Pour en finir avec les lèpres
Pour en finir avec les lèpres
Homélie du 6° Dimanche ordinaire / Année B
12/02/2012
La lèpre physique
La Fondation Raoul Follereau dénombre environ 1 million de lépreux dans le monde en 2011, et 250 000 noveaux cas dépistés chaque année. Il suffirait de 240? par lépreux pour éradiquer cette maladie définitivement : une bagatelle si on voulait s’en donner les moyens au niveau mondial !
Mais la lèpre demeure. Elle continue à défigurer les corps. Elle continue à fabriquer des exclus à cause de la peur de la contagion et du dégoût qu’elle inspire.
Cela vient de loin. Le livre des Lévites nous rappelle la terrible méprise qui frappait les lépreux d’interdits. En ces temps pré-scientifiques, on croyait facilement que cette dégradation de la peau, des yeux, des extrémités du corps n’étaient que le symptôme d’une dégradation intérieure. D’où l’idée que ces malades devaient être également impurs sur le plan religieux. En plus, on pensait que c’était contagieux. En les obligeant à crier « impur, impur » et à habiter à l’écart, hors du camp, la loi juive ne faisait hélas qu’entériner ici des a priori meurtriers. Il faudra toute la liberté de Jésus pour oser enfreindre cette loi rituelle, et toucher un lépreux au lieu de l’exclure, se laisser toucher par lui pour le guérir et le réintégrer dans la communauté juive (« va te montrer au prêtre »).
Raoul Follereau ou le docteur Schweitzer nous ont aidé à surmonter nos peurs et nos préjugés vis-à-vis des lépreux. Médicalement, si on le voulait vraiment, on pourrait en finir avec cette affreuse maladie et l’éradiquer de la surface du globe. Mais, comme pour le paludisme qui fait tant de ravages, on se contente d’y mettre quelques pansements sans plus, peut-être parce que ce n’est pas une maladie de pays riches…
Les lèpres actuelles
Transposez cela aux lèpres modernes, visibles ou invisibles, qui défigurent nos sociétés, et que nous ne voulons pas vraiment éradiquer. La misère du quart-monde, dénoncée par le Père Joseph Wrézinski, est la plus criante. « Vêtements déchirés, cheveux en désordre, plaies purulentes, habitats de fortune à l’écart des autres » (Lv 13,45) : ces caractéristiques des lépreux d’autrefois collent encore au portrait des familles du quart-monde de nos bidonvilles, cités d’urgence ou baraquements provisoires.
Même l’impureté rituelle semble leur être collée sur le dos : on se détourne de ces silhouettes marquées physiquement par des années de misère, on se bouche le nez en croisant leurs effluves difficilement supportables, on détourne le regard de leurs visages abîmés.
Pourtant cette exclusion quasi rituelle n’a rien d’irrémédiable. Le Christ, en touchant les intouchables, nous redit que ceux que les hommes ont exclus, les hommes peuvent les réintégrer. En se laissant toucher par les impurs, le Fils de Dieu nous redit notre humanité la plus réelle : faire corps avec les damnés de la terre, pour leur redonner dignité, respect, lien social, communion avec Dieu et avec les autres.
L’exclusion dont la lèpre est la figure dans l’Évangile se décline de tant de manières autour de nous : ce membre de la famille qui n’est pas comme nous, ce collègue de travail qu’on tient à l’écart, cet ami qu’on raye de ses adresses lorsqu’il lui arrive ceci ou cela… D’ailleurs, il suffit d’avoir fait un jour l’expérience d’une forme de lèpre pour soi-même, quelle qu’elle soit, pour ressentir de l’intérieur la souffrance d’être déclaré impur aux yeux des autres.
Au-delà du pur et de l’impur
Or pour Jésus, personne n’est impur. Ni le collaborateur de l’occupant romain (Zachée), ni le fonctionnaire taxant le peuple (Lévi), ni la prostituée vendant son corps (Marie Madeleine), ni la femme adultère, ni le pharisien imbu de lui-même (Simon), ni le persécuteur fanatique (Paul) …
Les catégories du pur et de l’impur tombent dès lors que le Christ, le Saint de Dieu, nous révèle que la sainteté de Dieu n’est justement pas d’être séparé, mais d’être avec, de communier à, pour guérir et sauver.
Sur la croix, Jésus est l’impur par excellence, le maudit de Dieu (Dt 21,23 ; Ga 3,13).
Qui pourrait dès lors continuer à utiliser ces catégories de pur et d’impur qui ont volé en éclats ce vendredi-là ? Le premier à en bénéficier sera un criminel, un condamné à mort, rejeté hors de la ville comme Jésus. Il sera le premier à entrer au paradis…
Depuis lors, est impur le regard qui juge l’autre tel et non pas la personne jugée.
Lèpre physique, lèpres de l’exclusion sociale ou religieuse, lèpres de l’impureté imposée : si nous le voulons, nous pouvons éradiquer ces lèpres de nos relations, de nos sociétés.
Le voulons-nous vraiment ?
Les intouchables ne toucheront-t-il ?
1ère lecture : La loi ancienne sur les lépreux (Lv 13, 1-2.45-46)
Lecture du livre des Lévites
Le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron :
« Quand un homme aura sur la peau une tumeur, une inflammation ou une tache, qui soit une marque de lèpre, on l’amènera au prêtre Aaron ou à l’un des prêtres ses fils.
Le lépreux atteint de cette plaie portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre, il se couvrira le haut du visage jusqu’aux lèvres, et il criera : ‘Impur ! Impur !’
Tant qu’il gardera cette plaie, il sera impur. C’est pourquoi il habitera à l’écart, sa demeure sera hors du camp. »
Psaume : Ps 101, 2-3ab, 4-5, 6.13, 20-21
R/ N’oublie pas, Seigneur, le cri des malheureux
Seigneur, entends ma prière :
que mon cri parvienne jusqu’à toi !
Ne me cache pas ton visage
le jour où je suis en détresse !
Mes jours s’en vont en fumée,
mes os comme un brasier sont en feu ;
mon c?ur se dessèche comme l’herbe fauchée,
j’oublie de manger mon pain.
À force de crier ma plainte,
ma peau colle à mes os.
Mais toi, Seigneur, tu es là pour toujours ;
d’âge en âge on fera mémoire de toi.
Des hauteurs du sanctuaire, le Seigneur s’est penché ;
du ciel, il regarde la terre
pour entendre la plainte des captifs
et libérer ceux qui devaient mourir.
2ème lecture : Ne scandaliser personne (1Co 10, 31-33; 11, 1)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères,
tout ce que vous faites : manger, boire, ou n’importe quoi d’autre, faites-le pour la gloire de Dieu.
Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les Juifs, ni pour les païens, ni pour l’Église de Dieu.
Faites comme moi : en toutes circonstances je tâche de m’adapter à tout le monde ; je ne cherche pas mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés.
Prenez-moi pour modèle ; mon modèle à moi, c’est le Christ.
Evangile : Guérison d’un lépreux (Mc 1, 40-45)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Un grand prophète s’est levé parmi nous :
Dieu a visité son peuple. Alléluia. (Lc 7, 16)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Un lépreux vient trouver Jésus ; il tombe à ses genoux et le supplie : « Si tu le veux, tu peux me purifier. »
Pris de pitié devant cet homme, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. »
À l’instant même, sa lèpre le quitta et il fut purifié.
Aussitôt Jésus le renvoya avec cet avertissement sévère :
« Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre. Et donne pour ta purification ce que Moïse prescrit dans la Loi : ta guérison sera pour les gens un témoignage. »
Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte qu’il n’était plus possible à Jésus d’entrer ouvertement dans une ville. Il était obligé d’éviter les lieux habités, mais de partout on venait à lui.
Patrick Braud