté.  (cf. Ps 39, 8a.9a)

D’un grand espoir j’espérais le Seigneur :
il s’est penché vers moi
Dans ma bouche il a mis un chant nouveau,
une louange à notre Dieu.

Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice,
tu as ouvert mes oreilles ;
tu ne demandais ni holocauste ni victime,
alors j’ai dit : « Voici, je viens. »

Dans le livre, est écrit pour moi
ce que tu veux que je fasse.
Mon Dieu, voilà ce que j’aime :
ta loi me tient aux entrailles.

Vois, je ne retiens pas mes lèvres,
Seigneur, tu le sais.
J’ai dit ton amour et ta vérité
à la grande assemblée.

2ème lecture : « À vous, la grâce et la paix, de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ » (1 Co 1, 1-3)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Paul, appelé par la volonté de Dieu pour être apôtre du Christ Jésus, et Sosthène notre frère, à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus et sont appelés à être saints avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre.
 À vous, la grâce et la paix, de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ.

Evangile : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29-34)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
« Le Verbe s’est fait chair, il a établi parmi nous sa demeure.
À tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. »
Alléluia. (cf. Jn 1, 14a.12a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

 En ce temps-là, voyant Jésus venir vers lui, Jean le Baptiste déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ; c’est de lui que j’ai dit : L’homme qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. Et moi, je ne le connaissais pas ; mais, si je suis venu baptiser dans l’eau, c’est pour qu’il soit manifesté à Israël. » Alors Jean rendit ce témoignage : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : ‘Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint.’ Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »
Patrick BRAUD

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