Que connaissons-nous vraiment les uns des autres ?
Que connaissons-nous vraiment les uns des autres ?
Cf. également :
Le but est déjà dans le chemin
La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société
Homélie pour le 5° dimanche de Pâques / Année A
14/05/2017
Jésus est un brin optimiste lorsqu’il compte sur les trois années passées avec les Douze pour les éclairer sur lui : « puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père ». Alors, la réaction de Philippe le surprend, et le peine : « il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas Philippe ? » (Jn 14, 1-12)
Arrêtons-nous sur cette méprise qui est à la source de tant de difficultés, familiales ou amicales, professionnelles ou militantes.
On croit que parce qu’on vit ensemble depuis quelque temps, on se connaît. On pense que tel collègue dont les habitudes de travail sont bien connues est largement prévisible. On imagine qu’un bon repas, une partie de foot, une manif ou des vacances ensemble suffisent pour en savoir assez sur l’autre au point de le considérer comme une connaissance, un proche.
La bévue de Philippe nous renvoie à nos propres incompréhensions. « Montre-nous le Père, cela nous suffit ». Nous voyons quelqu’un et nous cherchons un autre !
Parce que nous sommes si peu présents les uns aux autres, nous passons notre temps à rêver d’autres visages. Il suffit d’observer par exemple ceux qui ne cessent de pianoter sur leur smartphone tout en discutant avec leur ami, ou des cadres en réunion répondant à leurs mails pendant le PowerPoint de l’animateur…
Que connaissent-ils de Jésus, ses douze compagnons de route qui ont partagé son quotidien pendant trois ans ? L’écume des jours en fait, la surface des événements : il a le pouvoir de guérir, il parle bien, il suscite l’enthousiasme des pauvres… Mais Jésus se désole de constater que Philippe et les autres sont passés à côté de son mystère, de son identité la plus intime : l’inhabitation avec son Père. « Je suis dans le Père, et le Père est en moi ». Comment n’ont-ils pas vu cela ? Sont-ils bouchés au point de ne pas avoir deviné ce qui me fait vivre ?
Eh bien, nous sommes souvent comme Philippe, passant à côté du mystère de nos proches. Et nous ressentons parfois la tristesse de Jésus : mes proches ne comprennent pas ce qui m’habite au plus profond de moi-même.
Combien de fois n’ai-je pas entendu après les célébrations d’obsèques où les témoignages venaient de toutes parts : ‘je suis son fils, sa nièce, son ami, mais je ne me doutais pas de la richesse de sa personnalité, de la diversité de son œuvre’ ? Ce n’est bien souvent après la mort de quelqu’un que nous nous apercevons qu’en fait nous le connaissions si peu…
Que connaissons-nous vraiment les uns des autres ?
Nous risquons de vivre juxtaposés, mais si peu unis ; en proximité, mais pas assez en communion.
Comment aller plus loin ?
Le Christ met Philippe sur la voie : soit attentif à ce qui m’habite.
Pour Jésus, ce qui l’habite c’est le désir de ne faire qu’un avec Dieu, la soif de le chercher à travers toute rencontre. Et cela se manifeste quand il se met à l’écart du groupe, pour prier et méditer. Ou quand il interprète les Écritures comme personne avant lui. Ou quand il paraît si joyeux qu’il en est transfiguré devant nous, comme si quelqu’un de plus grand que lui chantait en lui…
Pour nos proches, il nous faudra donc être attentif à leurs ruptures de rythme où ils nous révèlent quelque chose d’eux-mêmes, consciemment ou non : tel silence, tel désir de solitude ou de retrouvailles, tel émerveillement devant la musique, la nature, telle passion enthousiaste ou enfin ils ne se contrôlent plus… Et pour nos intimes, c’est encore plus vrai et plus important. On peut partager la même table, le même lit, les mêmes enfants pendant des années et pourtant s’étonner de telle nouvelle réaction, être à l’affût des changements chez l’autre, recueillir précieusement telle confidence inédite etc.
Regarder l’autre chaque matin comme si c’était la première fois… Chacun pourrait écrire sur le miroir de la salle de bains cette phrase : je ne te connais pas encore. Alors, que ce soit son propre visage ou celui de l’être aimé, cette phrase nous rappellerait que 24 heures ne suffisent pas à percer le mystère de l’autre, de soi. Et ce serait un délicieux défi de se mettre ainsi en quête de l’autre chaque matin, une quête sans cesse inachevée, et par là même sans cesse émerveillée.
Évidemment, en Christ, une telle recherche n’est qu’avançée vers la lumière. Alors que, pour être honnête, celui qui plonge au plus intime de lui-même ou de l’autre va peut-être s’effrayer de la part d’ombre qu’il va y trouver. Il faut l’assurance du Ressuscité parfois pour avoir le courage de plonger dans nos noirceurs, nous pulsions de mort, nos contradictions les plus destructrices. C’est pourtant l’enjeu de la vie spirituelle. Et effectivement, seule l’assurance de la victoire du Christ sur la mort nous permet de la défier en nous. Aller explorer les zones voilées de notre histoire, de notre personnalité, demande une protection plus solide encore qu’un scaphandre pour un découvreur d’épaves. Habité par l’Esprit du Christ, ce chemin de connaissance de soi devient possible, et ouvre en même temps la possibilité de la connaissance de l’autre. À l’inverse, ceux qui ne prennent jamais le temps ni les moyens de se connaître vraiment auront du mal à accueillir les secrets de leurs proches.
Celui-ci n’est pas présent à soi-même le sera-t-il à son conjoint, ses amis, ses collègues ?
« Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? »
Que l’étonnement attristé de Jésus nous pique au vif : et moi, que sais-je vraiment de ceux qui m’entourent ? de quoi sont faits leurs joies et leurs espoirs, leurs angoisses et leurs souffrances ? Et si je devais décrire ce qui les anime, trouverais-je les mots justes ?
Mais alors, il faut que je leur sois davantage présent pour les connaître mieux !
Et cela commence par moi-même, à qui je suis si souvent étranger…
Lectures de la messe
Première lecture
« Ils choisirent sept hommes remplis d’Esprit Saint » (Ac 6, 1-7)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque, parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées dans le service quotidien. Les Douze convoquèrent alors l’ensemble des disciples et leur dirent : « Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt, frères, sept d’entre vous, des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons dans cette charge. En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière et au service de la Parole. » Ces propos plurent à tout le monde, et l’on choisit : Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, un converti au judaïsme, originaire d’Antioche. On les présenta aux Apôtres, et après avoir prié, ils leur imposèrent les mains. La parole de Dieu était féconde, le nombre des disciples se multipliait fortement à Jérusalem, et une grande foule de prêtres juifs parvenaient à l’obéissance de la foi.
Psaume
(Ps 32 (33), 1-2, 4-5, 18-19)
R/ Que ton amour, Seigneur, soit sur nous, comme notre espoir est en toi !
ou : Alléluia ! (Ps 32, 22)
Criez de joie pour le Seigneur, hommes justes !
Hommes droits, à vous la louange !
Rendez grâce au Seigneur sur la cithare,
jouez pour lui sur la harpe à dix cordes.
Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.
Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.
Deuxième lecture
« Vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal » (1 P 2, 4-9)
Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, approchez-vous du Seigneur Jésus : il est la pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu. Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ. En effet, il y a ceci dans l’Écriture : Je vais poser en Sion une pierre angulaire,une pierre choisie, précieuse ;celui qui met en elle sa foine saurait connaître la honte. Ainsi donc, honneur à vous les croyants, mais, pour ceux qui refusent de croire, il est écrit : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseursest devenue la pierre d’angle,une pierre d’achoppement,un rocher sur lequel on trébuche. Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole, et c’est bien ce qui devait leur arriver. Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière.
Évangile
« Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 1-12)
Alléluia. Alléluia.
Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie, dit le Seigneur.
Personne ne va vers le Père sans passer par moi. Alléluia. (Jn 14, 6)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : ‘Je pars vous préparer une place’ ? Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. Pour aller où je vais, vous savez le chemin. » Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? » Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. » Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. » Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres. Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes. Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père ».
Patrick BRAUD
Mots-clés : connaissance, inconnaissance, Philippe