L'homélie du dimanche (prochain)

25 septembre 2022

Savoir se rendre inutile

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Savoir se rendre inutile

 

Homélie pour le 27° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
02/10/2022

 

Cf. également :

Foi de moutarde !

Les deux serviteurs inutiles

L’ « effet papillon » de la foi

L’injustifiable silence de Dieu

Jesus as a servant leader

Manager en servant-leader

Servir les prodigues 

Restez en tenue de service

Agents de service

18/20, c’est normal ?
Savoir se rendre inutile dans Communauté spirituelle 41886342._SY475_
Au lycée, quand je ramenais tout fier à la maison mon carnet de notes avec 18/20 de moyenne, je m’attendais les premières années à des torrents de félicitations et de louange pour tout ce travail scolaire que j’avais décidément bien fait. Ma fierté enthousiaste était vite douchée ! Mon père parcourait les notes avec attention et sérieux, et le signait en disant : « c’est bien, ne te relâche pas ». Ma mère lisait les comme
ntaires élogieux des professeurs, et rajoutait le sien : « c’est normal ; tu n’as aucun mérite, c’est ton niveau ». Et mon père renchérissait : « tu verras plus tard que tu es loin d’être le meilleur ; tu n’as pas à te vanter d’obtenir les notes que tu dois obtenir parce que tu as les facilités pour cela ». Effectivement, les classes préparatoires ensuite m’ont ramené au réalisme du bon élève de province qui se retrouve parmi les cracks de tout le pays ! Impossible de fanfaronner lorsqu’on est au coude à coude avec les autres, les meilleurs.

3b7a00e90b66ea9f4823305cb1410008 David dans Communauté spirituelleSi vous n’avez pas eu un bon carnet de notes au Lycée, consolez-vous : il y a sûrement un autre domaine d’excellence où il est normal que vous produisiez de l’excellent. Chacun de nous est très bon dans un domaine ou un autre (manuel, intellectuel, artistique, relationnel etc.). Le psychologue Howard Gardner a même distingué neuf formes d’intelligence chez l’enfant (théorie des intelligences multiples) [1], ce qui implique qu’il peut toujours trouver un champ d’application où il sera au top : atteindre un haut niveau dans ce domaine n’a alors rien d’exceptionnel, c’est normal.

La parabole de Jésus ce dimanche sur le serviteur inutile (Lc 17,5-10) me renvoie à ces souvenirs scolaires : celui qui donne ce qu’il peut n’a aucune gloire en tirer. Serait-il orgueilleux que très vite d’autres – beaucoup plus forts – lui rabattraient son caquet !

« Nous sommes de simples (χρεος achreiosserviteurs ».

Comment traduire l’adjectif grec χρεος de la parabole ? Inutile est passé dans le langage courant pour désigner le serviteur qui reste modeste, ‘qui ne se la pète pas’ comme dit joliment le langage populaire. La liturgie traduit : « simple serviteur ». D’autres disent : serviteur quelconque, ordinaire, sans mérite particulier. L’adjectif ἀχρεῖος est difficile à traduire car il ne se trouve que 3 fois dans la Bible grecque : pour qualifier David dansant devant l’Arche, pour éliminer le serviteur stérile de la parabole des talents, et ici dans notre parabole des serviteurs qui ne font que leur devoir.


David, le roi indécent

La seule apparition du terme ἀχρεῖος dans l’Ancien Testament (LXX) est en 2S 6,21-22 : « David dit à Mikal : ‘Oui, je danserai devant le Seigneur. Je me déshonorerai encore plus que cela, et je serai abaissé (ἀχρεῖοςà mes propres yeux, mais auprès des servantes dont tu parles, auprès d’elles je serai honoré’ ».

L’épisode est célèbre : David entre à Jérusalem pour fêter la victoire sur les Philistins et il est persuadé que c’est le soutien de YHWH symbolisé par l’Arche d’Alliance qui lui a permis de triompher. Alors, sans aucune pudeur ni retenue, lui le jeune roi laisse éclater sa joie en dansant devant l’Arche portée en procession. Il est à moitié dépenaillé, si bien que la cour royale est choquée de voir le plus haut personnage de l’État se contorsionner à moitié nu devant le peuple. La réponse de David à ceux qui le raillent montre bien le contenu de son attitude ἀχρεῖος : il est sans malice, naturel, sans calcul, il est simple au sens étymologique c’est-à-dire sans-pli, sans repli ni pensées tordues.

Être ἀχρεῖος pour David signifie alors : ‘je sais bien que ce n’est pas moi qui ai remporté la victoire ; toute la gloire en revient à Dieu et je me réjouis d’être ainsi entouré d’amour bien au-delà de ma valeur personnelle, bien au-delà de mes actes valeureux ou non’.

David est simple et sa cour le trouve simplet. Il est humble et les petites gens se reconnaissent en lui. Il rend toute gloire à Dieu, car depuis Bethsabée il se sait adultère, violeur, assassin. Il fait tout ce qu’il peut en tant que roi pour protéger son peuple, en comptant sur Dieu plus que sur ses propres forces.

Du coup il danse ! Quoi de plus inutile que la danse ? Danser n’est pas nécessaire. C’est gratuit ; c’est par-dessus le marché, et d’ailleurs il n’y a pas de marché avec Dieu !


danse de David devant l'Arche

Nous sommes David lorsque nous nous réjouissons de ce que Dieu réalise à travers nous, ou sans nous. Voilà le serviteur inutile de la parabole : quelqu’un qui n’est pas attaché à ses œuvres, libre de toute suffisance, qui ne se laisse pas troubler par le bien qu’il accomplit car cela lui a été donné. Cela ne vient pas de lui. Il n’a aucune gloire à en tirer pour lui-même.

La danse de David ajoute un petit grain de folie et de gratuité à l’humilité du simple serviteur qu’il a conscience d’être.

C’est un indice pour nous : quand dans nos vies il y a de l’exubérance, de la joie, de l’élan artistique, de l’excès créatif, alors nous ne sommes pas loin du serviteur inutile de la parabole.


L’enfouisseur de talents

ob_c7914b920ae63d1d641718f4cd1e9439_a7a humilitéLe 2e emploi de l’adjectif ἀχρεῖος est plus douloureux. C’est l’exigence du maître de la parabole des talents qui se manifeste envers celui qui a enfoui en terre l’argent reçu :

« Quant à ce serviteur inutile (ἀχρεῖος), jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents ! » (Mt 25,30)

Ce serviteur-là est plus qu’inutile : il est stérile, contre-productif, voire dangereux. Alors que l’inflation rogne chaque année 5 % à 10 % du capital du maître, il le laisse dépérir. Pire que le livret A ! Avec de tels intendants on se retrouve vite sur la paille ! Ce bon-à-rien est alors dépouillé de tout et chassé au loin. Bigre ! C’est le même adjectif ἀχρεῖος dans les deux paraboles… : le serviteur bon-à-rien et le serviteur inutile sont qualifiés de même, mais n’ont pas le même traitement ! L’un est chassé ; l’autre est maintenu. C’est donc qu’il y a deux formes d’inutilité en réalité : celle qui ne travaille pas et a peur, et celle qui fait tout son devoir avec sérénité. Se savoir non-indispensable n’est pas un alibi pour la paresse ! Se déclarer inutile ne vaut qu’après une journée de labeur aux champs et de service à table. Sinon, c’est se défausser trop vite en refusant de s’impliquer.


Le serviteur inutile
Le 3e emploi de l’adjectif ἀχρεῖος, celui de notre parabole, se situe quelque part entre David et le bas de laine : il s’agit pas de ne rien faire, mais de faire de son mieux sans orgueil ni vanité. C’est bien connu : le cimetière est rempli de gens indispensables…
L’avertissement sera précieux pour les Douze : Jésus va les envoyer en mission deux par deux, et ils vont connaître eux aussi leur quart d’heure de gloire promis par Andi Warhol (« À l’avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale »). En guérissant les malades, en prêchant avec talent et autorité, en subjuguant les foules, les Douze vont très vite voir le succès leur monter à la tête ! Ils vont par exemple vouloir faire tomber « le feu de Dieu » sur leurs contradicteurs, pour être sûrs de les écraser devant tout le monde (Lc 9,54). Heureusement Jésus résistera à leur orgueil, et les ramènera à plus d’humilité : ‘ne prenez pas la grosse tête ; vous n’êtes pas plus grands que celui qui vous a envoyé. Réjouissez-vous parce que Dieu agit à travers vous, et ne cherchez pas en tirer profit ou prestige’.

Se considérer comme un serviteur inutile est source de sérénité. Je peux accomplir mon devoir avec cœur sans trop en attendre. Car ma valeur personnelle n’est pas dans ce que je fais : elle est dans le fait d’être moi, et aimé pour ce que je suis. Et cela suffit.

C’est la vieille leçon du jour du shabbat : ce jour-là, un juif ne travaille pas, ne produit rien, n’est utile à rien, et pourtant il existe encore, il vaut tout autant qu’hier ou demain. La non-activité du shabbat libère les juifs de l’obsession productiviste sans abolir le sens du devoir, au contraire. D’ailleurs le shabbat ce n’est pas ne rien faire ! C’est consacrer du temps à la famille, à la culture, à l’art, au repos, avec créativité et génie artistique. C’est danser devants l’Arche sans autre but que la danse elle-même…

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Marc Pernot, Pasteur de l’Église Protestante de Genève, commente [2] :

51crYiOaemS._SX322_BO1,204,203,200_ parabole« J’aime bien ce passage de l’Évangile selon Luc. L’idée que j’en tire est la joie d’avoir fait ce que l’on a pu, tel que ça vient, et de ne pas en tirer d’orgueil personnel de ne pas y chercher un statut. Il y a là comme un calme et une tranquillité qui me plaît […] Il me semble qu’alors l’action, si elle devient possible, trouve une motivation bien placée, pour elle-même, parfois pour la beauté du geste, parfois parce que c’est utile et juste, parfois parce que cela me correspond, comme un jaillissement. Et c’est alors une action juste, sincère, pure ».

Parce que l’être est premier, parce qu’en Dieu il est inconditionnel, l’action peut en découler, libre de tout attachement. Cette action-là n’est pas remplie de l’angoisse de se prouver aux autres ou à soi-même, elle coule, tranquille et gratuite, de la source où je suis assuré dans l’être.

Non pas faire pour être, mais être et donc faire (ou ne pas faire) de manière égale.

Marc Pernot apprécie alors le serviteur à sa juste valeur :

« Son travail peut sembler bien peu de chose, rien de spectaculaire, et pourtant, revenant d’avoir accompli ces soins, il lui est donné de nourrir et servir Dieu lui-même avant de se servir soi-même. Je trouve cela beau, un peu comme David dansant devant l’arche. Ce n’est pas un sacrifice de soi-même, c’est même tout le contraire, c’est un amour du meilleur, dans le monde, pour le monde et en soi-même, pour soi-même. Sans oublier de manger après. C’est peut-être sa propre créativité qu’il a nourrie en nourrissant Dieu et en servant Dieu ? Avec la force aussi qu’il n’a pas oublié de prendre ensuite (bien sûr), ce serviteur a fait un travail sur l’être se concentrant là-dessus en mettant de côté le paraître. C’est peut-être cela la façon d’être mise ici en relief par Jésus. Le serviteur n’a certes pas été inutile puisqu’il a fait ce qu’il devait. Mais sa façon d’être est à la face du monde comme un manifeste de cette tranquillité de celui qui s’attache à faire ce qu’il peut en mettant la priorité sur ce qui est bien dans la profondeur de l’être.

Et ce serviteur se met alors à parler au pluriel, semblant rejoindre ainsi d’autres serviteurs de la profondeur. Ou rejoindre Dieu lui-même, spécialiste de cet humble travail en profondeur ? »


L’adjectif hébreu

4e5e95c8b7f0acb7f93fc7fc8c438cf6 serviteurQuel serait l’équivalent hébreu de l’adjectif grec ἀχρεῖος ? On le trouve dans la version hébraïque du passage concernant David : שָׁפָל (sha.phal)littéralement celui qui est en bas. En français, on dirait ‘humble’. David, tout roi prestigieux qu’il était, dansait humblement devant l’Arche, se sachant tout petit devant le Très-Haut. Les usages de ce terme abondent dans l’Ancien Testament pour encourager les petits qui comptent sur Dieu :

« YHWH élève les humbles שָׁפָל, les affligés parviennent au salut » (Jb 5,11).

« Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble שָׁפָל ; de loin, il reconnaît l’orgueilleux » (Ps 138,6).

« L’orgueil d’un homme l’humiliera, l’esprit humble שָׁפָל obtiendra la gloire » (Pr 29,23).

« Car ainsi parle Celui qui est plus haut que tout, lui dont la demeure est éternelle et dont le nom est saint : J’habite une haute et sainte demeure, mais je suis avec qui est broyé, humilié שָׁפָל dans son esprit, pour ranimer l’esprit des humiliés שָׁפָל, pour ranimer le cœur de ceux qu’on a broyés » (Is 57,15).

Le royaume de David lui-même doit rester humble et modeste, sinon il s’éloignera de l’alliance :

« YHWH a pris quelqu’un de souche royale et a conclu une alliance avec lui ; il lui a fait prêter serment, après avoir enlevé les puissants du pays, pour que le royaume reste modeste שָׁפָל, sans s’élever, qu’il garde son alliance et qu’elle subsiste » (Ez 17,13-14).

L’Égypte également après l’orgueil des pharaons sera ramenée à plus de modestie afin de ne plus être le tyran qui asservit ses voisins :

« Je changerai la destinée des Égyptiens ; je les ferai revenir au pays de Patros, leur pays d’origine. Ils formeront un royaume modeste שָׁפָל. Il sera plus modeste שָׁפָל que les autres royaumes ; il ne s’élèvera plus au-dessus des nations. Je l’amoindrirai pour qu’il ne domine plus les nations » (Ez 29,14-15).

Comme quoi les royaumes, les régimes politiques eux aussi peuvent être de simples serviteurs, pour peu qu’ils mettent leur orgueil ultra-nationaliste de côté… Toute allusion à l’actualité de la guerre dans le monde serait bien sûr voulue.

Finalement, on devine dans l’adjectif hébreu שָׁפָל l’attitude de Marie coopérant de tout son cœur à l’œuvre de Dieu en elle, en sachant en sachant que tout vient de lui : « Je suis la servante du Seigneur », « Il a jeté les yeux sur son humble servante » (Luc, 1,38.48) …
Marie ne revendique rien pour elle, elle attribue tout à Dieu, ce qui la rend libre pour participer corps et âme au salut qui la traverse.

Puissions-nous dire ensemble : « nous sommes de simples serviteurs ».
Puissions-nous apprendre à nous rendre inutiles !

_____________________


[1]
 Intelligence linguistique, logico-mathématique, spatiale, intra-personnelle, interpersonnelle, corporelle-kinesthésique, musicale, naturaliste, existentielle (ou spirituelle).


[2]
https://jecherchedieu.ch/question/comment-vous-interpretez-et-vivez-cette-parabole-de-jesus-sur-le-serviteur-inutile-ou-quelconque/

 

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)

 

Lecture du livre du prophète Habacuc

Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent.
Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard.
Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.

 

PSAUME
(Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur !
 (cf. Ps 94, 8a.7d)

 

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

 

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

 

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

 

DEUXIÈME LECTURE
« N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur » (2 Tm 1, 6-8.13-14)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.

 

ÉVANGILE
« Si vous aviez de la foi ! » (Lc 17, 5-10) Alléluia. Alléluia.
La parole du Seigneur demeure pour toujours ; c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée. Alléluia. (cf. 1 P 1, 25)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.
Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »
Patrick BRAUD

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28 septembre 2016

Les deux serviteurs inutiles

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Les deux serviteurs inutiles

Homélie du 27° Dimanche du temps ordinaire / Année C
02/10/2016

Cf. également :

L’ « effet papillon » de la foi
L’injustifiable silence de Dieu
Jesus as a servant leader
Servir les prodigues
Entre dans la joie de ton maître
Restez en tenue de service

 

L’art pour rien

La prochaine fois que vous sortirez de la gare SNCF Paris Nord, laissez-vous étonner par un drôle de bâtiment de travers. Il s’agit d’une maison, avec de vraies fenêtres, ports, murs, toit… mais une maison qui penche, toute inclinée, émergeant du sol avec un rien d’ivresse.

Maison GDN

Les voyageurs qui acceptent de se laisser surprendre s’arrêtent, penchent la tête, tordent le cou pour retrouver l’axe familier d’une maison bien droite. Ils sourient, sortent leur smartphone pour immortaliser l’objet, en parler aux collègues, à la famille : « regardez ce qu’ils ont mis Gare du Nord ! »

Détruisez cet abri Naf-Naf factice et tout continuera comme avant : les trains seront toujours en retard, les foules iront du métro aux quais et des quais au métro, les brasseries vous proposeront leurs croque-monsieur avec le demi-pression et le petit noir qui les accompagnent si bien. Bref, cette maisonnée est réellement non-nécessaire.

Elle ne sert à rien, et c’est bien cela qui fait sa magie. Elle peut susciter un étonnement quasi-philosophique, ou l’indifférence des gens importants et pressés d’avoir – eux au moins – une tâche à accomplir.

La maison-tour-de-Pise est inutile : quel bonheur de la voir là, sans raison, sans prétention d’efficacité ou de rentabilité !

L’art et l’inutile ont bien un air de famille.

Si vous êtes sensible à l’art dans votre quotidien, vous serez également touché par ces serviteurs inutiles de la parabole de Jésus (Lc 17, 5-10). À l’instar de cette maisonnette-pour-rien, ils nous disent quelque chose d’essentiel sur la vraie beauté de la vie, et cela tourne évidemment autour du service désintéressé.

 

Les deux serviteurs inutiles

« Nous ne sommes que des serviteurs inutiles ».
Célébrissime réplique d’une parabole souvent commentée (Lc 17, 5-10). Parfois, des traductions essaient d’atténuer la dureté du propos en traduisant : serviteurs « ordinaires », ou « simples » serviteur comme la traduction liturgique de ce dimanche. Au moins, être ordinaire ne supprimerait pas toute utilité ! La tentation d’être un « président ordinaire » en quelque sorte…
Le texte grec ne dit pas ordinaires ni simples mais ἀχρεῖοί (achreioi) = inutiles, sans profit.

Inutile implique que le maître pourrait fort bien se passer des services de ce domestique qui pourtant a trimé toute la journée, bien au-delà du cadre des 35 heures !

De fait, Dieu n’avait pas besoin de l’homme. Il l’a créé sans nécessité aucune, par pure gratuité de l’amour voulant se communiquer.

De fait, Dieu pourrait fort bien se passer de l’homme, et peut-être cela arrivera-t-il un jour si, comme les dinosaures en leur temps, nous ne voyons pas venir les ‘météorites’ capables de nous faire disparaître de la surface de la Terre.

Nous ne sommes donc pas utiles à Dieu, et croire que nous pourrions mériter quoi que ce soit envers lui relève d’un l’orgueil démesuré.

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De même, Dieu ne nous est pas utile : nous ne croyons pas en lui pour obtenir la santé, la richesse, la gloire, contrairement à ce que prêchent tant d’évangélistes et de fondamentalistes chrétiens. Nous ne le servons pas pour obtenir une récompense.

Labourer, mettre les tables, servir le repas n’est pas un calcul pour se faire bien voir, être félicité et distingué devant tous. Il y a là d’ailleurs de quoi transformer l’état d’esprit de tout salarié vis-à-vis de son entreprise ou de ses chefs…

Remplacez le labour par votre activité professionnelle, en entreprise ou ailleurs, remplacez le service des tables par vos actions solidaires, généreuses, humanistes, et vous aurez ainsi une remise en cause radicale de tous vos motif plus ou moins intéressés pour faire ceci ou cela.

Le Christ nous fait une recommandation décisive, dont les orgueils et les pouvoirs que l’Église a si souvent brigués au cours de ses 20 siècles d’histoire montrent qu’elle n’est pas inutile : la recommandation de ne jamais se prévaloir devant Dieu du service accompli dans la communauté.

Ajoutons que dans la parabole de Jésus, ce n’est pas le maître qui appelle ses serviteurs « inutiles ». Ce sont eux qui sont invités à le reconnaître par eux-mêmes. « Dites : nous ne sommes que des serviteurs inutiles ». C’est la prise de conscience des disciples qui est sollicitée d’eux.

Découvrez par vous-même qu’agir par intérêt n’est que vanité.
Expérimentez alors la joie qu’il y a à servir en abandonnant toute notion d’utilité ou de profit.
La diaconie chrétienne ne relève ni de l’utilitarisme ni de l’intéressement.
« La rose fleurit sans pourquoi » (Angélus Silesius).

 

Les deux usages de l’expression

Afficher l'image d'origineL’expression « serviteurs inutiles » ne se retrouve que deux fois dans toute la Bible, et uniquement dans le Nouveau Testament. La première occurrence est ici en Luc 10,7 avec notre parabole des serviteurs inutiles. La deuxième occurrence est en Matthieu 25,30, dans la parabole dite des talents. Cette fois-ci, c’est bien le maître qui dit au serviteur apeuré ayant enfoui son argent (ses talents) :

« Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (Mt 25, 29-30)

Le rapprochement entre ces deux seuls usages est terriblement exigeant. Tout serviteur est invité à se découvrir inutile, et pourtant s’il n’apporte pas une plus-value à Dieu, il est jeté dans les ténèbres ! S’il trime 20 heures par jour, il ne peut en attendre aucune reconnaissance ! Si à l’inverse il se tourne les pouces en laissant ses talents dormir, il se fera taper durement sur les doigts. S’il reçoit peu, ce n’est pas pour en faire peu. S’il reçoit beaucoup, c’est pour donner beaucoup. S’il a réussi une mission, ce n’est pas pour la médaille. S’il enchaîne les missions, ce n’est pas pour laisser une œuvre derrière lui, un nom, un héritage. Bigre !

La vraie raison d’être du service est en lui-même. Rabindranath Tagore l’exprimait avec poésie :

« Je dormais et je rêvais que la vie n’était que joie.
Je m’éveillais et je vis que la vie n’est que service.
Je servis et je compris que le service est joie ».

Les sculpteurs, maître-verriers et peintres du Moyen Âge ne signaient pas leurs chefs-d’œuvre : l’important pour eux n’était pas de passer à la postérité, mais de réjouir les passants, les visiteurs de toutes conditions. L’anonymat et le service vont bien ensemble. Ste Bernadette Soubirous à Nevers pratiquait cette humilité de retrait : « Quand on soigne un malade, il faut se retirer avant de recevoir un remerciement. On est suffisamment récompensé par l’honneur de lui donner des soins. »

Afficher l'image d'origineLe serviteur inutile de Luc ne peut ni ne veut s’enorgueillir de ce qu’il accomplit. À l’inverse, le serviteur inutile de Mathieu est jeté dehors à cause de sa stérilité.

Le paradoxe chrétien est donc de tenir ensemble ces deux figures contradictoires : travailler d’arrache-pied pour transformer ce monde et lui faire produire des fruits de justice et de paix tout en ne s’attachant pas à nos réussites, sans non plus stériliser aucun des talents reçus, et sans d’autre attente que la joie de servir pour elle-même.

 

Devant Dieu, quel mérite pourrions-nous avancer ? Il nous a façonnés gratuitement. Il nous aime gratuitement.
Jésus prescrivait aux Douze envoyés en mission : « vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8).
Réexaminons toutes nos raisons d’agir à la lumière de ce désintéressement caractéristique de l’Évangile du Christ.

 

 

1ère lecture : « Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)

Lecture du livre du prophète Habacuc

Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard.

Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.

Psaume : Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9

R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur !

(cf. Ps 94, 8a.7d)

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

2ème lecture : « N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur » (2 Tm 1, 6-8.13-14)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.

Evangile : « Si vous aviez de la foi ! » (Lc 17, 5-10)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
La parole du Seigneur demeure pour toujours ; c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée.
Alléluia. (cf. 1 P 1, 25)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.

Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »
Patrick BRAUD

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