L'homélie du dimanche (prochain)

25 septembre 2022

Savoir se rendre inutile

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Savoir se rendre inutile

 

Homélie pour le 27° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
02/10/2022

 

Cf. également :

Foi de moutarde !

Les deux serviteurs inutiles

L’ « effet papillon » de la foi

L’injustifiable silence de Dieu

Jesus as a servant leader

Manager en servant-leader

Servir les prodigues 

Restez en tenue de service

Agents de service

18/20, c’est normal ?
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Au lycée, quand je ramenais tout fier à la maison mon carnet de notes avec 18/20 de moyenne, je m’attendais les premières années à des torrents de félicitations et de louange pour tout ce travail scolaire que j’avais décidément bien fait. Ma fierté enthousiaste était vite douchée ! Mon père parcourait les notes avec attention et sérieux, et le signait en disant : « c’est bien, ne te relâche pas ». Ma mère lisait les comme
ntaires élogieux des professeurs, et rajoutait le sien : « c’est normal ; tu n’as aucun mérite, c’est ton niveau ». Et mon père renchérissait : « tu verras plus tard que tu es loin d’être le meilleur ; tu n’as pas à te vanter d’obtenir les notes que tu dois obtenir parce que tu as les facilités pour cela ». Effectivement, les classes préparatoires ensuite m’ont ramené au réalisme du bon élève de province qui se retrouve parmi les cracks de tout le pays ! Impossible de fanfaronner lorsqu’on est au coude à coude avec les autres, les meilleurs.

3b7a00e90b66ea9f4823305cb1410008 David dans Communauté spirituelleSi vous n’avez pas eu un bon carnet de notes au Lycée, consolez-vous : il y a sûrement un autre domaine d’excellence où il est normal que vous produisiez de l’excellent. Chacun de nous est très bon dans un domaine ou un autre (manuel, intellectuel, artistique, relationnel etc.). Le psychologue Howard Gardner a même distingué neuf formes d’intelligence chez l’enfant (théorie des intelligences multiples) [1], ce qui implique qu’il peut toujours trouver un champ d’application où il sera au top : atteindre un haut niveau dans ce domaine n’a alors rien d’exceptionnel, c’est normal.

La parabole de Jésus ce dimanche sur le serviteur inutile (Lc 17,5-10) me renvoie à ces souvenirs scolaires : celui qui donne ce qu’il peut n’a aucune gloire en tirer. Serait-il orgueilleux que très vite d’autres – beaucoup plus forts – lui rabattraient son caquet !

« Nous sommes de simples (χρεος achreiosserviteurs ».

Comment traduire l’adjectif grec χρεος de la parabole ? Inutile est passé dans le langage courant pour désigner le serviteur qui reste modeste, ‘qui ne se la pète pas’ comme dit joliment le langage populaire. La liturgie traduit : « simple serviteur ». D’autres disent : serviteur quelconque, ordinaire, sans mérite particulier. L’adjectif ἀχρεῖος est difficile à traduire car il ne se trouve que 3 fois dans la Bible grecque : pour qualifier David dansant devant l’Arche, pour éliminer le serviteur stérile de la parabole des talents, et ici dans notre parabole des serviteurs qui ne font que leur devoir.


David, le roi indécent

La seule apparition du terme ἀχρεῖος dans l’Ancien Testament (LXX) est en 2S 6,21-22 : « David dit à Mikal : ‘Oui, je danserai devant le Seigneur. Je me déshonorerai encore plus que cela, et je serai abaissé (ἀχρεῖοςà mes propres yeux, mais auprès des servantes dont tu parles, auprès d’elles je serai honoré’ ».

L’épisode est célèbre : David entre à Jérusalem pour fêter la victoire sur les Philistins et il est persuadé que c’est le soutien de YHWH symbolisé par l’Arche d’Alliance qui lui a permis de triompher. Alors, sans aucune pudeur ni retenue, lui le jeune roi laisse éclater sa joie en dansant devant l’Arche portée en procession. Il est à moitié dépenaillé, si bien que la cour royale est choquée de voir le plus haut personnage de l’État se contorsionner à moitié nu devant le peuple. La réponse de David à ceux qui le raillent montre bien le contenu de son attitude ἀχρεῖος : il est sans malice, naturel, sans calcul, il est simple au sens étymologique c’est-à-dire sans-pli, sans repli ni pensées tordues.

Être ἀχρεῖος pour David signifie alors : ‘je sais bien que ce n’est pas moi qui ai remporté la victoire ; toute la gloire en revient à Dieu et je me réjouis d’être ainsi entouré d’amour bien au-delà de ma valeur personnelle, bien au-delà de mes actes valeureux ou non’.

David est simple et sa cour le trouve simplet. Il est humble et les petites gens se reconnaissent en lui. Il rend toute gloire à Dieu, car depuis Bethsabée il se sait adultère, violeur, assassin. Il fait tout ce qu’il peut en tant que roi pour protéger son peuple, en comptant sur Dieu plus que sur ses propres forces.

Du coup il danse ! Quoi de plus inutile que la danse ? Danser n’est pas nécessaire. C’est gratuit ; c’est par-dessus le marché, et d’ailleurs il n’y a pas de marché avec Dieu !


danse de David devant l'Arche

Nous sommes David lorsque nous nous réjouissons de ce que Dieu réalise à travers nous, ou sans nous. Voilà le serviteur inutile de la parabole : quelqu’un qui n’est pas attaché à ses œuvres, libre de toute suffisance, qui ne se laisse pas troubler par le bien qu’il accomplit car cela lui a été donné. Cela ne vient pas de lui. Il n’a aucune gloire à en tirer pour lui-même.

La danse de David ajoute un petit grain de folie et de gratuité à l’humilité du simple serviteur qu’il a conscience d’être.

C’est un indice pour nous : quand dans nos vies il y a de l’exubérance, de la joie, de l’élan artistique, de l’excès créatif, alors nous ne sommes pas loin du serviteur inutile de la parabole.


L’enfouisseur de talents

ob_c7914b920ae63d1d641718f4cd1e9439_a7a humilitéLe 2e emploi de l’adjectif ἀχρεῖος est plus douloureux. C’est l’exigence du maître de la parabole des talents qui se manifeste envers celui qui a enfoui en terre l’argent reçu :

« Quant à ce serviteur inutile (ἀχρεῖος), jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents ! » (Mt 25,30)

Ce serviteur-là est plus qu’inutile : il est stérile, contre-productif, voire dangereux. Alors que l’inflation rogne chaque année 5 % à 10 % du capital du maître, il le laisse dépérir. Pire que le livret A ! Avec de tels intendants on se retrouve vite sur la paille ! Ce bon-à-rien est alors dépouillé de tout et chassé au loin. Bigre ! C’est le même adjectif ἀχρεῖος dans les deux paraboles… : le serviteur bon-à-rien et le serviteur inutile sont qualifiés de même, mais n’ont pas le même traitement ! L’un est chassé ; l’autre est maintenu. C’est donc qu’il y a deux formes d’inutilité en réalité : celle qui ne travaille pas et a peur, et celle qui fait tout son devoir avec sérénité. Se savoir non-indispensable n’est pas un alibi pour la paresse ! Se déclarer inutile ne vaut qu’après une journée de labeur aux champs et de service à table. Sinon, c’est se défausser trop vite en refusant de s’impliquer.


Le serviteur inutile
Le 3e emploi de l’adjectif ἀχρεῖος, celui de notre parabole, se situe quelque part entre David et le bas de laine : il s’agit pas de ne rien faire, mais de faire de son mieux sans orgueil ni vanité. C’est bien connu : le cimetière est rempli de gens indispensables…
L’avertissement sera précieux pour les Douze : Jésus va les envoyer en mission deux par deux, et ils vont connaître eux aussi leur quart d’heure de gloire promis par Andi Warhol (« À l’avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale »). En guérissant les malades, en prêchant avec talent et autorité, en subjuguant les foules, les Douze vont très vite voir le succès leur monter à la tête ! Ils vont par exemple vouloir faire tomber « le feu de Dieu » sur leurs contradicteurs, pour être sûrs de les écraser devant tout le monde (Lc 9,54). Heureusement Jésus résistera à leur orgueil, et les ramènera à plus d’humilité : ‘ne prenez pas la grosse tête ; vous n’êtes pas plus grands que celui qui vous a envoyé. Réjouissez-vous parce que Dieu agit à travers vous, et ne cherchez pas en tirer profit ou prestige’.

Se considérer comme un serviteur inutile est source de sérénité. Je peux accomplir mon devoir avec cœur sans trop en attendre. Car ma valeur personnelle n’est pas dans ce que je fais : elle est dans le fait d’être moi, et aimé pour ce que je suis. Et cela suffit.

C’est la vieille leçon du jour du shabbat : ce jour-là, un juif ne travaille pas, ne produit rien, n’est utile à rien, et pourtant il existe encore, il vaut tout autant qu’hier ou demain. La non-activité du shabbat libère les juifs de l’obsession productiviste sans abolir le sens du devoir, au contraire. D’ailleurs le shabbat ce n’est pas ne rien faire ! C’est consacrer du temps à la famille, à la culture, à l’art, au repos, avec créativité et génie artistique. C’est danser devants l’Arche sans autre but que la danse elle-même…

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Marc Pernot, Pasteur de l’Église Protestante de Genève, commente [2] :

51crYiOaemS._SX322_BO1,204,203,200_ parabole« J’aime bien ce passage de l’Évangile selon Luc. L’idée que j’en tire est la joie d’avoir fait ce que l’on a pu, tel que ça vient, et de ne pas en tirer d’orgueil personnel de ne pas y chercher un statut. Il y a là comme un calme et une tranquillité qui me plaît […] Il me semble qu’alors l’action, si elle devient possible, trouve une motivation bien placée, pour elle-même, parfois pour la beauté du geste, parfois parce que c’est utile et juste, parfois parce que cela me correspond, comme un jaillissement. Et c’est alors une action juste, sincère, pure ».

Parce que l’être est premier, parce qu’en Dieu il est inconditionnel, l’action peut en découler, libre de tout attachement. Cette action-là n’est pas remplie de l’angoisse de se prouver aux autres ou à soi-même, elle coule, tranquille et gratuite, de la source où je suis assuré dans l’être.

Non pas faire pour être, mais être et donc faire (ou ne pas faire) de manière égale.

Marc Pernot apprécie alors le serviteur à sa juste valeur :

« Son travail peut sembler bien peu de chose, rien de spectaculaire, et pourtant, revenant d’avoir accompli ces soins, il lui est donné de nourrir et servir Dieu lui-même avant de se servir soi-même. Je trouve cela beau, un peu comme David dansant devant l’arche. Ce n’est pas un sacrifice de soi-même, c’est même tout le contraire, c’est un amour du meilleur, dans le monde, pour le monde et en soi-même, pour soi-même. Sans oublier de manger après. C’est peut-être sa propre créativité qu’il a nourrie en nourrissant Dieu et en servant Dieu ? Avec la force aussi qu’il n’a pas oublié de prendre ensuite (bien sûr), ce serviteur a fait un travail sur l’être se concentrant là-dessus en mettant de côté le paraître. C’est peut-être cela la façon d’être mise ici en relief par Jésus. Le serviteur n’a certes pas été inutile puisqu’il a fait ce qu’il devait. Mais sa façon d’être est à la face du monde comme un manifeste de cette tranquillité de celui qui s’attache à faire ce qu’il peut en mettant la priorité sur ce qui est bien dans la profondeur de l’être.

Et ce serviteur se met alors à parler au pluriel, semblant rejoindre ainsi d’autres serviteurs de la profondeur. Ou rejoindre Dieu lui-même, spécialiste de cet humble travail en profondeur ? »


L’adjectif hébreu

4e5e95c8b7f0acb7f93fc7fc8c438cf6 serviteurQuel serait l’équivalent hébreu de l’adjectif grec ἀχρεῖος ? On le trouve dans la version hébraïque du passage concernant David : שָׁפָל (sha.phal)littéralement celui qui est en bas. En français, on dirait ‘humble’. David, tout roi prestigieux qu’il était, dansait humblement devant l’Arche, se sachant tout petit devant le Très-Haut. Les usages de ce terme abondent dans l’Ancien Testament pour encourager les petits qui comptent sur Dieu :

« YHWH élève les humbles שָׁפָל, les affligés parviennent au salut » (Jb 5,11).

« Si haut que soit le Seigneur, il voit le plus humble שָׁפָל ; de loin, il reconnaît l’orgueilleux » (Ps 138,6).

« L’orgueil d’un homme l’humiliera, l’esprit humble שָׁפָל obtiendra la gloire » (Pr 29,23).

« Car ainsi parle Celui qui est plus haut que tout, lui dont la demeure est éternelle et dont le nom est saint : J’habite une haute et sainte demeure, mais je suis avec qui est broyé, humilié שָׁפָל dans son esprit, pour ranimer l’esprit des humiliés שָׁפָל, pour ranimer le cœur de ceux qu’on a broyés » (Is 57,15).

Le royaume de David lui-même doit rester humble et modeste, sinon il s’éloignera de l’alliance :

« YHWH a pris quelqu’un de souche royale et a conclu une alliance avec lui ; il lui a fait prêter serment, après avoir enlevé les puissants du pays, pour que le royaume reste modeste שָׁפָל, sans s’élever, qu’il garde son alliance et qu’elle subsiste » (Ez 17,13-14).

L’Égypte également après l’orgueil des pharaons sera ramenée à plus de modestie afin de ne plus être le tyran qui asservit ses voisins :

« Je changerai la destinée des Égyptiens ; je les ferai revenir au pays de Patros, leur pays d’origine. Ils formeront un royaume modeste שָׁפָל. Il sera plus modeste שָׁפָל que les autres royaumes ; il ne s’élèvera plus au-dessus des nations. Je l’amoindrirai pour qu’il ne domine plus les nations » (Ez 29,14-15).

Comme quoi les royaumes, les régimes politiques eux aussi peuvent être de simples serviteurs, pour peu qu’ils mettent leur orgueil ultra-nationaliste de côté… Toute allusion à l’actualité de la guerre dans le monde serait bien sûr voulue.

Finalement, on devine dans l’adjectif hébreu שָׁפָל l’attitude de Marie coopérant de tout son cœur à l’œuvre de Dieu en elle, en sachant en sachant que tout vient de lui : « Je suis la servante du Seigneur », « Il a jeté les yeux sur son humble servante » (Luc, 1,38.48) …
Marie ne revendique rien pour elle, elle attribue tout à Dieu, ce qui la rend libre pour participer corps et âme au salut qui la traverse.

Puissions-nous dire ensemble : « nous sommes de simples serviteurs ».
Puissions-nous apprendre à nous rendre inutiles !

_____________________


[1]
 Intelligence linguistique, logico-mathématique, spatiale, intra-personnelle, interpersonnelle, corporelle-kinesthésique, musicale, naturaliste, existentielle (ou spirituelle).


[2]
https://jecherchedieu.ch/question/comment-vous-interpretez-et-vivez-cette-parabole-de-jesus-sur-le-serviteur-inutile-ou-quelconque/

 

 

LECTURES DE LA MESSE

 

PREMIÈRE LECTURE
« Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)

 

Lecture du livre du prophète Habacuc

Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent.
Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard.
Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.

 

PSAUME
(Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9)
R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur !
 (cf. Ps 94, 8a.7d)

 

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

 

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

 

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

 

DEUXIÈME LECTURE
« N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur » (2 Tm 1, 6-8.13-14)

 

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains. Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.

 

ÉVANGILE
« Si vous aviez de la foi ! » (Lc 17, 5-10) Alléluia. Alléluia.
La parole du Seigneur demeure pour toujours ; c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée. Alléluia. (cf. 1 P 1, 25)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.
Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »
Patrick BRAUD

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25 août 2019

Recevoir la première place

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Recevoir la première place

Homélie pour le 22° Dimanche du temps ordinaire / Année C
01/09/2019

Cf. également :

Plus humble que Dieu, tu meurs !
Dieu est le plus humble de tous les hommes
Un festin par-dessus le marché
Jesus as a servant leader
Du bon usage des leaders et du leadership
Quand Dieu appelle

Une promotion ? Non, merci !

avancement Sgen-CFDTGuillaume est un employé modèle, sur qui on peut compter. Il a de l’expertise et de l’expérience. Son hiérarchique le convoque dans son bureau et lui annonce :
- « Bonne nouvelle Guillaume : vous êtes promu chef d’atelier ! Nous pensons que vous avez bien mérité cet avancement. »
Silence gêné de Guillaume, qui reprend tout doucement la parole après quelques secondes de réflexion :
- « Chef, c’est pas pour moi. Tout ce que je veux, c’est rester dans mon métier actuel, avec mes collègues. Les responsabilités, c’est pas pour moi. Désolé. »
Ils seraient environ la moitié des salariés du privé à refuser comme Guillaume de devenir cadre (selon une étude de l’Association Pour l’Emploi des Cadres (APEC) en 2009), quitte à stagner dans leur carrière, voire même à préférer la rétrogradation ou la perte de statut à un poste ultra stressant. Les raisons sont multiples, mais la peur en fait partie : peur de quitter une situation maîtrisée et confortable, peur du flou du statut du cadre, peur de ne plus avoir d’horaires, d’être jugé sur le résultat des autres, de manager une équipe etc.

C’est pourtant une des conséquences surprenantes de la parabole de la dernière place imaginée par Jésus en ce dimanche (Lc 14, 1.7-14) :
« Quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : ‘Mon ami, avance plus haut’, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à la table avec toi. En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »

On a raison de se focaliser sur la pointe de la parabole : prendre la dernière place. Mais on aurait tort d’oublier le corollaire tout aussi exigeant : accepter d’être invité à monter plus haut lorsque le maître du repas m’y invite ! D’ailleurs le texte s’organise autour de ces deux oppositions : première / dernière place, et prendre / recevoir. Nous voyons bien ceux qui jouent des coudes pour occuper le premier rang dans tous les domaines. Ceux qui dans une association veulent être président, ceux qui tiennent à parler au micro pour qu’on les remarque, ceux qui n’arrivent pas à décrocher d’un mandat électif après tant d’années, ceux qui s’accrochent à leurs privilèges comme la place de parking à l’usine, le téléphone de fonction ou le rang dans l’organigramme… Ils sont hélas légion ceux qui prennent de force la place (relative) de premier dans les grandes ou des petites tâches. Même dans l’Église, certains se battent pour être nommés responsable de ceci ou de cela, et ensuite ils ne veulent plus laisser la place à personne d’autre ! C’est tellement visible que cela fait pitié…

À l’inverse, nous voyons beaucoup moins facilement ceux qui se cachent pour ne pas être appelés, ceux qui ont peur des responsabilités et ne veulent pas donner plus que maintenant. À tel point que nous avons perdu l’habitude, même en Église, d’appeler quelques-uns à monter plus haut au lieu de laisser certains s’accaparer une première place. Au lieu de discerner : ‘qui pouvons-nous appeler à devenir catéchiste ?’, nous préférons demander à la cantonade : ‘y a-t-il des volontaires pour faire le caté ?’, quitte à laisser  s’installer des personnes qui n’ont absolument pas le charisme requis…

 

Accepter de recevoir des responsabilités

N’est pas chef qui veut, mais qui y est appelé.

Qu'est-ce qu'un chef ?Cela devrait être la norme pour toute responsabilité, en Église comme ailleurs. D’ailleurs, nul n’a le droit de devenir prêtre ou évêque, même s’il le désire très fort. Il faut qu’il y soit appelé (par l’évêque, le pape). On ne se fait pas prêtre, on y est ordonné par quelqu’un d’autre.

Être invité à monter plus haut est la conséquence d’une humilité véritable.

On voudrait nous faire croire qu’il faudrait inévitablement beaucoup d’ego pour devenir un personnage politique, un élu, un responsable. C’est oublier Gandhi, Martin Luther King, Mandela et tant d’autres. C’est oublier Moïse, « l’homme le plus humble que la terre ait  porté » (Nb 12,3), à qui Dieu a dû forcer la main en quelque sorte pour le contraindre à prendre la tête de la révolte et de l’Exode, jusqu’à lui donner Aaron comme porte-parole puisque Moïse était bègue (Ex 4, 10-17) et donc non prédestiné à jouer les premiers rôles !

Ce serait oublier également que Jésus lui-même a pratiqué cet appel pour les Douze, pour Pierre en particulier, pour Paul ensuite. Ce serait oublier que Matthias ne demandait rien lorsque l’Église lui a demandé de prendre la place de Judas après Pâques (Ac 1, 15-26). Ce serait oublier que les Sept (diacres) n’étaient candidats à rien lorsqu’on est venu les chercher pour leur demander d’accepter le ministère des tables (Ac 6, 1-7).

L’humilité au cœur de notre parabole a donc un autre versant, tout aussi exigeant : accepter de recevoir des responsabilités, tout en restant humblement à la dernière place en son cœur.

 

Pour une culture de l’appel

Recevoir la première place dans Communauté spirituelle VOLVO-JAUNE-196x130Un ami travaillant dans l’entreprise franco-suédoise Volvo Trucks me racontait comment s’organise le travail dans leurs usines depuis plus de 30 ans. La production est répartie en plusieurs mini-usines, une vingtaine d’ouvriers environ, à qui on a confié assez d’autonomie pour gérer leurs clients, leurs fournisseurs, leurs commandes, leurs horaires etc. Pas plus de 20 ouvriers, sinon les liens deviennent impersonnels et la communication difficile. Une taille quasi familiale. Pour coordonner le travail au sein de cette mini-usine il faut un responsable d’équipe. Chez Volvo Trucks, ce n’est pas la hiérarchie qui le nomme, ni un  volontaire qui fait campagne. Non : c’est l’équipe qui délibère, qui discute du contenu de ce rôle, et qui vote pour élire celui ou celle qui sera leur responsable, pour un temps. Utopique ? Non, car cela marche depuis longtemps, dans une grande entreprise (plus de 100 000 salariés) et dans un secteur industriel (la fabrication de camions sophistiqués) qui ne tolère pas l’à-peu-près.

Une culture de l'appel pour la cause de l'ÉvangileIl est donc possible de pratiquer une culture de l’appel dans tous les domaines de notre vie. Cela suppose de dire non à ceux qui veulent s’arroger les premières places de leur propre initiative. Cela suppose de discerner qui inviter à monter plus haut. Cela suppose pour celui qui est appelé assez d’humilité pour ne pas se cacher en restant au fond, pour vaincre sa peur ou sa timidité, pour faire confiance à ceux qui l’appellent.

Ce serait une comédie que de prétexter une fausse humilité pour préserver sa tranquillité.
Ce serait enfouir son talent que de ne pas monter plus haut si on y est invité.
Ce serait déserter que d’abandonner aux ambitieux et aux carriéristes les responsabilités qu’ils dévoieront dans leur intérêt.

Jean Lévêque, carme de la Province de Paris, commente avec justesse [1] :

La dernière place, ce n’est pas une place où l’on cesse d’être soi-même, mais où l’on est humblement soi-même devant Dieu. Ce n’est pas une place où l’on se déprécie, mais où on apprécie toutes choses selon Dieu.
À la dernière place, on n’est pas au-dessous de tout, mais au service de tous.
On peut avoir de grandes responsabilités, beaucoup de relations, un travail aux avant-postes, et en même temps choisir la dernière place, quand on accepte d’œuvrer au poste que d’autres fuient, quand on continue à servir malgré les malveillances ou les incompréhensions, quand on reste en vue, exposé, disponible, alors qu’on voudrait se cacher et être un peu à soi-même.
On choisit la dernière place lorsqu’on choisit de ne pas se positionner par rapport aux autres comme celui ou celle qui a droit à des égards spéciaux, à une confiance particulière, comme celui ou celle  qui a déjà son petit carton sur la table de Dieu.
On opte pour la dernière place, la place modeste, quand on ne se donne pas à soi-même un rang parmi les frères, quand on se contente, sans amertume, de la place offerte par eux dans leur estime ou leur affection.

À la dernière place, on laisse au Maître toute l’initiative, pour le cas où il voudrait s’avancer en disant: « Mon ami, approche-toi, monte plus haut ! »
La dernière place, c’est celle où l’on se perd soi-même de vue, attentif que l’on est à ce que le Maître va dire ou va faire; c’est celle où l’on se contente de Jésus et de son amitié, sans frustrations, sans regrets, sans tristesse; c’est celle où l’on consent à être dérangeable, et où les projets de l’homme s’effacent toujours joyeusement derrière le projet de Dieu.
À la dernière place nous n’attendons plus d’être valorisés, sinon par le regard du Christ, ami et compagnon;  nous ne cherchons  plus à occuper un espace dans le souvenir ou les visées de qui que ce soit, hormis Dieu qui est pour nous le trésor et donc le lieu de notre cœur.
Nous nous trouvons tout heureux déjà d’avoir pu entrer et d’avoir part au festin, même en bout de table, puisque c’est la table du Seigneur.

 

Servant leader

Servant as Leader 600 x 600En management, le courant de pensée du servant leadership né dans les années 70 aux USA avec Robert K. Greenleaf met l’accent sur une double qualité qui caractérise les grands chefs. Le servant leader veut d’abord servir, c’est-à-dire faire grandir et se développer les autres. Parce qu’il veut que ce service soit fécond, il accepte de devenir leader si on lui propose, afin d’avoir les moyens de transformer le travail et son organisation dans le sens du service de tous. C’est parce qu’il est fondamentalement servant qu’on lui demande d’être leader, et non l’inverse. Leader parce que servant, et non servant parce que leader (the servant as leader, comme l’écrit Greenleaf, et non the leader as servant). Un chef qui voudrait faire semblant de devenir serviteur pour se légitimer sera vite démasqué. Un serviteur qui assume une promotion, des responsabilités en plus, parce qu’on a confiance dans sa capacité à servir le bien commun, celui-là sera considéré comme grand et légitime, alors qu’il reste humble et au service.

Le Christ n’a-t-il pas fait du lavement des pieds le paradigme de toute autorité ?

Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. Amen, amen, je vous le dis : un serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni un envoyé plus grand que celui qui l’envoie. Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites. (Jn 13, 13-17)

Ne soyons donc pas comme tous les ambitieux qui courent après les honneurs et les premières places. Au lieu de prendre, ce qui constitue le péché premier de la Genèse (la prédation), acceptons de recevoir, même si cela exige de monter sans cesse plus haut.

Car Marie nous chantait le 15 août dernier : « Déployant la force de son bras, Dieu disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles » (Lc 1, 51-52).

 


 

Lectures de la messe

Première lecture
« Il faut t’abaisser : tu trouveras grâce devant le Seigneur » (Si 3, 17-18.20.28-29)
Lecture du livre de Ben Sira le Sage

Mon fils, accomplis toute chose dans l’humilité, et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur. Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser : tu trouveras grâce devant le Seigneur. Grande est la puissance du Seigneur, et les humbles lui rendent gloire. La condition de l’orgueilleux est sans remède, car la racine du mal est en lui. Qui est sensé médite les maximes de la sagesse ; l’idéal du sage, c’est une oreille qui écoute.

Psaume
(Ps 67 (68), 4-5ac, 6-7ab, 10-11)
R/ Béni soit le Seigneur : il élève les humbles.
(cf. Lc 1, 52)

Les justes sont en fête, ils exultent ;
devant la face de Dieu ils dansent de joie.
Chantez pour Dieu, jouez pour son nom
Son nom est Le Seigneur ; dansez devant sa face.

Père des orphelins, défenseur des veuves,
tel est Dieu dans sa sainte demeure.
À l’isolé, Dieu accorde une maison ;
aux captifs, il rend la liberté.

Tu répandais sur ton héritage une pluie généreuse,
et quand il défaillait, toi, tu le soutenais.
Sur les lieux où campait ton troupeau,
tu le soutenais, Dieu qui es bon pour le pauvre.

Deuxième lecture
« Vous êtes venus vers la montagne de Sion et vers la ville du Dieu vivant » (He 12, 18-19.22-24a)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, quand vous êtes venus vers Dieu, vous n’êtes pas venus vers une réalité palpable, embrasée par le feu, comme la montagne du Sinaï : pas d’obscurité, de ténèbres ni d’ouragan, pas de son de trompettes ni de paroles prononcées par cette voix que les fils d’Israël demandèrent à ne plus entendre. Mais vous êtes venus vers la montagne de Sion et vers la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, vers des myriades d’anges en fête et vers l’assemblée des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux. Vous êtes venus vers Dieu, le juge de tous, et vers les esprits des justes amenés à la perfection. Vous êtes venus vers Jésus, le médiateur d’une alliance nouvelle.

Évangile
« Quiconque s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé » (Lc 14, 1.7-14)
Alléluia. Alléluia.
Prenez sur vous mon joug, dit le Seigneur ; devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur. Alléluia. (cf. Mt 11, 29ab)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Un jour de sabbat, Jésus était entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas, et ces derniers l’observaient. Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places, et il leur dit : « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place, de peur qu’il ait invité un autre plus considéré que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire : ‘Cède-lui ta place’ ; et, à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : ‘Mon ami, avance plus haut’, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à la table avec toi. En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
Jésus disait aussi à celui qui l’avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi te rendraient l’invitation et ce serait pour toi un don en retour. Au contraire, quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour : cela te sera rendu à la résurrection des justes. »

Patrick BRAUD

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3 juillet 2017

Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ?

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Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ?


Homélie du 14° dimanche du temps ordinaire / Année A
09/07/2017

C’est dans la fournaise qu’on voit l’humble

En joug, et à deux !

Plus humble que Dieu, tu meurs !

Dieu est le plus humble de tous les hommes


Macron LouvreL’humble roi annoncé par Zacharie

Les images de la mise en scène quasi royale de la prise de pouvoir par Emmanuel Macron en France ont fait le tour du monde. Sorti de l’ombre, seul, marchant vers la lumière de la pyramide du Louvre au son de l’ode à la joie de la neuvième symphonie de Beethoven : voilà une liturgie républicaine inspirée des ors de l’ancien régime ! Ce style très « jupitérien » [1] semble à l’opposé de l’annonce faite par le prophète Zacharie à Jérusalem :
« Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse. » (Za 9,9)
Impossible pour les chrétiens de ne pas y reconnaître le style évangélique de l’entrée de Jésus à Jérusalem, monté sur un âne et foulant les rameaux au son des Hosanna ! de la foule…

Deux styles de gouvernement très opposés donc. On objectera que les temps ont changé et qu’il faut bien assumer aujourd’hui les insignes du pouvoir. On répétera à l’envie que la présidence française avait bien besoin d’être resacralisée comme du temps de De Gaulle, que les autres chefs d’État ont tous recours à de telles symboliques, que les Français adorent finalement retrouver inconsciemment la figure du roi dont ils ne se pardonnent pas l’exécution en 1793…

GhandiPourtant, les plus anciens n’ont pas oublié les pieds nus et l’humble drapé de Gandhi parcourant la planète pour la liberté de l’Inde et la non-violence. Pourtant, la simplicité de Nelson Mandela devenant le premier président noir de l’Afrique du Sud a ému aussi le monde entier. Elle démontrait que l’attente des peuples est en phase avec ce mode d’exercice du pouvoir qu’est l’humilité biblique. Rappelez-vous encore la pompe des papes des siècles précédents : la tiare, la chaise à porteurs, les vêtements ridicules à force d’accumuler les usages d’autrefois… Jean XXIII a vendu cette tiare pour donner l’argent aux pauvres, et a remisé au musée la chaise à porteurs. Le pape François se déplace maintenant le plus possible à pied, et aime les contacts directs avec les populaces des favelas où des slums.

Bref, en politique comme partout ailleurs, le fond c’est la forme. La manière dont un puissant exerce son pouvoir en dit long sur le contenu de son action. « Le style c’est l’homme » : Buffon avait raison de nous avertir !

Il ne suffit pas d’inviter nos politiques à convertir leur style de vie. Moraliser la vie politique est un chantier important, qui doit nous renvoyer au style de gouvernement qui est le nôtre également, en famille, en entreprise, dans l’associatif.

 

L’humilité en entreprise

Isaac Getz commence son livre [2] sur les sources inspirantes pour libérer l’entreprise d’aujourd’hui par cette citation de Lao Tseu :

« Si le sage désire être au-dessus du peuple,
Il lui faut s’abaisser d’abord en paroles ;
s’il désire prendre la tête du peuple,
il lui faut se mettre au dernier rang. »

Il continue :

Quand j’en ai fait part à Bob Davids (patron du vignoble Sea Smoke Cellors), j’ai reçu la réponse suivante :
« Ces mots devraient être affichés en bonne place sous les yeux de tous les leaders qui pensent qu’ils ont besoin d’un bureau de luxe, d’une voiture de luxe, de sièges d’avion en 1° classe. Quand ils se rendent différents des gens, ils se rendent incapables d’être des leaders. »

En entreprise, on commence à redécouvrir les vertus de l’humilité et du service. Un chef qui se montre hautain et réservé, qui descend rarement ou avec condescendance de sa sphère de pouvoir ne pourra pas gagner l’attachement et l’engagement de ses équipes. Le style de management conditionne largement l’efficacité de l’équipe managée.

Faut-il être humble ou jupitérien pour gouverner ? dans Communauté spirituelle 1090875553Lazlo Bock, vice-président DRH chez Google, a lancé un pavé dans la marre en annonçant que l’humilité est pour lui un trait de personnalité déterminant chez les candidats cadres-dirigeants. Une étude de la très sérieuse revue Harvard Business Review de 2014 [3] semble lui donner raison puisque sur des centaines d’entreprises analysées, elle a révélé que l’altruisme, les actes désintéressés et la modestie des leaders étaient des facteurs d’optimisation des performances de l’entreprise. Les leaders altruistes favorisent l’intégration des salariés, la cohésion, le sentiment d’appartenance à une culture d’entreprise, le sentiment de reconnaissance et, in fine, les performances des équipes. Un leadership moins égocentrique stimule l’innovation et les propositions émanant des salariés.

L’humilité intellectuelle vantée par le DRH de Google se manifeste notamment par 4 comportements :

- Une attitude modeste
- La possibilité offerte à tous d’apprendre et de se perfectionner
- La prise de risque pour défendre des intérêts collectifs
- La responsabilisation de chacun, notamment des salariés

Regardez l’humilité de Zidane dans sa gestion du formidable vivier footballistique du Real Madrid : deux titres consécutifs de champion d’Europe et un palmarès impressionnant pour cet  entraîneur d’à peine 2 ans. Or Zidane a cette gentillesse et cette humilité qui lui gagnent le cœur des plus grands, et lui confère une autorité morale indiscutée.

Car c’est bien le paradoxe que ne voient pas les orgueilleux : l’autorité véritable et pérenne est largement accordée aux humbles, alors que la superbe des patrons en surplomb de leurs équipes ne génère que soumission lâche, adhésion de façade, désengagement ou violence grandissante chez ceux qu’on ignore. « Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre »  prophétise Zacharie, car ce roi humble et ouvert sera respecté de tous.

Le lien humilité-autorité tient à ce que Hannah Arendt appelait « faire autorité ». On se rallie librement et avec enthousiasme à quelqu’un dont on sent qu’il est au service des autres, et non là pour servir pour sa propre gloire. Jésus, doux et humble de cœur, faisait autorité justement parce qu’on voyait bien qu’il n’était pas là pour profiter de son charisme. Il parlait en homme qui a autorité non pas en imposant d’en haut sa volonté, mais en se mettant à égalité avec ses interlocuteurs. Le mot humus qui a donné humilité évoque ce ras-de-terre où l’on voit les choses du point de vue des autres. Quand il devait trancher au nom de son identité divine (ex: « on vous a dit… eh bien moi je vous dis… » Mt 5) c’était à chaque fois en faveur de ceux que les puissants oppressent, et non pour asseoir son propre pouvoir. D’où l’adhésion enthousiaste des foules qui reconnaissaient en lui la conjonction tant attendue de la force et du service, de l’humilité et de l’autorité, de la gloire d’un seul et de la gloire de tous.


Humilité et non-violence 

Autre détail : le roi annoncé par Zacharie annonce la fin de la guerre, la fin du commerce des armes :

Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre, et de l’Euphrate à l’autre bout du pays. (Za 9,10)

 humilité dans Communauté spirituelleÉvidemment, dans le contexte actuel, tout le monde répétera : ‘il faut faire la guerre au terrorisme ; il faut armer ceux qui résistent aux fanatiques. Il faut bombarder, détruire et anéantir les forces du mal. D’ailleurs, cela développe notre industrie de l’armement et génère des emplois’. Sans doute il y a un temps pour faire la guerre, comme ce fut le cas en 1939 contre Hitler. Mais il y a également un temps pour faire la paix, rappelle l’Ecclésiaste, et ce temps devra venir. C’est l’honneur du politique de préparer ce chemin de réconciliation et de respect ou les armes deviennent inutiles, où les musulmans les plus radicaux n’auront plus besoin de recourir aux attentats pour se sentir respectés, où les démocraties menacées n’auront plus besoin d’envahir ou de bombarder pour se défendre… Utopique ? Les plus anciens se souviennent qu’il était utopique de parler d’amitié franco-allemande après 1945, de vouloir le désarmement nucléaire au cœur de la guerre froide, la fin de l’apartheid ou récemment la fin des énergies polluantes.

 

Humilité et pauvreté

Le dernier lien évoqué par la prophétie de Zacharie concerne la relation entre humilité et pauvreté : annoncer « un roi humble et pauvre » ne correspond guère aux canons de la pensée ordinaire que l’on a du pouvoir… Et pourtant l’exemplarité des chefs commence par le désintéressement pécuniaire. Les affaires Cahuzac, Fillon, Ferrand etc. montrent que le peuple ne supporte plus de voir s’enrichir personnellement ceux qui devraient le servir.

L’idéal d’humilité et de pauvreté que Zacharie applique au pouvoir royal vaut également pour chacun de nous, là où il a du pouvoir à exercer. Et qui n’en a pas ?

Que voudrait donc dire être humble et pauvre dans l’exercice de notre autorité familiale, professionnelle, associative ?

 


[1] . Cf. l’interview d’Emmanuel Macron dans Challenges du 16/10/2016 où il reproche à François Hollande de ne pas croire au président « jupitérien ».

[2] . GETZ Isaac, La liberté, ça marche ! L’entreprise libérée. Les textes qui l’ont inspirée, les pionniers qui l’ont bâtie, Flammarion, 2016, p. 10.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Voici ton roi qui vient à toi : il est pauvre » (Za 9, 9-10)
Lecture du livre du prophète Zacharie

Ainsi parle le Seigneur : « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse. Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre, et de l’Euphrate à l’autre bout du pays. »

PSAUME
(Ps 144 (145), 1-2, 8-9, 10-11, 13cd-14)
R/ Mon Dieu, mon Roi, je bénirai ton nom toujours et à jamais ! ou : Alléluia ! (Ps 144, 1)

Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi ;
je bénirai ton nom toujours et à jamais !
Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour.
La bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits,

Le Seigneur est vrai en tout ce qu’il dit,
fidèle en tout ce qu’il fait.
Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent,
il redresse tous les accablés.

DEUXIÈME LECTURE
« Si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez » (Rm 8, 9.11-13)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas. Mais si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. Ainsi donc, frères, nous avons une dette, mais elle n’est pas envers la chair pour devoir vivre selon la chair. Car si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ; mais si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez.

ÉVANGILE
« Je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 25-30)
Alléluia. Alléluia. Tu es béni, Père, Seigneur du ciel et de la terre, tu as révélé aux tout-petits les mystères du Royaume ! Alléluia. (cf. Mt 11, 25)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler.

 Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. »
Patrick BRAUD

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24 août 2016

Plus humble que Dieu, tu meurs !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Plus humble que Dieu, tu meurs !

 

Homélie du 22° Dimanche du temps ordinaire / Année C
28/08/2016

Cf. également :

Dieu est le plus humble de tous les hommes

Un festin par dessus le marché

C’est dans la fournaise qu’on voit l’humble

 

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Aux dernières Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) de Cracovie, on a vu le pape François rouler simplement en tramway, prendre avec lui des jeunes éberlués dans sa papamobile, et toujours avoir le contact facile et joyeux qui le caractérise. Ce pape a renoncé au palais du Vatican pour vivre dans un presbytère ordinaire. Il reste accessible, et prend bien soin à chaque voyage d’aller écouter chez eux les pauvres pour entendre ce qu’ils ont à lui dire.

Nul doute qu’il a instinctivement intériorisé la recommandation de Ben Sirac le sage dans la première lecture (Si 3,17-29) : « plus tu es grand, plus il faut t’abaisser ». Et encore : « l’idéal du sage, c’est une oreille qui écoute ». Alors que l’orgueilleux ne veut prendre conseil auprès de personne.

L’humilité est ainsi le fil rouge de notre dimanche. « Accomplis toute chose dans l’humilité » conseille le sage. « Dieu est bon pour les pauvres » chante le psaume 67. La lettre aux Hébreux nous rappelle que Dieu le premier a fait preuve d’humilité en Jésus, « le médiateur de l’alliance nouvelle », conclue loin de tout bling-bling hollywoodien (feu, obscurité, ténèbres, ouragan, trompettes, voix terrible…). Et dans l’évangile (Lc 14,1-14), Jésus devient comme Ben Sirac, proverbial : « quiconque s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé ».

L’humilité de Dieu est telle qu’elle paraîtra scandaleuse pour les juifs (le scandale de l’incarnation et de la crucifixion), folie pour les païens (folie de croire qu’un homme peut porter la plénitude de la divinité, et vaincre la mort), blasphème pour les musulmans (Allah le Tout-Puissant ne peut s’abaisser jusqu’à s’incarner, laver les pieds de ses amis, et pire encore mourir sur la croix infamante).

L’humilité de Dieu est en quelque sorte un spécifique chrétien assez unique !
Le père François Varillon (1905-1978) a écrit là-dessus des lignes inoubliables :

Afficher l'image d'origine« Qui me voit voit le Père » (Jn 14, 9). Jésus, en prenant la dernière place (Lc 14, 14) nous révèle les profondeurs cachées de Dieu.

« Le voyant laver avec humilité des pieds d’homme, je ‘vois’ donc, s’il dit vrai, Dieu même éternellement mystérieusement serviteur avec humilité au plus profond de sa Gloire. L’humiliation du Christ n’est pas un avatar exceptionnel de la gloire. Elle manifeste dans le temps que l’humilité est au cœur de la gloire ». 

« La Toute-Puissance de Dieu est à l’extrême opposé de la potentia (puissance) qu’imaginaient les hommes dans leur faiblesse originelle et que maintenant, devenus riches et forts, ils récusent comme concurrentielle. L’humilité ne fait concurrence à rien » (p 85).

« Qu’un plus petit rende hommage à un plus grand, cela ne témoigne pas d’une exceptionnelle noblesse d’âme. Mais que le plus grand se courbe ‘respectueusement’ devant le plus petit, cela signifie l’amour en la plénitude de sa liberté et de sa puissance. François d’Assise n’est pas humble quand il s’agenouille devant le pape, mais quand il s’abaisse devant un pauvre dont il reconnaît qu’en tant que pauvre il est vêtu de majesté » (p 64). 

« ….Dieu étreint l’âme dans l’amour. Il est l’Autre mais sans distance. Et caché. Humblement caché, car on ne pourrait le voir et rester libre. L’invisibilité de Dieu est son humilité respectueuse de notre liberté. »

L’humilité de Dieu, François Varillon, Ed. du Centurion, 1974.

Devenir humble n’est alors pas pour nous un devoir moral, un effort d’ascèse. C’est le fruit joyeux de la participation à la nature divine. C’est la conséquence normale de la communion au Christ, frère, ami, serviteur. C’est la ressemblance divine enfin retrouvée.

Ainsi, qui médite en silence devant la crèche ou la croix sera conduit, à l’instar du père Antoine Chevrier à Lyon (fondateur du Prado) ou de François d’Assise à adopter la même attitude d’humilité envers ceux dont il a la charge, ou ceux qu’il rencontrera dans sa journée et son travail s’il n’a pas de responsabilités hiérarchiques.

En entreprise, cela devrait produire des dirigeants… très différents ! C’était d’ailleurs le thème des dernières assises des Équipes des Dirigeants Chrétiens (EDC) à Lille en 2016 : dirigeants, dérangeants ! Les responsables hiérarchiques chrétiens devraient détoner et étonner par leur humilité. Foin des privilèges (voiture de fonction, parking réservé, bureau fermé, I-phone dernier cri de fonction, stock-options…), foin des postures condescendantes et dominantes ; foin des attitudes suffisantes ! Dans les grandes entreprises, tant de dirigeants sont coupés de leur base, ne sont plus informés de ce qui se passe réellement car ils inspirent plus la crainte – et donc le silence – que le respect.

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Heureusement, on voit se lever, notamment à travers le mouvement des entreprises dites « libérées », de nouveaux responsables, humbles et performants (les deux vont bien ensemble) qui ne cherchent pas tant à grimper dans leur carrière personnelle qu’à réellement permettre à leurs équipes de donner le meilleur d’elles-mêmes. Ceux qui prônent le servant leadership savent bien que l’humilité fait partie des qualités d’un vrai servant leader.

 

Afficher l'image d'origineAu Moyen Âge, les sculpteurs, maçons, verriers et autres artistes signaient rarement leurs œuvres. L’anonymat était la règle, parce que l’art, surtout porté par la foi, n’a pas pour but d’élever l’artiste ou d’immortaliser son nom, mais de réjouir et de nourrir les passants, les spectateurs, le peuple des gueux à qui les cathédrales et les églises romanes ou gothiques étaient finalement dédiées. L’humilité véritable ne cherche pas à laisser une trace personnelle dans l’histoire, mais à se livrer pour le bien de tous, à servir le bien commun autant que faire se peut.

On rêverait d’avoir des figures politiques animées par cet esprit de désintéressement… Jean Monnet, Jacques Delors, Geneviève Antonioz De Gaulle, Nicolas Hulot… sont sans doute de ces humbles pour qui le pouvoir est le moyen de mieux servir, et davantage.

Il nous faut de nouvelles générations de capitaines d’industrie, de patrons de start-ups, de leaders politiques et syndicaux imprégnés de cet état d’esprit ! C’est le rôle social des églises, des temples, des mosquées, des synagogues, des universités catholiques de façonner des croyants capables d’aspirer aux plus hautes responsabilités, aux plus grandes aventures intellectuelles, scientifiques et artistiques, tout en restant d’humbles serviteurs.

 

L’humilité commence aussi… en famille. Quand des parents reconnaissent ne pas être tout-puissants, quand ils s’inclinent devant Dieu plus grand qu’eux, quand ils osent demander pardon et pas seulement l’exiger, quand ils savent être proches, à l’écoute tout en assumant leur autorité…

Encore une fois : parce qu’elle vient de Dieu - le premier et le seul humble - l’humilité n’est pas un calcul, ni une stratégie, ni même un effort moral. Elle vient sans qu’on l’ait cherchée. Elle respire en toute activité, naturellement. Elle inspire la bonté, la miséricorde, parce qu’elle comprend le chemin de l’autre au lieu de le juger.

Dans l’Ancien Testament, Moïse fut « l’homme le plus humble que la terre ait porté » (Nb 12,3). Cela ne lui a pas évité de devoir s’imposer comme le leader de son peuple (cf. l’épisode du veau d’or) et d’user de son autorité pour éduquer ce peuple « à la nuque raide ». Mais tout cela, il l’a fait en sachant bien que cela ne venait pas de lui (il avait même demandé que son frère Aaron soit son porte-parole, car il avait de graves difficultés d’élocution !) et sans en tirer de gloire pour lui-même.
Jésus, « doux et humble de cœur », ira prendre la dernière place, sur la croix, pour aller chercher et relever les petits, les méprisés, les exclus… 

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En grandissant en humilité, chacun(e) de nous peut être le Moïse / le Jésus de sa famille, de son équipe de travail, de sa vie de quartier…

« Quiconque s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé ».

 

1ère lecture : « Il faut t’abaisser : tu trouveras grâce devant le Seigneur » (Si 3, 17-18.20.28-29)

Lecture du livre de Ben Sira le Sage

Mon fils, accomplis toute chose dans l’humilité, et tu seras aimé plus qu’un bienfaiteur. Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser : tu trouveras grâce devant le Seigneur. Grande est la puissance du Seigneur, et les humbles lui rendent gloire. La condition de l’orgueilleux est sans remède, car la racine du mal est en lui. Qui est sensé médite les maximes de la sagesse ; l’idéal du sage, c’est une oreille qui écoute.

Psaume : Ps 67 (68), 4-5ac, 6-7ab, 10-11

R/ Béni soit le Seigneur : il élève les humbles.  (cf. Lc 1, 52)

Les justes sont en fête, ils exultent ;
devant la face de Dieu ils dansent de joie.
Chantez pour Dieu, jouez pour son nom.
Son nom est Le Seigneur ; dansez devant sa face.

Père des orphelins, défenseur des veuves,
tel est Dieu dans sa sainte demeure.
A l’isolé, Dieu accorde une maison ;
aux captifs, il rend la liberté.

Tu répandais sur ton héritage une pluie généreuse,
et quand il défaillait, toi, tu le soutenais.
Sur les lieux où campait ton troupeau,
tu le soutenais, Dieu qui es bon pour le pauvre.

2ème lecture : « Vous êtes venus vers la montagne de Sion et vers la ville du Dieu vivant » (He 12, 18-19.22-24a)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, quand vous êtes venus vers Dieu, vous n’êtes pas venus vers une réalité palpable, embrasée par le feu, comme la montagne du Sinaï : pas d’obscurité, de ténèbres ni d’ouragan, pas de son de trompettes ni de paroles prononcées par cette voix que les fils d’Israël demandèrent à ne plus entendre.

 Mais vous êtes venus vers la montagne de Sion et vers la ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, vers des myriades d’anges en fête et vers l’assemblée des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux. Vous êtes venus vers Dieu, le juge de tous, et vers les esprits des justes amenés à la perfection. Vous êtes venus vers Jésus, le médiateur d’une alliance nouvelle.

Evangile : « Quiconque s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé » (Lc 14, 1.7-14)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
Prenez sur vous mon joug, dit le Seigneur ; devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur.
Alléluia. (cf. Mt 11, 29ab)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Un jour de sabbat, Jésus était entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas, et ces derniers l’observaient. Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places, et il leur dit : « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place, de peur qu’il ait invité un autre plus considéré que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire : ‘Cède-lui ta place’ ; et, à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : ‘Mon ami, avance plus haut’, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à la table avec toi. En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »

 Jésus disait aussi à celui qui l’avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi te rendraient l’invitation et ce serait pour toi un don en retour. Au contraire, quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour : cela te sera rendu à la résurrection des justes. »
Patrick BRAUD

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