Mercredi des cendres : de Grenouille à l’Apocalypse, un parfum d’Évangile
Mercredi des cendres :
de Grenouille à l’Apocalypse, un parfum d’Évangile
Homélie du Mercredi 18 Février 2015
Mercredi des Cendres
cf. également :
La radieuse tristesse du Carême
Carême : quand le secret humanise
Mercredi des Cendres : 4 raisons de jeûner
Le symbolisme des cendres
Connaissez-vous « Le Parfum », de Patrick Süskind ? C’est un roman assez extraordinaire, où le héros nous fait découvrir le monde de l’odorat, comme un 5ème continent oublié.
Grenouille, ce héros, a un nez extraordinaire. Il devient parfumeur ; il apprend à tirer la quintessence olfactive des fleurs, des choses, et même des êtres humains (hélas ! car il en deviendra meurtrier).
Au-delà de l’aventure romanesque de ce personnage qui capte l’odeur des autres pour en faire la sienne, l’auteur nous entraîne dans un univers étonnant de communication non verbale.
Beaucoup de choses sont dites, ressenties et perçues grâce et à travers les parfums de nos vies : la fragrance d’un concentré de lavande, l’épice d’un musc ambré, la sensualité d’un mélange aromatique exotique… Vous savez bien que l’odeur corporelle de quelqu’un est capable d’attirer ou de repousser plus fortement que ses paroles. Chacun de nous a une empreinte olfactive, comme une empreinte digitale, unique. Elle est souvent liée à notre identité spirituelle. Chacun de nous a une « odeur spirituelle » qui nous fait laisser une trace odoriférante derrière nous, suave ou puante …
Bref, il existe dans le parfum un pouvoir relationnel, pour le meilleur et pour le pire, dont nous sommes largement inconscients, et qui pourtant influence fortement nos relations.
J’imagine facilement Jésus lui-même écarquillant les narines pour sentir le monde à plein nez.
Il a du goûter les odeurs du bois de charpentier dans l’atelier de Joseph, les effluves des champs autour de Nazareth, la senteur des soldats romains ou celle des esclaves, le souffle presque marin du Lac de Tibériade, la puanteur de la vallée de la Géhenne, le mélange des essences au marché de Jérusalem etc.…
Il a appris que la relation de l’homme à l’univers et aux autres humains passe aussi par l’odorat.
Aussi, quand il nous dit aujourd’hui : « Quand tu jeûnes, parfume-toi la tête », il nous invite à communiquer notre joie de Carême par une autre forme de présence que la parole : le parfum de notre vie.
Paradoxalement, au lieu d’être une privation, le jeûne devient une exhalaison pour les autres.
Au lieu d’afficher le manque, notre visage diffuse une bonne odeur de joie.
Au lieu de promener une « face de Carême », notre tête rayonne d’une odeur subtile d’Évangile.
Comme on dit de quelqu’un qu’il est mort « en odeur de sainteté », le Carême nous appelle alors à vivre « en odeur de joie » !
* Rappelez-vous la femme qui avait gaspillé 300 deniers pour acheter du parfum précieux et le répandre sur les pieds de Jésus : « et la maison s’emplit de la senteur du parfum » dit Jean (12, 3).
L’annonce prophétique de la Passion du Christ est passée par cette odeur de nectar précieux.
* Rappelez-vous l’autel des parfums que Dieu demanda à Moïse : « Procure-toi des essences parfumées : storax, ambre, galbanum, encens. Tu es feras un parfum mélangé, travail de parfumeur : salé, pur, sacré »(Ex 30). Et ces parfums fumaient sur l’autel, et ils devenaient des « parfums d’apaisement » pour Yahvé.
La prière peut émaner de nous comme une baguette d’encens brûle sur l’autel…
* Rappelez-vous le chant d’amour du Cantique des Cantiques : « L’arôme de tes parfums est exquis… » « Qui est celle-là qui monte du désert, vapeur de myrrhe et d’encens et de tous parfums exotiques ? » « Le parfum de tes vêtements est comme le parfum du Liban… »
Notre désir d’aimer s’exhale de nous, inconsciemment, et les autres le perçoivent alors clairement, plus qu’un discours…
* Rappelez-vous encore la grande liturgie odoriférante de l’Apocalypse, où l’encens fume à flots, où les 4 vivants tiennent dans leurs mains des coupes d’or pleines de parfums qui sont, précise St Jean, « les prières des saints »(Ap 5, 8). Et à l’ouverture du 7ème sceau, l’Ange fait monter devant Dieu la fumée des parfums qu’il offre « avec les prières de tous les saints », sur l’autel des parfums placé devant le trône (Ap 8,2 4).
Notre communion des saints se reconnaît à la colonne de parfum qui monte de nous-mêmes…
Alors se parfumer la tête pour jeûner en Carême, ce n’est pas seulement répandre quelques gouttes d’Instant de Guerlain ou J’adore de Dior, c’est répandre en tous lieux la bonne odeur du Christ, diffuser des effluves de joie, laisser s’exhaler à travers soi des senteurs pleines de vie, mystérieuses de profondeur, envoûtantes d’énigmes.
Un jeûne de Carême produit des chrétiens qui respirent la confiance, qui fleurent la bonté, qui sentent bon dans leur manière d’être…
Être chrétien, ça se sent ! Ça ne fait pas que se voir, se dire, se goûter ou se toucher : ça se sent !
Le Christ, qui nous appelle au « secret » du Carême, nous invite en même temps au « parfum » du Carême : cette bonne odeur du Christ qui, au-delà des mots, communique à tous un message sans parole, rien que par les « arômes spirituels » qui émanent d’une présence.
« Quand tu jeûnes, parfume-toi la tête » : que l’Esprit du Christ soit notre ‘huile essentielle’, notre concentré de senteurs, pour que ce Carême diffuse un parfum d’Évangile à ceux qui croisent notre route.
1ère lecture : « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements » (Jl 2, 12-18)
Lecture du livre du prophète Joël
Maintenant – oracle du Seigneur – revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. Qui sait ? Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment, et laisser derrière lui sa bénédiction : alors, vous pourrez présenter offrandes et libations au Seigneur votre Dieu. Sonnez du cor dans Sion : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une fête solennelle, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre ! Entre le portail et l’autel, les prêtres, serviteurs du Seigneur, iront pleurer et diront : « Pitié, Seigneur, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra- t-il qu’on dise : “Où donc est leur Dieu ?” » Et le Seigneur s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple.
Psaume : 50 (51), 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17
R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché ! (cf. 50, 3)
Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave- moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint
Rends- moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.
2ème lecture : « Laissez- vous réconcilier avec Dieu. Voici maintenant le moment favorable » (2 Co 5, 20 – 6, 2)
Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, nous sommes les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui- même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez- vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu. En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui. Car il dit dans l’Écriture : Au moment favorable je t’ai exaucé,au jour du salut je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut.
Evangile : « Ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6, 1-6.16-18)
Acclamation : Ta Parole, Seigneur, est vérité,et ta loi, délivrance.Aujourd’hui, ne fermez pas votre coeur, mais écoutez la voix du Seigneur. Ta Parole, Seigneur, est vérité,et ta loi, délivrance. (cf. Ps 94, 8a.7d)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps- là, Jésus disait à ses disciples : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux- là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux- là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux- là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume- toi la tête et lave- toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. »
Patrick BRAUD