L'homélie du dimanche (prochain)

28 juillet 2024

Ma petite caille !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Ma petite caille !

 

Homélie pour le 18° Dimanche du Temps ordinaire / Année B 

04/08/24

 

Cf. également :

Exorciser la peur du lendemain
Faire ou croire ? 
La capacité d’étonnement
Éveiller à d’autres appétits
« Laisse faire » : éloge du non-agir
La soumission consentie

Aimer Dieu comme on aime une vache ?

 

« Ma petite caille ! »

Ma petite caille ! dans Communauté spirituelle LE-CHENE-FLEURI-Ancenis-Maine-et-Loire-49-1-3Avez-vous déjà entendu un homme appeler ainsi – affectueusement – sa compagne ? Les cailles sont réputées pour être des oiseaux très sensuels, serrées les unes contre les autres lors de leurs vols migrateurs ou quand elles se reposent au sol. Pourriez-vous imaginer appeler Jésus : « ma caille » ? Pourtant, en toute logique, au vu de nos lectures bibliques de ce dimanche (Ex 16,2-15 ; Jn 6,24-35), on peut appliquer au Christ ce titre comme on lui attribue celui de « Pain de vie » en décalque de la manne donnée aux Hébreux dans le désert ! La relecture christique de la manne est bien connue ; mais les cailles ?

Essayons de voir ce que ces petits les oiseaux dodus si mignons pourraient nous révéler du Christ…

 

1. « Me voici ! »

BDC_11712_1 cailles dans Communauté spirituelleLe peuple veut de la viande. La manne est le pain qui permet de survivre, mais à la longue, on s’en lasse, car elle n’a aucun goût. Alors qu’une tendre viande rôtie bien juteuse, c’est autre chose !
Si vous avez vu le film : « Le festin de Babette », vous aurez l’eau à la bouche en pensant aux ‘cailles en sarcophage’ que sert Babette, la domestique qui a gagné à la loterie, à ses hôtes d’un soir. C’est une spécialité culinaire française du Café de Paris, dont Babette était la cheffe prestigieuse avant d’émigrer en secret aux Pays-Bas pour devenir l’humble servante cuisinant du pain trempé dans la bière à ses deux maîtresses puritaines et vieilles filles aigries. Ces cailles venues de France par bateau vont transfigurer les austères convives du festin de Babette,  véritable figure eucharistique.

Les cailles au désert vont elles aussi changer le menu du peuple : elles sont à la manne ce que le vin est à l’eau, la musique au silence. Autrement dit : le peuple veut de la joie et pas seulement de la survie, du plaisir et pas seulement du besoin, des jeux et pas seulement du pain… YHWH comprend cela ! « Le Seigneur dit à Moïse : Me voici… J’ai entendu les récriminations des fils d’Israël » (Ex 16,4).

La traduction liturgique (comme trop souvent) est inexacte : Dieu dit bien : « Me voici » (הנני), et non : « Voici ». Ça change tout, car cela marque la sollicitude divine qui comprend l’attente du peuple, et se présente en personne en réponse pour l’exaucer. « À leur demande, il fait passer des cailles, il les rassasie du pain venu des cieux » (Ps 104,40). C’est comme si on vient vers quelqu’un pour lui demander quelque chose et que la personne vous répond : « Me voici je t’écoute : Je suis là ; que veux-tu ? N’oublie pas, Je suis ton Dieu, Je suis là pour toi, Invoque-moi ».

Le fait de traduire : « Voici, je vais faire pleuvoir » enlève non seulement tout son sens à la phrase mais en plus au caractère d’amour et de bonté de Dieu à l’égard de son peuple. D’habitude, c’est l’homme qui répond ainsi à l’appel de son Seigneur, tel Samuel dans le Temple. Ici, c’est l’inverse !

Les chrétiens appliquent ce « Me voici » à Jésus lui-même se présentant à son Père : « Me voici, je viens faire ta volonté » (He 10,9 ; Ps 39,8).

Les cailles sont comme la traduction très concrète de l’amour de Dieu pour son peuple : me voici, dit YHWH/Jésus, je vais nourrir ton besoin (la manne) et ton désir (les cailles), car j’ai entendu ta détresse. Invoque-moi, je suis là pour toi.

 

Faire pleuvoir des cailles sur ceux que nous aimons, c’est entendre leurs cris, être là pour eux, comprendre leur attente, y répondre par plus que le strict nécessaire.

 

2. La confiance dans l’épreuve

Faire confiance à Dieu dans l'épreuveLes cailles se disent שְׂלָו (se.lav) en hébreu. La racine du mot évoque la sérénité, la tranquillité, la paix intérieure de l’oiseau qui vole en nuage avec ses frères ou se repose à terre avec eux. Car les cailles sont avant tout des planeurs ! Elles se laissent porter par les vents thermiques du jour pour traverser les immensités d’Arabie en battant des ailes le moins possible afin de ne pas s’épuiser. C’est tout un art de planer comme un vol de cailles aux vents du désert ! N’est-ce pas la figure de l’aventure spirituelle ? Le vent de l’Esprit souffle où il veut, il suffit de laisser faire pour être porté par lui là où il nous désire.

Il est également fréquent que, surprises par un vent contraire, les cailles s’abattent en masse. Les oiseaux épuisés et incapables de reprendre leur envol peuvent alors être facilement capturés à la main. C’est ce qui arrive au désert, pour la plus grande joie des Hébreux.

 

Le Christ est la caille par excellence, lui qui se laisse porter par l’Esprit de son Père pour aller au bout de sa mission ! Il reste confiant dans l’épreuve, sait quand voler au plus haut « comme sur les ailes de l’aigle », et quand se reposer au plus bas, dans le fond de la barque de Pierre ou dans le creux du tombeau de Nicodème…

En mangeant les cailles qui leur sont données sans beaucoup d’efforts (ils n’ont qu’à se pencher pour les ramasser à terre le soir), les Hébreux apprennent eux aussi à faire confiance dans l’épreuve : Dieu saura nous donner soir après soir de quoi réjouir notre palais, de quoi donner du goût à notre aventure.

 

Jésus, le Pain de vie, est donc également la caille de la confiance : se laisser porter par l’Esprit de Dieu est sa paix intérieure, même à travers l’agonie de Gethsémani.

 

Dans l’eucharistie, nous lui sommes unis, et nous volons avec lui et son Église sur les ailes de l’Esprit, sans effort, pour migrer vers le royaume lointain…

 

3. Vendredi, c’est double ration !

220px-Tissot_The_Gathering_of_the_Manna_%28color%29 exodeCailles et manne s’arrêtent le samedi du shabbat. Mais juste avant, le vendredi, il y a le double à ramasser. Bien sûr, c’est une justification a posteriori du shabbat juif. Mais pour les chrétiens, c’est le vendredi de la mort en croix que la grâce de Dieu est double. Au paroxysme de l’épreuve, Dieu répond par un surcroît de grâce.

Difficile de le percevoir lorsque nous sommes nous-mêmes submergés par la douleur du Golgotha… Ce n’est qu’après coup que nous pouvons discerner comment Dieu nous a soutenus au plus fort de l’épreuve. Mais nous pouvons croire – sans le voir – que Dieu nous donne le double lorsque précisément nous en avons doublement besoin.

 

Ce qui implique d’ailleurs que le samedi, il n’y a plus ni cailles ni manne. Pour les chrétiens, le samedi est le temps du tombeau, de la mort réelle, de la descente aux enfers. Terrible perspective : il y a bien « un jour sans », une expérience d’absence réelle, sans grâce à récolter. Sans cette traversée plus éprouvante que celle du désert du Sinaï, pas de résurrection, pas de repas à nouveau partagé dans la joie.

 

Un jour double, un jour sans : notre migration vers le Royaume est ainsi rythmée par une alternance que nous ne maîtrisons pas. À nous de faire provision pendant l’abondance, et de puiser dans nos réserves pendant la disette. Vaches grasses, vaches maigres : Joseph avait su partager cette sagesse à Pharaon, pour qu’un autre peuple – celui d’Égypte – ne dépérisse pas de famine aux temps mauvais.

 

Engranger dans les temps de grâce, tenir bon en puisant dans notre réserve en temps d’épreuve : à nous de devenir de bons gestionnaires de la manne et des cailles que Dieu nous envoie !

 

4. Les cailles tueuses

grande ciguë toxiqueSe nourrir du don reçu n’est pas se goinfrer sans retenue ! Le livre des Nombres nous raconte en effet qu’un an après l’épisode d’Exode 16, le peuple hébreu se trouve dans les environs de Qivroth-Taawa, dans le désert du Sinaï (sensiblement la même zone que lors du premier épisode). De nouveau le peuple se plaint et réclame de la viande à Moïse. Dieu fait alors pleuvoir une nouvelle fois des cailles sur le camp des juifs. Ces derniers se jettent sur les oiseaux et se livrent à des excès de nourriture. Mis en colère par ce spectacle, Dieu fait mourir en grand nombre les juifs qui se sont livrés à ces excès :

« Envoyé par le Seigneur, le vent se leva ; depuis la mer, il amena des cailles, il les rabattit sur le camp et tout autour du camp sur une largeur d’une journée de marche à peu près ; elles couvraient la surface du sol sur deux coudées d’épaisseur environ. Le peuple resta debout tout ce jour-là, toute la nuit et toute la journée du lendemain ; ils ramassèrent les cailles. Celui qui en eut le moins en ramassa dix grandes mesures [1]. Ils prirent beaucoup de temps pour les étaler tout autour du camp. La viande était encore entre leurs dents, ils n’avaient pas fini de la mâcher que déjà la colère du Seigneur s’enflammait contre le peuple et qu’il frappait le peuple ; il le frappa d’un très grand coup. On appela donc ce lieu Qibroth-ha-Taawa (c’est-à-dire : Tombeaux-de-la-convoitise) car c’est là qu’on enterra la foule de ceux qui avaient été pris de convoitise » (Nb 11,31-34).

 

 manneVouloir posséder au lieu de recevoir, maîtriser au lieu d’accueillir, conduit à la mort spirituelle. La convoitise de ceux qui se gavent au lieu de se nourrir les mène au tombeau (Qibroth-ha-Taawa). « Tu ne convoiteras pas » sera un leitmotiv des Dix Paroles données à Moïse au Sinaï (Ex 20,17).

Cet épisode repose sans doute sur un phénomène connu des spécialistes : le coturnisme. Pendant leur migration, les cailles absorbent parfois des graines de ciguë, qui ne leur font aucun mal mais peuvent empoisonner ceux qui mangent trop de ces cailles porteuses.

Le texte biblique ne s’intéresse pas à cette explication naturelle mais à sa signification spirituelle : toute gloutonnerie devient mortelle, toute volonté de stocker la grâce est suicidaire. La convoitise est motelle pour ceux qui s’y adonnent.
L’avidité de l’Occident voulant multiplier les richesses matérielles, ou celle de la Russie voulant engloutir l’Ukraine afin de restaurer l’Empire : tant de convoitises empoisonnent encore aujourd’hui la vie en société !

 

Que chacun s’examine : quelle est ma convoitise ? Quels sont les cailles porteuses de ciguë que je dois apprendre à consommer avec modération ?

 

5. Cailles du soir, rosée du matin

Le texte biblique mentionne dans l’ordre : le vol de cailles recouvrant le camp le soir, et la rosée s’évaporant en manne le matin. Pourquoi pas les deux en même temps ? Et pourquoi dans cet ordre ?

Évidemment, les phénomènes naturels évoqués imposent cette distinction soir/matin. Mais le rédacteur accorde une valeur théologique et spirituelle à cette distinction : la manne n’est pas les cailles. Le pain pour survivre n’est pas la viande pour le goût. Israël est nostalgique des marmites de viande en Égypte, alors que pourtant il y était esclave. La puissance de cette soumission volontaire (La Boétie) est telle que YHWH accepte de la combattre avec ses propres armes : viande contre viande, cailles du désert contre marmites en Égypte.

Ainsi YHWH reconnaît qu’il ne peut y avoir de religion sans plaisir ! Ce goût de la viande juteuse, rôtie et assaisonnée symbolise la joie d’une vie selon l’Alliance, comme le gigot pascal l’évoquait déjà. Paradoxalement, YHWH met ainsi le plaisir avant le besoin : les cailles du soir avant la manne du matin ! C’est donc que croire est de bon goût…

Certes cela nourrit son homme que d’avoir le pain de la Parole et de l’eucharistie. Mais la joie de l’Esprit (symbolisée par le vol plané des cailles sur les ailes du vent) est plus essentielle encore : c’est cette joie spirituelle que vise la Parole de Dieu et les sacrements. Tremper le pain dans la sauce de la viande pour l’accompagner resitue les priorités : Jésus le Pain de vie ne conduit pas à lui-même, mais à son Père dans la communion de l’Esprit. Le but, c’est la communion trinitaire : la Bible et les sacrements n’en sont que des serviteurs.

Les cailles avant la manne.

 

Souvenons-nous au passage que le jour juif commence au coucher du soleil et non au matin. C’est donc au début du jour nouveau que tombent les cailles dans les assiettes des hébreux. La résurrection ce 8° jour qui commence dès le soir de Pâques va retrouver l’abondance de la joie des cailles avant la nécessité du pain de la manne, après la carence du tombeau.

Ressusciter à la vie nouvelle avec le Christ, c’est goûter la foi comme un plaisir inégalé, une saveur plus intense que toutes nos anciennes satisfactions.

Les cailles avant la manne, au début d’un jour nouveau…

 

Que ces quelques pistes symboliques autour des cailles de l’Exode nourrissent notre rumination de la semaine : que voudrait dire pour moi « sortir du camp » afin d’aller ramasser les cailles au sol dont Dieu désire que je me régale ?

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[1]. Dix homers, soit environ un volume de 2200 litres ! Quantité énorme, irréaliste, soulignant la disproportion de la grâce par rapport à nos efforts.

 

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous » (Ex 16, 2-4.12-15)

Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, dans le désert, toute la communauté des fils d’Israël récriminait contre Moïse et son frère Aaron. Les fils d’Israël leur dirent : « Ah ! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! » Le Seigneur dit à Moïse : « Voici que, du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous. Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne, et ainsi je vais le mettre à l’épreuve : je verrai s’il marchera, ou non, selon ma loi. J’ai entendu les récriminations des fils d’Israël. Tu leur diras : ‘Au coucher du soleil, vous mangerez de la viande et, le lendemain matin, vous aurez du pain à satiété. Alors vous saurez que moi, le Seigneur, je suis votre Dieu.’ »
Le soir même, surgit un vol de cailles qui recouvrirent le camp ; et, le lendemain matin, il y avait une couche de rosée autour du camp. Lorsque la couche de rosée s’évapora, il y avait, à la surface du désert, une fine croûte, quelque chose de fin comme du givre, sur le sol. Quand ils virent cela, les fils d’Israël se dirent l’un à l’autre : « Mann hou ? » (ce qui veut dire : Qu’est-ce que c’est ?), car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : « C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger. »

PSAUME
(Ps 77 (78), 3.4ac, 23-24, 25.52a.54a)
R/ Le Seigneur donne le pain du ciel ! (cf. 77, 24b)

Nous avons entendu et nous savons
ce que nos pères nous ont raconté :
et nous le redirons à l’âge qui vient,
les titres de gloire du Seigneur.

Il commande aux nuées là-haut,
il ouvre les écluses du ciel :
pour les nourrir il fait pleuvoir la manne,
il leur donne le froment du ciel.

Chacun se nourrit du pain des Forts,
il les pourvoit de vivres à satiété.
Tel un berger, il conduit son peuple.
Il le fait entrer dans son domaine sacré.

DEUXIÈME LECTURE
«Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé selon Dieu » (Ep 4, 17.20-24)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, je vous le dis, j’en témoigne dans le Seigneur : vous ne devez plus vous conduire comme les païens qui se laissent guider par le néant de leur pensée. Mais vous, ce n’est pas ainsi que l’on vous a appris à connaître le Christ, si du moins l’annonce et l’enseignement que vous avez reçus à son sujet s’accordent à la vérité qui est en Jésus. Il s’agit de vous défaire de votre conduite d’autrefois, c’est-à-dire de l’homme ancien corrompu par les convoitises qui l’entraînent dans l’erreur. Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité.

ÉVANGILE
« Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jn 6, 24-35)
Alléluia. Alléluia. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Alléluia. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, quand la foule vit que Jésus n’était pas là, ni ses disciples, les gens montèrent dans les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus. L’ayant trouvé sur l’autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés. Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau. » Ils lui dirent alors : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Jésus leur répondit : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » Ils lui dirent alors : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là. » Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. »
.Patrick Braud

 

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25 juillet 2021

Exorciser la peur du lendemain

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Exorciser la peur du lendemain

Homélie pour le 18° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
01/08/2021

Cf. également :

Faire ou croire ?
La capacité d’étonnement

Éveiller à d’autres appétits
« Laisse faire » : éloge du non-agir
La soumission consentie

Fin du mois, fin du monde

Exorciser la peur du lendemain dans Communauté spirituelle Peur-de-manquer-275x400Rappelez-vous mars 2020 et le début du confinement : les rayons des supermarchés ont été dévalisés en quelques heures de leurs produits de base. Farine, huile, pâtes, riz : tout disparaissait à vue d’œil. Jusqu’au papier toilette, devenu denrée rare ! À croire que les familles françaises stockaient en prévision d’une pénurie mondiale. Et le pire est que cette folle demande en excès a créé quelques pénuries le temps d’ajuster la production à ces consommateurs angoissés. Nos grands-parents nous avaient raconté la période de rationnement d’après-guerre : les tickets pour obtenir de la nourriture au compte-gouttes, les files interminables devant les boulangeries, les rayons où il ne restait qu’une ou deux misérables boîtes de conserve. D’ailleurs, dans beaucoup de familles, les générations suivantes continuent de stocker, par réflexe. Chez moi, ma mère avait toujours un placard rempli de farine, huile, sucre, riz : ‘on ne sait jamais’.

Cette peur de manquer est aussi vieille que l’humanité, que la vie elle-même. L’épisode de la manne que nous lisons ce dimanche (Ex 16, 2-4.12-15) et que l’Évangile de Jean reprend à sa manière (Jn 6, 24-35) en est la trace. Les esclaves hébreux en fuite dans le désert inconnu ont faim et soif. La peur de mourir au milieu de ces rochers brûlants les désespère. Alors, lorsque tombe du ciel la manne inattendue, ils veulent faire des provisions, ‘au cas où’. Et c’est bien légitime. L’interdiction de YHWH n’en est que plus étonnante : pourquoi empêcher d’en ramasser pour le lendemain ? La sanction naturelle pour ceux qui transgressent cette interdiction est tout aussi impressionnante : la manne amassée pourrit dans les paniers de ceux qui voudraient la stocker en prévision des ‘jours sans’.

Comment ne pas nous reconnaître dans cette réaction instinctive des hébreux : peur de manquer, angoisse du lendemain ?

Souvenez-vous des Gilets jaunes en France : sur les ronds-points, ils ferraillaient avec les écologistes sur les urgences de l’action politique. Les uns parlaient de fin du monde, les autres de fin du mois. L’angoisse écolo de la décennie d’après, nourrie par des rapports et des études de collapsologie effrayante, se heurtait à la peur de manquer très concrète de familles modestes où faire manger les enfants et boucler les fins de mois devenait la préoccupation majeure, lancinante et épuisante. Ces deux peurs sont aujourd’hui encore des moteurs importants de l’action politique. Les Français ont épargné des milliards pendant le confinement, suivant sans le savoir ce réflexe des hébreux au désert : mettre le plus possible de côté en prévision des jours mauvais. Joseph, fils de Jacob, avait pourtant été loué pour sa sagesse dans le même livre de l’Exode : il avait su remplir les greniers de blé de l’Égypte au temps des 7 années de vaches grasses pour faire face ensuite aux 7 années de disette les temps de vaches maigres. La sagesse de Jacob auprès de Pharaon a permis à l’Égypte de traverser 7 années de famine. La loi de Moïse a permis aux hébreux dans le désert de traverser 7 fois 7 années d’exode. Pourquoi la sagesse de Jacob au palais de Pharaon autrefois est-elle maintenant condamnée par YHWH au désert ?

Discours de la servitude volontaireAvant de tenter de répondre, regardons de plus près l’angoisse des hébreux : elle est à la fois physique et symbolique. Physique, car elle porte sur un besoin alimentaire en bas de la pyramide de Maslow : manger pour survivre. Symbolique, car la peur de manquer traduit également un déficit de reconnaissance. Les boulimiques par exemple reportent sur la nourriture une recherche de satiété qui s’enracine ailleurs. Le manque affectif caractérise l’être humain dès la séparation d’avec sa mère : il va chercher à recréer l’unité perdue à travers ses liens à autrui, et l’angoisse le saisira s’il a l’impression que l’autre ne répond pas à son désir. Ainsi Caïn avec Dieu contre Abel : il convoite la reconnaissance symbolique qu’Abel obtient auprès de YHWH qui accepte son sacrifice rituel et pas celui de Caïn. De même les hébreux au désert : ils n’ont pas faim que de manne, ils désirent également la variété, la richesse des plats mangés en Égypte : « Nous nous rappelons encore le poisson que nous mangions pour rien en Égypte, et les concombres, les melons, les poireaux, les oignons et l’ail ! Maintenant notre gorge est desséchée ; nous ne voyons jamais rien que de la manne ! » (Nb 11, 5 6) Voilà de quoi alimenter la servitude volontaire si bien décrite par La Boétie : préférer l’esclavage repu à la liberté exigeante.

Renoncer à la convoitise

 angoisse dans Communauté spirituelleLa manne est tellement répétitive et son goût est si peu enthousiasmant qu’ils veulent et réclament autre chose. YHWH leur donnera alors les cailles, qui volent par nuage dans le désert du Sinaï et sont faciles à prendre au sol. Mais il va marquer le coup, et les punira d’avoir cédé à leur convoitise : « La viande était encore entre leurs dents, ils n’avaient pas fini de la mâcher que déjà la colère du Seigneur s’enflammait contre le peuple et qu’il frappait le peuple ; il le frappa d’un très grand coup. On appela donc ce lieu Qibroth-ha-Taawa (c’est-à-dire : Tombeaux-de-la-convoitise) car c’est là qu’on enterra la foule de ceux qui avaient été pris de convoitise » (Nb 11, 33 34).

La convoitise en effet n’est jamais loin de la peur de manquer. Elles se nourrissent l’une de l’autre. L’enjeu de la manne quotidienne est alors d’éduquer cette horde d’esclaves en fuite à ne pas céder à la convoitise. ‘Apprends à ne pas céder à ton désir d’accumulation, et tu maîtriseras la violence tapie à la porte de ton cœur, cette violence que la convoitise engendre et attise’. Pour que nos déserts deviennent les tombeaux de notre convoitise (selon Nb 11), il nous faut apprendre à renoncer à l’accumulation, en faisant confiance à celui qui nous guide.

Avec la violence, la convoitise engendre également l’injustice. Mais ceux qui ramassent la manne sont surpris de constater que chacun en collecte finalement exactement ce qu’il lui faut : « Les fils d’Israël firent ainsi : certains en recueillirent beaucoup, d’autres peu. Celui qui en avait ramassé beaucoup n’eut rien de trop ; celui qui en avait ramassé peu ne manqua de rien. Ainsi, chacun en avait recueilli autant qu’il pouvait en manger » (Ex 16, 17 18). Les premières communautés chrétiennes reprendront ce principe de distribution du bien commun : à chacun selon ses besoins. « Ils apportaient le montant de la vente pour le déposer aux pieds des Apôtres ; puis on le distribuait en fonction des besoins de chacun. » (Ac 4, 35)

Jésus a éprouvé ce double manque et affronté l’angoisse humaine qui en résulte, pour l’exorciser. Il a eu faim au désert et a refusé la satiété facile que lui proposait le diable. Il a manqué d’air et vécu la terrible angoisse de la lente asphyxie du supplice de la croix, besoin de respirer bien plus vital que le pain. Il a ressenti l’abandon des hommes lors de sa Passion, et pire encore l’abandon de Dieu, pourtant son Père. À Gethsémani, c’est l’angoisse du manque de reconnaissance qui l’a épouvanté ; sur la croix elle l’a fait crier : « Eloï, Eloï, lama sabachthani ? » Face à cette terrifiante angoisse, son combat intérieur a finalement nourri sa confiance – malgré tout – en l’amour de Dieu le guidant jour après jour : « que ta volonté soit faite et non la mienne » (Lc 22,42).

 

Apprendre la convivialité

800px-Tissot_The_Gathering_of_the_Manna_%28color%29 DemainLa deuxième raison de l’interdiction de stocker la manne apparaît alors en filigrane : le souci de la survie physique ne doit pas occulter l’aspiration à une vie plus grande que la nourriture. Ce que nous cherchons est bien plus que de la manne. Nous avons faim de reconnaissance plus que de marmites de viande. Nous avons soif de communion plus que de citernes débordantes. Plus tard, les prêtres du Temple de Jérusalem se souviendront de l’interdit du stockage de la manne en le transposant aux sacrifices d’animaux accomplis au Temple : « Quant à la chair de la victime offerte en sacrifice d’action de grâce et sacrifice de paix, elle sera mangée le jour même où elle est présentée ; on n’en gardera rien pour le lendemain matin. » (Lv 7, 15). Et les commentaires insistent sur l’obligation de communion, de convivialité liée à cet interdit de stocker la viande du sacrifice pour le lendemain :

C’est pour faire connaître le miracle ! Car celui qui apporte l’offrande de rémunération, voyant qu’elle ne peut se consommer que le jour même et la nuit suivante, il invitera ses proches et ses amis à manger et se réjouir avec lui. Ils s’interrogeront alors sur la raison de cette offrande et il leur racontera les miracles et les prodiges dont Hachem l’a gratifié. On en viendra à louer Hachem devant un public important et en présence de sages. Alors que si cette offrande était consommée comme les autres propitiatoires, en deux jours et une nuit, le propriétaire de l’offrande n’aurait invité personne […]. En revanche, voyant la quantité considérable de viande et de pain chez lui, sachant qu’il n’aura la possibilité de les consommer qu’en l’espace d’un jour et d’une nuit, il sera contraint d’inviter un grand nombre de proches pour en manger, par crainte de devenir objet de risée et de ridicule, lorsqu’on le verra brûler une telle quantité de son offrande, et que l’on comprendra qu’il n’avait convié ni famille ni amis [1].

Et Jésus avertit les riches que leurs greniers remplis à ras bord ne leur garantissent pas la vraie vie, au contraire ! « Puis il se dit : ‘Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j’en construirai de plus grands et j’y mettrai tout mon blé et tous mes biens. Alors je me dirai à moi-même : Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence.’ Mais Dieu lui dit : ‘Tu es fou : cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ?’ Voilà ce qui arrive à celui qui amasse pour lui-même, au lieu d’être riche en vue de Dieu.’ » (Lc 12, 18 22)

 

Avoir faim d’autre chose

fr-con-279-Se-nourrir-de-Dieu-par-sa-Parole exodeRenoncer à la convoitise, apprendre la convivialité… Une troisième raison qui pousse à ne pas conserver la manne reçue est de découvrir la vraie faim qui est la nôtre : « Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur » (Dt 8, 3). Plus nous stockons et accumulons, plus nous croyons être invulnérables, indépendants, n’ayant pas besoin de l’aide des autres. Nos biens entassés nous coupent peu à peu de la relation à autrui, et à Dieu le premier. Comme le dit crûment saint Jacques : « Et vous autres, maintenant, les riches ! Pleurez, lamentez-vous sur les malheurs qui vous attendent. Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont mangés des mites, votre or et votre argent sont rouillés. Cette rouille sera un témoignage contre vous, elle dévorera votre chair comme un feu. Vous avez amassé des richesses, alors que nous sommes dans les derniers jours ! » (Jc 5, 1 3).

Accumulation et convoitise se conjuguent pour engendrer injustice et violence.

 

Se laisser guider par la confiance

Une quatrième raison de l’interdiction de l’accumulation de la manne réside dans l’attitude de confiance quotidienne qu’elle développe. Puisque je ne peux faire de réserves, je découvre qu’il me suffit de faire confiance jour après jour, de me laisser guider. « Dieu y pourvoira », disait déjà Abraham à son fils inquiet de l’animal pour le sacrifice. Jésus ne nous a-t-il pas appris à demander notre pain quotidien, et pas un stock de boulangerie ? « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». L’expression grecque exacte employée par Mathieu et Luc pour cette demande du pain qui reprend celle de la manne est :
τὸν (le) ἄρτον (pain) ἡμῶν τὸν (de nous) ἐπιούσιον (suffisant) δὸς (donne) ἡμῖν (nous) σήμερον (aujourd’hui) (Mt 6,11)
Ce qui signifie littéralement : « donne-nous aujourd’hui le pain qui suffit à notre subsistance ». Pas plus, ni moins. Ce qui veut dire que le but de notre prière va plus loin : « que ta volonté soit faite ». Comme le dit Jésus : « cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». Le pain du Notre Père est bien la manne du désert de l’Exode… Le pain eucharistique lui aussi est fait pour être consommé intégralement à chaque eucharistie : on ne conserve quelques hosties que pour les porter ensuite aux malades, aux absents, pas pour stocker du surplus ni en reprendre ! Comme les Juifs conservaient une jarre de manne dans le tabernacle du Saint des Saints, non pour accumuler, mais pour témoigner de la sollicitude de YHWH pour son peuple.  Même l’adorations eucharistique respecte l’interdit du désert : ne pas abuser de la grâce en croyant l’accumuler pour soi…

Dans son Apocalypse, Jean promet que les chrétiens qui tiendront bon dans l’épreuve de la persécution seront soutenus pas une nourriture spirituelle semblable à la manne : « Au vainqueur je donnerai de la manne cachée… » (Ap 2, 17)

manna manne
On retrouve là le sens de la Providence tel que l’invoquait Jésus : non pas une résignation fataliste (Mektoub !), ni une superstition magique dans l’intervention divine surnaturelle, mais une confiance à toute épreuve, comptant sur Dieu en nous plus que sur nos propres forces et ressources accumulées au-dehors. « Et au sujet des vêtements, pourquoi se faire tant de souci ? Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas.  Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’était pas habillé comme l’un d’entre eux » (Mt 6, 28 29)

La pauvreté volontaire de Jésus s’enracine dans sa confiance absolue en son Père, qui le délivre de la peur du manque, qui exorcise l’angoisse du lendemain : « Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine » (Mt 6, 34). Chercher la volonté de Dieu jour après jour, faire confiance à sa parole, se laisser guider par son amour : voilà notre véritable exode, où la manne ne nous manquera pas si nous ne refermons pas la main sur le don reçu jour après jour.

Résumons-nous : l’interdiction d’accumuler la manne nous est salutaire pour au moins 4 raisons : renoncer à la convoitise, apprendre la convivialité, se nourrir de parole plus que de pain, se laisser guider par la confiance.

Ne dites pas qu’aucun de ces quatre objectifs ne vous concerne…

Quels sont vos stocks de manne, et où sont-ils ?

 


LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous » (Ex 16, 2-4.12-15)

Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, dans le désert, toute la communauté des fils d’Israël récriminait contre Moïse et son frère Aaron. Les fils d’Israël leur dirent : « Ah ! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! Vous nous avez fait sortir dans ce désert pour faire mourir de faim tout ce peuple assemblé ! » Le Seigneur dit à Moïse : « Voici que, du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous. Le peuple sortira pour recueillir chaque jour sa ration quotidienne, et ainsi je vais le mettre à l’épreuve : je verrai s’il marchera, ou non, selon ma loi. J’ai entendu les récriminations des fils d’Israël. Tu leur diras : ‘Au coucher du soleil, vous mangerez de la viande et, le lendemain matin, vous aurez du pain à satiété. Alors vous saurez que moi, le Seigneur, je suis votre Dieu.’ »
Le soir même, surgit un vol de cailles qui recouvrirent le camp ; et, le lendemain matin, il y avait une couche de rosée autour du camp. Lorsque la couche de rosée s’évapora, il y avait, à la surface du désert, une fine croûte, quelque chose de fin comme du givre, sur le sol. Quand ils virent cela, les fils d’Israël se dirent l’un à l’autre : « Mann hou ? » (ce qui veut dire : Qu’est-ce que c’est ?), car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : « C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger. »

 

PSAUME
(Ps 77 (78), 3.4ac, 23-24, 25.52a.54a)
R/ Le Seigneur donne le pain du ciel ! (cf. 77, 24b)

Nous avons entendu et nous savons
ce que nos pères nous ont raconté :
et nous le redirons à l’âge qui vient,
les titres de gloire du Seigneur.

Il commande aux nuées là-haut,
il ouvre les écluses du ciel :
pour les nourrir il fait pleuvoir la manne,
il leur donne le froment du ciel.

Chacun se nourrit du pain des Forts,
il les pourvoit de vivres à satiété.
Tel un berger, il conduit son peuple.
Il le fait entrer dans son domaine sacré.

 

DEUXIÈME LECTURE
« Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé selon Dieu » (Ep 4, 17.20-24)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, je vous le dis, j’en témoigne dans le Seigneur : vous ne devez plus vous conduire comme les païens qui se laissent guider par le néant de leur pensée. Mais vous, ce n’est pas ainsi que l’on vous a appris à connaître le Christ, si du moins l’annonce et l’enseignement que vous avez reçus à son sujet s’accordent à la vérité qui est en Jésus. Il s’agit de vous défaire de votre conduite d’autrefois, c’est-à-dire de l’homme ancien corrompu par les convoitises qui l’entraînent dans l’erreur. Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité.

ÉVANGILE
« Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jn 6, 24-35)
Alléluia. Alléluia. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Alléluia. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, quand la foule vit que Jésus n’était pas là, ni ses disciples, les gens montèrent dans les barques et se dirigèrent vers Capharnaüm à la recherche de Jésus. L’ayant trouvé sur l’autre rive, ils lui dirent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés. Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, lui que Dieu, le Père, a marqué de son sceau. » Ils lui dirent alors : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Jésus leur répondit : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » Ils lui dirent alors : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là. » Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. »
.Patrick Braud

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22 octobre 2018

Comme l’oued au désert

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Comme l’oued au désert


Homélie pour le 30° dimanche du temps ordinaire / Année B
28/09/2018

Cf. également :
Les larmes du changement
Bartimée et Jésus : les deux fois deux fils

L’oued comme surprise
Si vous avez eu la chance un jour de parcourir le désert du Sahara au sud de la Tunisie, de l’Algérie ou du Maroc, ou au nord du Niger, vous avez certainement vu ces tranchées de terre au milieu des rochers. La plupart du temps elles sont sèches et craquelées par plus de 50° en plein soleil. Mais vienne la pluie, une de ces pluies soudaines et torrentielles que les rares orages sahariens déversent à gros bouillons (1 mm d’eau par minute !), et ces saignées rouges latérite ou jaune sable deviendront très vite boueuses, puis ruisselantes, et finalement un flot irrésistible balaiera tout sur son passage à la fin de l’orage.
Le boyau éventré qui se change en fleuve, c’est l’oued du désert, phénomène climatologique bien connu des populations sahéliennes. De nombreux villages furent emportés un jour par ces flots jaillis de nulle part, à qui nulle construction ne résiste. Difficile de deviner cette puissance et cette rapidité lorsque l’on découvre le sillon d’un oued incrusté au détour des cailloux du désert !

Comme l’oued au désert dans Communauté spirituelle Maroc._Oued_Tensif

C’est cette image de l’oued au désert que choisit le psalmiste pour évoquer le retour de captivité des déportés juifs (vers 536 avant Jésus-Christ) :

« Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
nous étions comme en rêve !
Alors notre bouche était pleine de rires,
nous poussions des cris de joie.

Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
nous étions en grande fête !

Ramène, Seigneur, nos captifs,
comme les torrents au désert. »
Psaume 125 (126)

220px-The_captivity_of_Judah exil dans Communauté spirituelleLa destruction de Jérusalem, de son Temple, de son roi (Sédécias, emmené les yeux crevés en captivité à Babylone), avait été une catastrophe à laquelle seule la Shoah peut être comparée. Apparemment c’était la fin. Personne ne devait plus entendre parler d’Israël dans l’histoire humaine. Pourtant, 50 ans après, de façon totalement imprévue, se lève un nouveau roi qui autorise les déportés à rentrer chez eux. Mieux encore, Cyrus leur accorde la liberté de culte et les aide à rebâtir leur Temple. Ils n’en reviennent pas de revenir vivre chez eux, les captifs qu’on croyait perdus, desséchés à jamais ! Et voilà qu’à longues caravanes ils affluent vers Jérusalem ! Ce spectacle a tellement impressionné les témoins de ce retour en fanfare qu’ils ont naturellement fait la comparaison avec les flots soudains et puissants qui remplissent les oueds du désert après l’orage.

La relecture que fait le psalmiste de l’Exil à Babylone peut inspirer nos propres relectures de nos exils d’aujourd’hui.

Que faire lorsqu’une catastrophe s’est abattue sur notre existence ? Comment tenir bon alors que l’anéantissement de nos espoirs les plus chers semble sans remède ? La mort d’un proche, la perte d’un emploi, une maladie grave qui s’annonce, une calomnie destructrice… : l’exil peut prendre bien des formes. Votre temple en ruine est peut-être votre couple, vos relations avec tel enfant, votre réputation, vos ressources financières… Le psalmiste ne fait pas l’éloge de ces catastrophes. Il constate simplement que Dieu peut en faire sortir autre chose. Dieu est capable de faire se lever à nouveau un peuple qu’on croyait effacé de l’histoire. « Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham à partir des pierres que voici », dira même Jésus (Lc 3,8).

retour.gifLe psalmiste chante l’événement surprenant qui inverse la malédiction. Il célèbre la seconde chance donnée à son peuple. Le drame n’est pas nié. Il est intégré à une séquence beaucoup plus longue où la catastrophe devient opportunité, où la destruction devient créatrice, où le retour sera mémoire de l’Exil afin de conjurer sa répétition. Le livre de l’Exode faisait déjà cette relecture de la famine qui a poussé les fils de Jacob à fuir de Canaan autrefois : l’exil en Égypte puis l’esclavage pendant des siècles ont finalement produit l’Exode. Et les hébreux sont revenus d’Égypte plus nombreux et plus forts, comme les oueds chevauchant le désert pour aller vers le fleuve. Aujourd’hui, les juifs doivent relire douloureusement la Shoah à la lumière de cette expérience : il n’est nulle catastrophe qui ne puisse se transformer en occasion de progrès. La création de l’État d’Israël en 1948 se superpose ainsi au retour d’Égypte, au retour de Babylone…

C’est donc que les pires événements semblant déstabiliser nos vies, voire les écrouler, ne sont pas le dernier mot de Dieu envers nous. Dès que quelque chose nous blesse, une puissance de germination est à l’œuvre en même temps en nous pour en faire pousser des fruits en abondance : maturité, sensibilité au malheur des autres, humilité, discernement de l’essentiel… Martin Gray a perdu deux fois la famille qu’il venait de construire ou de reconstruire, mais son amour de la vie s’est décuplé, et son témoignage aide toujours ceux qui passent par de telles épreuves.

Nous avons cette espérance chevillée au corps depuis que Jésus de Nazareth a été fixé au bois de la croix. Puisque cette fin infâme a débouché sur la résurrection, comment désespérer que nos drames les plus terribles soient eux aussi métamorphosés en vie nouvelle ?

Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie
D’où le champ du psalmiste :

« Qui sème dans les larmes
moissonne dans la joie.

Il s’en va, il s’en va en pleurant,
il jette la semence ;
il s’en vient, il s’en vient dans la joie,
il rapporte les gerbes. »

Larmes joieSemer n’est pas moissonner. Et bien souvent le moissonneur ne sera pas le semeur, mais une autre génération ou un autre peuple. Reste que l’œuvre de création se fait souvent dans les larmes, et cela ne doit pas nous surprendre ni nous décourager. Bien des martyrs ont donné leur vie sans voir le fruit de leur témoignage. Mais leur sang est devenu une semence de chrétiens (Tertullien) et leur sacrifice a fondé l’Église sur des bases solides.
Tout au long de nos années, il y a un temps pour semer, et un temps pour moissonner. Un temps pour pleurer, et un temps pour se réjouir. Ce n’est pas une question d’âge : Abraham et Sarah étaient tout étonnés que Dieu veuille semer à travers eux alors qu’ils étaient si âgés. Et le jeune David a triomphé de Goliath, moissonnant ainsi la liberté de son peuple, avant de semer les fondements d’une royauté juste et bonne, douloureusement acquise en dépassant ses propres infidélités.

« Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie » : c’est devenu un proverbe dans notre langue. Et la sagesse populaire sait bien que la persévérance dans les temps difficiles est le gage du renouveau après. Dieu est capable de faire surgir des torrents dans les oueds desséchés de notre parcours humain et spirituel.

Alors, quel que soit l’exil qui vous taraude, guettez le nuage à l’horizon, aujourd’hui pas plus gros que le poing (cf. Élie guettant la pluie : 1R 18,44), mais demain déferlant en pluie salvatrice. Ne baissez pas les bras, car l’inversion du malheur est proche.

Et si tout va bien pour vous, réjouissez-vous d’être dans cette période de moisson que promet le psalmiste. Engrangez votre bonheur pour demain : faites-en provision dans le grenier de votre mémoire, comme Joseph a entassé le blé dans les greniers d’Égypte pendant les sept années de vaches grasses (cf. Gn 41). Lorsque viendra le temps des vaches maigres, vous ne serez pas pris au dépourvu…

« Ramène, Seigneur, nos captifs, comme les oueds au désert. »

Ravive, Seigneur, notre espérance : que nous guettions les événements imprévus capables de nous ramener vers toi, plus sûrement que le fleuve à la mer…

 

Lectures de la messe

Première lecture
« L’aveugle et le boiteux, je les fais revenir » (Jr 31, 7-9)

Lecture du livre du prophète Jérémie

Ainsi parle le Seigneur : Poussez des cris de joie pour Jacob, acclamez la première des nations ! Faites résonner vos louanges et criez tous : « Seigneur, sauve ton peuple, le reste d’Israël ! » Voici que je les fais revenir du pays du nord, que je les rassemble des confins de la terre ; parmi eux, tous ensemble, l’aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée : c’est une grande assemblée qui revient. Ils avancent dans les pleurs et les supplications, je les mène, je les conduis vers les cours d’eau par un droit chemin où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israël, Éphraïm est mon fils aîné.

Psaume
(Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6)
R/ Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête !
(Ps 125, 3)

Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
nous étions comme en rêve !
Alors notre bouche était pleine de rires,
nous poussions des cris de joie.

Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
nous étions en grande fête !

Ramène, Seigneur, nos captifs,
comme les torrents au désert.
Qui sème dans les larmes
moissonne dans la joie.

Il s’en va, il s’en va en pleurant,
il jette la semence ;
il s’en vient, il s’en vient dans la joie,
il rapporte les gerbes.

Deuxième lecture
« Tu es prêtre de l’ordre de Melkisédek pour l’éternité » (He 5, 1-6)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Tout grand prêtre est pris parmi les hommes ; il est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu ; il doit offrir des dons et des sacrifices pour les péchés. Il est capable de compréhension envers ceux qui commettent des fautes par ignorance ou par égarement, car il est, lui aussi, rempli de faiblesse ; et, à cause de cette faiblesse, il doit offrir des sacrifices pour ses propres péchés comme pour ceux du peuple. On ne s’attribue pas cet honneur à soi-même, on est appelé par Dieu, comme Aaron.
Il en est bien ainsi pour le Christ : il ne s’est pas donné à lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a reçue de Dieu, qui lui a dit : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré, car il lui dit aussi dans un autre psaume : Tu es prêtre de l’ordre de Melkisédek pour l’éternité.

Évangile
« Rabbouni, que je retrouve la vue » (Mc 10, 46b-52) Alléluia. Alléluia.

Notre Sauveur, le Christ Jésus, a détruit la mort, il a fait resplendir la vie par l’Évangile. Alléluia. (2 Tm 1, 10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée, Bartimée, un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin. Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! » Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. » L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.
Patrick BRAUD

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6 août 2018

Le peuple des murmures

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Le peuple des murmures

Homélie pour le 19° dimanche du temps ordinaire / Année B
12/08/2018

Cf. également :

Le caillou et la barque
Traverser la dépression : le chemin d’Elie
Reprocher pour se rapprocher

Les Français sont un peuple de râleurs, c’est bien connu ! Ils ronchonnent sur la météo, le gouvernement, les impôts, la SNCF, la RATP, Noël qui tombe un dimanche etc. etc.

Sommes-nous les seuls ?

Les textes de ce dimanche nous montrent le prophète Élie rouspétant contre Yahvé (« c’en est trop ! » cf. 1 R 19, 4-8) et des juifs récriminant contre Jésus après son discours sur le pain de vie (Jn 6, 41-51). Le mot exact (employés trois fois par Jean en Jn 6) est : « murmurer » (gogguzó en grec).

Quand on entend ce verbe : murmurer, on pense immédiatement aux murmures du peuple hébreu dans le désert. Les esclaves en fuite entrevoient une liberté inespérée, mais ils passent leur temps à se plaindre, à râler, à murmurer contre Moïse et Aron, contre Dieu lui-même. Il y a une vingtaine d’usages de ce mot dans les récits de la sortie d’Égypte, par exemple :

Toute la communauté des Israélites se mit à murmurer contre Moïse et Aaron dans le désert. Les Israélites leur dirent : « Que ne sommes-nous morts de la main de Yahvé au pays d’Égypte, quand nous étions assis auprès de la marmite de viande et mangions du pain à satiété ! Ex 16, 2-3

Le peuple des murmures dans Communauté spirituelle moise31

C’est le même type de murmures qui courent parmi les auditeurs de Jésus leur promettant la manne nouvelle :

En ce temps-là, les Juifs récriminaient contre Jésus parce qu’il avait déclaré : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel. » […] Jésus reprit la parole : « Ne récriminez pas entre vous. »

Même les disciples sont gangrenés eux aussi :

Mais, sachant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce propos, Jésus leur dit : « Cela vous scandalise ? … » (Jn 6,61)

Le peuple juif s’auto-désigne dans toute la Bible comme « un peuple à la nuque raide », rebelle à l’amour de Dieu. Il a été choisi certes, élu par Dieu non pas à cause de ses mérites mais presque malgré lui, pour témoigner de l’unicité de Dieu et de son Alliance auprès des autres nations. Chemin faisant, il peste, se rebiffe, renâcle et proteste tel Jonas refusant d’aller vers Ninive lui annoncer son salut…

Murmurer est encore plus grave que simplement rouspéter. Il y a dans cette attitude – qui est la nôtre bien souvent – des côtés négatifs et des risques majeurs.

 

- murmurer, c’est dire des choses à voix basse, et non pas en face, mais entre nous.

16602293_10154803578075664_2582334869104286097_o-282x300 exode dans Communauté spirituelleCe n’est même pas dire les choses à moitié : c’est semer la zizanie en répandant des rumeurs (des fake news !), des reproches voilés, à peine formulés, sous le manteau. Plutôt que de prendre leur courage à deux mains pour demander des explications franches, ceux qui récriminent évitent le face-à-face. C’est une rupture de relation.
          Ils murmurèrent sous leurs tentes, ils n’écoutèrent pas la voix de Yahvé (Ps 106,25).

Ben Sirac le sage note tristement que le faux ami s’éloigne sans rien dire en face, en murmurant, dès que le sort est contraire :
          Il hochera la tête et battra des mains, il ne fera que murmurer et changer de visage (Si 12,18).

 

- murmurer, c’est se conforter mutuellement dans le négatif.

images--12- murmureChacun laisse couler sa rancœur et en rajoute sur celle de l’autre. Très vite, on n’échange plus des reproches justifiés mais on multiplie des ‘on-dit’, des ‘il paraît que’, ‘vous allez voir que’, ‘il ne manquerait plus que’… À force de murmurer, on ne voit plus que ce qui va mal, et on imagine sans cesse plus mal encore.

Une oreille jalouse écoute tout, la rumeur même des murmures ne lui échappe pas.
Gardez-vous donc des vains murmures, épargnez à votre langue les mauvais propos ; car un mot furtif ne demeure pas sans effet, une bouche mensongère donne la mort à l’âme (Sg 1,10).

Car c’est à murmurer contre que les râleurs mobilisent leur énergie : contre Moïse, contre Dieu, contre Jésus. Au lieu d’investir leurs forces dans la poursuite d’un projet positif, ils s’épuisent à les dissiper dans des messes basses stériles :
Pourquoi l’homme murmurerait-il ? Qu’il soit plutôt brave contre ses péchés ! (Lm 3,39)

 

- murmurer, c’est se priver de voir la Terre promise !

Dans le désert, c’est en tout cas l’interprétation que leurs descendants en ont fait. Pourquoi nos pères ont-ils erré 40 ans dans ce désert entre l’Égypte et Canaan ? Pourquoi Dieu ne les y a-t-il pas guidés directement ? Pourquoi sont-ils morts avant d’y entrer ?

C’est à cause de leurs murmures contre Dieu, répondent leurs enfants et petits-enfants qui écrivent le livre de l’Exode, puis des Nombres. Ils ont refusé de se laisser conduire, ils ont résisté à l’action de Dieu venu les sauver, ils ont murmuré jour et nuit contre lui, se privant ainsi eux-mêmes la possibilité de se laisser façonner par lui.
          Vos cadavres tomberont dans ce désert, vous tous les recensés, vous tous qu’on a dénombrés depuis l’âge de vingt ans et au-dessus, vous qui avez murmuré contre moi (Nb 14,29).

Murmurer, c’est donc nous punir nous-mêmes en nous empêchant d’accéder à ce qui nous est offert !
          Ne murmurez pas, comme le firent certains d’entre eux ; et ils périrent par l’Exterminateur (1Co 10,10).

 

- accomplir une belle chose en murmurant, c’est annuler sa bonté et ses effets sur nous.

L'hospitalitéAinsi Pierre nous prévient :
Pratiquez l’hospitalité les uns envers les autres, sans murmurer (1P 4,9).

Accueillir du bout des lèvres, pratiquer l’hospitalité en grommelant, héberger le voyageur contraint et forcé transforme la bonne action en corvée inamicale et hostile. Les murmures dénaturent donc nos élans de générosité.

 

- murmurer contre la bonté des autres est un nivellement par le bas.

depositphotos_121343826-stock-photo-slander-word-cloud-concept-4 murmuresC’est une attitude plus répandue qu’on ne le croit, comme si le médiocre en nous voulait rabaisser le bon en l’autre à notre niveau. Ainsi Luc met par trois fois des murmures dans la bouche des juifs critiquant l’accueil que Jésus fait aux pécheurs :

Les Pharisiens et leurs scribes murmuraient et disaient à ses disciples: « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ? » (Lc 5,30)
Et les Pharisiens et les scribes de murmurer: « Cet homme, disaient-ils, fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux! » (Lc 15,2)
Ce que voyant, tous murmuraient et disaient: « Il est allé loger chez un homme pécheur! » (Lc 19 ,7)

Matthieu quant à lui mentionne les murmures des ouvriers de la première heure contre le propriétaire qui donne autant à l’ouvrier de la onzième heure :
         Tout en le recevant, ils murmuraient contre le propriétaire (Mt 20,11).

Il y a en nous comme un désir morbide de niveler par le bas les qualités des autres, sans doute pour éviter d’avoir à changer quelque chose dans nos comportements.

 

- murmurer divise : c’est une œuvre de fragmentation de l’unité d’une communauté redoutablement efficace.

Tullius DétritusLes Actes des Apôtres se souviennent de ces murmures qui divisaient l’Église de Jérusalem au sujet de l’aide due aux veuves : les hellénistes s’opposaient aux hébreux et alimentaient beaucoup de ragots, de rancœurs, de rumeurs en faisant bruisser la communauté de leur reproches à mi-voix :
En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, il y eut des murmures chez les Hellénistes contre les Hébreux. Dans le service quotidien, disaient-ils, on négligeait leurs veuves (Ac 6,1).

 

 

- murmurer, c’est se laisser dominer par sa convoitise.

2186752431_1Jude le dit sans ambages :
Ce sont eux qui murmurent, se plaignent, marchent selon leurs convoitises, leur bouche dit des choses orgueilleuses, ils flattent par intérêt (Ju 1,16).

Se plaindre ainsi, c’est en effet rester centré sur soi, sur son désir immédiat, sa volonté propre, sans entrer dans l’argumentation de l’autre pour découvrir sa logique et sa justesse. Cette centration sur soi produit l’orgueil et s’en nourrit. Elle conforte la recherche de l’intérêt individuel au détriment du collectif.

 

Nous faisons bien partie de ce peuple des murmures ! Pas seulement à cause de notre esprit gaulois, mais bien davantage à cause de la résistance en nous à l’amour de Dieu. Il nous faut prendre conscience de ces tendances devenues habituelles qui nous font dénigrer, dévaloriser, douter et saboter si possible le positif accompli hors de nous. La véritable ascèse chrétienne est dans ce combat intérieur.

Agissez en tout sans murmures ni contestations (Ph 2,14).

 

Pour être complet, nous devons également signaler les usages positifs du verbe murmurer. On peut en dénombrer neuf dans la Bible, uniquement dans l’Ancien Testament en fait :

Job 4,12 : J’ai eu aussi une révélation furtive, mon oreille en a perçu le murmure.
Psaume 1,2 : mais se plaît dans la loi de Yahvé, mais murmure sa loi jour et nuit !
Psaume 19,15 : Agrée les paroles de ma bouche et le murmure de mon cœur, sans trêve devant toi, Yahvé, mon rocher, mon rédempteur !
Psaume 37,30 : La bouche du juste murmure la sagesse et sa langue dit le droit
Psaume 49,4 : Ma bouche énonce la sagesse, et le murmure de mon cœur, l’intelligence
Psaume 71,24 : Or ma langue tout le jour murmure ta justice : honte et déshonneur sur ceux-là qui cherchent mon malheur !
Psaume 77,7 : je me souviens; je murmure dans la nuit en mon cœur, je médite et mon esprit interroge
Psaume 77,13 : je me murmure toute ton œuvre, et sur tes hauts faits je médite
Psaume 92,4 : sur la lyre à dix cordes et la cithare, avec un murmure de harpe.

Ce sont des murmures pour, et non contre : pour louer Dieu, le chercher, dialoguer avec lui dans le secret et l’intime.

Pratiquer ces murmures pour , sans céder à la tentation des murmures contre autrui : voilà un beau chemin de conversion !

Voilà une phrase forte à écrire au-dessus du miroir de la salle de bains pour la lire chaque matin : aujourd’hui, je ne murmurai pas contre quiconque ni quelque chose…

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Fortifié par cette nourriture, il marcha jusqu’à la montagne de Dieu » (1 R 19, 4-8)

Lecture du premier livre des Rois

En ces jours-là, le prophète Élie, fuyant l’hostilité de la reine Jézabel, marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : « Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères. » Puis il s’étendit sous le buisson, et s’endormit. Mais voici qu’un ange le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! » Il regarda, et il y avait près de sa tête une galette cuite sur des pierres brûlantes et une cruche d’eau. Il mangea, il but, et se rendormit. Une seconde fois, l’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste. » Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu.

Psaume
(Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7, 8-9)
R/ Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ! (Ps 33, 9a)

Je bénirai le Seigneur en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
Je me glorifierai dans le Seigneur :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

Magnifiez avec moi le Seigneur,
exaltons tous ensemble son nom.
Je cherche le Seigneur, il me répond :
de toutes mes frayeurs, il me délivre.

Qui regarde vers lui resplendira,
sans ombre ni trouble au visage.
Un pauvre crie ; le Seigneur entend :
il le sauve de toutes ses angoisses.

L’ange du Seigneur campe alentour
pour libérer ceux qui le craignent.
Goûtez et voyez : le Seigneur est bon !
Heureux qui trouve en lui son refuge !

Deuxième lecture
« Vivez dans l’amour, comme le Christ » (Ep 4, 30 – 5, 2)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères, n’attristez pas le Saint Esprit de Dieu, qui vous a marqués de son sceau en vue du jour de votre délivrance. Amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insultes, tout cela doit être éliminé de votre vie, ainsi que toute espèce de méchanceté. Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ.
Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice à Dieu, comme un parfum d’agréable odeur.

Évangile
« Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel » (Jn 6, 41-51) Alléluia. Alléluia.
Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, les Juifs récriminaient contre Jésus parce qu’il avait déclaré : « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel. » Ils disaient : « Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph ? Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire maintenant : ‘Je suis descendu du ciel’ ? » Jésus reprit la parole : « Ne récriminez pas entre vous. Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Il est écrit dans les prophètes : Ils seront tous instruits par Dieu lui-même. Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement vient à moi. Certes, personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là seul a vu le Père. Amen, amen, je vous le dis : il a la vie éternelle, celui qui croit. Moi, je suis le pain de la vie. Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts ; mais le pain qui descend du ciel est tel que celui qui en mange ne mourra pas. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »
Patrick BRAUD

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