L'homélie du dimanche (prochain)

23 février 2023

Trois histoires pour avoir faim d’autre chose

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 8 h 00 min

Trois histoires pour avoir faim d’autre chose

Homélie pour le 1° Dimanche de Carême / Année A

26/02/2023

Cf. également :
Carême : le détox spirituel
Ne vous habituez pas à vivre dans le mensonge
Poussés par l’Esprit
Un méridien décide de la vérité ?
L’île de la tentation
Ne nous laisse pas entrer en tentation
L’homme ne vit pas seulement de pain
Nous ne sommes pas une religion du livre, mais du Verbe
Et plus si affinité…

« L’homme ne vit pas seulement de pain » : l’Évangile de ce premier dimanche de Carême (Mt 4,1-11) est devenu proverbial. Même les militants politiques les plus matérialistes reconnaissent que la dignité humaine, la justice sociale, la réduction des inégalités etc. sont des causes plus grandes que quelques avantages matériels en plus. Et les écologistes prônent une sobriété qui peut devenir heureuse si elle est choisie, raisonnable, respectueuse de l’avenir de la planète, car l’homme a besoin d’autre chose que de consommer et piller les ressources naturelles.

Voilà un terrain d’entente avec beaucoup de familles de pensées non-chrétiennes : l’être humain a faim et soif d’autre chose que de la seule nourriture ou de l’accumulation des richesses. Il aspire à la beauté, au respect, au don de soi, à plus grand que lui. Que ce soit dans l’art, le combat social, sa famille ou sa croyance, l’homme ne se réduit pas à de simples considérations matérielles. Bien sûr, seuls les croyants entendent la seconde partie de la phrase : « mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Reste que pour entendre un jour cette parole, il faut découvrir en soi une faim différente, un manque plus fondamental que le manque de nourriture.

Alors, en ce début de Carême, voici trois histoires vraies pour réveiller en nous cette soif de vivre plus intensément, trois histoires pour avoir faim d’autre chose.


1. Des fleurs avant le pain

Noël 1951 : le Grand-Palais à Paris bruisse d’un brouhaha inhabituel. Des centaines de bénévoles s’activent pour confectionner des milliers de colis de Noël. Ces colis sont pour ceux et celles qu’on appelait les vieillards après-guerre. Dans une France dévastée par les bombardements (regardez l’Ukraine aujourd’hui !), tout était à reconstruire, et beaucoup de vieillards étaient sans logement, sans famille, isolés et en grande précarité. Armand Marquiset avait fondé l’association « Les Petits Frères des Pauvres » en 1946 au sortir de la guerre, justement pour lutter contre la solitude et la précarité des personnes âgées. Armand avait su d’instinct que les pauvres ont autant besoin de beauté que de repas, de considération que d’assistance. Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on doit fêter Noël au rabais. Ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on doit réveillonner à l’hospice. Ce n’est pas parce qu’on est seul qu’on doit avoir honte des grandes soirées de gala où le beau monde se retrouve…
Ce réveillon de 1951 fut suivi de beaucoup d’autres, et encore actuellement [1], car les vieillards n’ont pas seulement besoin d’un panier-repas pour réveillonner, mais surtout de compagnie, de chaleur humaine, de musique, de relation, de danse, de belles nappes…

1er octobre 2022 : des jeunes distribuent des fleurs aux passants du métro en leur disant : ‘Si vous connaissez une personne âgée isolée, allez lui porter cette fleur en signe d’amitié. C’est aujourd’hui la journée internationale des personnes âgées : comment mieux la fêter qu’avec ce geste empreint de respect, d’affection, de proximité humaine ?’
Ainsi chaque année c’est plus de 1 300 bénévoles et salariés des Petits Frères des Pauvres qui parcourent rues, marchés, gares, hôpitaux et maisons de retraite, pour distribuer 78000 roses dans 185 villes de France.
Avec ce geste, les bénévoles font vivre la devise de leur fondateur : « des fleurs avant le pain ». Cela peut choquer. Certains diront que, quand même, le plus important c’est la pension, l’alimentaire, le chauffage etc. Heureusement, Armand Marquiset n’a pas dit : « des fleurs au lieu du pain » ! Il a simplement priorisé les besoins fondamentaux des personnes âgées isolées : on crèvera plus de manque d’amour que du manque de pommes de terre, plus de solitude que de froid (même si cela arrive hélas). Et mettre les fleurs en avant ne dispense absolument pas de donner le pain dans le même geste. Simplement, c’est une question de regard sur la personne : ce vieillard isolé n’est pas d’abord un ventre affamé, mais une personne en attente de liens, de reconnaissance, d’amitié venant rompre sa solitude.
Voir une personne âgée retrouver ainsi sa dignité réveille en nous le désir des liens qui nous maintiennent en vie…


2. Quel est votre petit frère ?

Le 24 juin  2016, les élèves de la prestigieuse école de commerce HEC sont rassemblés pour la remise de leur diplôme. La tradition est d’inviter un orateur, ancien élève, qui va les galvaniser en vantant les hautes responsabilités auxquelles ce diplôme les destine. Cette année-là, c’est le directeur général de Danone qui va parler. Multinationale puissante et redoutées, nul doute que son directeur général va chanter les bienfaits du commerce de masse et le brillant avenir des ‘épiciers’ (comme on appelle les étudiants en prépa HEC). Emmanuel Faber prend la parole. Son discours est plus court que d’habitude. Et surtout plus disruptif [2] ! Il ne parle pas de stratégie d’entreprise, de commerce mondial, ni même de business ethics tant à la mode. Non : il raconte la place qu’a prise son frère Dominique dans sa vie, et qui l’a amené à tout reconsidérer sous un jour différent, sa carrière, sa mission, sa rémunération même [3].

« Qu’est-ce qui m’a le plus marqué pendant mes trois ans ici (à HEC) ? C’est ce coup de fil que je n’aurais jamais voulu recevoir, à 21 heures […] et où j’ai appris que mon frère venait d’être interné pour la première fois en hôpital psychiatrique, diagnostiqué avec une schizophrénie lourde. Ma vie a basculé. Il m’a fallu apprendre le milieu des hôpitaux psychiatriques, apprendre le langage des fous pour ne pas perdre le dialogue, découvrir la beauté de ce langage – la normalité, ça enferme beaucoup -, découvrir l’altérité, m’ouvrir à plein de choses. À cause de lui j’ai découvert l’amitié de SDF, de temps en temps je vais dormir avec eux, j’ai découvert qu’on pouvait vivre avec très peu de choses et être heureux. Je suis allé dans des bidonvilles… »
Vous aurez à surmonter trois grandes écueils qui viendront facilement avec le statut que vous venez d’obtenir par ce diplôme : le pouvoir, l’argent et la gloire.
Oubliez la gloire, c’est une course qui n’en finit jamais et qui ne mène nulle part. La liste de toutes les personnes renommées existe juste pour qu’elles regardent leur propre nom. Elles ne s’intéressent pas à ceux des autres.
L’argent: j’ai rencontré tant de personnes, quand j’étais banquier d’investissement dans la finance, quand j’ai voyagé dans le monde – j’en rencontre encore – qui sont prisonniers de l’argent qu’ils ont gagné. Ne devenez jamais esclaves de l’argent. Restez libres ! Peu importe la raison pour laquelle vous gagnez de l’argent, peu importe ce que vous en faites, restez libres !
Et la puissance : je pense que vous pouvez regarder autour de vous, il y a tant de personnes qui sont puissantes et qui ne font rien, juste pour garder cette puissance, pour qu’elle dure un jour encore. La puissance n’a de sens que dans le service rendu aux autres. Et c’est ce service qui vous fera devenir qui vous êtes en vérité. Le meilleur de vous-même, dont vous n’avez même pas conscience.
J’ai donc une question à vous poser, avec laquelle je vous laisserai, chacun d’entre vous : qui est votre frère ? Qui est ce petit frère, cette petite sœur, qui habite en vous et qui vous connaît mieux que vous-même et qui vous aime plus que vous ne vous aimez vous-même ? C’est cette petite voix, qui parle de vous étant plus grand encore que vous ne pensez l’être. Qui sont-elles ? Elles vous apporteront cette voix, cette musique interne, cette mélodie qui est véritablement la vôtre. Votre mélodie transformera la symphonie du monde qui vous entoure, qu’elle soit grande ou petite, elle le changera ! Le monde en a besoin et vous méritez cela.
Trouvez votre frère, trouvez votre petite sœur ! Et quand vous les rencontrerez dites-leur bonjour de ma part, nous sommes amis ! Portez-vous bien. »

Les étudiants entendent bouche bée un de leurs aînés leur livrer, non pas le secret d’une belle réussite professionnelle, mais sa vraie motivation pour agir, quelle que soit son action.
Ni le pouvoir, ni la richesse, ni la gloire : son frère handicapé a appris à Emmanuel Faber que la fragilité peut changer le monde, et que la vraie réussite ne se lit pas dans le Who’s who ou dans la liste des promotions à la Légion d’honneur.

Quand le succès vous grisera, quand l’argent vous amollira, quand la puissance vous tournera la tête, réécoutez le discours d’Emmanuel Faber à HEC, et posez-vous la question : quel est mon petit frère ?…


3. À la recherche de mon Ikigaï

Trois histoires pour avoir faim d’autre chose dans Communauté spirituelle schema-ikigai-600x567Il est une île dans l’archipel japonais d’Okinawa qui étonne par sa proportion de centenaires. Un américain, Dan Buettner, a voulu étudier au plus près les raisons de cette longévité peu ordinaire. Bien sûr il y a l’alimentation, l’exercice physique, le climat, la culture ambiante etc. Mais il a découvert que ces japonais vivent plus longtemps parce qu’ils vivent mieux, avec une sorte de cohérence profonde de leur être, qui les rend alignés sur leurs convictions, cohérents avec leurs valeurs.
En 2009, il a formalisé son étude autour de 4 cercles de motivation qui peuvent représenter nos raisons d’agir et de vivre : nos passions, nos talents, notre utilité, notre valeur marchande et sociale. À l’intersection de ces 4 cercles, il y a le cœur du cœur de ce que nous sommes : l’Ikigaï, mot japonais intraduisible (la raison d’être, le cœur, le secret, le centre, la joie de vivre, l’élan vital…). Les habitants d‘Okinawa vivent vieux parce qu’ils habitent en leur Ikigaï.

Découvrez votre Ikigaï et vous n’aurez pas peur d’assumer les ruptures, les choix nécessaires pour habiter au centre de vous-même. Car on peut aimer faire des choses sans vraiment y être doué. On peut avoir des compétences, mais qui nous ennuient. On peut toucher un salaire généreux, avec un travail finalement peu utile et sans beaucoup de sens etc.
Chercher son Ikigaï fait écho à la célèbre injonction de Lacan : « désire, et ne cède pas sur ton désir ». Ou à celle de Saint Augustin : « aime, et fais ce que tu veux ».
Le tout est de ne pas se tromper sur son désir personnel le plus vrai. Le tout est de ne pas courir après des amours idolâtres ou adultères qui pullulent autour de nous.
Descendre en soi pour explorer nos vrais moteurs pour agir, partir à la recherche de son Ikigaï, c’est un peu partir au désert et renoncer à ce qui nous comble immédiatement habituellement (jusqu’à nous gaver parfois !), pour éprouver la joie du pêcheur de perles : j’ai trouvé ce dont j’ai faim en vérité…

Que la parole de Dieu agrandisse en nous cette faim d’autre chose !

 


[1]. En 2022 : 31 968 personnes accompagnées toute l’année, 380 équipes locales, 15 133 bénévoles engagés, 28 maisons, 397 logements indépendants.

[3]. En 2016, sa rémunération s’élevait à 4,8 millions d’euros. Le 25 avril 2019, lors de l’assemblée générale des actionnaires de Danone, il fait approuver une résolution baissant sa rémunération en 2018 à 2,8 millions d’euros. Il annonce également renoncer à son indemnité de départ contraint ainsi qu’à sa retraite chapeau de cadre chez Danone qui s’élève à 1,2 million d’euros par an, pour ne toucher que la retraite classique des salariés du groupe.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Création et péché de nos premiers parents (Gn 2, 7-9 ; 3, 1-7a)

Lecture du livre de la Genèse

Le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et y plaça l’homme qu’il avait modelé. Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Or le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : ‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin’ ? » La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : ‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.’ » Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus.

PSAUME

(Ps 50 (51), 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17)
R/ Pitié, Seigneur, car nous avons péché ! (cf. Ps 50, 3)

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.

DEUXIÈME LECTURE
« Là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé » (Rm 5, 12-19)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Frères, nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché.
Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde, mais le péché ne peut être imputé à personne tant qu’il n’y a pas de loi. Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a établi son règne, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam. Or, Adam préfigure celui qui devait venir. Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute. En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
Le don de Dieu et les conséquences du péché d’un seul n’ont pas la même mesure non plus : d’une part, en effet, pour la faute d’un seul, le jugement a conduit à la condamnation ; d’autre part, pour une multitude de fautes, le don gratuit de Dieu conduit à la justification. Si, en effet, à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a établi son règne, combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en abondance le don de la grâce qui les rend justes.
Bref, de même que la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation, de même l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie. En effet, de même que par la désobéissance d’un seul être humain la multitude a été rendue pécheresse, de même par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle rendue juste.

ÉVANGILE
Jésus jeûne quarante jours, puis est tenté (Mt 4, 1-11)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. 
L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. » Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : 
C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. »
Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.
Patrick Braud

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4 août 2012

Éveiller à d’autres appétits

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Éveiller à d’autres appétits


Homélie du 18° dimanche ordinaire / Année B
05/08/12

 

À 22 heures, trouverait-il encore une épicerie ouverte ? Rentré tard du travail, Éric, jeune cadre dynamique, erre dans la rue, la faim au ventre, à la recherche d’une simple tranche de jambon. Soudain, à l’angle du boulevard, il entend une voix intérieure lui murmurer : « Éric, ta vie est plus vide que ton garde-manger ». Parole choc qui fut l’origine d’une conversion foudroyante. Lorsque des années plus tard, devenu moine, Éric faisait le récit de cet événement fondateur, il le concluait en disant avec un beau sourire : « et moi qui ne cherchais qu’une tranche de jambon ! »

L’histoire de ce cadre à la recherche d’une tranche de jambon rejoint celle de la foule affamée sur laquelle Jésus ne se fait aucune illusion : « vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés ».

 

De bas en haut de la pyramide

Pourtant, Jésus ne méprise pas cette première fin basique, fondamentale, à la base de la Éveiller à d'autres appétits dans Communauté spirituelle pyramide_maslowpyramide des besoins de Maslow. Il a pris grand soin de nourrir cette foule dont il a pitié. Les besoins élémentaires des foules ont toujours ému Jésus au plus haut point, jusqu’à déclencher cet acte inouï : distribuer cinq pains et deux poissons pour 5000 hommes !

Les humanitaires de tous poils seront rassurés : l’Église, dans la foulée de Jésus, sera toujours à leurs côtés pour nourrir les peuples du Sahel ou d’Asie, soigner, apporter l’eau potable à disposition du plus grand nombre etc. Mais à la différence des humanitaires, Jésus ne s’arrête pas à cette fin primaire. Pour lui, éveiller la foule à d’autres appétits est tout aussi essentiel que de satisfaire son appétit matériel. « Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle ».

Le ventre plein ne garantit pas un coeur empli de vraies richesses. Il est des ventres creux qui témoignent de plus d’humanité que des nantis. Bien souvent, il faut d’abord apporter nourriture et boisson avant que de pouvoir évoquer d’autres finalités (c’est le sens de la hiérarchie des besoins dans la pyramide de Maslow). Mais pas toujours. Bien des Européens venus en toute bonne conscience sauver de la famine des populations en détresse sont repartis bouleversés par ce qu’ils ont appris : une vraie joie peut exister chez les plus démunis, le sens de l’existence peut apparaître plus lumineux, plus simple et riche à la fois chez des gens pourtant en grande détresse matérielle.

Donner du pain ne suffit pas, car l’homme se nourrit de bien plus substantiel encore : la parole, la relation, l’échange. Jésus a rassasié la foule au bord du lac de Tibériade. Du coup, cette masse a eu assez d’énergie et d’envie pour prendre des barques et le risque de traverser le lac afin de rejoindre Jésus sur l’autre rive. Comme quoi le premier rassasiement n’était que de courte durée ! Au moins cela les a assez motivés pour chercher à suivre Jésus, jusqu’à affronter la traversée du lac.

 

Assumer des appétits mélangés

Cette ambiguïté du désir des foules est très rassurante pour nous. D’autant que Jésus a assumé cette ambiguïté, en cherchant à l’orienter vers un désir plus grand. Chacun peut se mettre en mouvement pour des causes multiples, pas forcément très glorieuses au début. On met un cierge pour réussir un examen. On se met à prier pour conjurer la maladie d’un proche. On partage un peu de son argent pour bénéficier des réductions fiscales. On fait un boulot pour gagner sa vie etc. Un ancien évêque de Koudougou (Burkina Faso) racontait avec humour qu’il était devenu prêtre parce que, enfant, il passait derrière la cuisine des Pères et trouvait que cela sentait délicieusement bon…

 appétit dans Communauté spirituelle

Rien de déshonorant à tout cela, puisque le Christ n’a pas dédaigné nourrir les foules. Ce qui serait désespérant, ce serait d’en rester là. Ce serait de se satisfaire de tonnes de riz envoyées en urgence, ou de se satisfaire de combler ses besoins élémentaires pour soi-même.

Il y a un autre pain, plus substantiel que celui qu’il faut pourtant distribuer à ceux qui en manquent. Le « pain de vie » dont parle Jésus en parlant de lui-même demande un appétit d’une autre nature. C’est cet appétit que l’Église doit éveiller au coeur de nos contemporains, surtout dans la vieille Europe à la fois si comblée matériellement et si inquiète de ce seul matériel.

Révéler d’autre faims, faire surgir d’autres soifs, accueillir et accompagner celles qui déjà se font jour (sur la qualité de vie, sur le respect de l’environnement, sur la recherche de relations plus humaines etc.) : la nouvelle évangélisation de l’Europe demande de re-susciter des appétits plus exigeants que les seules revendications matérielles légitimes (en temps de crise encore plus).

 

Des appétits nouveaux

Des signes encourageants existent en ce sens.

Durant l’été par exemple, les hôtelleries des monastères ne désemplissent pas, 783088 faimfréquentées par des personnes de tous horizons religieux à la recherche d’intériorité, de silence, d’écoute.

Autre exemple : les expositions, les musées, les festivals, les manifestations culturelles de tous ordres pullulent en France avec un succès croissant entre juin et septembre, signe que les touristes ne se contentent pas de sable et de soleil.

Regardez encore ces jeunes prêts à donner une année de leur carrière au service d’une cause qui leur tient à coeur. Le service civique, la coopération au développement, les engagements associatifs prouvent qu’il existe d’autres moteurs à l’action que la maximisation du profit personnel.

Dans la multiplicité des aspirations écologiques actuelles émergent également des appétits différents : habiter autrement, mieux gérer l’équilibre vie privé/vie professionnelle, réintroduire une certaine sobriété dans la consommation et une certaine simplicité dans le train de vie etc.

 

Renoncer à l’instrumentalisation

En accompagnant et confortant ces aspirations, l’Église aura à coeur d’aller encore plus loin : en tout homme existe le désir de profondeur intérieure, de dialogue avec Dieu, de libres interrogations sur le sens de la mort, de la souffrance, de l’injustice.

Quand Jésus nourrissait les foules, il leur donnait du pain et des paroles vitales, sans instrumentaliser l’un au service de l’autre.

On sait que la tentation de tous les intégrismes réside justement dans cette instrumentalisation. Faire du social pour asservir au pouvoir religieux est la tactique des Frères musulmans en Égypte ou ailleurs. L’Église doit dénoncer cet asservissement et refuser de le pratiquer. Quand le Secours Catholique donne, il n’exige aucune contrepartie – surtout pas religieuse – en retour. Quand l’Abbé Pierre a fondé Emmaüs, et le Père Joseph Wrezinski ATD Quart-Monde, ils ont tout de suite rendus leur association non confessionnelle, pour éviter cette confusion. Ce qui n’empêche pas un certain esprit évangélique d’y souffler ; et ce qui rend libre d’être une force d’inspiration, une proposition sans contrainte.

On n’instrumentalise pas la misère ou les difficultés économiques d’un peuple pour le ranger sous une bannière quelconque.

La nouvelle évangélisation doit s’inspirer de cette gratuité fondatrice : nourrir les foules avec du pain pour le ventre et du « pain de vie » pour tout l’être, sans instrumentalisation aucune.

Cela commence par chacun de nous.

Quelle est ma nourriture ? Quelle est la nourriture que je donne à ceux qui m’entourent ?

 

 

1ère lecture : Le don de la manne au désert (Ex 16, 2-4.12-15)
Lecture du livre de l’Exode
Dans le désert, toute la communauté des fils d’Israël récriminait contre Moïse et son frère Aaron. Les fils d’Israël leur dirent : « Ah ! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! » 

Le Seigneur dit à Moïse : « Voici que, du ciel, je vais faire pleuvoir du pain. Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne, et ainsi je vais le mettre à l’épreuve : je verrai s’il obéit, ou non, à ma loi. J’ai entendu les récriminations des fils d’Israël. Tu leur diras : ‘Après le coucher du soleil, vous mangerez de la viande et, le lendemain matin, vous aurez du pain à satiété. Vous reconnaîtrez alors que moi, le Seigneur, je suis votre Dieu.’ »  Le soir même, surgit un vol de cailles qui recouvrirent le camp ; et, le lendemain matin, il y avait une couche de rosée autour du camp. Lorsque la couche de rosée s’évapora, il y avait, à la surface du désert, une fine croûte, quelque chose de fin comme du givre, sur le sol. Quand ils virent cela, les fils d’Israël se dirent l’un à l’autre : « Mann hou ? » (ce qui veut dire : Qu’est-ce que c’est ?) car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : « C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger. »

Psaume : 77, 3.4ac, 23-24, 25.52a.54a

R/ Donne-nous Seigneur, le pain du ciel !

Nous avons entendu et nous savons
ce que nos pères nous ont raconté ;
nous le redirons à l’âge qui vient,
les titres de gloire du Seigneur,

Il commande aux nuées là-haut,
il ouvre les écluses du ciel :
pour les nourrir il fait pleuvoir la manne,
il leur donne le froment du ciel.

Chacun se nourrit du pain des forts,
il les pourvoit de vivres à satiété.
Tel un berger, il conduit son peuple,
Il les fait entrer dans son domaine sacré.

2ème lecture : L’homme nouveau (Ep 4, 17.20-24 )

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Ephésiens

Frères, je vous le dis, je vous l’affirme au nom du Seigneur : vous ne devez plus vous conduire comme les païens qui se laissent guider par le néant de leur pensée. Lorsque vous êtes devenus disciples du Christ, ce n’est pas cela que vous avez appris, si du moins c’est bien lui qu’on vous a annoncé et enseigné, selon la vérité de Jésus lui-même. Il s’agit de vous défaire de votre conduite d’autrefois, de l’homme ancien qui est en vous, corrompu par ses désirs trompeurs. Laissez-vous guider intérieurement par un esprit renouvelé. Adoptez le comportement de l’homme nouveau, créé saint et juste dans la vérité, à l’image de Dieu.

Evangile : Le pain venu du ciel (Jn 6, 24-35)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Le Seigneur a nourri son peuple au désert, il l’a rassasié du pain du ciel. Alléluia. (cf. Ps 77, 24)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

La foule s’était aperçue que Jésus n’était pas au bord du lac, ni ses disciples non plus. Alors les gens prirent les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus.
L’ayant trouvé sur l’autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? »
Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés. Ne travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui se garde jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son empreinte. »
Ils lui dirent alors : « Que faut-il faire pour travailler aux ?uvres de Dieu ? » Jésus leur répondit :
« L’?uvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. »
Ils lui dirent alors : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle oeuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. »
Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel.
Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. »
Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous de ce pain-là, toujours. »
Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif. »
Patrick Braud

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