L'homélie du dimanche (prochain)

10 novembre 2024

Apprendre à ne pas savoir

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Apprendre à ne pas savoir

 Homélie pour le 33° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
17/11/24

Cf. également :
Ephapax : une fois pour toutes
Jésus, Fukuyama ou Huntington ?
Lire les signes des temps
« Même pas peur »…
La destruction créatrice selon l’Évangile
La « réserve eschatologique »
L’antidote absolu, remède d’immortalité
Plus je sais, plus j’ignore

La docte ignorance
Divine surprise

1. Un livre, un article, le silence
Apprendre à ne pas savoir dans Communauté spirituelle pere_shynse
Dans les années 70, j’ai eu la chance de passer deux années de coopération en Afrique de l’Ouest, auprès des Pères Blancs à la gandoura imposante et la barbe vénérable. Dans les premières semaines, j’étais tellement enthousiaste et volubile que je n’arrêtais pas de leur parler de mes découvertes qui s’enchaînaient. Ils m’écoutaient avec bienveillance, en souriant. Au bout d’un mois de mes verbiages, le Père Blanc le plus âgé, qui avait passé plus de 40 ans dans le pays et en avait appris la langue, les coutumes, les proverbes, la mentalité, la culture etc., me confie à mi-voix : « Tu sais, nous aussi quand on est arrivés on était tout excités et chacun écrivait de longues lettres à sa famille pour tout raconter. Au début, on a envie d’écrire un livre. Puis, quelques années après, on s’aperçoit que c’est si complexe qu’on se dit qu’un article ou deux ce ne serait déjà pas mal. Aujourd’hui, j’avoue que je reste toujours un étranger avec de gros yeux qui ne voient rien, et je crois que le silence convient mieux… »

Si un ancien comme lui reconnaissait finalement ignorer davantage de choses dans la culture du peuple qui l’accueillait que tout ce qu’il y avait appris, alors ma prétention aurait été insupportable de pérorer avec assurance sur « l’Afrique » après seulement deux années de présence ! Il m’a ainsi appris à ne pas savoir, à accepter que ce qui reste à découvrir est infiniment plus grand que le peu déjà découvert. Il m’a aidé à accepter de demeurer un étranger au milieu d’un peuple avec qui pourtant je vibrais à l’unisson. Loin d’éteindre la soif de savoir, le côté mystérieux de ce voile d’ignorance qui recouvrait ma perception de l’ethnie locale me stimulait pour continuer à l’explorer, en renonçant à croire maîtriser, contrôler ou tout comprendre.

Dans l’Évangile de ce dimanche (Mc 13,24–32), il semble que Jésus fasse une expérience semblable, assez troublante pour ceux qui croient en sa divinité [1] . En effet, il assure à ses disciples ne pas tout savoir, et en particulier il ignore la date du Jour de sa venue dans la gloire : « Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père » (Mc 13,32 ; cf. Mt 24,36).

Comment comprendre cette confession de non-savoir ? Quel impact pour nous aujourd’hui ?
Parcourons quelques interprétations de ce verset difficile pour essayer d’en situer les enjeux contemporains.


2. Les différentes interprétations de l’ignorance de Jésus

Hérésies tableau

a) Il ne sait pas, donc il n’est pas Dieu
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Dans les premiers siècles, Arius, Eunome et d’autres prêtres ou évêques ont vu dans ce verset l’indice de l’infériorité de Jésus par rapport à son Père. Parce qu’il ignore ce que son Père connaît, Jésus est en dessous de lui en termes de rang et d’honneur. Les Ariens ont donc professé l’humanité de Jésus, mais pas sa divinité. Au mieux, il aurait été adopté par Dieu au moment du baptême dans le Jourdain. Mais il lui reste inférieur. De nombreuses sectes d’origine chrétienne se sont engouffrées dans ce type d’argumentation pour nier la divinité de Jésus : ébionites, marcionistes, adoptianistes etc. Les Mormons, les Témoins de Jéhovah, et même le Coran ne font que reprendre l’argument : puisque Jésus ne sait pas tout alors que Dieu est omniscient, il n’est donc pas Dieu. C.Q.F.D.

Danger : canoniser trop vite l’ignorance de Jésus peut conduire à la résignation au lieu de l’acceptation. Se résigner à ne pas savoir conduit à se soumettre, à obéir aveuglement, à croire au destin (mektoub !). Or accepter n’est pas se résigner. Accepter de ne pas tout connaître ne signifie pas renoncer à connaître davantage…

b) Il ne sait pas, donc il dépend du Père
Une autre réponse (II°–III° siècles) vient de ce que l’on appelle le monarchianisme, essentiellement oriental. Soucieux de préserver la primauté et la transcendance du Dieu unique (mon-archie = un seul principe), les monarchianistes soutiennent que le Fils est engendré par le Père, qui lui reste supérieur. Jésus émane du Père mais le Père garde toutes les prérogatives ‘monarchiques’ de la divinité, dont l’omniscience.

Danger : rompre l’égalité entre le Fils et le Père interdit à terme la participation humaine à la nature divine, qui est pourtant l’espérance de la foi chrétienne.

c) La théorie des deux fils
Une autre explication (Nestorius, Sabellius au III° siècle) – certes capillotractée ! – avance qu’en Jésus coexistent non pas deux natures (humaine et divine) mais deux personnes : le Fils de l’homme et le Fils de Dieu. Côté humain, le Fils de l’homme ignore le Jour de sa venue. Côté divin, le Fils de Dieu pleinement manifesté en Jésus après sa résurrection partage l’omniscience du Père.
Bien sûr, cette façon de couper Jésus en deux pour sauver sa divinité fut rapidement condamnée par les premiers conciles.

Danger : diviser Jésus en deux, c’est empêcher la communication en lui comme en nous entre le divin et l’humain.

d) Dans son incarnation, le Christ renonce à la connaissance divine (théorie kénotiste)
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L’hymne de Ph 2,6–11 évoque la kénose du Verbe de Dieu en Jésus de Nazareth : lui, de condition divine, ne considéra pas comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu, mais il s’est vidé de lui-même (kénose), pour prendre la condition humaine. L’ignorance de Jésus sur le jour J relèverait alors de cet abaissement volontaire et temporaire par lequel Jésus renonce à l’omniscience divine le temps de son passage parmi nous. Exalté auprès du Père par sa résurrection, Jésus partagerait désormais l’omniscience du Père sur toute chose, mais ce n’était pas encore le cas avec ses disciples.

Évidemment, cette position est largement compromise par la réponse de Jésus à ses disciples après la Résurrection : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité » (Ac 1,7).

Intérêt : souligner l’humilité du Christ qui ne fait pas semblant d’être à nos côtés.
Danger : réduire l’ignorance humaine un détail anecdotique et provisoire.

e) « C’est chez lui un dessein secret de se taire »
Récusant toutes les précédentes interprétations jugées hérétiques, les Pères de l’Église sont bien embarrassés pour interpréter ce verset !
Augustin y lit la volonté de Jésus de laisser le Père communiquer lui-même sur le jour du jugement :

« Le Père fait connaître ce jour au Fils ; et s’il est dit du Fils qu’il ne sait pas, c’est parce qu’il ne communique point cette connaissance aux hommes ».

Thomas d’Aquin reprendra cette lecture en parlant de « simulation édifiante » : le Christ aurait fait semblant de ne pas savoir pour apprendre à ses disciples à tout attendre du Père.
Hilaire de Poitiers préfère prendre acte du refus de Jésus de répondre à la demande de ses disciples sur la date du jour J, sans avoir d’explication autre que le désir de Jésus de se taire là-dessus :

« Le Fils n’ignore donc pas ce que n’ignore pas le Père. Et si le Père seul connaît, ce n’est pas que le Fils ne le sache : mais, puisque tous deux demeurent dans l’unité d’une seule nature, si le Fils ‘en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science’ (Col 2,3), ignore quelque chose, c’est chez lui un dessein secret de se taire, comme l’affirme le Seigneur lorsqu’il répond à ses Apôtres qui s’enquièrent de la fin des temps : ‘Ce n’est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a fixés dans sa puissance divine’ » (Ac 1,7).

Intérêt : accepter de ne pas savoir pourquoi Jésus ne sait pas.
Danger : réduire le mystère à une exigence d’obéissance. Figer le mouvement de l’interprétation alors que c’est une invitation à explorer sans cesse.

f) Il ne nous appartient pas de tout connaître
Jean Chrysostome a posé les bases de l’interprétation qui est sans doute la plus féconde pour nous : Jésus a appris à ses disciples à ne pas vouloir tout savoir, ce qui est finalement le meilleur moyen d’en savoir toujours davantage !

« Il ajoute à dessein que les anges ne savaient rien de ce jour, afin d’ôter à ses disciples le désir d’apprendre une chose que les anges même ne savaient pas; mais en disant que le Fils même ne le savait pas, non-seulement, il leur ôte le désir de le connaître, mais la volonté même de s’en informer. Et pour confirmer ce que je dis, il ne faut que considérer ce qu’il dit à ses disciples après sa résurrection, et de quelle manière il arrête leur curiosité lorsqu’ils s’informaient trop curieusement de l’avenir. Car il prédit ici beaucoup de signes ; mais il leur dit alors clairement : « Ce n’est pas à vous à savoir les temps et les moments ». (Ac 1,7). Et pour qu’ils ne regardent point ce refus comme une marque de mépris, et qu’ils ne s’imaginent pas que le Sauveur les jugeait indignes de cette connaissance, il ajoute aussitôt : « que le Père a mis dans sa puissance ». Car il a toujours au contraire témoigné avec grand soin à ses apôtres qu’il les traitait avec honneur, et qu’il ne leur voulait rien cacher. C’est pourquoi il attribue cette connaissance au Père, et il la fait passer dans leur esprit pour une chose trop élevée au-dessus d’eux ».

Hilaire de Poitiers était lui aussi sur cette piste lorsqu’il examine la même question des disciples de Jésus après sa résurrection :

« Ayant compris que ce mystère du non-savoir du Fils relève d’un dessein divin de se taire, maintenant qu’il est ressuscité, ils l’interrogent à nouveau, croyant que le temps est venu pour lui de parler. Et ici, le Fils ne leur répond plus qu’il l’ignore, mais leur dit que ce n’est pas à eux de connaître ce moment que le Père a fixé dans sa puissance divine ».


De l’intérêt de ne pas (tout) savoir
Tel un pédagogue, Jésus a éveillé ses disciples à désirer les réalités les plus hautes, à accueillir la révélation des mystères les plus inaccessibles. Pourquoi alors leur fixer une limite (la date du jour J) ?

Cela nous renvoie au premier interdit de la Genèse : « du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas ». Interdire cette connaissance-là est salutaire pour l’humanité, car elle se suiciderait à décider par elle-même ce qui est bien ou ce qui est mal (ce que l’on constate hélas de nos jours…) en dehors de YHWH. Le psychanalyste Jacques Lacan rappelle fort justement que l’inter-dit est ce qui est dit entre partenaires du dialogue, qui n’existe pas sans cet espace de communication (entre l’homme et Dieu, entre l’homme et la femme etc.).

Sans interdit, pas de parole (inter-dit = dit entre), pas de communication ni de communion, mais seulement la violence de la prédation (s’emparer du fruit et le manger). D’où la reprise de cet interdit fondamental dans le Décalogue : « Tu ne convoiteras pas ».

Vers l'infini et au-delàAccepter de ne pas tout savoir est libérateur. À plusieurs titres :

– ceux qui veulent tout savoir bâtissent des théories totalitaires, inventent des idoles pour boucher les trous de leur connaissance, et verrouillent des sociétés fermées où il n’est pas possible de contester le savoir officiel. Imposer une explication à tout, qu’elle soit mythologique, religieuse ou politique, transforme les relations humaines en soumission obligée à l’unique savoir dominant. Les sociétés communistes, les États islamiques, les dictateurs de tout poil savent manier à merveille hélas cette soumission à l’omniscience du parti, d’Allah, du grand leader.

- l’ignorance nourrit la gratuité
Une homélie anonyme du II° siècle établit clairement ce lien :
« Parmi les justes, aucun n’a recueilli un fruit précoce : il faut savoir attendre. Si Dieu donnait immédiatement aux hommes justes leur récompense, ce serait bientôt un marché que nous pratiquerions, et non le culte de Dieu. Nous aurions l’apparence de la justice en recherchant non pas la religion, mais notre profit ».
Ne pas connaître la date du Jour J, ni celle de notre mort, nous empêche de calculer d’ici là, de compter sur le temps qui nous reste, d’exiger un retour immédiat sur investissement…

– croire tout savoir fige la recherche
Les failles, les béances, les contradictions des savoirs actuels sont justement le moteur de la quête scientifique. Si l’on accepte de ne pas savoir, alors la recherche est toujours possible, car le savoir absolu n’est jamais atteint et il en reste toujours plus à découvrir. La quête scientifique est par essence inachevée (Karl Popper) ; c’est sa grandeur et sa puissance. Pour les chrétiens, la quête spirituelle est de même nature : Dieu est l’au-delà de tout, et accepter de ne pas le posséder n’est pas se résigner à ignorer.
Au contraire, « dans l’éternité du siècle sans fin, celui qui court vers Toi devient toujours plus grand et plus haut que lui-même, augmentant toujours par l’accroissement des grâces (…) ; mais comme ce qui est recherché ne comporte pas en soi de limite, le terme de ce qui est trouvé devient pour ceux qui montent le point de départ de la découverte de biens plus élevés. Et celui qui monte ne s’arrête jamais d’aller de commencement en commencement par d’éternels commencements qui n’ont jamais de fin » (Grégoire de Nysse).


Que veut dire savoir pour Dieu ?
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Si Dieu est le Tout-Autre, non soumis à l’espace-temps, l’acte de savoir lui est complètement étranger. Car savoir suppose un passé et un futur (je sais ce qui s’est passé, je sais ce qui va arriver ici…). Savoir la date du jour J, c’est encore se situer dans le temps (et donc dans l’espace), ce qui convient à des idoles mais pas au Tout-Autre. Donc nous pouvons dire en un sens que Dieu lui-même renonce à savoir, puisqu’il est au-delà des catégories de la connaissance… L’omniscience n’est pas un attribut divin, mais une projection humaine ! C’est inventer Dieu sous les traits d’un humain sans limites (anthropomorphisme). Dieu « ne sait pas », car l’acte de savoir ne s’applique pas à Dieu.

La docte ignoranceVertige métaphysique certes, qui a l’immense mérite de nous dépouiller de toute velléité de convoitise dans l’acte de chercher à savoir…


Conclusion :
Il est bon pour nous de chercher à savoir, il est meilleur encore d’apprendre à ne pas savoir.
La question de la date du jour J est dans l’Évangile le meilleur exemple de l’utilité de cette « docte ignorance » : ne connaître ni le jour ni l’heure nous rend libres pour vivre ce Jour aujourd’hui tout en l’espérant demain.

Apprendre à ne pas savoir s’applique à tant d’autres domaines de recherche : ne pas chercher à savoir si je suis sauvé, heureux, riche, aimé ou admiré etc. est libérateur, et suscite une quête infinie, désintéressée, gratuite.

Car le salut, le bonheur, la vraie richesse, l’amour etc. sont illucides : dès que j’ai conscience de les posséder, ces réalités m’échappent.
Mieux vaut alors ignorer tout en désirant sans cesse… 

______________________________________

 [1] . Jean a bien perçu cette difficulté, et se garde bien d’évoquer cette ignorance de Jésus. Au contraire, ses disciples lui reconnaissent l’omniscience : « Maintenant nous savons que tu sais toutes choses, et tu n’as pas besoin qu’on t’interroge : voilà pourquoi nous croyons que tu es sorti de Dieu » (Jn 16,30).


 
Lectures de la messe

Première lecture
« En ce temps-ci, ton peuple sera délivré » (Dn 12, 1-3)

Lecture du livre du prophète Daniel
En ce temps-là se lèvera Michel, le chef des anges, celui qui se tient auprès des fils de ton peuple. Car ce sera un temps de détresse comme il n’y en a jamais eu depuis que les nations existent, jusqu’à ce temps-ci. Mais en ce temps-ci, ton peuple sera délivré, tous ceux qui se trouveront inscrits dans le Livre. Beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et la déchéance éternelles. Ceux qui ont l’intelligence resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui sont des maîtres de justice pour la multitude brilleront comme les étoiles pour toujours et à jamais.

Psaume
(Ps 15 (16), 5.8, 9-10, 11)
R/ Garde-moi, mon Dieu, j’ai fait de toi mon refuge.
(Ps 15, 1)

Seigneur, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort.
Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

 Mon cœur exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

 Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
À ta droite, éternité de délices !

Deuxième lecture
« Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie » (He 10, 11-14.18)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Dans l’ancienne Alliance, tout prêtre, chaque jour, se tenait debout dans le Lieu saint pour le service liturgique, et il offrait à maintes reprises les mêmes sacrifices, qui ne peuvent jamais enlever les péchés.
Jésus Christ, au contraire, après avoir offert pour les péchés un unique sacrifice, s’est assis pour toujours à la droite de Dieu. Il attend désormais que ses ennemis soient mis sous ses pieds. Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie. Or, quand le pardon est accordé, on n’offre plus le sacrifice pour le péché.

Évangile
« Il rassemblera les élus des quatre coins du monde » (Mc 13, 24-32) Alléluia. Alléluia. 

Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous pourrez vous tenir debout devant le Fils de l’homme. Alléluia. (cf. Lc 21, 36)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « En ces jours-là, après une grande détresse, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ; les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées. Alors on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire. Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel.
Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier : dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte. Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père. »

 

 

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20 août 2023

Plus je sais, plus j’ignore

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Plus je sais, plus j’ignore

Homélie pour le 21° Dimanche du temps ordinaire / Année A
27/08/2023

Cf. également :
Le kôan qui changea Simon en Pierre
Exercer le pouvoir selon le cœur de Dieu
Yardén : le descendeur
Les insignes du politique
Lier et délier : notre pouvoir des clés
Jésus évalué à 360°
Marie Theotokos, ou la force de l’opinion publique

La quadrature du cercle
Cercle PolygonesPeut-on mesurer la longueur d’un cercle à l’aide d’un petit bout de bois rectiligne ? Le problème a l’air simple, et semble relever des annales du BEPC. Pourtant, cette énigme de la quadrature du cercle – car c’est bien de cela qu’il s’agit – a occupé les mathématiciens pendant des siècles ! On a envie de reporter n fois la longueur du bout de bois sur la circonférence du cercle jusqu’à en faire à peu près le tour. Pour affiner, on coupera le bois plus court, de plus en plus court, pour que le polygone régulier obtenu en reportant n fois sa longueur sur la circonférence l’épouse au mieux.

Las ! Il faudra attendre plus de 3000 ans pour que Ferdinand de Lindemann démontre rigoureusement en 1882 que le nombre ¶ n’est pas entier. Approximer un cercle de rayon R par n bâtons rectilignes de longueur l supposerait que nxl=2x¶xR, soit n = 2x¶xR/l. Or, puisque ¶ n’est pas un entier, n ne peut l’être non plus. Et donc la quadrature du cercle est impossible ! On dit de ¶ qu’il est un nombre transcendantal : vous aurez beau écrire des milliards de chiffres après la virgule, vous n’aurez toujours pas le nombre ¶ exact.

Peut-être une piste pour la transcendance de Dieu ?
Dieu est l’infini. Or, entre l’infinité de Dieu et la finitude de l’homme, il ne saurait y avoir de proportion. L’homme peut bien s’avancer indéfiniment par étapes successives de connaissances vers la vérité, ces étapes seront en elles-mêmes toujours finies et la vérité est l’être à son niveau infini. De sorte que la vérité échappera toujours nécessairement à l’effort humain qui veut la saisir. Entre la connaissance humaine et la vérité, on trouve le même rapport qui existe entre les polygones inscrits et circonscrits avec la circonférence du cercle : même si l’on multipliait à l’infini les côtés du polygone, certes ils s’approcheraient indéfiniment de la circonférence, mais jamais ne s’identifieraient avec elle.

Le cardinal théologien  Nicolas de Cues ne connaissait pas au XV° siècle la démonstration de Lindenmann. Mais il avait l’intuition que même en multipliant à l’infini le nombre de côtés d’un polygone, il n’arriverait jamais à égaler précisément la longueur du cercle. Il se saisit  – entre autres -  de cette image mathématique pour évoquer la disproportion entre notre finitude (le bout de bois) humaine et l’infini divin (le cercle) : même en multipliant à l’infini nos efforts pour croire en Dieu, nous serions toujours à mille lieues de sa vraie nature. Multiplier les bouts de bois ne fera jamais un cercle…
Nicolas de Cues – mettant ses pas dans ceux de Maître Eckhart et de la mystique rhénane du XIV° siècle – en a livré une synthèse puissante dans son ouvrage capital : « De la docte ignorance » (1443). Pour lui, Dieu demeure l’incompréhensible, et plus nous nous en approchons, plus nous mesurons son infinie altérité, plus la distance entre lui et nous s’agrandit sous nos pieds. Lorsque ce que l’on ignore n’a aucune proportion avec les connaissances en notre possession, il n’y a qu’à proclamer son ignorance.

« Concernant les choses les plus manifestes dans la nature, nous rencontrons autant de difficulté que la chouette voulant voir le soleil en face, assurément alors, puisque le désir en nous n’est pas vain, nous désirerons savoir que nous ignorons.
Si nous saisissons ceci pleinement, nous saisirons la docte ignorance. En effet, même l’homme le plus savant n’arrivera à la plus parfaite connaissance que s’il est trouvé très docte dans l’ignorance même, qui lui est propre, et il sera d’autant plus docte qu’il saura que son ignorance est plus grande » (Nicolas de Cues).

Comment ne pas y voir un des plus beaux hommages à l’émerveillement de Paul dans la deuxième lecture de ce dimanche (Rm 11, 33-36) :

« Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la connaissance de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? Qui a été son conseiller ? Qui lui a donné en premier, et mériterait de recevoir en retour ? Car tout est de lui, et par lui, et pour lui. À lui la gloire pour l’éternité ! Amen ».

Montaigne écrivait : « C’est par l’entremise de notre ignorance plus que de notre science que nous sommes savants de ce divin savoir ».
Et Blaise Pascal renchérissait : « … L’autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes, qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu’ils ne savent rien, et se rencontrent en cette même ignorance d’où ils étaient partis ; mais c’est une ignorance savante qui se connaît ».

Évoquons quelques conséquences de cette docte ignorance pour nous aujourd’hui.

 

Les 4 phases de la docte ignorance
On attribue à Maslow la distinction des 4 étapes du processus d’apprentissage professionnel, selon le schéma suivant :

Apprentissage 4 phases ❶ Au début de sa formation, le candidat ignore totalement les techniques et savoir-faire qu’on va lui enseigner. Il n’en a même aucune idée, et ne peut imaginer les défis technologiques auxquels il ne saura répondre.
Il ne sait pas qu’il ne sait pas.

❷ Puis ses maîtres en apprentissage lui montrent leur art et les merveilles qu’il leur permet d’accomplir. Confus, l’apprenti découvre alors qu’il est vraiment loin de ce niveau de maîtrise.
Il sait qu’il ne sait pas.

❸ Patiemment, longuement, son maître va l’initier aux subtilités de son art. L’apprenti reproduit, mémorise, exécute fidèlement et réussit avec application à imiter son maître.
Il sait qu’il sait.

❹ Et puis, avec le temps, il acquiert une telle aisance qu’il ne réfléchit même plus aux  gestes qu’il accomplit, sublimant sa technique dans une créativité et une ingéniosité qui lui sont propres. Un peu comme un pianiste ayant maîtrisé son solfège et ses gammes passe à l’interprétation inspirée, différente de l’exécution appliquée.
L’apprenti devenu maître ne sait plus qu’il sait.

Toutes proportions gardées, on peut transposer ces 4 phases de l’apprentissage au processus que Nicolas Cues appelle la docte ignorance, et qui fait écho aux interrogations de Paul devant l’infini divin.

Docte ignorance carré magique ❶ Au début, le croyant s’appuie sur les énoncés de foi du Credo, et peut réciter les réponses aux questions du catéchisme : ‘qui est Dieu ? Dieu est un pur esprit’… S’il en reste là, l’orgueil ne sera pas loin. Et la tentation de combattre ceux qui ne professent pas les mêmes mots que lui sur Dieu.
Il croit connaître Dieu, mais il ne fait qu’apprendre et réciter.

❷ À force de lire la Bible, de prier, de contempler le monde, d’échanger etc. le doute viendra peu à peu distiller une nuée d’interrogations semblables à celle de Paul : ‘qui a connu les pensées du Seigneur ? Qui peut sonder ses décisions ? Qui peut comprendre ses chemins ?’ Une remise en cause radicale guette celui qui s’aventure ainsi plus haut que les affirmations croyantes officielles.
Il ne sait plus s’il connaît vraiment Dieu.

❸ S’il se met à fréquenter les auteurs spirituels - de Paul à Saint Jean de la Croix en passant par Maître Eckhart - qui se sont immergés dans la négativité de Dieu, un tel  croyant reconnaîtra avec humilité que ce qui le sépare de Dieu est infiniment plus grand que ce qui le rapproche de Lui, et cette distance devient plus grande au fur et à mesure qu’il avance vers Lui. Un peu comme la ligne d’horizon en mer qui recule sans cesse quand on navigue vers elle. Un tel croyant, désorienté, devient humble selon le cœur du Christ : il sait qu’il ne connaît pas Dieu, l’Inconnaissable.

❹ Alors, surfant en quelque sorte sur cette docte ignorance, il pénétrera plus avant dans les ténèbres lumineuses où Dieu se cache. Il ne sait plus qu’il ne sait pas. Et ainsi il devient paradoxalement d’autant plus uni à Dieu qu’il reconnaît et expérimente en être loin…

 

La théologie négative

« La sainte ignorance nous a enseigné que Dieu est ineffable, parce qu’il est infiniment plus grand que tout ce qui peut être nommé. Comme il est ce qu’il y a de plus vrai, nous parlerons de lui avec plus de vérité par soustraction et par négation » (Nicolas de Cues).

Plus je sais, plus j’ignore dans Communauté spirituelle 51ZINxOwZFL._SX315_BO1,204,203,200_Progresser vers la docte ignorance demande en cours de route de nier ce que nous savons sur Dieu. Par exemple : Dieu est justice certes, mais il est aussi injustice (ce que le mot Testament incarne par exemple, car quoi de plus injuste qu’un testament exprimant la libre volonté de son donateur ?). Il est amour, mais aussi colère et vengeance. Il est lumière au Thabor et ténèbres au Sinaï, plein de miséricorde pour le fils prodigue et impitoyable envers le gérant malhonnête etc. C’est ce que Nicolas de Cues appelle la coïncidence des contraires (coincidentia oppositorum, en latin). S’il est possible d’affirmer quelque chose sur Dieu, alors il nous faut immédiatement en dire le contraire, sinon nous réduisons Dieu à des manifestations : on idolâtre un attribut de Dieu au lieu de remonter à Celui qui est plus grand que cet attribut. Toujours le doigt et la lune ! Seule la négation permet de ne pas en rester à cette idolâtrie, et de progresser ainsi – dialectiquement ! – vers d’autres paires de contraires qui agrandiront encore notre incompréhension de Dieu.

Méfions-nous donc de ceux qui ne font qu’asséner des vérités positives sans jamais se poser des questions ! Dire : Dieu est ceci, ou ; Dieu est cela, c’est faire de Dieu une chose. Si Dieu est plus grand que tout, il ne peut être enfermé dans une formulation, une expérience, un système religieux (par ailleurs utile). Dieu est toujours plus grand que ce que je dis de lui.

Israël nous a mis sur cette voie négative en appelant Dieu YHWH, Tétragramme strictement imprononçable, car ce serait mettre la main sur Dieu, le posséder en quelque sorte, que de pouvoir l’appeler par son Nom. Non seulement YHWH est imprononçable, mais son contenu même est rempli d’incertitude, de non-connaissance : « je serai qui je serai ». Autrement dit : ‘ne cherche pas à savoir. Tu verras bien en cours de route. Je te surprendrai !’ Croire en YHWH est la trace de l’expérience spirituelle d’Israël – et de l’Église à sa suite – faite d’émerveillement devant l’altérité radicale de Celui qui est plus grand que tout, que nous ne pouvons voir - comme Moïse - que de dos, ce qui est une belle image de la docte ignorance : je ne vois Dieu que quand je ne le vois plus…

 

Bouche bée
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Au-delà des formules toutes faites, apprenant à unir les contraires, le croyant expérimente alors que le silence, le vide, l’absence sont les profondeurs ultimes où se perd sa capacité de dire ou ressentir quelque chose de Dieu. Les Pères de l’Église, les ermites du désert égyptien, les mystiques des béguinages ou de Rhénanie, les disciples de Thérèse d’Avila ou de Saint Jean de la Croix, les trappistes ou les croyants ordinaires, tant de courants spirituels racontent que ce que nous ne pouvons pas dire sur Dieu est plus important que l’inverse. La théologie apophatique (issue du verbe grec ἀπόφημι – apophēmi = nier) reconnaît la vanité des mots et des savoirs pour approcher le Tout-Autre, et du coup s’abîme dans une profonde méditation au-delà des mots habituels. La musique, la poésie, l’art peut-être peuvent en livrer quelque chose, mais plus sûrement le silence. Et s’il faut écrire, alors chaque mot sera barré de son contraire pour qu’ensemble ils proclament la grandeur de Dieu qui dépasse les contraires en les unissant. La montée vers Dieu est une montée dans le silence et l’obscurité : « étant plongés dans l’obscurité au-delà de tout entendement, nous allons rencontrer non seulement la pauvreté des mots, mais l’absence totale de parole et de compréhension » (Pseudo-Denys l’Aréopagite, V°-VI° siècles).

« Notre ignorance nous enseignera de manière incompréhensible comment nous, qui travaillons péniblement au milieu d’énigmes, pouvons avoir sur le Très-Haut une pensée plus correcte et plus vraie ».
« La précision de la vérité brille de manière incompréhensible dans les ténèbres de notre ignorance. Voilà la docte ignorance que nous recherchions et par laquelle seule, comme nous l’avons expliqué, nous pouvons accéder en suivant les degrés de la doctrine de l’ignorance au Dieu maximum et unitrine d’infinie bonté, afin de pouvoir toujours le louer de toutes nos forces parce qu’il nous a montré ce qu’il y a en Lui d’incompréhensible » (Nicolas de Cues).

Terminons par une hymne magnifique, témoin de cette théologie apophatique où ne pas connaître est plus vrai qu’affirmer. Elle fait partie du bréviaire catholique ; elle est à ce titre régulièrement priée par des millions de baptisés. Faisons la nôtre en ce dimanche pour ruminer le passage de la Lettre aux Romains où Paul reste bouche bée, interloqué et stupéfait devant Celui qui le dépasse :

« Ô toi, l’au-delà de tout,
n’est-ce pas là tout ce qu’on peut chanter de toi ?
Quelle hymne te dira, quel langage ?
Aucun mot ne t’exprime.
À quoi l’esprit s’attachera-t-il ?
Tu dépasses toute intelligence.
Seul, tu es indicible,
car tout ce qui se dit est sorti de toi.
Seul, tu es inconnaissable,
car tout ce qui se pense est sorti de toi.
Tous les êtres,
ceux qui parlent et ceux qui sont muets,
te proclament.
Tous les êtres,
ceux qui pensent et ceux qui n’ont point la pensée,
te rendent hommage.
Le désir universel,
l’universel gémissement tend vers toi.
Tout ce qui est te prie,
et vers toi tout être qui pense ton univers
fait monter une hymne de silence.
Tout ce qui demeure demeure par toi ;
par toi subsiste l’universel mouvement.
De tous les êtres tu es la fin ;
tu es tout être, et tu n’en es aucun.
Tu n’es pas un seul être,
tu n’es pas leur ensemble.
Tu as tous les noms, et comment te nommerai-je,
toi le seul qu’on ne peut nommer?
Quel esprit céleste pourra pénétrer les nuées
qui couvrent le ciel même ?
Prends pitié,
Ô toi, l’au-delà de tout,
n’est-ce pas tout ce qu’on peut chanter de toi ? »

Grégoire de Nazianze (329-390)

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je mettrai sur mon épaule la clef de la maison de David » (Is 22, 19-23)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Parole du Seigneur adressé à Shebna le gouverneur : « Je vais te chasser de ton poste, t’expulser de ta place. Et, ce jour-là, j’appellerai mon serviteur, Éliakim, fils d’Helcias. Je le revêtirai de ta tunique, je le ceindrai de ton écharpe, je lui remettrai tes pouvoirs : il sera un père pour les habitants de Jérusalem et pour la maison de Juda. Je mettrai sur son épaule la clef de la maison de David : s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. Je le planterai comme une cheville dans un endroit solide ; il sera un trône de gloire pour la maison de son père. »

PSAUME
(Ps 137 (138), 1-2a, 2bc-3, 6.8bc)
R/ Seigneur, éternel est ton amour : n’arrête pas l’œuvre de tes mains. (cf. Ps 137, 8)

De tout mon cœur, Seigneur, je te rends grâce :
tu as entendu les paroles de ma bouche.
Je te chante en présence des anges,
vers ton temple sacré, je me prosterne.

Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité,
car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole.
Le jour où tu répondis à mon appel,
tu fis grandir en mon âme la force.

Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble.
de loin, il reconnaît l’orgueilleux.
Seigneur, éternel est ton amour :
n’arrête pas l’œuvre de tes mains.

DEUXIÈME LECTURE
« Tout est de lui, et par lui, et pour lui » (Rm 11, 33-36)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la connaissance de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? Qui a été son conseiller ? Qui lui a donné en premier, et mériterait de recevoir en retour ? Car tout est de lui, et par lui, et pour lui. À lui la gloire pour l’éternité ! Amen.

ÉVANGILE
« Je te donnerai les clés du royaume des Cieux » (Mt 16, 13-20)
Alléluia. Alléluia. Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Alléluia. (Mt 16, 18)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. » Alors, il ordonna aux disciples de ne dire à personne que c’était lui le Christ.
Patrick BRAUD

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16 octobre 2022

Pharisien lucide, publicain illucide ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Pharisien lucide, publicain illucide ?

 

Homélie pour le 30° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
23/10/2022

 

Cf. également :

D’Anubis à saint Michel 

Dans les petits papiers de Dieu

Simul peccator et justus : de l’intérêt d’être pécheur et de le savoir

« J’ai renoncé au comparatif »

Cendres : soyons des justes illucides

Toussaint : le bonheur illucide

La croissance illucide

Divine surprise

La docte ignorance

 

Tel est pharisien qui se croyait très publicain !

le chat et l'humilité« Un homme regarda une fois, de plus près, l’histoire du pharisien qui remercie Dieu, plein d’hypocrisie parce qu’il n’était pas un collecteur d’impôts. 

« Dieu soit loué ! – s’écria-t-il dans sa vanité – je ne suis pas un pharisien !« 

Ce bref texte d’Eugène Roth (poète bavarois du XX° siècle) illustre à merveille le piège paradoxal qui guette le lecteur de la parabole de ce dimanche (Lc 18, 9-14) : dès que j’ai conscience d’être l’humble publicain, je ne suis plus humble !  Il est trop facile de lire cette parabole comme la dénonciation de l’hypocrisie des autres, car d’une part je suis parfois – sans le savoir – ce pharisien content de lui-même parce qu’il a fait objectivement des choses bien, et d’autre part dès que je dis être comme cette humble publicain, je ne suis plus humble ! 

L’humilité est une pensée destructrice d’elle-même [1] en quelque sorte. Celui qui se dit humble se contredit lui-même ! Et celui qui se reconnaît pharisien hypocrite ne l’est plus… St Jean Chrysostome († 404) écrivait : 

« Tout en faisant une foule de choses bien faites, si tu te dis que tu peux t’en vanter, tu perdras le fruit de ta prière ». 

Cet effet boomerang nous interdit de nous identifier à l’un ou à l’autre.

Comment sortir de ce piège paradoxal ? 

 

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Ne pas chercher à savoir

Commençons par remarquer que c’est Jésus qui commente la prière au Temple des deux personnages. Eux n’en savent rien ! Le pharisien descend chez lui tout content d’avoir prié, sans savoir qu’il n’est pas justifié. Le publicain reprend sa triste activité de collabo, sans savoir que Dieu l’a justifié lorsqu’il battait sa poitrine à genoux. Les auditeurs de la parabole connaissent le résultat de ces deux actions, pas les deux acteurs.

Autrement dit : la justification est illucide, c’est-à-dire qu’en avoir conscience serait la dissoudre. Un peu comme le chat de Schrödinger dont on ne peut pas savoir s’il est vivant ou mort, la justice donnée par Dieu ne se possède pas en pleine conscience, sinon elle dégénère en orgueil et hypocrisie. Rappelez-vous la réplique célèbre de Jeanne d’Arc au tribunal ecclésiastique qui lui demandait si elle était en état de grâce :

« Si je n’y suis pas Dieu m’y mette. 

Si j’y suis, Dieu m’y garde ! »

Ne pas chercher à savoir si je suis juste ou pas me libère de l’angoisse du publicain comme de la suffisance du pharisien. C’est une docte ignorance (Nicolas de Cues, XIV° siècle) qui fait confiance sans savoir, qui renonce à posséder le salut, qui accepte de ne pas le maîtriser, et donc d’ignorer. 

Jeanne d'Arc devant ses jugesOn peut ainsi appeler illucide le juste qui accomplit sa justice sans la comptabiliser pour lui-même, sans même en être conscient. 

L’adjectif lucide vient du latin lux, lucis = lumière (élucider = mettre en pleine lumière). Est lucide celui qui a conscience, qui juge, voit clairement, objectivement les choses dans leur réalité (Larousse). Illucide désigne à l’inverse celui qui n’a pas conscience de lui-même.

Le juste illucide ne tient pas la liste des personnes secourues, ni des aides accordées. Il oublie le bien qu’il fait au moment même où il l’accomplit. Le publicain illucide sait qu’il ne mérite rien, et s’en remet totalement à Dieu en acceptant de ne pas savoir en sortant du Temple s’il est justifié ou non. D’ailleurs, soyons honnêtes, ce publicain est davantage dans la vérité que dans l’humilité, comme le note St Jean Chrysostome :

« Le pharisien a perdu sa justice acquise par des actes, tandis que le publicain, grâce à un langage empreint d’humilité, a obtenu la justice. Encore cela n’était-il pas à proprement parler de l’humilité, si toutefois l’humilité est bien le fait de celui qui, alors qu’il est grand, s’abaisse lui-même. Or le fait du publicain n’est pas l’humilité, mais la vérité ; ces paroles, en effet, étaient vraies, puisque celui-là était pécheur ».

 

le-bonheur-illucide--homlies-2009-10--anne-c ignorance dans Communauté spirituelleNous avons vu que le caractère illucide du salut affleure tout au long des Évangiles. À la Toussaint par exemple et à la fête du Christ-Roi, nous lisons le texte du Jugement dernier de Matthieu 25 où les justes sont tout étonnés d’être sauvés pour un verre d’eau qu’ils ont oublié, alors que les autres sont tout autant étonnés d’être condamnés pour leur rejet du Fils de l’homme dont ils n’avaient pas conscience (les malades, les prisonniers, les démunis…). Divine surprise de la justification !

Dans la parabole du grain qui pousse tout seul (Mc 4,26-34), c’est la croissance illucide du royaume de Dieu en nous et autour de nous qui nous est cachée : même pendant notre sommeil, il pousse, il grandit, et nous n’y sommes pas pour grand-chose. Et nous n’en savons rien.

Chaque Mercredi des Cendres, l’évangile de Matthieu (Mt 6,1-18) nous appelle au secret, jusqu’à cacher à nous-même le bien accompli : « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite »

Notre parabole d’aujourd’hui s’inscrit dans cette trame d’illucidité ; elle prolonge le fil rouge du non-savoir qui est la condition du salut.

 

Le caractère illucide du royaume prêché par Jésus fait du bonheur une conséquence et non un but, de la croissance un don et non un effort, de la justification une grâce et non un mérite. Mais tout cela se fait « de nuit », comme l’écrivait Saint Jean de la Croix dans sa métaphore de « la vive flamme d’amour », où celui qui est plongé dans la flamme ne voit plus rien. Plus il est uni à la lumière, moins il voit. La physique quantique dit un peu la même chose au sujet des trous noirs qui structurent nos univers : quand un astre est aspiré par un trou noir, impossible de savoir ce qu’il devient…

 

Devenir illucide ne signifie pas pour autant être un inconscient sur le plan moral ou spirituel ! Cela veut dire : accomplir le bien sans le comptabiliser, pleurer sur le mal sans désespérer, renoncer à savoir si je suis juste ou non et laisser Dieu m’aimer à sa guise. 

Ne pas renoncer à ce savoir, c’est en réalité être plus intéressé par la récompense à obtenir que par l’amour de celui qui la donne, plus motivé par le don que par le donateur. 

« Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense » (Mt 6,5).

« Il leur dit alors : Vous (pharisiens), vous êtes de ceux qui se font passer pour justes aux yeux des gens, mais Dieu connaît vos cœurs ; en effet, ce qui est prestigieux pour les gens est une chose abominable aux yeux de Dieu » (Lc 16,15).

Peu importe alors d’être pharisien impeccable ou publicain dépravé : le salut n’est pas dans ce que je fais, mais dans l’accueil de Dieu qui se donne.

 

Sortir du pélagianisme

Pélage vs AugustinNe pas chercher à savoir, rester dans une docte ignorance : cette illucidité non seulement nous libère de l’angoisse, mais également du pélagianisme. Ce mot compliqué désigne le volontarisme forcené qui croit pouvoir faire son salut à la force du poignet, en accumulant les mérites des bonnes œuvres. Pélage était un moine des III°-IV° siècles qui ferrailla avec Saint Augustin au sujet d’une question assez grave (dont nous verrons quelques harmoniques politiques et sociales) : est-il possible à l’homme de faire son salut, de « gagner son paradis » (comme on dit en Afrique !) ?

Augustin soulignait avec réalisme que « le cœur de l’homme est compliqué et malade » (Jr 17,9) : c’est un constat facile à faire que de découvrir en chacun et en tous une certaine inclination au mal, que la tradition catholique appelle depuis Augustin « péché originel ». Pélage quant à lui était beaucoup plus optimiste, beaucoup trop sans doute. Il pensait que l’homme peut, s’il le veut vraiment, se justifier lui-même. 

Pour Pélage, la justice se confond avec la sainteté, elle est la véritable sainteté. Point n’est besoin pour l’obtenir d’un secours surnaturel, d’une grâce spéciale, d’un recours particulier à la prière : il suffit d’avoir la conscience claire du but à atteindre et la force d’y parvenir. Cette force est en nous une propriété inhérente à la nature humaine, pas un don du Créateur. Ainsi l’Homme n’est pas « esclave du péché » ; il peut coopérer activement à son salut ; ou, plus exactement, il en est le premier moteur. À la limite, il peut, s’il le veut, se « justifier » lui-même [2].

 

Pélage met un actif là où Jésus conjuguait au passif. Le début de la parabole du pharisien et du publicain nous précise que Jésus parlait « pour ceux qui se flattaient d’être des gens bien ». Le texte dit précisément : « d’être des justes », ce qui contraste avec le verset 14 : « être justifié ». Pour Jésus, le salut est d’abord un passif : être justifié (par Dieu), alors que le pharisien ne connaît que l’actif : se justifier soi-même (par ses bonnes actions). Le pharisien est pélagien en ce sens qu’il croit que l’accumulation impressionnante [3] de ses bonnes œuvres lui mérite le salut. Il possède au lieu de recevoir, il maîtrise au lieu d’ignorer. Voilà comment le pélagianisme, qui fait toujours des ravages dans l’Église, substitue la morale à la foi, l’action à la contemplation, le volontarisme à l’accueil, les œuvres à la grâce, le mérite à la gratuité…

 

Sortir du pélagianisme est donc le chemin du salut !

Car ce n’est pas ce que je fais – que je sois publicain ou pharisien, peu importe ! – qui compte, mais ma capacité à recevoir ce qui m’est donné gratuitement. D’ailleurs, notons avec un brin de malice que le publicain non seulement obtient miséricorde sans l’avoir méritée, mais à aucun moment il ne promet à Dieu de changer et de vivre plus pieusement (il semble même revenir chez lui pour continuer son métier comme avant !) et pourtant il a le regard favorable de Dieu. 

Luc note que la rumeur de cet accueil inconditionnel des pécheurs par Jésus s’est répandue comme une traînée de poudre :

« Les publicains et les gens de mauvaise vie venaient tous à Jésus pour l’écouter » (Lc 15,1).

On ne peut pas montrer de manière plus claire que les œuvres ne sont d’aucune utilité pour être justifié devant Dieu. Ce petit texte est un de ceux qui parlent le plus clairement du salut par la grâce seule (la sola gratia chère aux protestants) !

Les œuvres arrivent ensuite, certes, mais viennent seulement fleurir là où la grâce a coulé abondamment, conséquences gratuites et reconnaissantes du don reçu, et non conditions nécessaires au préalable.

 

Bien avant Luther, François d’Assise avait déjà fait briller cette intuition de la vraie pauvreté évangélique qui ne s’attache pas à ses œuvres et se reçoit d’un autre :

« - Dieu, fit observer frère Léon, réclame notre effort et notre fidélité.

- Oui, sans doute, répondit François. Mais la sainteté n’est pas l’accomplissement de soi, ni une plénitude que l’on se donne. Elle est d’abord un vide que l’on se découvre et que l’on accepte, et que Dieu vient remplir dans la mesure où l’on s’ouvre à sa plénitude. Notre néant, vois-tu, s’il est accepté, peut devenir l’espace libre où Dieu peut encore créer [4] ».

 

Le clivage droite-gauche à la lumière de la parabole

1280px-Sch%C3%A9ma_politique_gauche_droite.svg illucideBon, tout ça peut vous paraître un peu trop spirituel, un peu loin de nos problèmes actuels. Pas si sûr ! Prenez par exemple le bon vieux clivage droite-gauche en France, dont on nous dit qu’il aurait disparu alors qu’il ne cesse de faire des petits. Formellement, on date la naissance de ce clivage en 1789, lorsque les députés royalistes de l’Assemblée Nationale se sont regroupés à la droite de Louis XVI (comme dans la parabole de Matthieu 25 !) pour lui exprimer leur soutien, alors que ceux de gauche étaient des révolutionnaires purs et durs. À bien étudier l’histoire des doctrines politiques et économiques qui marquent la vie de notre pays depuis 1789 (libéralisme, communisme, socialisme, voire fascisme etc.) on s’aperçoit que c’est le vieux clivage Pélage vs Augustin qui refait surface, mâtiné de l’opposition pharisien vs publicain.


Comme le disait André Frossard avec humour :

« Le malheur, c’est que la gauche ne croit pas beaucoup au péché originel et que la droite ne croit pas beaucoup à la rédemption ».

La Gauche, la droite et le péché originel eBook by Léo MoulinLa droite sait que le mal existe, indéracinable, dès le début, en toute aventure humaine. Elle ne cherche pas à l’éradiquer, mais à l’utiliser autant que possible pour lui faire produire du bien (en faisant appel aux intérêts de chacun). Elle tient d’Augustin un certain réalisme (voire pessimisme) sur l’homme et se méfie de tous ceux qui veulent faire son bonheur par la force. La droite croit donc au péché originel et à ses conséquences sociales. Elle sait que le royaume de Dieu n’est pas de ce monde. Par contre, elle a du mal avec la rédemption, c’est-à-dire l’action d’un tiers (État, associations, actions collectives etc.) pour sauver les pauvres.

La gauche – elle – est plutôt rousseauiste : elle ne croit pas au péché originel, mais pense que l’homme est foncièrement bon et que c’est la société (injuste) qui le corrompt. Il faut donc renverser les structures injustes (la royauté, le capitalisme etc.) et les remplacer par des systèmes plus justes (la propriété collective, les taxations, les lois révolutionnaires etc.) et cela devrait suffire. Du coup, la gauche ne comprend pas pourquoi des pauvres resteraient du côté de la méchanceté, du mal et de l’injustice, et n’a jamais pu envisager que derrière le communisme à l’Est il y aurait le goulag…

La gauche a un problème avec le péché originel.
La droite a un problème avec la Rédemption.
Mais toutes deux sont pélagiennes….

Le pélagianisme de la droite est tout individuel : c’est à chacun de faire son salut, il n’y a rien à attendre du collectif si ce n’est garantir les libertés individuelles. Ce pharisaïsme actif prône et sacralise la responsabilité individuelle, le sens de l’initiative, la valeur travail et le mérite. Le mythe du self-made-man incarne au plus haut point le salut libéral, acquis à la force du poignet par la seule force de l’individu.

Le pélagianisme de la gauche est plutôt collectif. Il suffit de s’unir pour renverser les inégalités et notre action rétablira la justice. Cela ne dépend que de nous. L’Utopie (version sécularisée du royaume de Dieu) est à portée de main, fruit de notre combat collectif.

 

On voit que droite et gauche laissent peu de place finalement à ce que Jésus appelle « être justifié », c’est-à-dire à l’accueil de ce qui nous est donné sans pouvoir le produire par nous-mêmes. Peut-être est-ce l’écologie politique qui pourrait nous faire sortir de ces excès ? Car l’écologie nous rappelle qu’il y a un donné naturel, indépendant de l’homme, sensible à ses actions, et que ce donné n’est pas illimité. L’homme n’est pas tout-puissant : les conséquences de sa volonté de maîtrise totale risquent de lui revenir en pleine figure. Accumuler des performances techniques comme le pharisien ses bonnes œuvres, ou même énumérer ses gaspillages comme le publicain ses péchés ne le sauvera pas. Il faudra une nouvelle alliance avec la nature, où l’homme acceptera d’accueillir et pas seulement de prendre, d’être justifié en quelque sorte au lieu de se justifier.

La plupart des grandes idées politiques sont des concepts théologiques sécularisés. Qu’au moins la parabole du pharisien et du publicain inspire d’autres politiques à ceux qui nous gouvernent, et à nous qui sommes censés les choisir !

 

 ______________________

[1]. Ce concept est popularisé par Etienne Klein, philosophe des sciences, à propos du néant à qui on donnerait un contenu si on le définissait alors qu’il n’en n’a pas : « L’idée du néant est destructrice d’elle-même, on ne peut penser au néant qu’en n’y pensant pas ». L’humilité est comme le néant : impensable…

[2]. Pour trop minimiser la grâce, la doctrine de Pélage fut désavouée par le 16° concile de Carthage en 418.

[3]. Il en fait beaucoup plus que les autres. Par exemple la Loi obligeait les Juifs à jeûner deux fois par an : le Jour de Yom Kippour et l’anniversaire de la destruction du Temple par les Babyloniens en 586 av. J.-C. Certains pharisiens zélés pratiquaient cependant le jeûne deux fois par semaine : le jeudi et le lundi, car selon les rabbins Moïse est monté chercher les tables de la Loi le quatrième jour de la semaine et il est revenu le premier jour de la semaine suivante. Les cas de jeûne de deux jours étaient pourtant rares et cela fait croire au pharisien qu’il était extraordinaire dans ses actes.

[4]. Eloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre, Paris, Éditions franciscaines, 1984, p.114


LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE

« La prière du pauvre traverse les nuées » (Si 35, 15b-17.20-22a)

 

Lecture du livre de Ben Sira le Sage

Le Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes. Il ne défavorise pas le pauvre, il écoute la prière de l’opprimé. Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin, ni la plainte répétée de la veuve. Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli, sa supplication parviendra jusqu’au ciel. La prière du pauvre traverse les nuées ; tant qu’elle n’a pas atteint son but, il demeure inconsolable. Il persévère tant que le Très-Haut n’a pas jeté les yeux sur lui, ni prononcé la sentence en faveur des justes et rendu justice.

 

PSAUME

(Ps 33 (34), 2-3, 16.18, 19.23)
R/ Un pauvre crie ; le Seigneur entend. (Ps 33, 7a)

 

Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

 

Le Seigneur regarde les justes,
il écoute, attentif à leurs cris.
Le Seigneur entend ceux qui l’appellent :
de toutes leurs angoisses, il les délivre.

 

Il est proche du cœur brisé,
il sauve l’esprit abattu.
Le Seigneur rachètera ses serviteurs :
pas de châtiment pour qui trouve en lui son refuge.

 

DEUXIÈME LECTURE

« Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice » (2 Tm 4, 6-8.16-18)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, je suis déjà offert en sacrifice, le moment de mon départ est venu. J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice : le Seigneur, le juste juge, me la remettra en ce jour-là, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront désiré avec amour sa Manifestation glorieuse. La première fois que j’ai présenté ma défense, personne ne m’a soutenu : tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux. Le Seigneur, lui, m’a assisté. Il m’a rempli de force pour que, par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes les nations l’entendent. J’ai été arraché à la gueule du lion ; le Seigneur m’arrachera encore à tout ce qu’on fait pour me nuire. Il me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste. À lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.

 

ÉVANGILE

« Le publicain redescendit dans sa maison ; c’est lui qui était devenu juste, plutôt que le pharisien » (Lc 18, 9-14)
Alléluia. Alléluia. Dans le Christ, Dieu réconciliait le monde avec lui : il a mis dans notre bouche la parole de la réconciliation. Alléluia. (cf. 2 Co 5, 19)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts). Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.’ Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !’ Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé ».

Patrick BRAUD

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20 novembre 2014

Divine surprise

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Divine surprise

 

Homélie pour la fête du Christ Roi / Année A
23/11/2014

 

Comme sous un voile d’ignorance

Savez-vous réellement ce que vous aurez « fait de bien » dans votre vie ?
Connaissez-vous vraiment les noms et les visages de ceux pour qui vous aurez été quelqu’un d’important ?
Vous allez répondre : bien sûr ! Mon conjoint, mes enfants, telle personne que j’ai aidée, tel ami avec qui je suis très proche…

L’évangile de la fête du Christ-Roi (Mt 25, 31-46) nous invite à ne pas répondre trop vite à cette question. « Quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim et soif ? » s‘étonnent les justes. Ils ne se souviennent pas d’avoir croisé le Christ. « Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ? » : leur surprise est totale. Ils ne savaient pas l’importance d’une visite à un prisonnier ou à un malade. Ils ignoraient l’enjeu d’un verre d’eau ou d’un repas offert. Et pourtant ils l’ont fait, en oubliant le plus souvent qu’ils l’avaient fait.

Divine surprise que celle qui nous attend au terme de l’histoire : il nous sera enfin révélé la vraie qualité des gestes et des paroles posées. Amère surprise pour certains peut-être : ils ne se souviennent pas ne pas avoir fait, et pourtant ils ne l’ont pas fait.

Tant que le coup de sifflet final n’a pas retenti, nous ne savons donc pas quel est notre score réel, le nombre de buts marqués. Nous jouons notre partie comme sous un voile d’ignorance. Et cette ignorance est belle, dans la mesure où elle nous empêche de comptabiliser, de calculer, de maîtriser les résultats de nos actes.

Notons au passage que le jugement dernier de Mt 25 s’adresse aux « nations », c’est-à-dire justement à ceux qui ne connaissent pas le Christ. Les croyants eux « échappent au jugement » comme l’écrit l’évangéliste Jean. Les nations, dans l’ignorance du Christ, n’ont que leur conscience pour les guider. Il y a suffisamment d’image divine dans cette conscience humaine pour les faire choisir ce qui est juste et rejeter ce qui est injuste. Leur surprise sera donc d’autant plus grande de découvrir la valeur éternelle de leur service des pauvres, des malades et des prisonniers à qui le Christ s’identifie.

Chacun de nous participe de cette ignorance et de cette surprise.

À qui n’est-il pas arrivé de recueillir le témoignage bien des années après de quelqu’un pour qui il a été une aide, un sauveur, un déclic, sans même le savoir ? Les instituteurs par exemple qui croisent leurs anciens élèves 20 ans ou 30 ans après pourraient vous en raconter ! Et ce sont rarement ceux à qui on s’attendait qui manifestent de la reconnaissance…

Se laisser surprendre par le feed-back de nos actions est donc essentiel pour découvrir le vrai visage du Christ.
Accepter la docte ignorance de celui qui fait sans savoir ce que cela produit est salutaire.
Ne pas maîtriser le bien accompli rend libre pour continuer à diffuser ce bien hors de tout contrôle.

 

Le mal par omission

Cette ignorance concerne également le mal commis, hélas.
Nous ne savons pas – ou si peu - à qui nous n’avons pas offert un verre d’eau, un repas, une visite. Car le mal dans ce texte du jugement dernier est défini par l’absence plus que par les actes mauvais. C’est l’absence de service des pauvres que le Christ reproche aux injustes. Le péché par omission en quelque sorte.
Peut-être sommes-nous davantage détruits par le bien que nous ne faisons pas que par le mal que nous faisons ?

« Chaque fois que vous ne l’avez pas fait… » : c’est cela qui a éloigné les injustes du Christ. Visiblement, leur surprise est immense de découvrir ce qu’ils n’ont pas fait !

Pourtant, c’est évident si on y réfléchit : ce que nous ne faisons pas nous manque rarement. Un peu comme Mozart ne manque pas à celui qui n’y a jamais été initié. Chacun de nous peut vivre en toute bonne conscience sans jamais réaliser tout ce à côté de quoi il passe, tous ceux à côté de qui il passe.

C’est donc qu’il nous faut des alliés pour nous révéler ces angles morts inconnus de nous. Mieux vaudrait le dur reproche d’un allié maintenant que le terrible constat du Christ à la fin des temps : « ce que vous n’avez pas fait… »

Un tel allié met le doigt sur ce qui ne nous fait pas mal : notre absence de compassion, de service, de solidarité, d’humanité tout simplement.

Qui peut jouer ce rôle salutaire aujourd’hui pour éviter la terrible surprise demain ?

Les médias peuvent jouer un rôle, en nous éveillant à la galère des populations qui nous entourent, ou qui sont abandonnées au loin. Le voyage, le contact avec l’étranger peuvent être des déclics. Sans oublier des textes bibliques comme le jugement dernier de Mt 25, qui résonne comme une alarme d’incendie dans un gratte-ciel où tous pensent être à l’abri à leur étage. La responsabilité envers l’autre sait faire feu de tout bois pour s’inviter dans la tranquillité de celui qui croit être globalement un bon citoyen, un parent acceptable, un voisin correct, bref quelqu’un qui ne fait de mal à personne.

Or la parabole du jugement dernier laisserait penser que le problème viendra beaucoup plus de nos omissions que de nos actions…

 

Sourire aux médailles

Gen. Pace's medals as of Veterans Day 2005. Top row center is the Legion of Merit; bottom row right is the Vietnam Campaign Medal.Reste - heureusement - la divine surprise des justes qui s’ignorent comme tels. Il est donc recommandé de ne pas posséder le fruit de nos actes, même les meilleurs, comme si oublier le bien accompli était la voie la plus sûre pour laisser le Christ - in fine - nous révéler ce qui a été réellement le positif de nos vies.

Ce qui empêche d’ailleurs d’être jamais rassasié du service des plus démunis.

Celui qui comptabilise ses dons n’est pas dans le service.

Celui qui accepte de ne pas connaître ni le mal ni le bien commis sera libre de se laisser surprendre dès maintenant et à la fin.

Ce qui implique sans doute de renoncer à un tas de réflexes si bien ancrés : exiger un merci en retour, vouloir laisser une trace derrière soi, se valoriser en train de servir les autres, exercer une secrète domination sur ceux qu’on aide etc….

Vivre la divine surprise du jugement dernier demanderait plutôt de laisser l’autre s’en aller sans le retenir, de ne pas faire la liste de ce qu’on a fait de bien, d’oublier ce que les autres nous doivent, d’être libres vis-à-vis de toute forme de reconnaissance, de sourire aux médailles…

Ne pas vouloir contrôler ni maîtriser le fruit de ses actes, tout en aiguisant le désir de servir, est le chemin le plus sage pour se laisser surprendre, aujourd’hui et demain, par la révélation qui vient des autres partiellement et du Christ en plénitude.

Par qui, par quoi suis-je capable de me laisser surprendre ?

Que voudrais dire pour moi anticiper la divine surprise qui m’attend au terme de l’histoire ?

 

 

1ère lecture : Dieu, roi et berger d’Israël, jugera son peuple (Ez 34, 11-12.15-17)
Lecture du livre d’Ezékiel

Parole du Seigneur Dieu : Maintenant, j’irai moi-même à la recherche de mes brebis, et je veillerai sur elles. Comme un berger veille sur les brebis de son troupeau quand elles sont dispersées, ainsi je veillerai sur mes brebis, et j’irai les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de brouillard et d’obscurité. C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer, déclare le Seigneur Dieu. La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la soignerai. Celle qui est faible, je lui rendrai des forces. Celle qui est grasse et vigoureuse, je la garderai, je la ferai paître avec justice. Et toi, mon troupeau, déclare le Seigneur Dieu, apprends que je vais juger entre brebis et brebis, entre les béliers et les boucs.

Psaume : 22, 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6
R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer.

Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.

Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.

Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.

2ème lecture : La royauté universelle du Fils (1Co 15, 20-26.28)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité. Car, la mort étant venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection. En effet, c’est en Adam que meurent tous les hommes ; c’est dans le Christ que tous revivront, mais chacun à son rang : en premier, le Christ ; et ensuite, ceux qui seront au Christ lorsqu’il reviendra. Alors, tout sera achevé, quand le Christ remettra son pouvoir royal à Dieu le Père, après avoir détruit toutes les puissances du mal. C’est lui en effet qui doit régner jusqu’au jour où il aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. Et le dernier ennemi qu’il détruira, c’est la mort. Alors, quand tout sera sous le pouvoir du Fils, il se mettra lui-même sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis, et ainsi, Dieu sera tout en tous.

Evangile : La venue du Fils de l’homme, pasteur, roi et juge de l’univers (Mt 25, 31-46)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Béni soit le règne de David notre Père, le Royaume des temps nouveaux ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Alléluia. (cf. Mc 11, 9-10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres : il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche.

Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !’
Alors les justes lui répondront : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu…? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?’
Et le Roi leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : ‘Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.’
Alors ils répondront, eux aussi : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?’
Il leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait.’
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »
Patrick BRAUD

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