L'homélie du dimanche (prochain)

28 mai 2023

Trinité : quelle sera votre porte d’entrée ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Trinité : quelle sera votre porte d’entrée ?

Homélie pour le Dimanche de la fête de la Trinité / Année A
04/06/2023

Cf. également :
La structure trinitaire de l’eucharistie
La Trinité est notre programme social

Trinité économique, Trinité immanente
Les trois vertus trinitaires
Vivre de la Trinité en nous
La Trinité, icône de notre humanité
L’Esprit, vérité graduelle
Trinité : Distinguer pour mieux unir
Trinité : ne faire qu’un à plusieurs
Les bonheurs de Sophie
Trinité : au commencement est la relation
La Trinité en actes : le geste de paix
La Trinité et nous

Sur les chemins noirs
Sur les chemins noirs
Le film sorti en mars 2023 adapte à l’écran le roman éponyme de Sylvain Tesson, sorti en 2016. On y suit la marche en travers de la France d’un homme qui a vu sa vie basculer, littéralement, après une chute d’un balcon d’immeuble lors d’une soirée parisienne trop arrosée… Fracassé de partout, le corps en miettes, il voit également voler en éclats son couple, son mode de vie de bobo parisien gâté, superficiel et léger… Plusieurs mois de marche seront pour lui comme un reset informatique : il cherche à se retrouver lui-même en se perdant sur des chemins qui n’existent plus sur les cartes, les fameux chemins noirs qui pourtant permettent de traverser la France dans toute la splendeur de ses paysages sauvages.

On retrouve dans son livre nombre des motivations de ceux qui prennent la route pour marcher, dans une sorte de pèlerinage sans transcendance.
Sylvain Tesson voulait :
- réparer son corps fracturé en miettes. La marche serait une guérison.
- fuir le progrès technique envahissant, et retrouver la belle France loin des artifices
- surmonter le deuil de sa mère qui visiblement l’obsédait depuis longtemps
- redevenir libre, quitte à provoquer le départ de sa compagne d’avant
- écrire, écrire, jour après jour, comme les Pères Blancs en Afrique tenaient leur diaire en notant soigneusement les évènements et ce que cela leur s’inspirait
- refaire à l’envers l’itinéraire de sa vie (les flash-backs sont omniprésents), comme si la réparation du corps nourrissait la réparation de l’esprit
- partager un bout de route avec sa sœur, un ami, des inconnus croisés sur les chemins noirs pendant quelques jours…
Jean Dujardin est comme d’habitude formidable dans ce film. Le rythme en est très lent, rempli des méditations métaphysiques et philosophiques de l’auteur, un brin intello donc malgré les paysages superbes traversés (du Mercantour à La Hague). Il en bave, littéralement (crise d’épilepsie en route !), mais il s’accroche…

Ils sont des milliers comme Sylvain Tesson à marcher sur des chemins intérieurs inconnus, tout en se dirigeant vers Saint-Jacques-de-Compostelle, ou Rome ou Jérusalem, ou tout simplement le long des côtes et des forêts. Ils sont les vivants témoins d’une aspiration spirituelle que la vie artificielle des villes et leur confort ne peut combler. Ces aventuriers des profondeurs intimes n’iront pas forcément chercher du côté des grandes religions ou institutions officielles. Mais ils sont mus par un dynamisme plus grand qu’eux-mêmes. Dieu serait peut-être un trop gros mot pour eux, alors que la dimension spirituelle leur est familière. Liturgie, rituels, Églises ou Évangile ne sont pas dans leur référentiel, mais la contemplation, l’émotion devant l’harmonie du monde et la communion avec lui font bien partie de leur démarche.

En cette fête de la Trinité, célébrer le Dieu Un en trois personnes peut nous inviter à distinguer différents portes d’entrée dans le mystère. Qui pourrait prétendre le posséder tout entier ? Il faut bien cheminer vers l’au-delà de tout. Et l’entrée est différente pour chacun, comme les 12 portes de la Jérusalem céleste.

 

1. Entrer en Dieu par l’intériorité
Trinité 3 portes d'entrée Esprit
C’est la voie de Sylvain Tesson sur les chemins noirs du Mercantour au Cotentin. C’est sans doute la vision privilégiée pour bon nombre de nos contemporains en Europe. Lassés de la transcendance des pouvoirs autoritaires non démocratiques, méfiants envers les récupérations de toutes sortes, ils cherchent une réconciliation intérieure, une unité personnelle, une harmonie avec l’univers. L’hypersensibilité écologique actuelle - qui se traduit chez les jeunes par une surprenante éco-anxiété presque pathologique - remet à l’honneur des thèmes qui ont bien des résonances avec le patrimoine monastique, mystique et patristique chrétien. Ainsi la communion avec la nature, la continuité du vivant, le respect de toute forme d’existence, l’intuition d’un ordre naturel à préserver, la redécouverte d’une sobriété presque franciscaine etc.

Les discours souvent nébuleux des gourous en développement personnel et autres  techniques de bien-être reprennent sans le savoir des éléments de la spiritualité des Pères du désert, de la mystique rhénane, des béguines du Nord ou des grandes figures de l’aventure intérieure chrétienne (la nuit de la foi de Saint Jean de la Croix, le château de l’âme de Thérèse d’Avila, la petite voie de l’enfance de Thérèse de Lisieux, la sobriété heureuse de François d’Assise etc…).

Ces courant de quête intérieure ne signeraient pas forcément pour être appelés « spirituels ». Pourtant, c’est bien l’Esprit de Dieu qui suscite en eux inquiétude, soif d’absolu, désir d’unité et recherche d’harmonie. Car l’Esprit est l’unité des Trois, et la communion qu’il réalise entre le Père et le Fils est l’autre nom de l’harmonie dont ont soif les marcheurs sur les chemins noirs.

C’est le même Esprit qui affleure à la surface d’une émotion musicale, ou plus largement artistique. L’art a cette capacité de bouleverser les certitudes, de laisser transparaître l’infini, d’annoncer qu’il y a en l’homme et autour de lui de l’infiniment grand.

C’est l’Esprit encore qui est à l’œuvre dans la rationalité si pointue de nos technologies récentes. Les meilleurs physiciens vous le diront : les sciences du XXI° siècle réintroduisent de la liberté, de l’imprévisible, de l’étonnement et même de l’émerveillement devant le réel plus complexe que nos représentations, jouant à cache-cache avec nous comme Dieu avec Élie sur le mont Carmel.

Ajoutons que cette porte d’entrée en Dieu qu’est la spiritualité sous toutes ses formes a  l’immense mérite aujourd’hui d’être féminine. En effet, l’intériorité, la communion, le ‘care’, l’accueil au lieu de la prédation, tout cela relève d’une symbolique plutôt féminine. Et en hébreu, n’oublions jamais que l’Esprit est féminin : la « Ruah YHWH » – souffle divin – est répandue sur toute chair et informe la vie de Dieu en chacun.

Enfin, nul doute que l’évangélisation des immenses Inde et Chine devra mettre en avant cette porte d’entrée spirituelle : les sagesses millénaires de ces deux tiers de l’humanité sont comme des préparations évangéliques sur lesquelles planter, semer et récolter.

 

2. Entrer en Dieu par la fraternité
Trinité 3 portes d'entrée FilsCette porte d’entrée est plus familière aux générations de la deuxième moitié du siècle dernier. C’est celle des combats pour la justice sociale dans lesquels nous avons vu le Royaume de Dieu se rapprocher. C’est celle de la fraternité universelle, que la mondialisation libérale a trahie mais dont le rêve ne peut pas disparaître. C’est la voie royale de tous ceux que la figure historique du Christ éblouit par son audace, son humanité, son courage, sa vérité anthropologique. On espère toujours des prophètes pour notre temps, et les Évangiles n’ont rien perdu de cette force prophétique-là, capable de renverser les puissants de leur trône et d’élever les humbles. En Jésus de Nazareth, l’amour du prochain conduit à l’amour de Dieu et réciproquement.

La compassion sociale, les combats pour le logement, la santé, la dignité des plus pauvres etc. sont toujours portés à bout de bras par les innombrables associations chrétiennes. Même l’État-providence doit reconnaître que ce souci du vivre ensemble lui a en partie été légué par le christianisme, qui parle du sacrement du frère indissociable de celui de l’autel.

L’aspiration à la fraternité est universelle. Elle est le signe de notre vocation à nous retrouver tous en Christ : faire corps avec lui nous rend solidaires les uns des autres, et réciproquement.

Entrer en Dieu par la fraternité demeure le tapis rouge déroulé sous les pieds de ceux qui se battent pour l’homme, tout l’homme, tous les hommes.

 

3. Entrer en Dieu par la transcendance
Trinité 3 portes d'entrée PèreC’est la porte d’entrée traditionnelle des civilisations antiques. Fascinées par le soleil, la foudre ou la puissance vitale, les religions d’autrefois situaient les dieux au-dessus, dans un autre monde, plus grands que l’homme. Les monothéismes ont canalisé cette peur du sacré,  et le judaïsme a consacré Dieu comme le Tout-autre, l’ineffable, le plus grand que tout, celui dont on ne peut prononcer le nom : YHWH. L’islam a repris cette proclamation du Dieu unique, en l’appauvrissant quelque peu puisque l’Esprit de Dieu de la Genèse – la Ruah YHWH - n’est plus connue dans le Coran.

La grandeur de la Création, de l’esprit humain, les merveilles de l’infiniment grand comme de l’infiniment petit sont encore en Occident des voies d’initiation au divin. L’homme passe l’homme, disait Pascal : l’humanisme occidental n’en finit pas de s’émerveille de la grandeur de l’esprit humain. Et les scientifiques pointant leurs télescopes vers l’origine de l’univers  où explorant les interactions quantiques en ressortent troublés, interrogatifs : d’où vient la grandeur de ce qui nous entoure ?

Transcendance, altérité, différence : tous ceux qui sont sensibles à ces dimensions du vivant, du réel, ne sont pas loin de découvrir le Dieu-Père de la Bible, irréductible à toute projection humaine, si grand et pourtant si proche…

 

Trois accès à la déité
Ces 3 portes d’entrée conduisent, par des chemins différents, à expérimenter peu à peu la vie de Dieu, la vie en Dieu. Ce que les orthodoxes appellent la divinisation, selon la belle définition de Pierre : « de la sorte nous sont accordés les dons promis, si précieux et si grands, pour que, par eux, vous deveniez participants de la nature divine » (2P 1,4).

Au XIV° siècle, Maître Eckhart a proposé d’appeler déité ce fonds commun aux 3 personnes de la Trinité. La déité est la nature divine, faite de communion, d’amour, de relation, qui unit le Père et le Fils dans le baiser commun de l’Esprit [1]. La déité est la présence de Dieu en nous, qui nous permet de participer à la vie divine et de devenir un avec lui.

On peut risquer alors une schématisation d’ensemble des 3 accès à la déité évoqués plus haut :

Trinité 3 portes d'entrée

Bien sûr, il faudrait également explorer les interactions entre ces 3 chemins, car celui qui avance sur une de ces voies se rapproche nécessairement des deux autres. L’Esprit nous révèle le Père qui nous dévoile le Fils. Le Fils n’est rien sans son Père, et l’Esprit est commun aux deux etc.

Il nous suffit pour ce dimanche de méditer sur notre propre perception de la Trinité : à quelle dimension parmi les 3 suis-je le plus sensible ? Comment m’ouvrir aux deux autres ?
Et pour mes proches, ceux dont je suis responsable : quelle porte leur ouvrir ? Comment me mettre au service de leur chemin à eux vers Dieu, qui n’est pas le mien ?

 


[1]. En islam, la notion de déité est exprimée à travers le concept de tawhid, qui se traduit littéralement par « unicité » ou « unité ». Tawhid est considéré comme le fondement de la foi islamique, et il affirme que Dieu est un et unique, sans aucun associé ni égal. Ainsi, bien que le concept de déité ne soit pas explicitement utilisé en islam, le concept de tawhid exprime une notion similaire d’une réalité divine unique et absolue, qui est au-dessus de tout ce qui existe et qui est la source de toute création.

 


LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Le Seigneur, le Seigneur, Dieu tendre et miséricordieux » (Ex 34, 4b-6.8-9)

Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, Moïse se leva de bon matin, et il gravit la montagne du Sinaï comme le Seigneur le lui avait ordonné. Il emportait les deux tables de pierre. Le Seigneur descendit dans la nuée et vint se placer là, auprès de Moïse. Il proclama son nom qui est : LE SEIGNEUR. Il passa devant Moïse et proclama : « LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité. » Aussitôt Moïse s’inclina jusqu’à terre et se prosterna. Il dit : « S’il est vrai, mon Seigneur, que j’ai trouvé grâce à tes yeux, daigne marcher au milieu de nous. Oui, c’est un peuple à la nuque raide ; mais tu pardonneras nos fautes et nos péchés, et tu feras de nous ton héritage. »

CANTIQUE
(Dn 3, 52, 53, 54, 55, 56)
R/ À toi, louange et gloire éternellement ! (Dn 3, 52)

Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères : R/
Béni soit le nom très saint de ta gloire : R/
Béni sois-tu dans ton saint temple de gloire : R/

Béni sois-tu sur le trône de ton règne : R/
Béni sois-tu, toi qui sondes les abîmes : R/
Toi qui sièges au-dessus des Kéroubim : R/
Béni sois-tu au firmament, dans le ciel, R/

DEUXIÈME LECTURE
« La grâce de Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit » (2 Co 13, 11-13)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, soyez dans la joie, cherchez la perfection, encouragez-vous, soyez d’accord entre vous, vivez en paix, et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous. Saluez-vous les uns les autres par un baiser de paix. Tous les fidèles vous saluent.
Que la grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous.

ÉVANGILE
« Dieu a envoyé son Fils, pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 16-18)
Alléluia. Alléluia. Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit : au Dieu qui est, qui était et qui vient ! Alléluia. (cf. Ap 1, 8)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
Patrick BRAUD

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16 janvier 2017

L’épervier de la fraternité

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L’épervier de la fraternité

Cf. également :

Descendre habiter aux carrefours des peuples

Ruptures et continuités : les conversions à vivre pour répondre à un appel

Quand Dieu appelle

Le polythéisme des valeurs

Les 153 gros poissons

Homélie du 3° dimanche du temps ordinaire / Année A 22/01/2017

Le jeu de l’épervier

Vous avez sûrement joué, enfants, au jeu de l’épervier dans la cour de récréation. Une bande de gamins forme une chaîne, comme un long filet de chalut, en se tenant la main. D’autres, non liés, leur font face. Au signal, tel un épervier fondant sur sa proie, la chaîne humaine doit avancer et capturer ceux d’en face qui n’arriveraient pas à passer entre les mailles du filet.

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C’est bien un filet de pêche style épervier que jettent ensemble Simon et André dans la ‘mer’ (le lac !) de Tibériade. Un large filet, souvent garni de petits plombs pour le faire plonger rapidement, qu’on jette à la mer pour capturer par surprise les poissons passant par là. Il faut le remonter très vite pour que le piège se referme sur les poissons avant qu’ils aient le temps de comprendre ce qui leur arrive…

L’appel de Jésus se calque sur cette technique ancestrale : joindre ses efforts pour tirer hors de la mer (symbole du mal et de la mort pour les hébreux, piètres navigateurs) le maximum d’hommes et de femmes à sauver. Il y a deux mots grecs dans notre texte qui désignent les filets : aμφίβληστρον(amphiblēstron) = jeter ensemble à deux, et δίκτυα (diktya) = attraper, capturer. Unir ses efforts, à 2, à 4 puis bientôt à 12 pour sauver les hommes est donc la base de l’appel du Christ à le suivre.

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Des liens à renouveler

Dans une symbolique de rupture et de continuité tout à la fois, Jésus part des liens unissant ceux qu’il appelle. Ce sont nos liens qui constituent notre identité. En Dieu le premier, c’est la relation qui est subsistante, dira saint Thomas d’Aquin, c’est-à-dire que le fait d’être lié, en communion avec un autre nous constitue comme sujet, comme personne désirante et aimante, désirée et aimée.

Les liens qui unissent les quatre premiers disciples dans Mathieu sont multiples :

- liens du sang :

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Jésus appelle 2 fois 2 frères. On sait que l’un des deux pères  s’appelle Zébédée (la bande dessinée « le voyage des pères » écrira une très jolie histoire-midrash de ces pères enquêtant sur le sort de leur fils). Mais il faut quitter son père pour suivre Jésus, comme il fallait quitter son père et sa mère pour s’attacher à son conjoint et ne faire qu’un avec lui/elle (Gn 2,24).

Les liens du sang sont précieux pour grandir et recevoir. En christianisme, ils ne sont pas sacralisés mais convertis, intégrés dans une fraternité beaucoup plus grande : l’Église, l’humanité tout entière appelée à être unie à Dieu. Aucune mafia ecclésiale ne remplacera les mafias familiales ! Ce sont des liens nouveaux, ne reniant pas le meilleur de l’affection familiale (sinon Jésus n’aurait pas appelé les frères ensemble) mais les convertissant au service du salut de tous. Pendant les trois premiers siècles de persécutions, les baptisés s’appelaient entre eux frères et sœurs à cause de cette conviction. Convertir les liens du sang est toujours un défi pour évangélisation, notamment dans les cultures traditionnelles où la famille est quasi-idolâtrée.

À côté des liens du sang, d’autres points communs entre Simon et André, Jacques et Jean vont être transformés :

- liens ethniques et géographiques

Afficher l'image d'origineTous les 4 sont des galiléens, de cette région un peu ‘paumée’, à la réputation douteuse auprès des juifs de Jérusalem. D’ailleurs c’est son accent galiléen qui trahira Pierre repéré comme un disciple de Jésus par la servante du grand prêtre au moment du procès de Jésus. Et plus tard on essaiera de ridiculiser  les premiers chrétiens en les appelant «la secte des Galiléens  ».

C’est en partant de notre solidarité avec les petits, les sans-grades, ceux qui ne comptent pas, que le Christ veut nous appeler à sa suite.

Qui sont donc les galiléens d’aujourd’hui ?

 

- liens professionnels et hiérarchiques

Afficher l'image d'origineLes 4 pêcheurs appartiennent à la même TPE (très petite entreprise), dont André et Simon sont sans doute les propriétaires. Les 4 sont appelés, à égalité. Même la primauté accordée à Pierre par Jésus plus tard sera une primauté de service et non de domination. Vivre nos relations professionnelles, nos subordinations ou nos commandements hiérarchiques à la lumière de cet appel du Christ est donc révolutionnaire. Devant lui, l’employé à temps partiel au SMIC a autant de valeur que le PDG de Renault. Car il faut quitter ses filets d’avant pour suivre le Christ. En même temps, le fait d’avoir travaillé ensemble se prolongera dans la mission commune des 12 apôtres.

Introduire la fraternité évangélique dans les rapports d’entreprise et de production n’est pas une utopie : c’est un appel du Christ. Ou alors, si c’est une utopie, c’est une utopie féconde qui inspire des entrepreneurs et les pousse à révolutionner la manière de travailler ensemble, de partager le fruit du travail, de faire prospérer la barque commune…

- liens sociaux et spirituels

Les pêcheurs formaient une catégorie sociale à part. Ces « gens de la mer » (ἁλιεῖς = halieis,comme l’écrit le texte grec) ont des odeurs, un vocabulaire, un statut social à part, peu prisé. Répétons que les hébreux avaient peur de la mer, royaume de l’obscur, mal maîtrisée, capable de déluge semblable à la mort. La pêche des quatre est ici symbolique du combat contre les forces du mal et de la mort. Ils affrontent l’abîme empli de terreur pour en soustraire quelques poissons rapportés à terre. On se souvient que le poisson (avec l’acronyme Christus en grec) était le symbole de reconnaissance des baptisés dans les catacombes… L’appel du Christ se situe résolument dans ce combat spirituel : ne rêvez pas d’une mission sans risque, car vous aurez affaire à forte partie… Le social et le spirituel sont ainsi fortement imbriqués dans cet appel de pêcheurs de poissons et d’hommes.

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La fraternité, une idée neuve

Tous ces liens sont à convertir, à transfigurer, pour pouvoir se mettre à la suite du Christ. Celui qui les englobe tous est le lien de la fraternité. «Vous navez quun seul Père, et vous êtes tous frères  »(Mt 23/8-9).

Afficher l'image d'origineValeur républicaine s’il en est, inscrite sur les frontons de nos mairies avec les deux autres, la fraternité est pourtant la grande oubliée de la République française. Les libéraux, de droite ou de gauche, mettent tout en œuvre pour que la liberté d’entreprendre, l’initiative individuelle, la liberté de consommer, de circuler, soient assurées par le pouvoir politique. La gauche traditionnelle met l’égalité au-dessus de tout : par la fiscalité, la législation, les aides sociales etc. Très peu de politiques intègrent le troisième terme – la fraternité – dans leurs programmes. Ils sont démunis devant les peurs réciproques isolant des quartiers où des classes sociales. Ils ne comprennent pas les haines religieuses ou ethniques qui resurgissent régulièrement. Peut-être parce que eux-mêmes ne vivent que des fraternités sélectives et privilégiées, de l’ENA à la loge maçonnique, de la même classe préparatoire au même club de golf ou de tennis… Plus  la responsabilité confiée est grande, plus les politiques devraient approfondir leurs  liens fraternels avec les galiléens, les pêcheurs, les sans-grades desquels leur  fonction les éloigne et les isole. Cela vaut d’ailleurs pour tous les niveaux hiérarchiques, en entreprise, en Église…

Cette fraternité demande d’abord de vivre et de partager l’intimité, sans calcul. À la manière de Jésus et de ses apôtres partageant l’itinérance sur les chemins de Judée et d’Israël, mangeant et buvant ensemble, traversant ensemble succès et échecs, rencontres étonnantes et oppositions farouches.

Le Net de la fraternité

En anglais, filet se dit : net. Internet est par nature le projet de relier les hommes entre eux à la manière du filet des pêcheurs de Tibériade : à égalité (les grades ne servent à rien sur le Net), pour unir les efforts (penser à Wikipédia, au décryptage du génome humain, aux logiciels Open Source etc. !) afin de relier entre eux des internautes autrement isolés. Le filet du Web peut donc devenir un média de la fraternité.

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On y trouve évidemment le meilleur et le pire mélangés. Mais convertir ce puissant outil au service de la fraternité est un appel impérieux. Les exemples en sont nombreux : des sites coopératifs au crowfunding en passant par des pétitions ou du gratuit, des sites de rencontre utiles aux MOOC démocratisant le savoir, les initiatives foisonnent pour que le Net devienne vraiment un lien fraternel entre des gens que tout éloigne autrement. Cela n’exclut pas, au contraire, la fraternité physique : le sport, la chorale, l’associatif etc. La multiplication de ces sources de fraternité est vitale, sinon la liberté d’un côté et l’égalité de l’autre se feront la guerre, s’affronteront dans ce que Max Weber appelait le polythéisme des valeurs. Et les politiques à eux seuls ne peuvent assurer ce terreau fraternel.

Alors, jetons nos filets d’avant, et comme Simon et André, Jacques et Jean, mettons-nous à la suite du frère universel, comme Charles de Foucauld aimait à appeler Jésus.

Jetons ensemble l’épervier de la fraternité sur les eaux troubles qui nous entourent.

 

1ère lecture : Dans la Galilée des nations le peuple a vu se lever une grande lumière (Is 8, 23b – 9, 3) Lecture du livre du prophète Isaïe

Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée des nations. Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson, comme on exulte au partage du butin. Car le joug qui pesait sur lui, la barre qui meurtrissait son épaule, le bâton du tyran, tu les as brisés comme au jour de Madiane.

Psaume : Ps 26 (27), 1, 4abcd, 13-14
R/ Le Seigneur est ma lumière et mon salut. Ps 26, 1a)

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

J’ai demandé une chose au Seigneur,
la seule que je cherche :
habiter la maison du Seigneur
tous les jours de ma vie,

Mais j’en suis sûr,
je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants.
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur.

2ème lecture : « Tenez tous le même langage ; qu’il n’y ait pas de division entre vous » (1 Co 1, 10-13.17)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ : ayez tous un même langage ; qu’il n’y ait pas de division entre vous, soyez en parfaite harmonie de pensées et d’opinions. Il m’a été rapporté à votre sujet, mes frères, par les gens de chez Chloé, qu’il y a entre vous des rivalités. Je m’explique. Chacun de vous prend parti en disant : « Moi, j’appartiens à Paul », ou bien : « Moi, j’appartiens à Apollos », ou bien : « Moi, j’appartiens à Pierre », ou bien : « Moi, j’appartiens au Christ ». Le Christ est-il donc divisé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile, et cela sans avoir recours au langage de la sagesse humaine, ce qui rendrait vaine la croix du Christ.

Evangile : Il vint habiter à Capharnaüm pour que soit accomplie la parole d’Isaïe (Mt 4, 12-23)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Jésus proclamait l’Évangile du Royaume, et guérissait toute maladie dans le peuple. Alléluia. (cf. Mt 4, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean le Baptiste, il se retira en Galilée. Il quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord de la mer de Galilée, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali. C’était pour que soit accomplie la parole prononcée par le prophète Isaïe : Pays de Zabulon et pays de Nephtali,route de la mer et pays au-delà du Jourdain,Galilée des nations !Le peuple qui habitait dans les ténèbresa vu une grande lumière.Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort,une lumière s’est levée. À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »  Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans la mer ; car c’étaient des pêcheurs. Jésus leur dit : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.  De là, il avança et il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque avec leur père, en train de réparer leurs filets. Il les appela. Aussitôt, laissant la barque et leur père, ils le suivirent.  Jésus parcourait toute la Galilée ; il enseignait dans leurs synagogues, proclamait l’Évangile du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple.
Patrick BRAUD

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