Figurez-vous la figure des figures
Figurez-vous la figure des figures
Homélie pour le 2° dimanche de Carême / Année A
Dimanche 20 Mars 2011
· Les figures dans le langage et la Bible
Pour mieux apprécier le sens de ce mot étrange : transfiguration, qui est au cœur de notre page d’évangile, laissons résonner en nous les expressions françaises qui parlent de figure.
- Une figure de caractère, c’est une composition académique pour plus d’intensité expressive. C’est le genre de figure qu’inventait Jésus dans ses paraboles : le riche et Lazare, la veuve importune, le bon samaritain etc…
- Une figure de style est une construction oratoire soigneusement construite pour produire son effet : une litote, une métaphore etc? Les Écritures regorgent de tels procédés littéraires, le plus souvent au service de la mémorisation par cœur d’une tradition orale (les hymnes du Nouveau Testament par exemple).
- En patinage artistique, les champions doivent exécuter des figures libres et des figures imposées. Nombre de questions pièges tendues à Jésus par les notables ressemblent à des figures imposées pour être reconnu comme un vrai rabbin : interprétation de la Loi, études de cas alambiqués? Jésus leur propose souvent ses figures libres : paraboles décoiffantes, gestes surprenants?
- Une figure de proue se situe à l’avant du navire : visage marquant qui conduit l’avancée d’un groupe. Jésus est par excellence la figure de proue d’une humanité naviguant vers son port d’attache : la communion d’amour trinitaire.
- Prendre figure se dit d’un projet, une ébauche qui commence à se réaliser, à prendre forme. En Jésus, le projet divin prend figure, s’incarne dans un visage, prend forme au milieu de l’humanité.
- Quand quelque chose se voit comme le nez au milieu de la figure, c’est une évidence incontestable ! Les pauvres, les handicapés et les laissés-pour-compte de la société lisaient sur le visage de Jésus cette évidence : il vient de Dieu, il mène à Dieu ; cela se voit comme le nez au milieu de la figure !
- Se figurer, c’est s’imaginer, attribuer un visage à un projet, à un événement à venir. Les juifs se figuraient que le Messie serait glorieux, lumineux, imposant. Et voici que paraît un modeste galiléen bientôt cloué comme un criminel sur le bois de la croix…
- Faire bonne figure : c’est ce que Hérode est obligé d’adopter comme attitude auprès des invités de son festin. Pour faire bonne figure, il fera décapiter Jean-Baptiste (ce qui est une autre manière de perdre la face, hélas !), à contrecœur.
- Faire pâle figure : c’est sans doute ce qu’ont pensé de Jésus les spectateurs lors de son procès. Il s’est bien mal défendu. Il a fait triste figure.
- Faire de la figuration, c’est accepté de jouer un rôle mineur, à la manière de Pilate qui se défausse de sa responsabilité.
- L’art figuratif, à la différence de l’art abstrait, s’attache à peindre le réel pour qu’on le reconnaisse, tel que le sculpteur ou le peintre l’a interprété, transformé. L’art littéraire des Évangiles est plutôt de ce type.
- Le sens figuré d’une expression invite à lire un portrait d’autre chose ou de quelqu’un d’autre là où le sens propre se limite au texte. L’Ancien Testament pour les chrétiens a un sens figuré où le portrait du Christ apparaît en filigrane à chaque page des prophètes, de la Loi ou des sages.
- Un cas de figure est une situation envisagée par hypothèse. ?Et si cet homme était vraiment le Messie ?’ Gamaliel usera de cet argument auprès du Sanhédrin pour faire relâcher les apôtres persécutés.
- Se casser la figure, c’est chuter tout entier, en prendre plein la figure. Ce qui arrive au visage est signe de ce qui arrive à la personne tout entière. Quand Jésus tombe trois fois sur son chemin de croix, il se casse plus que la figure…
- D’ailleurs, celui qui est défiguré devient étranger à lui-même, étranger aux autres qui le repoussent. Passer à travers le pare-brise lors d’un accident défigure gravement ; un jet d’acide ou une maladie de peau également. Passer à travers sa Passion a défiguré le Christ comme jamais homme n’a été défiguré. Il n’avait plus figure humaine...
· La Transfiguration, antidote à la défiguration
C’est comme une chirurgie du visage par avance qu’opère notre évangile.
Pour que la laideur de la défiguration du crucifié ne soit pas absolue, le Père de Jésus révèle un instant la vraie beauté de son Fils, dans la gloire de l’Esprit.
Pour que l’espérance ne soit pas assassinée avec Jésus, son Père le transfigure en une brève fulgurance éblouissante.
Un filigrane de beauté s’imprimera en souvenir de cet événement dans la mémoire de Pierre, Jacques et Jean. Ce filigrane de la Transfiguration leur permettra après-coup de ne pas laisser la laideur de l’apparence du visage tuméfié être le dernier mot sur Jésus.
· La figure humaine de la dignité de chacun
Ce n’est pas seulement à un parcours littéraire que nous invite ce terme de transfiguration.
C’est à un autre regard sur le visage de tout homme : du plus défiguré au plus resplendissant, le visage de chaque être humain est une épiphanie, une manifestation de la beauté promise.
Il nous faut des moments de lumière comme celui partagé au Mont Thabor pour affronter ensuite la laideur sans jamais désespérer.
Que la Transfiguration de Jésus change notre regard sur tout visage rencontré !
1ère lecture : La vocation d’Abraham (Gn 12, 1-4a)
Lecture du livre de la Genèse
Abraham vivait alors en Chaldée. Le Seigneur lui dit : « Pars de ton pays, laisse ta famille et la maison de ton père, va dans le pays que je te montrerai.
Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction.
Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui te méprisera. En toi seront bénies toutes les familles de la terre.»
Abram partit, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth partit avec lui.
Psaume : Ps 32, 4-5, 18-19, 20.22
R/ Seigneur, ton amour soit sur nous, comme notre espoir est en toi !
Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.
Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.
Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi.
2ème lecture : Dieu nous appelle à connaître sa gloire (2Tm 1, 8b-10)
Lecture de la seconde lettre de saint Paul Apôtre à Timothée
Fils bien-aimé,
avec la force de Dieu, prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile.
Car Dieu nous a sauvés, et il nous a donné une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles,
et maintenant elle est devenue visible à nos yeux, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté en détruisant la mort, et en faisant resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile.
Evangile : La Transfiguration (Mt 17, 1-9)
Acclamation : Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. Du sein de la nuée resplendissante, la voix du Père retenti : « Voici mon Fils, mon bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne.
Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.
Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.
Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. »
Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour ; écoutez-le ! »
Entendant cela, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d’une grande frayeur.
Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et n’ayez pas peur ! »
Levant les yeux, ils ne virent plus que lui, Jésus seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »
Patrick BRAUD