Un manager nommé Jésus
Un manager nommé Jésus
Homélie pour le 4° dimanche de Pâques / Année A
07/05/2017
Cf. également :
Des brebis, un berger, un loup
Prenez la porte
L’agneau mystique de Van Eyck
La Résurrection est un passif
Le berger et la porte
Jesus as a servant leader
Du bon usage des leaders et du leadership
Manager
Le bon Pasteur est une image rurale. Pasteur vient du latin pastor, qui a donné pâturage et pastorale : il s’agit de nourrir le troupeau en le conduisant là où il y a de l’herbe en abondance, tout en le protégeant des prédateurs environnants.
Transposez à notre contexte urbain, industriel et tertiaire. Plus de pasteurs à l’horizon, mais plutôt des managers. Le terme anglais pourrait en fait venir du vieux français : manège, qui signifie aussi bien prendre en main pour atteindre un objectif que le manège où les chevaux sont accompagnés à la main par l’éleveur ou le cavalier tenant la longe. Le management est un art sérieux, où fleurissent les conseils et théories en tout genre, les plus farfelues et les plus ésotériques, en passant par celles qui rapportent le plus aux consultants qui les inventent…
Or l’Évangile est une mine d’or pour ceux qui veulent exercer leur leadership autrement. On connaît les relectures des pratiques de Jésus en la matière, notamment en termes de servant-leadership [1], ou encore de coaching inspiré [2]. Cette parabole du bon Pasteur du quatrième dimanche de Pâques nous donne quelques éléments essentiels du management à l’école du Christ.
Un manager parlant en paraboles
On ne le dira jamais assez : varier ses modes de parole à une équipe, c’est faire preuve de pédagogie, de délicatesse, de bienveillance. L’art de la parabole a une place de choix dans l’enseignement de Jésus, et ce n’est pas pour rien. Raconter une histoire permet à chacun de faire son propre chemin d’interprétation, sans subir le discours imposé du chef. Une parabole est toujours polysémique : elle intrigue, elle suscite des infinités d’interprétations possibles, la plupart du temps légitimes. La parole directe, d’ordre ou de sanction, peut générer de la violence, et provoquer le repli sur soi, la rébellion, la soumission. Parler en paraboles permet à Jésus de susciter l’interrogation de ses auditeurs (qu’a-t-il voulu dire à travers cette histoire de berger et de brebis ?) et leur propre travail d’interprétation (c’est ce que l’on appelle l’herméneutique).
L’autre pratique courante de Jésus est de poser des questions à ceux qui lui demandent quoi faire. À tel point que répondre à une question par une autre question est qualifié de jésuite ! Mais les questionnements et la parabole sont bien deux traits caractéristiques de la pédagogie de Jésus Pasteur nourrissant ses disciples.
Un manager aujourd’hui devrait réfléchir à l’utilisation de cette façon d’exercer son autorité, non pas en l’imposant, mis en allant chercher le désir de l’autre, ses moteurs d’engagement, et en osant raconter des histoires pour faire réfléchir…
C’est par exemple l’histoire de Léo dans le roman d’Hermann Hesse : « Journey to the East » qui a été à l’origine du servant leader chez Greenleaf :
« La figure centrale de l’histoire est Léo, qui accompagne l’équipe en tant que serviteur qui fait ses tâches subalternes, mais aussi soutient le groupe avec son esprit et sa chanson. Il est une personne d’une présence extraordinaire. Tout va bien jusqu’à ce que Léo disparaisse. Ensuite, le groupe tombe dans le désarroi et le voyage est abandonné. Ils ne peuvent pas aller au bout du voyage sans ce serviteur Léo. Le narrateur, l’un des membres du groupe, après quelques années d’errance, retrouve Léo et est introduit dans l’Ordre qui avait parrainé le voyage. Là, il découvre que Léo, qu’il avait connu en tant que serviteur, était en fait le grand maître de l’Ordre, son inspirateur, un grand et noble leader. » [3]
D’autres paraboles managériales existent, à foison, tirées de la sagesse des nations et de l’expérience des entreprises. Par exemple, Kodak est passé à côté de l’invention de la photographie numérique lorsque l’entreprise n’a pas voulu écouter un de ses salariés lui présentant une idée géniale révolutionnaire, mais qui sapait le support argentique sur lequel Kodak faisait ses profits. Raconter cette histoire suscite les questionnements sur les propres aveuglements actuels d’une entreprise, peu encline à accueillir le disruptif, l’inattendu dans ses métiers, ses marchés d’activité etc.
Un manager-porte
« Je suis la porte », ose dire Jésus. À son image, un responsable d’équipe ne cherchera pas à se dérober, à fuir son rôle personnel. Car il existe mille manières de se défausser de ce rôle de porte, sous prétexte de déléguer, de faire confiance, de donner de l’autonomie etc. Déléguer n’est pas abandonner ! Quand il se définit comme porte, Jésus sait qu’il devra être tout entier impliqué dans son discours aux disciples : par son exemplarité, par la communication de son expérience, par le passage de témoin pour qu’ils aillent plus loin que lui.
Une porte ne conduit pas à elle-même, elle est un point de passage obligé pour passer de l’autre côté. Le manager joue ce rôle de passeur : par la qualité de sa relation personnelle avec chacun, par son accompagnement du passage de chacun, par sa capacité à faire corps un moment pour conduire l’autre plus loin…
Un manager marche en tête
C’est le sens du mot leader, en anglais. Les généraux prudents conduisent leurs batailles depuis les lignes arrières. Bonaparte au pont d’Arcole passe devant, au grand dam de ses soldats craignant pour lui. Le manager qui ne s’expose pas, qui ne sait pas ce que ‘être en première ligne’ signifie pour ses équipes, sera naturellement peu suivi. Marcher en tête implique d’expérimenter pour soi ce que l’on demande aux autres (la rigueur, l’excellence, l’ouverture…). Marcher en tête, c’est défricher le chemin pour l’équipe derrière, leur ouvrir la voie, en déblayant notamment tous les obstacles hiérarchiques ou financiers qui empêcheraient son équipe d’avancer etc. C’est également protéger son équipe en prenant sur soi les coups qui lui sont destinés. À l’image de Jésus à Gethsémani protégeant ses disciples pour qu’ils ne soient pas arrêtés à sa place.
Manager demande de connaître chacun personnellement
Le bon Pasteur connaît chaque brebis par son nom ; il les appelle, il les fait sortir (comme un Exode, une Pâque).
C’est la première demande de la plupart des salariés : être considérés, respectés, regardés comme une personne à part entière, et pas seulement comme des bras ou une force de travail. Cela passe pour le chef par le bonjour du matin en ne détournant pas le regard, par l’intérêt porté à la santé, la vie familiale, associative etc. du salarié (et pas seulement le job effectué), les conversations informelles autour d’un café, de la badgeuse ou du parking… S’il n’y a pas cette considération minimum, chaleureuse et personnalisée, toutes les techniques de management seront stériles et perçues comme une imposture managériale !
Un manager connaît ses brebis. Sa connaissance personnelle de chacun dans son équipe lui permet de les faire grandir, sortir, de les pousser dehors, comme dit Jésus. Faire grandir ses collaborateurs est l’obsession du servant-leader : ‘à quoi puis-je les appeler, chacun selon ses charismes, pour qu’ils aillent plus loin dans leur évolution professionnelle ?’ En allemand, le métier se dit Beruf, qui vient du verbe appeler (rufen en allemand, vocare en latin), et c’est le même mot que le mot vocation. Exercer son métier devrait être une vocation, notamment grâce aux responsables hiérarchiques qui doivent appeler chacun au meilleur de lui-même. Cela conduira le manager à prendre des risques, en proposant des formations, d’autres missions, d’autres périmètres, d’autres expériences, d’autres mobilités (géographique, fonctionnelle, latérale ou verticale).
Un manager désire avant tout que ses équipiers aient la vie en abondance
L’expression est forte.
Dans la bouche de Jésus, il s’agit de donner sa vie pour ses amis, afin qu’ils vivent eux-mêmes en plénitude.
Trop de chefs n’ont pour but que de se servir de leur nomination pour grimper à une autre plus élevée, le plus rapidement possible. Ils se servent de leur équipe au lieu de la servir, pour bien se faire voir, pour justifier de leur excellence, pour se rendre irremplaçables, et finalement pour gravir d’autres échelons hiérarchiques. Ils font remplir une foule de reportings à leur équipe pour inonder leurs supérieurs de preuves de leur efficacité de chefs. Ils font peser sur leur équipe la production des arguments pour leur ascension sociale à eux. Mais la plupart du temps, ils ne restent pas assez longtemps pour assumer les conséquences de leurs décisions soi-disant brillantes.
Le manager bon pasteur est au contraire décentré de lui-même. C’est la réussite de son équipe qui lui tient à cœur. Il souhaite qu’ils viennent le matin avec le sourire et non la boule au ventre. Qu’ils trouvent du plaisir, de l’épanouissement, de l’utilité, bref de la vie en abondance dans leurs 7h de travail ou plus. Bien sûr, un tel manager sait qu’il y a une vie en dehors de ces 7h, et il s’y intéresse d’ailleurs. Mais, vu l’investissement en temps et en énergie que cela représente, il fera tout pour que le travail devienne un lieu d’épanouissement et non de corvée, un temps humanisant et non aliénant.
On entend rarement un PDG, un directeur ou un manager déclarer : j’ai été nommé et je viens dans cette équipe pour qu’ensemble nous ayons la vie en abondance ! Utopique ? Allez écouter sur Youtube, TedX, Viméo et autres réseaux sociaux les vraiment grands patrons exposer leur vision à leurs salariés, et vous ne serez pas loin de penser que seuls ces visionnaires traduisent l’objectif de la vie en abondance en termes contemporains : ils suscitent l’enthousiasme, l’excellence et l’engagement autour d’eux.
La parabole du bon passeur de Jn 10 a souvent été appliquée au ministère des prêtres et des évêques. Pourquoi ne pas la transposer au management du XXI° siècle ?
Que ces quelques règles nous invitent à renouveler l’exercice de nos leaderships, quels qu’ils soient.
[2] . Robert K. GREENLEAF, The Servant as Leader, 1970.
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Dieu l’a fait Seigneur et Christ » (Ac 2, 14a.36-41)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et fit cette déclaration : « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. » Les auditeurs furent touchés au cœur ; ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » Pierre leur répondit : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » Par bien d’autres paroles encore, Pierre les adjurait et les exhortait en disant : « Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés. » Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre furent baptisés. Ce jour-là, environ trois mille personnes se joignirent à eux.
PSAUME
(Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)
R/ Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer.
ou : Alléluia ! (cf. Ps 22, 1)
Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.
Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.
Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.
DEUXIÈME LECTURE
« Vous êtes retournés vers le berger de vos âmes » (1 P 2, 20b-25)
Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. Lui n’a pas commis de péché ; dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge. Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes.
ÉVANGILE« Je suis la porte des brebis » (Jn 10, 1-10)
Alléluia. Alléluia. Je suis le bon Pasteur, dit le Seigneur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Alléluia. (Jn 10, 14)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus déclara : « Amen, amen, je vous le dis : celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. Celui qui entre par la porte, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un étranger, mais elles s’enfuiront loin de lui, car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
Jésus employa cette image pour s’adresser aux pharisiens, mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait. C’est pourquoi Jésus reprit la parole : « Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. »
Patrick BRAUD