L'homélie du dimanche (prochain)

30 septembre 2015

L’homme, la femme, et Dieu au milieu

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L’homme, la femme, et Dieu au milieu

Homélie du 27° dimanche du temps ordinaire / Année B
04/10/2015

Deux récits pour un couple
L’identité masculine/féminine est radicalement interrogée en Occident par le développement du féminisme, du care, de la théorie des genres etc.

le baiser gustave klimt

Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’une femme ?

Les premiers chapitres de la Genèse répondent à leur manière à cette interrogation.
On sait qu’il y a deux récits très différents pour cela : Gn 1, attribué à la tradition sacerdotale, insiste sur le rôle du shabbat, le septième jour. L’humanité (Adam) y est créée mâle et femelle le sixième jour.

Le deuxième récit (Gn 2,5–4,26), attribué à la tradition yahviste, parle du jardin d’Éden et du fameux sommeil de l’humanité qui permet à Dieu d’extraire de son côté la femme, et devenir ainsi un couple homme-femme. C’est notre première lecture de ce dimanche.
Ces deux récits sont très différents. Chacun dit sur l’humanité quelque chose de si essentiel que la Bible a refusé de choisir entre ces deux versions et nous les a transmises juxtaposées.

Que retenir de ce deuxième récit pour nous aujourd’hui ?

Sans reprendre les innombrables commentaires juifs et chrétiens de ce passage (des centaines de milliers de pages n’y suffiraient pas !), rappelons deux ou trois idées fortes sur l’identité homme / femme qui peuvent nous intéresser :
l’union de l’homme de la femme réalise la présence de Dieu au milieu de nous.
– c’est dans et par la parole que surgit l’identité sexuée.

 

1) L’union de l’homme de la femme réalise la présence de Dieu au milieu de nous
Les exégèses rabbiniques ont mis en évidence la symbolique de l’alphabet hébreu dans les noms ich (homme) / icha (femme) :

Rabbin Adin Steinsaltz. — L’homme, la femme et, au milieu, Dieu.
« C’est l’un des plus beaux enseignements du judaïsme. Les rabbins ont longuement commenté les différences d’écriture du mot « homme » et du mot « femme », ich et ichah. C’est Adam qui le premier prononça ces noms en nommant la femme au moment de la naissance d’Ève en disant : « Tu es os de mes os, chair de ma chair. Elle, on l’appellera ichah, car elle a été tirée de ich » (Genèse, 2, 23).

Ces deux noms, ichah (aleph, chine, he) et ich (aleph, yod, chine), ont tous deux trois lettres. Deux lettres leur sont communes ; l’aleph et le chine. Ce qui les différencie, C’est la troisième lettre, pour l’homme un yod et pour la femme un he’. Lorsque l’on réunit ces deux lettres, Yah, elles forment le nom de Dieu. Yah, que l’on retrouve dans le célèbre alélouyah, qui veut dire : « louer Dieu ».

yodla-lettre-heYhwh

Plusieurs explications ont été données pour comprendre cette différence.

L’une consiste à faire une interprétation symbolique anatomique. La lettre spécifique à l’homme, le yod, a la forme d’un pénis, alors que celle de la femme, le , est ouverte, comme l’est le sexe féminin. 

Mais l’explication la plus répandue et la plus récente est celle que propose le Talmud et elle confère une tout autre dimension à la masculinité et à la féminité. Quand l’homme et la femme sont véritablement unis, dit le Talmud, chacun apporte dans le couple sa part de divinité. Dieu est présent dans le foyer. Mais si, par malheur, le couple se déchire, la présence divine s’estompe et il ne reste plus que deux lettres : aleph et chine. Et ces deux lettres forment le mot èch, « feu » ! Mais point de pessimisme, contrairement à ce que dit la chanson, la vie ne sépare pas toujours ceux qui s’aiment. C’est justement la grande leçon de la lettre samekh, dont le cercle exprime les infinies possibilités de l’amour symbolisées par la bague nuptiale. Car l’amour, somme toute, ce n’est pas inéluctablement la quadrature du cercle. » [1]

L’étymologie montre donc que la Bible veut affirmer à la fois la commune origine de l’homme et de la femme (la racine ich) et leur vocation à incarner la présence de Dieu (Yah) en s’accouplant (au sens le plus complet du terme = en formant un couple indissociable).
En effet, on peut écrire :

Homme (ich) +  Femme (icha) = Dieu (Yah) + Feu (Esh)

Voilà une équation… du feu de Dieu !
Surtout si l’on se souvient que le premier mot du premier livre de la Bible (Genèse) est le mot hébreu Bereshit qui signifie commencement,  et qui est formé des mots alliance et feu : il s’agit donc de faire alliance par et dans le feu.

Commencement feu

Alliance

Ici c’est le feu amoureux du manque éprouvé : c’est la matière même de l’alliance entre l’homme et la femme. En effet il manque à jamais (symboliquement) une côte à l’homme dans Dieu a refermé les chairs sur ce vide non comblé. Voilà pourquoi ne faire qu’un avec « l’os de mes os et la chair de ma chair » est le désir profond de l’humanité : l’union (spirituelle, physique, morale, intellectuelle, amicale…) de l’homme et la femme réalise au plus haut point l’unité qui est l’être même de Dieu. Pour les chrétiens, cette unité est trinitaire, ce qui donne au couple une vocation également trinitaire : ne plus faire qu’un dans le respect et la communion de deux personnes différentes, tel le Père et le Fils unique dans ‘le baiser commun qu’est l’Esprit’ disaient les Pères de l’Église.

 

2) C’est dans et par la parole que surgit l’identité sexuée
Le commentaire le plus éclairant en ce sens, s’appuyant toujours sur la tradition juive, est celui de Marie Balmary, psychanalyste [2] :

[Dans notre groupe de lecture] « nous avons vu dans le texte hébreu que les mots “homme” et “femme” apparaissent, non pas lorsque les humains sont créés – ils ne sont appelés encore que “mâle” et “femelle”, mais seulement lorsqu’ils se rencontrent l’un l’autre.

Selon le récit de la Bible hébraïque lu mot à mot, Dieu ne crée que l’humain “adam” mâle et femelle, et l’humain ne deviendra “homme et femme” que par la relation entre eux, la rencontre de paroles au deuxième chapitre de la Genèse.

Lue dans cette perspective, la Genèse, échappe à la controverse avec Darwin. Car, à ce moment-là, elle n’est pas tant le récit historique dépassé de la création du monde que le récit symbolique de l’apparition de la parole dans la rencontre homme/femme. Et ce récit, qui est forcément mythique, de l’origine de la parole, nous paraît à nous, praticiens de la parole, toujours, symboliquement, pertinent. (…)

Homme et femme adviennent donc ensemble et l’un par l’autre. Ils ne sont pas créés par ce Dieu qui agit plutôt ici comme un marieur. C’est-à-dire : il les présente l’un à l’autre, et le nom d’homme et de femme, les humains se les donneront mutuellement, un peu comme par le mariage où on se fait devenir monsieur et madame. »  [3]

Dieu certes crée Adam = le glébeux (traduction de Chouraqui). Mais cette créature est encore androgyne, puisque ni le masculin ni le féminin n’existent encore. Ce n’est qu’avec la parole de l’homme qui éprouve le manque de l’autre que les noms ich / icha apparaissent. Autrement dit, Dieu n’a pas créé l’homme : il a créé l’humanité. Et c’est par la parole que cette humanité accède à la nomination de son identité sexuée. Ce n’est pas Dieu qui nomme le couple ich / icha, c’est l’homme lui-même, ravi et émerveillé de découvrir à la fois la commune origine et le manque radical.

Il y a encore bien d’autres commentaires et conséquences de ces récits de la Genèse !
Mais ces deux-là suffisent à interroger nos pensées contemporaines.
La fondamentale égalité liée à l’origine commune (ich) de l’homme de la femme devrait inquiéter bien des machistes, bien des lectures musulmanes du Coran, bien des dérives fondamentalistes chrétiens ou juives. 
L’hébreu utilise en effet la même racine pour désigner l’homme et la femme. En grec (anthropé et gyné) et en araméen (gavra et itata) comme dans la plupart des langues, il existe des termes différents pour désigner l’homme et la femme. L’hébreu au contraire utilise la même racine, ce qui souligne leur origine commune.

Le donné de ‘nature’, l’appartenance à la création divine de l’identité homme / femme pourrait remettre en cause le côté constructiviste et purement social de la théorie des genres. En effet, la parole révèle et nomme la différence homme / femme : elle ne la crée pas. La torpeur, ce sommeil mystérieux où Adam (l’humanité) a été plongé pour que Dieu crée le couple, est l’indication d’une non-possession essentielle. Ni l’homme ni la femme ne savent comment leur différenciation s’est produite, et ils n’en sont pas maîtres : ils l’accueillent, lui donnent un nom, la découvrent, s’en réjouissent, l’expérimentent comme un chemin d’union à Dieu. Mais leur ignorance est une ‘docte ignorance’ qui les empêche de dominer l’autre ou de le fabriquer à sa guise. C’est l’autre en tant qu’autre (c’est-à-dire qui échappe à ma possession) qui permet au couple  de symboliser la présence divine.
Rappelons qu’en hébreu « contracter une alliance » se dit littéralement « trancher une alliance » (likhrot bérit, voir par exemple Gn 15,18 ou 21,27). Paradoxalement, c’est un terme qui renvoie à la notion de séparation  qui est utilisé pour signifier l’union. Car l’alliance ne doit pas gommer les singularités mais lier deux individus qui conservent, au-delà du pacte, leurs spécificités. L’alliance par le feu (Commencement bereshit = Alliance brit + Feu esh) amoureux promeut la différence (ce que l’amour trinitaire incarne au plus haut point).

La construction de l’identité sexuée se joue bien dans les échanges de paroles, dans les rapports sociaux, et là Judith Butler et la théorie des genres ont raison. Pourtant elle ne se crée pas dans la parole, elle se révèle, elle s’accueille comme un don fait par Dieu à l’humanité pour sortir de la solitude et vivre la communion.
La communion amoureuse anticipe et réalise pleinement la communion trinitaire elle-même.

Prenons donc le temps de méditer sur ces deux aspects de la vocation du couple aujourd’hui comme hier :
- le but et le chemin du couple est d’incarner la présence de Dieu au milieu de nous.
- c’est dans et par la parole que chacun – homme et femme – devient réellement lui-même.

 


[1]. Josy Eisenberg / Adin Steinsaltz, L’alphabet sacré, Arthème Fayard, 2012.

[2]. Cf. Marie Balmary, La divine origine. Dieu n’a pas créé l’homme, Grasset, 1993.

[3]. Extrait d’une conférence de Marie Balmary à l’Académie d’Éducation et d’études Sociales (AES) le 10/01/2007 :
http://aes-france.org/?Homme-et-femme-au-commencement#bandeau

 

 

 

1ère lecture : « Tous deux ne feront plus qu’un » (Gn 2, 18-24)
Lecture du livre de la Genèse

Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. » Avec de la terre, le Seigneur Dieu modela toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l’homme pour voir quels noms il leur donnerait. C’étaient des êtres vivants, et l’homme donna un nom à chacun. L’homme donna donc leurs noms à tous les animaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs. Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde. Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place. Avec la côte qu’il avait prise à l’homme, il façonna une femme et il l’amena vers l’homme. L’homme dit alors : « Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme – Ishsha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish. » À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un.

Psaume : Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-6

R/ Que le Seigneur nous bénisse tous les jours de notre vie ! (cf. Ps 127, 5ac)

Heureux qui craint le Seigneur
et marche selon ses voies !
Tu te nourriras du travail de tes mains :
Heureux es-tu ! À toi, le bonheur !

Ta femme sera dans ta maison
comme une vigne généreuse,
et tes fils, autour de la table,
comme des plant s d’olivier.

Voilà comment sera béni
l’homme qui craint le Seigneur.
De Sion, que le Seigneur te bénisse !
Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie,
et tu verras les fils de tes fils. Paix sur Israël.

2ème lecture : « Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine » (He 2, 9-11)
Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, Jésus, qui a été abaissé un peu au-dessous des anges, nous le voyons couronné de gloire et d’honneur à cause de sa Passion et de sa mort. Si donc il a fait l’expérience de la mort, c’est, par grâce de Dieu, au profit de tous. Celui pour qui et par qui tout existe voulait conduire une multitude de fils jusqu’à la gloire ; c’est pourquoi il convenait qu’il mène à sa perfection, par des souffrances, celui qui est à l’origine de leur salut. Car celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine ; pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères.

Evangile : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mc 10, 2-16)

Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous ;
en nous, son amour atteint la perfection.
Alléluia. (1 Jn 4, 12)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, des pharisiens abordèrent Jésus et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Jésus leur répondit : « Que vous a prescrit Moïse ? » Ils lui dirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation. » Jésus répliqua : « C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle. Mais, au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » De retour à la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question. Il leur déclara : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle. Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère. »

Des gens présentaient à Jésus des enfants pour qu’il pose la main sur eux ; mais les disciples les écartèrent vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.
Patrick BRAUD

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