L’île de la tentation
L’île de la tentation
Cf. également :
Ne nous laisse pas entrer en tentation
L’homme ne vit pas seulement de pain
Une recette cocktail pour nos alliances
Nous ne sommes pas une religion du livre, mais du Verbe
Homélie du 1° dimanche de Carême / Année C
14/02/2016
L’île de la tentation
Avez-vous déjà regardé ce jeu de télé-réalité ? Le principe est connu : isolés sur une île, quatre couples non mariés et sans enfant doivent tester leur amour face à la tentation de vingt-deux beaux(belles) célibataires, bronzé(e)s et affriolant(e), pendant un séjour de douze jours : les tentateurs(trices).
Des rendez-vous romantiques avec les célibataires ont lieu tous les jours.
Au bout des douze jours, dans un ultime feu de camp, chaque couple doit alors décider s’il reste uni ou non à l’issue de l’émission.
Le jeu voudrait nous faire croire que la tentation principale est celle de l’infidélité conjugale. Par contre, il n’a pas tout à fait tort lorsqu’il situe la tentation sur une île, et comme une île : car la solitude est bien la conséquence d’une rupture du lien de communion avec Dieu ou avec les autres.
Au désert, en ce début de carême, le Christ va connaître son ‘île de la tentation’ à lui : le combat intérieur pour rester uni à son Père, alors que le diable voudrait qu’il arrête d’être fils et qu’il n’existe que par lui-même.
Quelles sont vos tentations ?
Les récits évangéliques du Christ tentés au désert marquent chaque premier dimanche de carême. On croit les connaître par cœur.
À tort sans doute. Car il faut du temps dans une vie humaine pour identifier clairement ce qui au fond est le véritable combat spirituel.
Jeune, on croit facilement que la tentation a le visage du succès, du pouvoir, du désir. Au fil des ans, la question : quel est mon combat essentiel ? s’avère plus complexe, plus subtile, plus difficile à répondre.
Pilate par exemple aurait pu croire que le piège de la gloire ou du pouvoir était le plus dangereux pour lui. Dans le dialogue avec le Christ durant sa Passion, il découvre que c’est plutôt cet espèce de cynisme qui se nourrit d’un certain scepticisme envers la vérité : « qu’est-ce que la vérité ? »…
Caïphe, en tant que grand prêtre juif, devait craindre l’impureté rituelle et l’infidélité à la Loi comme ses plus grandes tentations. Il va s’entendre basculer du côté de l’utilitarisme meurtrier : « il vaut mieux qu’un seul homme meure plutôt que tout le peuple ». Il ne savait pas que c’était de ce côté-là qu’il serait tenté.
Judas aurait pu croire que le manque de courage pour aller au bout de la lutte armée contre l’occupation romaine serait sa tentation principale. Mais voilà que la séduction du désespoir sera bien plus fatale, jusqu’au suicide.
Chacun de nous découvre ainsi tôt ou tard qu’identifier la vraie tentation contre laquelle il lutte est une révélation. Cela nous est révélé par la remarque d’un autre, par la violence d’une de nos réactions, par les conséquences immenses et inimaginables de tel faux pas etc.
Jésus de Nazareth lui-même, pourtant « rempli de l’Esprit de Dieu », fait ici au désert d’apprentissage de ce qui sera le combat de sa vie. Et le diable voit juste, comme toujours : il ne porte pas ses attaques sur la peur d’être trahi, le désir de réussir ou la fuite de la douleur. Il sait que là-dessus le Christ ne lui laisse aucune prise. Alors il se concentre sur l’essentiel, sur la raison d’être même de Jésus : es-tu oui ou non le fils de Dieu ? Tout le reste en découle. Jésus est tenté, comme chacun de nous, à partir de ce qu’il a de plus cher. Et pour lui, c’est l’intimité qu’il partage avec son Père, dans l’Esprit. Si Satan arrive à déstabiliser l’homme Jésus en le faisant douter de cette identité partagée, il aura gagné.
La tentation la plus dangereuse pour chacun sera celle qui nous atteint ainsi dans notre identité la plus essentielle.
Puisque le Christ a été tenté, n’imaginons pas avancer sur le chemin avec lui sans rencontrer nous aussi les tentations qui nous correspondent.
Prenez l’itinéraire de la vie de couple. S’il y a un divorce pour deux mariages environ, c’est qu’il y a bien plus d’adultères encore avant les séparations ! Avec l’allongement de la durée de vie et la lassitude des années, avec les rythmes de travail qui éloignent et provoquent de multiples occasions de tromper l’autre, avec cette immaturité psychologique qui nous fait nous tromper avant que de tromper et qui ne se révèle que des années après, avec la fameuse crise de milieu de vie qui vient tout bouleverser en murmurant qu’il faut tout changer pour redevenir soi-même, les causes sont si nombreuses !…
La tentation de l’infidélité sera multiple et multiforme : impossible d’y échapper. Mieux vaut accueillir la tentation comme l’invitation à plus de profondeur, de liberté.
N’est pas fidèle celui qui n’a jamais été tenté, mais celui qui a traversé la tentation en renforçant le lien mis en cause.
La tentation comme une île
Au désert, le Christ identifie les trois combats qui vont tenter de le faire chuter tout au long de sa mission : séduire par des prodiges, s’imposer par la force, s’annonçer soi-même au lieu de conduire à Dieu. Lorsqu’il rencontrera ces trois tentations sous d’autres formes, il saura ainsi les démasquer, leur enlever leur force, et en être victorieux. La dernière tentation du Christ, sur la croix, ne concerne pas Marie-Madeleine comme le romancent Nikos Kazantzakis (la dernière tentation du Christ) ou Dan Brown (auteur du fameux Da Vinci code) mais le lien à son Père : « sauve-toi toi-même », lui crie-t-on par trois fois, comme le diable au sommet du Temple dans le désert. Le Christ refuse d’être à lui-même son propre salut, car il est le fils, celui qui se reçoive d’un autre, dans l’amour.
Jusqu’au bout, il choisit de faire confiance à celui à qui il crie pourtant sa déréliction (« mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »).
Jusqu’au bout il se reçoit, au lieu de prendre.
Jusqu’au bout il s’appuie sur le fait d’être aimé plutôt que de se sauver tout seul.
En cela il est vraiment le fils, d’une manière unique, car nul homme n’a vécu une telle intimité avec Dieu.
Le piège de la tentation, c’est de faire croire à chacun qu’il est un île, qu’il peut se sauver tout seul, qu’il peut prendre au lieu de recevoir, qu’il peut accaparer au lieu de donner. Et l’île de la tentation dans la Bible est la solitude à laquelle se condamne celui qui croit pouvoir se sauver lui-même.
Discerner sa tentation la plus essentielle
Alors, quelle tentation sera la vôtre ? La tentation principale, le fer de lance de l’attaque qui viendra vous déstabiliser au plus intime ?
Comme dans un duel à l’épée, les premières escarmouches seront portées là où c’est assez superficiel, juste pour voir si vous résistez relativement bien. Si oui, alors l’intensité montera d’un cran et vous en viendrez aux choses sérieuses.
Chaque digue tient bon tant que l’eau n’attaque pas ses points névralgiques. Dès qu’elle a trouvé la faille, le point sensible, le cheval de Troie de la digue, l’eau n’a de cesse d’user sa résistance en concentrant sa pression là où elle peut faire des dégâts…
Identifier sur quoi porte la vraie tentation de son histoire personnelle est un long discernement, qui ne se fait pas sans aide extérieure. Les vrais maîtres de sagesse sont ceux qui ont apprivoisé cette faille intime, avec humour et confiance. Ils se savent exposés, d’autant plus qu’ils progressent. Toujours en danger, ils en deviennent d’autant plus fidèles qu’ils s’appuient sur Dieu pour, non pas y être soustraits, mais se nourrir de la tentation pour devenir plus soi-même…
1ère lecture : La profession de foi du peuple élu (Dt 26, 4-10)
Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple : Lorsque tu présenteras les prémices de tes récoltes, le prêtre recevra de tes mains la corbeille et la déposera devant l’autel du Seigneur ton Dieu. Tu prononceras ces paroles devant le Seigneur ton Dieu : « Mon père était un Araméen nomade, qui descendit en Égypte : il y vécut en immigré avec son petit clan. C’est là qu’il est devenu une grande nation, puissante et nombreuse. Les Égyptiens nous ont maltraités, et réduits à la pauvreté ; ils nous ont imposé un dur esclavage. Nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos pères. Il a entendu notre voix, il a vu que nous étions dans la misère, la peine et l’oppression. Le Seigneur nous a fait sortir d’Égypte à main forte et à bras étendu, par des actions terrifiantes, des signes et des prodiges. Il nous a conduits dans ce lieu et nous a donné ce pays, un pays ruisselant de lait et de miel.
Et maintenant voici que j’apporte les prémices des fruits du sol que tu m’as donné, Seigneur. »
Psaume : Ps 90 (91), 1-2, 10-11, 12-13, 14-15ab
R/ Sois avec moi, Seigneur, dans mon épreuve. (cf. Ps 90, 15)
Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut
et repose à l’ombre du Puissant,
je dis au Seigneur : « Mon refuge,
mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! »
Le malheur ne pourra te toucher,
ni le danger, approcher de ta demeure :
il donne mission à ses anges
de te garder sur tous tes chemins.
Ils te porteront sur leurs mains
pour que ton pied ne heurte les pierres ;
tu marcheras sur la vipère et le scorpion,
tu écraseras le lion et le Dragon.
« Puisqu’il s’attache à moi, je le délivre ;
je le défends, car il connaît mon nom.
Il m’appelle, et moi, je lui réponds ;
je suis avec lui dans son épreuve. »
2ème lecture : La profession de foi en Jésus Christ (Rm 10, 8-13)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, que dit l’Écriture ? Tout près de toi est la Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur. Cette Parole, c’est le message de la foi que nous proclamons. En effet, si de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur, si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé. Car c’est avec le cœur que l’on croit pour devenir juste, c’est avec la bouche que l’on affirme sa foi pour parvenir au salut. En effet, l’Écriture dit : Quiconque met en lui sa foi ne connaîtra pas la honte. Ainsi, entre les Juifs et les païens, il n’y a pas de différence : tous ont le même Seigneur, généreux envers tous ceux qui l’invoquent. En effet, quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.
Evangile : « Dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert où il fut tenté » (Lc 4, 1-13)
Acclamation : Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, après son baptême, Jésus, rempli d’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim. Le diable lui dit alors : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. » Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain. »
Alors le diable l’emmena plus haut et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre. Il lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. » Jésus lui répondit : « Il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »
Puis le diable le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui fit cette réponse : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.
Patrick BRAUD