L'homélie du dimanche (prochain)

10 juin 2022

Marthe + Marie = Lydie !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Marthe + Marie = Lydie !

Homélie pour le 16° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
17/07/2022

Cf. également :

Jesus, don’t you care ?
Le rire fait chair
Choisir la meilleure part
Le je de l’ouïe
Bouge-toi : tu as de la visite !
Dieu trop-compréhensible
« J’ai renoncé au comparatif »

Une histoire de verres d’eau

Marthe + Marie = Lydie ! dans Communauté spirituelle 12966064-diff%C3%A9rents-types-de-verres-pleins-d-eauDans Histoire d’une âme, ses manuscrits autobiographiques, Thérèse de l’Enfant-Jésus raconte ce souvenir d’enfance :
« Une fois, je m’étonnais de ce que le Bon Dieu ne donne pas une gloire égale dans le Ciel à tous les élus, et j’avais peur que tous ne soient pas heureux. Alors Pauline me dit d’aller chercher le grand verre à papa et de le mettre à côté de mon tout petit dé à coudre, puis, de les remplir d’eau, ensuite elle me demanda lequel était le plus plein. Je lui dis qu’ils étaient aussi pleins l’un que l’autre et qu’il était impossible de mettre plus d’eau qu’ils n’en pouvaient contenir ». Elle précise : « Pauline me fit comprendre qu’au Ciel le Bon Dieu donnerait à ses élus autant de gloire qu’ils en pourraient contenir et qu’’ainsi le dernier n’aurait rien à envier au premier ».

Cette belle métaphore de Pauline tue dans l’œuf toute tentative de comparatif entre les dons accordés par Dieu à chacun ! Saint Pierre n’est pas plus ni moins heureux que Sainte Thérèse, saint Paul n’a pas plus ni moins de gloire que Mère Teresa etc. Chacun est comblé à sa mesure, selon les spécificités de son être.

Autrement dit : la plénitude est incommensurable.
Même si le dé à coudre contient objectivement 10 fois moins que la chope de bière, sa plénitude n’a rien à envier à celle de la chope ! Parler de bonheur – surtout en Dieu – demande de renoncer au comparatif, car la pleine mesure de l’un n’est pas celle de l’autre.

On comprend alors pourquoi la traduction liturgique de l’Évangile de ce dimanche nous met sur une fausse piste (comme trop souvent hélas !). Dans le célébrissime épisode de Marthe et Marie, Marie n’a pas choisi la meilleure part (l’erreur de traduction remonte à saint Jérôme lorsqu’il traduisit la Vulgate, du grec au latin, au V° siècle), mais la bonne part (agathos en grec, qui a donné le prénom Agathe). Et ça change tout ! Car, en renonçant au comparatif, le texte original n’invite pas à dévaloriser Marthe au profit de Marie, mais indique juste que Marie a trouvé la plénitude qui lui convient.

« Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure bonne (ἀγαθὴν = agathos) part, elle ne lui sera pas enlevée » (Lc 10,42).

On verra plus bas que le reproche fait à Marthe n’est pas un reproche et ne porte pas sur sa part à elle. Pour l’instant, surlignons avec force que Jésus n’établit pas de hiérarchie entre la cuisine et la présence, le service et l’écoute, l’action et la contemplation. Il ne dit pas que Marie a choisi la meilleure part, mais la part qui lui correspond, qui en cela est la bonne part pour elle.

 

Qu’est-ce qu’une part ?

2016-203 action dans Communauté spirituelleEn français, on pense immédiatement à une part de gâteau : ‘prendre sa part du gâteau’ signifie retirer les bénéfices (honnêtes ou non !) d’un projet qu’on a réussi, quitte à se tailler ‘la part du lion’ si l’on est en position de force.

Dans la Bible, l’usage du mot est assez différent : loin d’être une mainmise cupide, la part biblique est d’abord la portion d’héritage que reçoit chacun des enfants à la mort des parents. Ainsi les deux sœurs, Rachel et Léa, s’interrogent : « Rachel et Léa lui firent cette réponse : Avons-nous encore une part, un héritage, dans la maison de notre père ? » (Gn 31,14). Par définition, cette part se reçoit. C’est le défunt qui a décidé pour chacun avant de mourir quelle serait sa part. Si bien que l’égalité arithmétique est rarement le critère du partage voulu par celui qui lègue. Ce qui suscite d’ordinaire bien des jalousies, car frères et sœurs veulent comparer au lieu d’accepter l’incommensurable. Le premier héritage est d’ailleurs celui que Dieu se reconnaît en Israël : ce peuple à la nuque raide lui est donné comme sa part d’héritage. « Le lot du Seigneur, ce fut son peuple, Jacob, sa part d’héritage » (Dt 32,9). À Dieu de se débrouiller avec !

Marthe et MarieLe deuxième héritage est la terre que les 12 tribus ont reçue en partage, et là encore la stricte égalité n’est pas possible, car chaque territoire est différent d’un autre, de la petite enclave de Dan au nord au désert de Ruben sur la rive est de la Mer Morte au sud. D’ailleurs, une tribu a reçu une part d’héritage complètement différente des onze autres, puisque la tribu de Lévi est sans-terre, entièrement consacrée au service du culte divin : « Lévi n’a pas reçu sa part d’héritage comme ses frères. C’est le Seigneur qui est son héritage, comme l’a dit le Seigneur notre Dieu » (Dt 10,9). Encore une différence de part qui n’est pas une hiérarchie, ni un comparatif !
« Rendez grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière » (Col 1,12).

En plus de sa signification liée à l’héritage, la part biblique désigne également le fait d’avoir part à quelque chose, de participer à, d’être en lien, en communion avec. Paul par exemple demande aux corinthiens de ne pas participer aux cultes idolâtriques qui se pratiquent autour d’eux : « Ne formez pas d’attelage mal assorti avec des non-croyants : quel point commun peut-il y avoir entre la condition du juste et l’impiété ? quelle communion de la lumière avec les ténèbres ? quel accord du Christ avec Satan ? ou quelle part pour un croyant avec un non-croyant ? » (2 Co 6,14–15). En ce sens, on réalise que la part de Marie est bien d’être en communion avec le Christ, d’avoir part à son être en buvant ses paroles et en se rassasiant de sa présence.

 

Choisir sa part

moule-a-gateau ContemplationD’habitude, c’est Dieu qui choisit : choisir est un acte divin ! « Jésus appela ses disciples et en choisit douze auxquels il donna le nom d’Apôtres » (Lc 6,13). « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis… » (Jn 15,16).
Ou alors c’est l’Église qui choisit en appelant quelqu’un à servir (ministère). Ainsi pour les diacres : « Ces propos plurent à tout le monde, et l’on choisit : Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, un converti au judaïsme, originaire d’Antioche » (Ac 6,5).
Ou ce sont les convives qui choisissent les meilleures places, les premières (Lc 14,7).

Par contre, si on parle de part d’héritage, il est plus difficile de voir Marie la choisir. Car le testament impose la répartition sans demander leur avis aux héritiers. La seule exception où l’on peut choisir sa part d’héritage est quand les parents demandent de leur vivant à leurs enfants d’indiquer chacun ce qu’il préfère dans les meubles, les bijoux, les tableaux, les maisons ou appartements etc. J’ai vécu cela en famille, en présence des parents, pour des biens qui n’étaient pas partageables. Là, il faut choisir. De même, après leur mort, nous sommes partagés d’un commun accord babioles et autre bijoux dont la valeur était surtout sentimentale, liée aux souvenirs d’enfance de chacun, et donc incommensurable.

Il est donc possible de choisir sa part d’héritage, non pas sur le fond (je serai toujours le fils de mes parents, quoi qu’il arrive) mais dans sa modalité (préférer tel objet, telle manière de vivre ou de penser qui vient d’eux plutôt que telle autre).

Marie fait son choix (écouter), et on peut penser que Jésus a deviné l’importance majeure qu’a eue pour Marie le fait de prendre une décision. Marie a choisi, en conscience, ce qui lui correspondait le mieux. Alors que Marthe subit. Elle se dit coincée dans ses cuisines par les obligations du service, étouffée par les contraintes de l’hospitalité. Elle en est tellement amère qu’elle ne supporte pas le bonheur de sa sœur qui s’est libérée de ces contraintes non choisies. La part du service qui occupe Marthe ici n’est ni moins ni plus valable que la part choisie par Marie. Jésus lui fait simplement constater, avec beaucoup de finesse et de douceur (« Marthe, Marthe… ») que Marie a choisi alors que elle subit. Subir le service de l’autre au lieu de le vouloir, c’est comme faire l’aumône avec mépris, ou faire un compliment du bout des lèvres : la manière de le faire contredit ce que l’on fait.

Jésus disait ainsi quelque chose du genre : ‘Marthe, Marthe, tu subis le service des invités au lieu de le vouloir. À cause de cela, tu le fais avec acrimonie et jalousie envers ta sœur. Marie, elle, a choisi d’écouter. Puisqu’elle l’a choisi, c’est pour elle la bonne part, sa part. Tu pourrais toi aussi choisir de faire ce que tu fais, et ta part serait alors la bonne pour toi également, car ce serait celle que tu aurais choisie. Et tu l’accomplirais avec joie, en chantant, en étant en communion avec moi dans ton ouvrage comme Marie l’est dans son écoute. Choisis donc ce que tu fais, que ce soit le service ou l’écoute. C’est là la bonne part pour chacune ».

Marc a sûrement compris ce que Jésus lui disait ainsi. Car on la voit dans l’Évangile de Jean professer sa foi en la résurrection devant Jésus allant voir le tombeau de son frère Lazare, mort depuis 4 jours. Et surtout, on la voit servir (c’est le mot diaconie qui est employé), telle une diaconesse, le souper au cours duquel une femme – une autre Marie ! - viendra répandre du parfum sur les pieds de Jésus (elle aussi aura choisi sa part, la bonne part) : « On donna un repas en l’honneur de Jésus. Marthe faisait le service, Lazare était parmi les convives avec Jésus » (Jn 12,2). Ce service-là semble beaucoup plus paisible que chez Luc, et il est facile d’imaginer Marthe heureuse d’avoir cette fois-ci choisi d’habiter pleinement le service des tables qui lui permet d’être en pleine communion avec le Christ.

Subir son métier, son couple, ses activités n’apporte qu’amertume, jalousie, rivalité.
Choisir sa part d’héritage nous donne d’être en paix avec nous-mêmes, là où nous devons être, chacun à la place qui lui correspond, sans hiérarchie.

 

Lydie, ou la synthèse de Marthe et Marie

La version de Jean nous montre déjà Marthe ayant surmonté son non-choix du service. Il existe un autre épisode raconté par Luc, dans les Actes des apôtres, où l’on peut voir une femme hyperactive comme Marthe faire comme Marie le choix de l’écoute. Il s’agit de Lydie, une commerçante, une femme de la ville, qui vend du tissu. S’échappant de son commerce, Lydie elle aussi est une femme qui écoute, longuement : elle écoutait (Ac 16,14). Le verbe est à l’imparfait (aoriste), pour exprimer une durée (ἀκούω = akouō, qui a donné acouphène pour désigner justement un trouble de l’audition). C’est le même verbe que pour Marie (Lc 10,39 : Marie écoutait), alors que Lydie est d’habitude une femme d’affaires très active, riche et renommée commerçante, avec sans doute un fort caractère et un fort pouvoir de persuasion, la preuve :

 écoute« Nous avons passé un certain temps dans cette ville de Philippes et, le jour du sabbat, nous en avons franchi la porte pour rejoindre le bord de la rivière, où nous pensions trouver un lieu de prière. Nous nous sommes assis, et nous avons parlé aux femmes qui s’étaient réunies. L’une d’elles nommée Lydie, une négociante en étoffes de pourpre, originaire de la ville de Thyatire, et qui adorait le Dieu unique, écoutait. Le Seigneur lui ouvrit l’esprit pour la rendre attentive à ce que disait Paul. Quand elle fut baptisée, elle et tous les gens de sa maison, elle nous adressa cette invitation : ‘Si vous avez reconnu ma foi au Seigneur, venez donc dans ma maison pour y demeurer.’ C’est ainsi qu’elle nous a forcé la main » (Ac 16,12-16).

Luc précise ensuite que la maison de Lydie était devenue la petite Église domestique de Paul. Elle aidait la communauté naissante de son hospitalité et de ses richesses, sans doute aussi de ses soutiens chez les gens influents en ville. Sans renier son commerce, Lydie a su se ménager la part d’écoute qui lui était vitale. En allant au bord de la rivière, elle a choisi d’écouter, et elle a choisi de continuer son négoce ensuite avec autorité pour le faire servir à l’Église de Philippe.

L’important pour nous n’est-il pas d’habiter intensément le moment présent, en le choisissant de tout cœur, que ce soit le temps de service ou le temps de l’écoute ?

 

Résumons-nous :

Marthe-Marie héritage– Il n’y a pas de commune mesure entre la plénitude correspondant à l’un et celle convenant à l’autre. Cette incommensurabilité élimine toute hiérarchie, tout comparatif dans la part occupée par chacun.

– La bonne part de Marie n’est pas la meilleure. C’est la sienne : elle l’a choisie et la vit intensément.

– Jésus ne reproche pas à Marie de faire le service, il lui fait constater qu’elle le subit au lieu de le choisir.

– La diaconie comme l’écoute peuvent être la bonne part, si c’est celle que nous choisissons.

– Lydie, business woman sponsorisant la start-up chrétienne de Philippe, choisit tantôt d’être Marthe au service des frères, tantôt d’être Marie écoutant la Parole au bord de la rivière. Devenons cette Lydie-là, habitant pleinement ce que nous choisissons de faire ou d’être au moment où nous le décidons !

 

Lectures de la messe
1ère lecture 

« Mon seigneur, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur » (Gn 18, 1-10a)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham, qui était assis à l’entrée de la tente. C’était l’heure la plus chaude du jour. Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente et se prosterna jusqu’à terre. Il dit : « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur. Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre. Je vais chercher de quoi manger, et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « Fais comme tu l’as dit. » Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente, et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine, pétris la pâte et fais des galettes. » Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer. Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l’on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, pendant qu’ils mangeaient. Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? » Il répondit : « Elle est à l’intérieur de la tente. » Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »

Psaume
(Ps 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5)
R/ Seigneur, qui séjournera sous ta tente ?
 (Ps 14, 1a)

Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son cœur.

Il met un frein à sa langue.
Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.

À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.
Il ne reprend pas sa parole.

Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
Qui fait ainsi demeure inébranlable.

Deuxième lecture
« Le mystère qui était caché depuis toujours mais qui maintenant a été manifesté » (Col 1, 24-28)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens
Frères, maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. De cette Église, je suis devenu ministre, et la mission que Dieu m’a confiée, c’est de mener à bien pour vous l’annonce de sa parole, le mystère qui était caché depuis toujours à toutes les générations, mais qui maintenant a été manifesté à ceux qu’il a sanctifiés. Car Dieu a bien voulu leur faire connaître en quoi consiste la gloire sans prix de ce mystère parmi toutes les nations : le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire ! Ce Christ, nous l’annonçons : nous avertissons tout homme, nous instruisons chacun en toute sagesse, afin de l’amener à sa perfection dans le Christ.

Évangile
« Marthe le reçut. Marie a choisi la meilleure part » (Lc 10, 38-42)
Alléluia. Alléluia. 
Heureux ceux qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance. Alléluia. (cf. Lc 8, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Patrick BRAUD

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3 octobre 2021

Questions d’héritage

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Questions d’héritage

28° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
10/10/2021

Cf. également :
Comme une épée à deux tranchants
Chameau et trou d’aiguille
À quoi servent les riches ?
Plus on possède, moins on est libre
Où est la bénédiction ? Où est le scandale ? dans la richesse, ou la pauvreté ?
Les sans-dents, pierre angulaire
Donne-moi la sagesse, assise près de toi
Les bonheurs de Sophie

Pastor et Sarkozy

La une du quotidien "Monaco Matin" le 24 juin 2014L’affaire avait fait grand bruit à l’époque. Le 6 mai 2014, la milliardaire monégasque Hélène Pastor avait été assassinée à Nice, sur ordre de son gendre Wojciech Janowski qui avait commandité ce meurtre à Pascal Dauriac, le coach sportif de Madame Pastor, pour 250 000 €. Motif du crime : capter l’héritage d’Hélène Pastor, soit environ 10 milliards d’euros pour chacun de ses 2 enfants…
Cette affaire nous rappelle que de tout temps, vouloir obtenir l’héritage parental avant le terme implique en réalité de tuer le donateur !

Obtenir l’héritage par avance est cependant devenu presque possible, par petites touches : don manuel, donation simple, donation-partage. Et en 2004, le président Sarkozy a fait voter une disposition pour exonérer d’impôts une donation d’un montant maximum de 20 100 € (porté à 31 865 € en 2005) tous les 15 ans. Les donations Sarkozy permettent ainsi aux enfants des familles riches (familles nombreuses notamment) de bénéficier de substantielles avances sur héritage avant la mort de leurs parents. Le but de ces mesures est très keynésien : recycler dans la consommation et l’investissement des jeunes générations l’argent des seniors qui dort en épargne improductive. Il devient alors très tentant de réclamer sa part d’héritage avant le décès de ses parents !

Les questions d’héritage ont depuis toujours déchiré les familles, suscitant jalousies, haines et violences entre les héritiers…

 

L’héritage n’est pas à prendre

Évidemment, l’homme riche de notre évangile (Mc 10,17–32) est bien loin de Pastor et de Sarkozy ! Mais il court lui aussi (v 17, chose rare dans l’Orient écrasé de chaleur) pour obtenir ce qu’il pense être son héritage : « que dois-je faire pour hériter la vie éternelle » (ou du moins être sûr de l’obtenir) ?

À l’époque, c’est très clair : parler d’héritage trop tôt, c’est vouloir faire mourir le père. Un héritage, ça se reçoit en temps voulu, avec gratitude, car c’est un cadeau et non un dû. C’est d’ailleurs pour cela que nous appelons Testament le recueil de textes dans lesquels nous reconnaissons l’héritage laissé par Jésus. Cet homme (Marc ne dit pas comme Matthieu qu’il est jeune, ni comme Luc que c’est un notable) a déjà de grands biens (v 22), mais il veut davantage.

Captation d’héritage avant terme : le désir de cet homme riche révèle que l’accumulation continuelle est le vrai moteur de sa vie. Certes il observe les commandements de la Torah (v 20) depuis sa jeunesse, mais la suite nous fait comprendre que c’est dans un souci d’accumuler les bonnes œuvres comme il a accumulé de grands biens. Mettre la main sur l’héritage est pour lui le couronnement de cette quête où l’avoir prime sur tout : avoir de grands biens, avoir la vie éternelle. À cette soif de possession, Jésus répond à rebrousse-poil : « vends », « donne », « suis-moi ». Accepte de te dessaisir de ce que tu possèdes – et qui te possède en réalité – pour découvrir que l’héritage n’est pas à prendre, ni à vendre en échange quelques actions méritantes. C’est comme si Jésus lui disait : ‘une seule chose te manque… c’est de savoir manquer !’ Ceux qui ont vendu leurs biens pour suivre Jésus manquent de sécurité, d’argent, de puissance, et c’est cela même le « trésor » qu’ils se constituent alors « dans le ciel » sans le savoir ni le calculer. Envisager d’acquérir la vie éternelle comme on achète des actions dans son PEA est une logique très ‘mondaine’. Ce n’est pas sans raison que Jésus a voulu ne rien posséder dans sa marche sur les chemins de Palestine. En recevant jour après jour, pendant trois ans, le gîte, le couvert, l’argent des mains de ceux qu’il rencontrait, il leur signifiait que le Royaume de Dieu est à recevoir gratuitement, et non à conquérir par la vertu ou la religiosité.

Un héritage ne se négocie pas, et nul ne peut mettre la main dessus avant le terme sans tuer le donateur. Ce n’est que « dans le ciel » que nous découvrirons l’héritage librement accordé par Dieu à chacun. Matthieu promet que les doux auront la terre en héritage (Mt 5,5), ceux qui seront assis à la droite du roi lors du Jugement recevront un royaume en héritage (Mt 25,34), et avec Marc Matthieu annonce que ceux qui auront tout quitté pour Jésus hériteront la vie éternelle dans le monde à venir (Mt 19,29).

D’ailleurs, quand un fils demande trop tôt sa part d’héritage, ça dégénère, comme dans la parabole du fils prodigue (Luc 15,11–32) : « mon fils était mort… », dit le père, constatant que revendiquer trop tôt l’héritage est suicidaire en fait.
De même dans la parabole des vignerons homicides (Mt 21,33–46) : ils tuent le fils pour avoir l’héritage – la vigne – à sa place.
Les apôtres fils de Zébédée veulent savoir à l’avance quels postes ministériels ils obtiendront en partage dans le ‘gouvernement Jésus’ (Mc 10,35–40). Celui-ci leur répond par une fin de non savoir : « Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé ».

 

Faire ou suivre ?

Questions d’héritage dans Communauté spirituelle 1124228013À qui veut déjà hériter, Jésus enjoint de vendre et de donner. À qui veut faire, Jésus demande de suivre. Suivre le Christ est bien autre chose que faire des bonnes actions. Faire relève de ce que les théologiens appellent l’orthopraxie (agir droit). Le judaïsme et l’islam sont des orthopraxies : la seule chose importante est de faire ce que la Loi ou le Prophète commande. À la limite, peu importe ce que vous croyez. Il suffit de respecter le shabbat et la cacherout. Il suffit de réciter la Chahada, comme on énonce que la Terre est ronde ou qu’elle tourne autour du soleil : « il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah, et Mahomet est son prophète ». Nulle profession de foi là-dedans : il n’y a pas de sujet, pas de « je » comme dans le Credo chrétien (« je crois »), mais une récitation impersonnelle, une énonciation qui se veut objective.

Est musulman celui qui observe les cinq piliers de l’islam.
Est juif celui qui observe la Torah et la met en pratique.
Est chrétien par contre celui qui met sa foi en Jésus et le suit avec confiance.
Le christianisme est une orthodoxie (pensée droite) où croire sauve et non pas faire.
Là où le judaïsme et l’islam énumèrent la liste des choses à faire ou ne pas faire, les Évangiles (pas forcement les Églises, hélas !) invitent seulement à suivre Jésus, à chercher avec lui le Royaume de Dieu, « et tout le reste vous sera donné par-dessus le marché » (Mt 6,33). Car la vie éternelle ne relève pas de l’ordre marchand.

L’homme riche de Mc 10 ne veut pas quitter cet ordre marchand, même si cela le rend tout triste (v 22). Il veut posséder la vie éternelle comme il possède ses terres et sa fortune. Or la vie ne se possède pas, elle se reçoit. Suivre Jésus sur sa route, de Capharnaüm à Jérusalem, est bien plus important que d’accumuler des bons points en cochant toutes les cases des listes de bonnes actions.

 

Qui veut un peu d’éternité ?

Un mot sur l’objet du désir de cet homme riche : la vie éternelle.
L'éternité, c'est long... surtout vers la fin. WOODY ALLEN - Graine d'Eden citation
Le bon mot de Woody Allen est célèbre : ‘l’éternité, c’est long… surtout vers la fin !’.
Qui d’entre vous aujourd’hui court vraiment après ce but ? La plupart des Européens religieux ne veulent pas entendre parler de paradis (ni d’enfer), mais utilisent la religion comme un remède pour mieux vivre ici-bas : santé, richesse amour, harmonie… Bien peu de gens s’interrogent sur l’au-delà. Seul le présent les intéresse. Parler de vie éternelle leur paraît fumeux, sauf quand elle commence tout de suite (ce qui d’ailleurs est bien le cas, mais le présent n’engloutit pas pour autant l’espérance chrétienne en un au-delà de cette vie !).

Qui se pose vraiment la question de son avenir en Dieu, au-delà de sa propre mort ? Pourquoi l’éternité suscite-t-elle si peu d’intérêt, alors que – si elle existe – elle devrait être le souci majeur de l’existence ? Tout se passe comme si, pour la majorité, la religion se réduisait à une technique de développement personnel : aller mieux et bien vivre les quelques décennies que chacun a devant lui.

Où est passée l’inquiétude du « ciel » qui a engendré les grandes figures de notre histoire et fait courir le riche malgré l’écrasante chaleur de Palestine ? Qui se soucie de son après au point de modifier son avant en conséquence ? Même les djihadistes dans leur folle logique meurtrière pour gagner leur paradis supposé sont plus rationnels…

Car c’est folie que réduire notre horizon à ces quelques années de passage sur terre…

Lectures de la messe

Première lecture
« À côté de la sagesse, j’ai tenu pour rien la richesse » (Sg 7, 7-11)

Lecture du livre de la Sagesse

J’ai prié, et le discernement m’a été donné. J’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. Je l’ai préférée aux trônes et aux sceptres ; à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse ; je ne l’ai pas comparée à la pierre la plus précieuse ; tout l’or du monde auprès d’elle n’est qu’un peu de sable, et, en face d’elle, l’argent sera regardé comme de la boue. Plus que la santé et la beauté, je l’ai aimée ; je l’ai choisie de préférence à la lumière, parce que sa clarté ne s’éteint pas. Tous les biens me sont venus avec elle et, par ses mains, une richesse incalculable.

Psaume
(Ps 89 (90), 12-13, 14-15, 16-17)
R/ Rassasie-nous de ton amour, Seigneur : nous serons dans la joie.
(cf. Ps 89, 14)

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :
que nos cœurs pénètrent la sagesse.
Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ?
Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.

Rassasie-nous de ton amour au matin,
que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
Rends-nous en joies tes jours de châtiment
et les années où nous connaissions le malheur.

Fais connaître ton œuvre à tes serviteurs et ta splendeur à leurs fils.
Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu !
Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains ; oui, consolide l’ouvrage de nos mains.

Deuxième lecture
« La parole de Dieu juge des intentions et des pensées du cœur » (He 4, 12-13)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur. Pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard ; nous aurons à lui rendre des comptes.

Évangile
« Vends ce que tu as et suis-moi » (Mc 10, 17-30) Alléluia. Alléluia.

Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! Alléluia. (Mt 5, 3)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. » L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. » Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit: « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Jésus les regarde et dit: « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »
Pierre se mit à dire à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. » Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »
Patrick Braud

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