L'homélie du dimanche (prochain)

27 juin 2021

Je t’envoie vers les nations rebelles

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Je t’envoie vers les nations rebelles

Homélie pour le 14° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
04/07/2021

Cf. également :
Nul n’est prophète en son pays
Quelle est votre écharde dans la chair ?
Le Capharnaüm de la mémoire : droit à l’oubli, devoir d’oubli
La grâce étonne ; c’est détonant !
Un nuage d’inconnaissance
La parresia, ou l’audace de la foi
Secouez la poussière de vos pieds
Avez-vous la nuque raide ?

Peuple d’élite…
 de Gaulle Les Juifs un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur

« Un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur » : la sortie du général De Gaulle en pleine Guerre des six jours (qu’il désapprouvait) est célèbre [1]. Remarque cinglante qui cache mal une certaine admiration au travers de la condamnation apparente. Car enfin, voilà un petit peuple qui aurait dû être rayé de l’Histoire plusieurs fois, et qui à chaque fois est rené de ses cendres, des décennies ou des siècles après l’esclavage en Égypte, l’Exil à Babylone, la Diaspora romaine, la Shoah nazie… Pourtant, la Bible n’est pas tendre avec ce petit peuple décrit comme ayant « la nuque raide », refusant de courber la tête devant YHWH. Ézéchiel particulièrement ne mâche pas ses mots envers Israël. Notre première lecture (Ez 2, 2-5) se fait l’écho de la sévère condamnation portée contre Israël qualifié de « nations rebelles » qui se sont « révoltées » contre YHWH : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers ces nations rebelles qui se sont révoltées contre moi » [2].

 

La relecture faite par Ézéchiel
Le rédacteur du livre n’a pas de mots assez durs envers la génération qui a précédé l’Exil à Babylone (-597) : sa responsabilité dans le désastre de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor est écrasante. C’est parce qu’il s’est rebellé contre YHWH, multipliant les infidélités avec les dieux étrangers, n’obéissant plus à la loi de justice transmise par Moïse, que ce peuple a si facilement été conquis, massacré, déporté. Relecture de l’histoire très courante dans les temps antiques : on cherchait les causes d’une défaite nationale dans les fautes de la nation, et l’on attribuait à Dieu le pouvoir de punir ainsi ceux qui lui avaient désobéi. Aujourd’hui, on n’oserait évidemment pas expliquer la Shoah par le péché des juifs ! Ce serait insupportable religieusement et non pertinent sur le plan historique. Bien d’autres causes ont provoqué ces catastrophes pour le peuple juif. Au VI° siècle avant J. C., c’était la corruption, les ambitions démesurées des monarchies israélites, les injustices, le mépris des pauvres… Tout cela entretenait un délitement intérieur du pays et une cohésion sociale de plus en plus faible.

Toutefois, la relecture religieuse d’Ézéchiel selon laquelle l’Exil est dû à la rébellion des juifs contre YHWH peut nous servir d’avertissement très contemporain : chaque fois qu’un peuple tourne le dos à ce qui le structure (ses valeurs, son sens de la justice, son Dieu), il le paie cash.
Au XX° siècle, l’effondrement des fascismes allemand et italien, du communisme russe, des rêves d’empire japonais etc. peuvent très bien être analysés avec cette grille de lecture. Si la France – voire l’Europe ou l’Occident – deviennent également des « nations rebelles » à ce qu’elles portent de plus sacré en elles, alors leur déclin est proche. Les Ézéchiel du XXI° siècle pourraient prophétiser un exil intérieur, et bientôt la destruction de l’équivalent du Temple de Jérusalem.
Nos défaites sont souvent les conséquences de nos reniements.
Nos exils résultent largement de nos infidélités.
Nos déportations sont rendues possibles par nos lâchetés.
La destruction de nos temples fait suite à nos rebellions insensées.

 

Nations, rebelles, révoltées
Ézéchiel emploie 3 mots assassins pour qualifier la responsabilité des fils d’Israël : nations (2,3), rebelles (2,5), révoltées (2,3).

Je t’envoie vers les nations rebelles dans Communauté spirituelle MINUI_NANTE_1956_01_L204- Traiter les fils d’Israël de « nations » (goïm) est suprêmement insultant pour les juifs. Car Israël s’est toujours considéré comme un peuple à part, distinct des autres nations païennes et idolâtres, au point d’employer deux mots différents. Aujourd’hui encore, les juifs appellent goy un non-juif. Les goïm sont donc normalement des incirconcis, des polythéistes, des adorateurs de faux dieux. Et voilà qu’Ézéchiel traite Israël de goïm ! Ses infidélités font tomber le peuple bien bas, au niveau des autres nations, comme s’ils avaient annulé l’Alliance qui les distinguait des autres. Qui plus est, goïm est un pluriel (les nations) là où YHWH avait commencé à façonner un peuple uni, « son épouse bien-aimée », « la joie de ses yeux » comme il le dira à Ézéchiel pleurant sa femme décédée brutalement (Éz 24,15–27). Se détournant de YHWH, Israël a perdu son unité, il est devenu pluriel, il est réduit au rang de nations. L’éparpillement, la dispersion, la désunion nous guettent dès lors que nous nous détournons de la présence de Dieu au milieu de nous…

 

9782203318236 exil dans Communauté spirituelle- Le 2e terme employé par Ézéchiel pour qualifier la responsabilité d’Israël est l’adjectif « révoltées ». Rien à voir avec la révolte au sens d’Albert Camus, nécessaire et juste réaction contre l’absurdité ou l’oppression. Non : la révolte d’Israël était contre lui-même en fait, une sorte de pulsion de mort dont la folie suicidaire effrayait les prophètes : « ils ont été rebelles, ils se sont révoltés contre toi, ils ont rejeté ta Loi derrière leur dos ; ils ont tué les prophètes qui les adjuraient de revenir à toi ; ils ont été coupables de grands blasphèmes » (Ne 9, 26). Ézéchiel emploie 4 fois ce terme de révoltées pour dénoncer les ruptures d’Alliance dont Israël s’est rendu coupable, répétitions mortelles du Veau d’or…

 

detail-representant-jugement-menees-enfer-facade-occidentale-Notre-Dame-Paris_0 Ezéchiel- Il en rajoute (si l’on peut dire) en qualifiant 15 fois les juifs de « famille de rebelles » comme dans notre première lecture (2,5). Pourquoi rebelles ? Parce qu’ils refusent d’écouter les prophètes leur révélant leurs déviances. Ils sont dans le déni de leur responsabilité dans la chute de Jérusalem, l’Exil, puis la destruction du Temple (-587). Ils vont chercher auprès d’étrangers et de leurs dieux des alternatives pour échapper à leur conversion. Ils refusent le retour vers YHWH qui les rétablirait dans l’Alliance, la paix et la prospérité.

Cette rébellion n’a rien de romantique, rien de social. C’est vraiment la nuque raide, l’obstination dans le mal dont Israël est capable et qui le ravale au rang des autres nations.

On est loin du « peuple dominateur et sûr de lui » décrit par De Gaulle… Ou plutôt on en serait tout proche si l’Israël d’aujourd’hui se comportait à nouveau en « nations révoltées et rebelles » contre son Dieu, ce qui n’est jamais à exclure hélas.

Reste qu’Ézéchiel est envoyé vers ces nations révoltées et rebelles qu’est devenu Israël, et pas vers d’autres.
Devenus prophètes en Christ par le baptême, nous sommes nous aussi envoyés vers les rebelles de ce siècle, vers les nations en voie de désunion, vers les révoltées refusant toute transcendance autre que la leur. Nous ne sommes pas envoyés vers les gentils (au sens bisounours du terme), mais vers les gentils (au sens païen du terme goïm). « Comme des agneaux au milieu des loups », précisera même Jésus gravement (Mt 10,16).

 

Qui sont nos rebelles d’aujourd’hui ?
Couv_203506 Israël

Si l’on suit Ézéchiel, ce sont ceux qui sont responsables de catastrophes comme un exil, une destruction de l’identité nationale (dont le Temple de Jérusalem était la figure), de ruptures d’alliance (infidélités à la loi divine, injustices, corruptions, oppressions). Pas si simple d’être envoyé à ces gens-là…
Je pense aux martyrs de l’Ouganda (au XIX°), ces premiers chrétiens osant affronter leur roi et sa cour aux mœurs douteuses et au pouvoir tyrannique.
Je pense à l’enseignement courageux des papes sur le danger du communisme russe, appelant les nations de l’Est à retrouver leurs racines.
Je pense au Père Joseph Wrezinski révélant les processus d’exclusion maintenant le Quart-Monde à la marge de notre société depuis des générations, et appelant à bâtir à partir de ces familles et avec elles.
Et à tant d’autres…

Autour de nous
Regardez bien autour de vous : il y a sûrement des rebelles, des révoltés, des nations à qui nous devons une parole de vérité et un appel courageux à changer de voie.
Car la bonne nouvelle d’Ézéchiel, c’est bien sûr le retour possible à Jérusalem, même après 50 ans d’exil. La bonne nouvelle que nous devons à ceux vers qui nous somme envoyés est celle de la responsabilité personnelle : ce que leur infidélité a défait peut être restauré par une fidélité retrouvée. Ce que le péché a provoqué de délitement, de dispersion, d’exil peut-être retourné comme un gant s’ils choisissent une autre voie. Le petit reste d’Israël qui a su tirer les conséquences de l’Exil a finalement préparé le retour improbable en Terre promise. Il suffirait donc aujourd’hui d’une poignée de rebelles qui se convertissent pour ouvrir de nombreux chemins d’avenir (économiques, politiques, écologiques…). Rien ne sert de demeurer dans l’entre soi de bons cathos de service : nous sommes envoyés vers les violents, les destructeurs, les loups d’aujourd’hui. Non pour les punir : pour qu’ils reviennent à Dieu, qu’ils changent leur cœur et renoncent au mal.

En nous
Regardons également en nous : il y a un rebelle en chacun ! Notre part d’ombre est justement celle qui résiste à être révélée par l’Écriture. Nous sommes à ce titre envoyés vers nous-mêmes : quelle est ma part de responsabilité dans les exils intérieurs qui me rongent ? les destructions qui me navrent ? les catastrophes qui s’abattent sur moi ? À bien s’examiner, chacun détectera les rebellions, les révoltes, les infidélités et compromissions qui délitent son unité intérieure, sa cohérence de vie. Et si vous n’en trouvez pas, demandez à ceux qui ne vous aiment pas ! Ils vous donneront des pistes…

« Fils d’homme, va je t’envoie vers ces nations rebelles » : en nous et autour de nous, cet envoi nous oblige. C’est notre vocation de prophètes en tant que baptisés, dont l’enjeu est le retour d’exil, de nos exils collectifs et personnels.

 


[1]. « Et certain même redoutait que les juifs, jusqu’alors dispersés, et qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent – une fois qu’ils seraient rassemblés dans les sites de son ancienne grandeur – n’en viennent à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis 19 siècles :  » l’an prochain à Jérusalem « . » (27/11/1967).

[2]
. La traduction liturgique n’est pas fidèle au texte hébreu qui parle de nations (gō·w·yim) au pluriel.

 

 LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« C’est une engeance de rebelles ! Qu’ils sachent qu’il y a un prophète au milieu d’eux ! » (Ez 2, 2-5)

Lecture du livre du prophète Ézékiel

En ces jours-là, l’esprit vint en moi et me fit tenir debout. J’écoutai celui qui me parlait. Il me dit : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers une nation rebelle qui s’est révoltée contre moi. Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi. Les fils ont le visage dur, et le cœur obstiné ; c’est à eux que je t’envoie. Tu leur diras : ‘Ainsi parle le Seigneur Dieu…’ Alors, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas – c’est une engeance de rebelles ! – ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. »

PSAUME
(Ps 122 (123), 1-2ab, 2cdef, 3-4)
R/ Nos yeux, levés vers le Seigneur, attendent sa pitié. (cf. Ps 122, 2)

Vers toi j’ai les yeux levés,
vers toi qui es au ciel,
comme les yeux de l’esclave
vers la main de son maître.

Comme les yeux de la servante
vers la main de sa maîtresse,
nos yeux, levés vers le Seigneur notre Dieu,
attendent sa pitié.

Pitié pour nous, Seigneur, pitié pour nous :
notre âme est rassasiée de mépris.
C’en est trop, nous sommes rassasiés
du rire des satisfaits, du mépris des orgueilleux !

DEUXIÈME LECTURE
« Je mettrai ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure » (2 Co 12,7-10)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, les révélations que j’ai reçues sont tellement extraordinaires que, pour m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime. Par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » C’est donc très volontiers que je mettrai plutôt ma fierté dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ fasse en moi sa demeure. C’est pourquoi j’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.

ÉVANGILE
« Un prophète n’est méprisé que dans son pays » (Mc 6, 1-6)
Alléluia. Alléluia.L’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Alléluia. (Lc 4, 18ac)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

 En ce temps-là, Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et ses disciples le suivirent. Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet. Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. » Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Et il s’étonna de leur manque de foi. Alors, Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant.
.Patrick Braud

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10 novembre 2019

Il n’en restera pas pierre sur pierre

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Il n’en restera pas pierre sur pierre

Homélie du 33° dimanche du Temps Ordinaire / Année C
17/11/2019

Cf. également :

Nourriture contre travail ?
« Même pas peur »…
La destruction créatrice selon l’Évangile
La « réserve eschatologique »

Et Notre-Dame brûlait…

Incendie Notre Dame de ParisEn ce 15 avril 2019, les passants se figeaient devant le spectacle de l’incendie qui ravageait  la toiture de la cathédrale. Scotchés devant les écrans des chaînes d’information, des milliers de visages scrutaient l’événement, ne sachant quoi penser. La tristesse s’affichait dans les propos de tous les commentateurs, à peine atténuée par les promesses de dons qui affluent déjà pour reconstruire le symbole blessé. Imaginez qu’à ce moment-là surgisse un homme – jeune encore – tenant ces propos devant les caméras de BFM ou de LCI : « vous pleurez pour le toit d’une cathédrale ? Mais viendra un jour où elle sera complètement détruite. Il n’en restera pas pierre sur pierre. Pourquoi vous attacher à des choses qui passent alors que l’éternel est à votre porte et que vous ne lui ouvrez pas ? » L’incompréhension et le rejet seraient unanimes ! Et pourtant, c’est bien ce que Jésus a déclaré sur le Temple de Jérusalem devant lequel tout le monde s’extasiait (cf. Lc 21, 5-19) ! De quoi se faire de solides ennemis dans chaque camp, politique ou religieux… Les spectateurs avides des crucifixions, gibets et autres guillotines utilisaient ces paroles pour tourner Jésus en ridicule :

« Les passants l’insultaient hochant la tête et disant:  » Hé ! Toi qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même en descendant de la croix. «   (Mc 15,29)

Évidemment, vous objecterez (non sans raison) que les Évangiles ont été écrits dans les années 70 à 90 et que donc il était facile à ce moment de prédire la destruction du Temple, puisqu’elle avait déjà eu lieu en l’an 70. Le rédacteur a-t-il mis ces paroles sur les lèvres de Jésus en réfléchissant sur la catastrophe de la prise de Jérusalem par l’empereur Titus ? Ou bien s’est-il souvenu de ces paroles qui avaient tant choqué à l’époque, et qui maintenant trouvaient tout leur sens ? Difficile de trancher. L’essentiel est l’avertissement du Christ : « quand tu vois s’écrouler ce que tu as construit de plus beau, moi je peux le rebâtir à la manière divine et non plus humaine. »

Ces paroles sont si graves pour les juifs qu’ils en feront un motif de condamnation contre Jésus lors de son simulacre de procès :

« Nous l’avons entendu dire: « Moi, je détruirai ce sanctuaire fait de main d’homme et, en trois jours, j’en bâtirai un autre, qui ne sera pas fait de main d’homme. » »  (Mc 14,58)

Annoncer l’éphémère des constructions humaines est donc risqué : le prix à payer peut être très élevé. Voilà pourquoi les prophètes sont si peu nombreux, aujourd’hui encore…

Il n’en restera pas pierre sur pierre dans Communauté spirituelle jesus_donkeyJésus avait pleuré sur Jérusalem, pressentant que son aveuglement spirituel lui serait fatal :

« Quand il approcha de la ville et qu’il l’aperçut, il pleura sur elle. Il disait:  » Si toi aussi tu avais su, en ce jour, comment trouver la paix…! Mais hélas ! Cela a été caché à tes yeux ! Oui, pour toi des jours vont venir où tes ennemis établiront contre toi des ouvrages de siège; ils t’encercleront et te serreront de toutes parts; ils t’écraseront, toi et tes enfants au milieu de toi; et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le temps où tu as été visitée. » (Lc 9, 41-44)

Rappelez-vous : le même avertissement avait été lancé au roi David. Pour prouver son attachement à YHWH et manifester à tous la gloire de son règne, David veut construire un Temple à Jérusalem. Le prophète Samuel le tance vertement : « comment oses-tu prétendre faire quelque chose pour Dieu sans lui demander ? Peux-tu l’enfermer dans une salle de pierre ? Es-tu conscient de l’orgueil et de la démesure de ce projet ? » YHWH renverse alors la perspective : « c’est moi qui te bâtirai une maison, ta dynastie royale, à travers ta descendance. Pour te le prouver, je t’annonce que c’est ton fils Salomon qui va me bâtir un Temple à ma demande, et non toi de ton propre gré (cf. 2S 7). Le rêve de grandeur du roi David s’évanouit : il apprend par cette ‘destruction’ symbolique que le salut est à accueillir et non à bâtir.

800px-Heures_d%27Henri_II_fol73v destruction dans Communauté spirituelleUne autre figure biblique du « il n’en restera pas pierre sur pierre » est Job bien sûr. Rappelez-vous son histoire, l’histoire du malheur innocent qui est de toutes les époques, pays ou religions. Job était heureux, comblé par une famille très nombreuse, des dizaines de serviteurs, des troupeaux innombrables. Le Satan veut insinuer en Dieu le doute sur les motivations de cet homme pieux et intègre : est-ce pour rien (gratuitement) que Job craint Dieu ? Alors, pour éprouver ce pour rien, Satan demande à Dieu d’autoriser que le malheur s’abatte sur la maisonnée de Job, puis sur Job lui-même.

« Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? Ne l’as-tu pas protégé d’un enclos, lui, sa maison et tout ce qu’il possède ? Tu as béni ses entreprises, et ses troupeaux pullulent dans le pays. Mais veuille étendre ta main et touche à tout ce qu’il possède. Je parie qu’il te maudira en face ! »  (Jb 1,9-11)

D’un seul coup, Job perd tout : ses dix enfants, ses serviteurs, ses troupeaux, toutes ses richesses. Puis il perd lui-même la santé : il est couvert d’ulcères, et l’on comprend bien en français que Job est ulcéré de ce qui lui arrive. C’est trop injuste ! Pourtant, Job ne renie pas sa foi : sans plus aucune contrepartie, il continue à faire confiance à Dieu.

« Sorti nu du ventre de ma mère, nu j’y retournerai. Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté : que le nom du Seigneur soit béni ! »  (Jb 1,21)

Il ne reste plus pierre sur pierre de tout ce qu’il avait amassé durant sa vie entière, et pourtant il ne renie pas Dieu. Simplement, il se demande : pourquoi ? Avec une lancinante exigence, il écarte toute les théories culpabilisantes de ses amis et garde vivante la question : pourquoi ?

C’est donc que les destructions qui jalonnent notre itinéraire personnel pourraient bien avoir un autre sens que la catastrophe de l’instant. Devant un Temple qui est détruit, l’enjeu n’est pas de se lamenter, mais de se demander : pourquoi ? Ou plutôt : pour quoi, vers quoi ? Vers quoi cette catastrophe peut-elle me/nous mener ?

Quand tout est détruit, ne demandez pas pourquoi en regardant vers le passé, mais pour quoi en regardant devant : vers quoi peut mener cette destruction ?

M830106 exilIsraël a par deux fois connu une destruction semblable à celle que Jésus prophétise : lors de l’exil à Babylone (en 570 av. J.-C.), et lors de la Shoah (= ‘catastrophe’ en hébreu) de 39-45. Car le Temple de Jérusalem a déjà été détruit en -587, lors de la prise de la ville par Nabuchodonosor roi de Babylone. Il s’en est suivi une déportation à Babylone, dont le roi d’Israël, Sédécias, devint le premier déporté, les yeux crevés par le vainqueur. Israël n’avait plus ni Temple, ni terre, roi, ni prophète : il aurait dû disparaître, rayé de la carte pour toujours. Cette destruction apparemment totale a pourtant débouché de façon inattendue sur le retour du peuple et une restauration religieuse plus fidèle à la loi de Moïse. Toujours la question du pour-quoi : à quoi peut mener cet écroulement complet ? Plutôt que de perdre son énergie à faire des théories sur l’inexplicable (d’où vient le malheur innocent ?), mieux vaut se concentrer sur ce qui peut advenir à partir de cette tabula rasa.

Ainsi a fait Israël après sa dispersion en 70 lors de la victoire romaine : pendant des siècles la diaspora juive a maintenu vivante traditions et coutumes, espérant contre toute espérance : « l’an prochain Jérusalem ! »

Ainsi a fait Israël après la deuxième grande déportation de son histoire, la Shoah nazie. Impossible d’expliquer ou de comprendre en fin de compte pourquoi six millions de juifs ont été exterminés dans les camps. Mieux vaut transformer cette catastrophe en moteur pour autre chose : la création de l’État d’Israël en 1948, la vigilance absolue sur l’antisémitisme en Europe etc.

Cliquez pour afficher lDans notre existence personnelle également, il y a des moments où il nous semble qu’il ne subsiste plus rien, pas pierre sur pierre, de tout ce que nous avions construit auparavant. Vous l’avez peut-être déjà expérimenté au moment d’un divorce, d’un diagnostic d’une maladie incurable, d’un handicap qui change tout, d’un licenciement qui vient tout remettre en question… Le témoignage de Martin Gray dans les années 70, garde toute sa force. Par deux fois il a perdu sa femme et ses enfants : dans le ghetto de Varsovie d’abord, puis dans un incendie dans le sud de la France où il avait refait sa vie. À chaque fois, effondré, il s’est demandé où tout cela le conduisait. Et il a reconstruit, « au nom de tous les miens » (Ed. Robert Laffont, 1971). On entend là comme un écho du poème de Rudyard Kipling invitant son fils à affronter les destructions futures qui jalonneront son existence (poème de 1909) :

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ; […]
Tu seras un homme, mon fils.

Repartir de rien demande un courage surhumain. Certains, anéantis après avoir tout perdu, sombrent dans la dépression, fuient dans l’alcool ou la drogue, ou deviennent des fauves par haine de la société. Qui pourrait les juger, tant l’épreuve est destructrice ?

D’autres reçoivent mystérieusement le courage de se relever, et transforment le malheur qui leur est arrivé en source de compassion pour les autres, d’entraide avec ceux à qui il arrive la même chose.

Bien des fois, il ne reste plus pierre sur pierre des beaux édifices que nous avions élevés. Au lieu de nous plaindre, de nous lamenter, de déprimer, entendons le Christ qui nous promet d’intervenir lui-même sur les ruines de notre orgueil passé :

« C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer. […] Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« Pour vous, le Soleil de justice se lèvera » (Ml 3, 19-20a)

Lecture du livre du prophète Malachie

Voici que vient le jour du Seigneur, brûlant comme la fournaise. Tous les arrogants, tous ceux qui commettent l’impiété, seront de la paille. Le jour qui vient les consumera, – dit le Seigneur de l’univers –, il ne leur laissera ni racine ni branche. Mais pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement.

PSAUME

(Ps 97 (98), 5-6, 7-8, 9)
R/ Il vient, le Seigneur,gouverner les peuples avec droiture. (cf. Ps 97, 9)

Jouez pour le Seigneur sur la cithare, sur la cithare et tous les instruments ;
au son de la trompette et du cor, acclamez votre roi, le Seigneur !

Que résonnent la mer et sa richesse, le monde et tous ses habitants ;
que les fleuves battent des mains, que les montagnes chantent leur joie.

Acclamez le Seigneur, car il vient pour gouverner la terre,
pour gouverner le monde avec justice et les peuples avec droiture !

DEUXIÈME LECTURE
« Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2 Th 3, 7-12)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens

Frères, vous savez bien, vous, ce qu’il faut faire pour nous imiter. Nous n’avons pas vécu parmi vous de façon désordonnée ; et le pain que nous avons mangé, nous ne l’avons pas reçu gratuitement. Au contraire, dans la peine et la fatigue, nuit et jour, nous avons travaillé pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous. Bien sûr, nous avons le droit d’être à charge, mais nous avons voulu être pour vous un modèle à imiter. Et quand nous étions chez vous, nous vous donnions cet ordre : si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. Or, nous apprenons que certains d’entre vous mènent une vie déréglée, affairés sans rien faire. À ceux-là, nous adressons dans le Seigneur Jésus Christ cet ordre et cet appel : qu’ils travaillent dans le calme pour manger le pain qu’ils auront gagné.

 

ÉVANGILE

« C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie » (Lc 21, 5-19)
Alléluia. Alléluia.Redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche. Alléluia. (Lc 21, 28)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

 En ce temps-là, comme certains disciples de Jésus parlaient du Temple, des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient, Jésus leur déclara : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » Ils lui demandèrent : « Maître, quand cela arrivera-t-il ? Et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? » Jésus répondit : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : ‘C’est moi’, ou encore : ‘Le moment est tout proche.’ Ne marchez pas derrière eux ! Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne soyez pas terrifiés : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin. » Alors Jésus ajouta : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des épidémies ; des phénomènes effrayants surviendront, et de grands signes venus du ciel.
Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom. Cela vous amènera à rendre témoignage. Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer. Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »
Patrick BRAUD

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22 octobre 2018

Comme l’oued au désert

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Comme l’oued au désert


Homélie pour le 30° dimanche du temps ordinaire / Année B
28/09/2018

Cf. également :

Les larmes du changement
Bartimée et Jésus : les deux fois deux fils


L’oued comme surprise

Si vous avez eu la chance un jour de parcourir le désert du Sahara au sud de la Tunisie, de l’Algérie ou du Maroc, ou au nord du Niger, vous avez certainement vu ces tranchées de terre au milieu des rochers. La plupart du temps elles sont sèches et craquelées par plus de 50° en plein soleil. Mais vienne la pluie, une de ces pluies soudaines et torrentielles que les rares orages sahariens déversent à gros bouillons (1 mm d’eau par minute !), et ces saignées rouges latérite ou jaune sable deviendront très vite boueuses, puis ruisselantes, et finalement un flot irrésistible balaiera tout sur son passage à la fin de l’orage.
Le boyau éventré qui se change en fleuve, c’est l’oued du désert, phénomène climatologique bien connu des populations sahéliennes. De nombreux villages furent emportés un jour par ces flots jaillis de nulle part, à qui nulle construction ne résiste. Difficile de deviner cette puissance et cette rapidité lorsque l’on découvre le sillon d’un oued incrusté au détour des cailloux du désert !

Comme l’oued au désert dans Communauté spirituelle Maroc._Oued_Tensif

C’est cette image de l’oued au désert que choisit le psalmiste pour évoquer le retour de captivité des déportés juifs (vers 536 avant Jésus-Christ) :

« Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
nous étions comme en rêve !
Alors notre bouche était pleine de rires,
nous poussions des cris de joie.

Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
nous étions en grande fête !

Ramène, Seigneur, nos captifs,
comme les torrents au désert. »
Psaume 125 (126)

220px-The_captivity_of_Judah exil dans Communauté spirituelleLa destruction de Jérusalem, de son Temple, de son roi (Sédécias, emmené les yeux crevés en captivité à Babylone), avait été une catastrophe à laquelle seule la Shoah peut être comparée. Apparemment c’était la fin. Personne ne devait plus entendre parler d’Israël dans l’histoire humaine. Pourtant, 50 ans après, de façon totalement imprévue, se lève un nouveau roi qui autorise les déportés à rentrer chez eux. Mieux encore, Cyrus leur accorde la liberté de culte et les aide à rebâtir leur Temple. Ils n’en reviennent pas de revenir vivre chez eux, les captifs qu’on croyait perdus, desséchés à jamais ! Et voilà qu’à longues caravanes ils affluent vers Jérusalem ! Ce spectacle a tellement impressionné les témoins de ce retour en fanfare qu’ils ont naturellement fait la comparaison avec les flots soudains et puissants qui remplissent les oueds du désert après l’orage.

La relecture que fait le psalmiste de l’Exil à Babylone peut inspirer nos propres relectures de nos exils d’aujourd’hui.

Que faire lorsqu’une catastrophe s’est abattue sur notre existence ? Comment tenir bon alors que l’anéantissement de nos espoirs les plus chers semble sans remède ? La mort d’un proche, la perte d’un emploi, une maladie grave qui s’annonce, une calomnie destructrice… : l’exil peut prendre bien des formes. Votre temple en ruine est peut-être votre couple, vos relations avec tel enfant, votre réputation, vos ressources financières… Le psalmiste ne fait pas l’éloge de ces catastrophes. Il constate simplement que Dieu peut en faire sortir autre chose. Dieu est capable de faire se lever à nouveau un peuple qu’on croyait effacé de l’histoire. « Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham à partir des pierres que voici », dira même Jésus (Lc 3,8).

retour.gifLe psalmiste chante l’événement surprenant qui inverse la malédiction. Il célèbre la seconde chance donnée à son peuple. Le drame n’est pas nié. Il est intégré à une séquence beaucoup plus longue où la catastrophe devient opportunité, où la destruction devient créatrice, où le retour sera mémoire de l’Exil afin de conjurer sa répétition. Le livre de l’Exode faisait déjà cette relecture de la famine qui a poussé les fils de Jacob à fuir de Canaan autrefois : l’exil en Égypte puis l’esclavage pendant des siècles ont finalement produit l’Exode. Et les hébreux sont revenus d’Égypte plus nombreux et plus forts, comme les oueds chevauchant le désert pour aller vers le fleuve. Aujourd’hui, les juifs doivent relire douloureusement la Shoah à la lumière de cette expérience : il n’est nulle catastrophe qui ne puisse se transformer en occasion de progrès. La création de l’État d’Israël en 1948 se superpose ainsi au retour d’Égypte, au retour de Babylone…

C’est donc que les pires événements semblant déstabiliser nos vies, voire les écrouler, ne sont pas le dernier mot de Dieu envers nous. Dès que quelque chose nous blesse, une puissance de germination est à l’œuvre en même temps en nous pour en faire pousser des fruits en abondance : maturité, sensibilité au malheur des autres, humilité, discernement de l’essentiel… Martin Gray a perdu deux fois la famille qu’il venait de construire ou de reconstruire, mais son amour de la vie s’est décuplé, et son témoignage aide toujours ceux qui passent par de telles épreuves.

Nous avons cette espérance chevillée au corps depuis que Jésus de Nazareth a été fixé au bois de la croix. Puisque cette fin infâme a débouché sur la résurrection, comment désespérer que nos drames les plus terribles soient eux aussi métamorphosés en vie nouvelle ?

 

Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie

D’où le champ du psalmiste :

« Qui sème dans les larmes
moissonne dans la joie.

Il s’en va, il s’en va en pleurant,
il jette la semence ;
il s’en vient, il s’en vient dans la joie,
il rapporte les gerbes. »

Larmes joieSemer n’est pas moissonner. Et bien souvent le moissonneur ne sera pas le semeur, mais une autre génération ou un autre peuple. Reste que l’œuvre de création se fait souvent dans les larmes, et cela ne doit pas nous surprendre ni nous décourager. Bien des martyrs ont donné leur vie sans voir le fruit de leur témoignage. Mais leur sang est devenu une semence de chrétiens (Tertullien) et leur sacrifice a fondé l’Église sur des bases solides.
Tout au long de nos années, il y a un temps pour semer, et un temps pour moissonner. Un temps pour pleurer, et un temps pour se réjouir. Ce n’est pas une question d’âge : Abraham et Sarah étaient tout étonnés que Dieu veuille semer à travers eux alors qu’ils étaient si âgés. Et le jeune David a triomphé de Goliath, moissonnant ainsi la liberté de son peuple, avant de semer les fondements d’une royauté juste et bonne, douloureusement acquise en dépassant ses propres infidélités.

« Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie » : c’est devenu un proverbe dans notre langue. Et la sagesse populaire sait bien que la persévérance dans les temps difficiles est le gage du renouveau après. Dieu est capable de faire surgir des torrents dans les oueds desséchés de notre parcours humain et spirituel.

Alors, quel que soit l’exil qui vous taraude, guettez le nuage à l’horizon, aujourd’hui pas plus gros que le poing (cf. Élie guettant la pluie : 1R 18,44), mais demain déferlant en pluie salvatrice. Ne baissez pas les bras, car l’inversion du malheur est proche.

Et si tout va bien pour vous, réjouissez-vous d’être dans cette période de moisson que promet le psalmiste. Engrangez votre bonheur pour demain : faites-en provision dans le grenier de votre mémoire, comme Joseph a entassé le blé dans les greniers d’Égypte pendant les sept années de vaches grasses (cf. Gn 41). Lorsque viendra le temps des vaches maigres, vous ne serez pas pris au dépourvu…

« Ramène, Seigneur, nos captifs, comme les oueds au désert. »

Ravive, Seigneur, notre espérance : que nous guettions les événements imprévus capables de nous ramener vers toi, plus sûrement que le fleuve à la mer…

 

Lectures de la messe

Première lecture
« L’aveugle et le boiteux, je les fais revenir » (Jr 31, 7-9)

Lecture du livre du prophète Jérémie

Ainsi parle le Seigneur : Poussez des cris de joie pour Jacob, acclamez la première des nations ! Faites résonner vos louanges et criez tous : « Seigneur, sauve ton peuple, le reste d’Israël ! » Voici que je les fais revenir du pays du nord, que je les rassemble des confins de la terre ; parmi eux, tous ensemble, l’aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée : c’est une grande assemblée qui revient. Ils avancent dans les pleurs et les supplications, je les mène, je les conduis vers les cours d’eau par un droit chemin où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israël, Éphraïm est mon fils aîné.

Psaume
(Ps 125 (126), 1-2ab, 2cd-3, 4-5, 6)
R/ Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête !
(Ps 125, 3)

Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion,
nous étions comme en rêve !
Alors notre bouche était pleine de rires,
nous poussions des cris de joie.

Alors on disait parmi les nations :
« Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous :
nous étions en grande fête !

Ramène, Seigneur, nos captifs,
comme les torrents au désert.
Qui sème dans les larmes
moissonne dans la joie.

Il s’en va, il s’en va en pleurant,
il jette la semence ;
il s’en vient, il s’en vient dans la joie,
il rapporte les gerbes.

Deuxième lecture
« Tu es prêtre de l’ordre de Melkisédek pour l’éternité » (He 5, 1-6)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Tout grand prêtre est pris parmi les hommes ; il est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu ; il doit offrir des dons et des sacrifices pour les péchés. Il est capable de compréhension envers ceux qui commettent des fautes par ignorance ou par égarement, car il est, lui aussi, rempli de faiblesse ; et, à cause de cette faiblesse, il doit offrir des sacrifices pour ses propres péchés comme pour ceux du peuple. On ne s’attribue pas cet honneur à soi-même, on est appelé par Dieu, comme Aaron.
Il en est bien ainsi pour le Christ : il ne s’est pas donné à lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a reçue de Dieu, qui lui a dit : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré, car il lui dit aussi dans un autre psaume : Tu es prêtre de l’ordre de Melkisédek pour l’éternité.

Évangile
« Rabbouni, que je retrouve la vue » (Mc 10, 46b-52) Alléluia. Alléluia.

Notre Sauveur, le Christ Jésus, a détruit la mort, il a fait resplendir la vie par l’Évangile. Alléluia. (2 Tm 1, 10)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, le fils de Timée, Bartimée, un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin. Quand il entendit que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! » Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! » Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. » L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt l’homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin.
Patrick BRAUD

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5 mars 2018

À chacun son Cyrus !

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

À chacun son Cyrus !


Homélie pour le 4° Dimanche de Carême / Année B
11/03/2018

Cf. également :

Démêler le fil du pêcheur
L’identité narrative : relire son histoire
Jésus et les « happy few » : une autre mondialisation est possible

Y a-t-il un étranger qui vous a un jour sorti d’un mauvais pas ? Une personne inconnue grâce à qui tout a changé pour vous ? Un adversaire d’autrefois est-il finalement devenu un de vos alliés ?

Si oui, vous savez d’expérience ce que raconte l’histoire du retour de l’Exil à Babylone telle que le chroniqueur de notre première lecture la raconte (2Ch 36).

Captifs juifs en exil vers Babylone

Le livre des Chroniques - le bien nommé - met par écrit la relecture de l’histoire d’Israël que le peuple fait des années après les événements en jeu. La chronique des drames tels que la déportation à Babylone en -586 demande beaucoup de finesse. Qui est responsable d’un tel désastre comparable à la Shoah pour l’époque ? Pourquoi Dieu a-t-il laissé faire ? Comment sommes-nous miraculeusement revenus sur notre terre alors que notre peuple était apparemment rayé de la carte pour toujours ?
Le chroniqueur mobilise le sens religieux de ses lecteurs : c’est à cause de nos infidélités, parce que nous imitions les abominations païennes qu’il était juste finalement d’en subir les conséquences. Pourtant Dieu envoyait des prophètes pour avertir les rois, pour ouvrir les yeux du peuple avant qu’il ne soit trop tard. Mais ces prophètes, nous les avons rejetés, méprisés, éliminés, parce qu’ils remettaient en cause notre mode de vie païen.
Que d’erreurs !

Avouez que si nous pratiquions une telle relecture de nos histoires personnelles, il y aurait de quoi raconter…

سال ها دل طلب جام جم ازما می کرد!

Heureusement, la pointe du texte n’est pas le malheur mérité. Car un événement imprévisible va changer le cours des choses : un nouveau roi en perse, Cyrus, renverse l’infâme Nabuchodonosor et prend la ville de Babylone. Willy Brandt succède à Hitler, pour ainsi dire… Cyrus, qu’Isaïe ose appeler ‘Christ’ (‘Oint’) tant il paraît inspiré par l’Esprit de Dieu [1], inaugure une nouvelle politique : plus de déportations, mais chacun sur sa terre ; plus de conversions forcées aux idoles, mais chacun choisit son culte librement. Cyrus, ou l’intelligence politique de s’attacher les peuples vaincus en les respectant, eux et leurs coutumes, leurs temples, leur mode de vie. La pax romana prolongera cette intuition dans les colonies romaines, en faisant de l’empire romain la somme des particularités culturelles plutôt qu’une domination unique.

Difficile pour nous d’imaginer la joie des ex-déportés rentrant chez eux, retrouvant leur parenté restée au pays, reconstruisant le Temple symbole leur identité, goûtant à nouveau une relative liberté.
La « montée » des juifs de tous pays vers Jérusalem en 1948 après les camps nazis nous donne une idée de cette immense espérance (mais dans un contexte de guerre totalement différent). Cyrus s’appelait alors la Société des Nations, avec la résolution de Lord Balfour mettant fin au mandat britannique en Palestine.
On peut penser également à la joie des Allemands de l’Est lorsque, contre toute attente, le mur de Berlin a pu être démoli un beau matin de 1989 par quelques militants audacieux de la réunification allemande. Cyrus s’appelait alors Gorbatchev, et sa Glasnost – politique de « transparence » – a fini de dissiper l’illusion communiste soviétique. Elle aura duré 70 ans, comme l’Exil à Babylone…
Aux yeux des exilés, véritables réfugiés politiques réduits en esclavage, on comprend que le miracle Cyrus ait suscité une immense gratitude ! Le génie d’Israël est d’avoir apporté cette gratitude à Dieu et pas seulement à son Christ-Cyrus. Derrière la nouvelle politique perse, ils ont vu l’action du Maître de l’Univers, capable de conduire même les puissants de la Terre à mettre en œuvre sa justice.

 À chacun son Cyrus ! dans Communauté spirituelle Lapinbleu516C-Ps94_11Cette relecture croyante des événements vaut également pour nos histoires personnelles.
Peut-être n’avez-vous jamais connu d’exil intérieur, d’esclavage humiliant ? Peut-être n’avez-vous jamais perdu d’être cher, de maison de famille, de travail ou de liberté d’aller et venir ? Avec les années, il est rare de ne pas traverser de tels moments, plus ou moins douloureux. Qui vous a alors tendu une main secourable ? Qui a été pour vous une aide inestimable, que ce soit pour sortir du chômage, de la dépression, de la solitude ou toute autre forme d’exil social ou intérieur ? Comme Israël, vous avez sans doute fait l’expérience que ce n’est pas du premier cercle – celui de la famille, des coreligionnaires, des proches – qu’est venu le salut. C’est souvent par ricochets, par rebonds successifs, un peu comme au billard : des amis d’amis, des professionnels recommandés par un tiers, des inconnus venant d’horizons nouveaux, des personnes du troisième ou quatrième cercle.
Cyrus  était un roi étranger, pire : païen aux yeux des hébreux. Et pourtant, ils ont appris à reconnaître en lui un Christ, c’est-à-dire quelqu’un qui se laisse inspirer (même sans le savoir) par l’Esprit de Dieu.
Cette inspiration emprunte la voix de la conscience, ou la réflexion de la sagesse, ou le visage de l’humanisme…
Toujours est-il que c’est un étranger païen qui a sauvé Israël de l’Exil.

Et si nous étions plus attentifs aux Cyrus de qui peut venir notre propre salut ?

En entreprise, c’est le collègue d’une autre division ou d’un autre service…
Pour nos difficultés de couple et de famille, c’est une session, une retraite, un thérapeute…
Pour nos traversées du désert intérieur, c’est une autre lecture, conférence ou pratique spirituelle.
Pour nos déprimes, c’est une invitation venue d’ailleurs, une sollicitation surprenante etc.

Apprenons à ouvrir les yeux sur les non-familiers qui peuvent changer le cours de notre existence.

Apprenons à entendre les décisions prises hors de notre univers et qui pourraient nous ouvrir de nouveaux possibles…

Mais vous, quels sont vos Cyrus d’hier et d’aujourd’hui ?

 


[1] . « Je dis de Cyrus : Il est mon berger, et il accomplira toute ma volonté ; Il dira de Jérusalem : Qu’elle soit rebâtie ! Et du Temple : Qu’il soit fondé ! Ainsi parle l’Éternel à son Christ (Oint), à Cyrus, qu’il tient par la main, pour terrasser les nations devant lui, et pour relâcher la ceinture des rois, pour lui ouvrir les portes, afin qu’elles ne soient plus fermées » (Is 44,28).

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
La colère et la miséricorde du Seigneur manifestées par l’exil et la délivrance du peuple (2 Ch 36, 14-16.19-23)

Lecture du deuxième livre des Chroniques

En ces jours-là, tous les chefs des prêtres et du peuple multipliaient les infidélités, en imitant toutes les abominations des nations païennes,et ils profanaient la Maison que le Seigneur avait consacrée à Jérusalem. Le Seigneur, le Dieu de leurs pères,sans attendre et sans se lasser,leur envoyait des messagers,car il avait pitié de son peuple et de sa Demeure.Mais eux tournaient en dérision les envoyés de Dieu,méprisaient ses paroles,et se moquaient de ses prophètes ;finalement, il n’y eut plus de remède à la fureur grandissante du Seigneur contre son peuple.Les Babyloniens brûlèrent la Maison de Dieu,détruisirent le rempart de Jérusalem,incendièrent tous ses palais,et réduisirent à rien tous leurs objets précieux. Nabucodonosor déporta à Babylone ceux qui avaient échappé au massacre ;ils devinrent les esclaves du roi et de ses filsjusqu’au temps de la domination des Perses.Ainsi s’accomplit la parole du Seigneur proclamée par Jérémie :La terre sera dévastée et elle se reposera durant 70 ans, jusqu’à ce qu’elle ait compensé par ce repos tous les sabbats profanés.
Or, la première année du règne de Cyrus, roi de Perse, pour que soit accomplie la parole du Seigneur proclamée par Jérémie,le Seigneur inspira Cyrus, roi de Perse.Et celui-ci fit publier dans tout son royaumeet même consigner par écrit – : « Ainsi parle Cyrus, roi de Perse :Le Seigneur, le Dieu du ciel,m’a donné tous les royaumes de la terre ;et il m’a chargé de lui bâtir une maison à Jérusalem, en Juda. Quiconque parmi vous fait partie de son peuple,que le Seigneur son Dieu soit avec lui,et qu’il monte à Jérusalem ! »

PSAUME (136 (137), 1-2, 3, 4-5, 6)
R/ Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir ! (cf. 136, 6a)

Au bord des fleuves de Babylone
nous étions assis et nous pleurions,nous souvenant de Sion ;
aux saules des alentours
nous avions pendu nos harpes.

C’est là que nos vainqueurs
nous demandèrent des chansons,
et nos bourreaux, des airs joyeux :
« Chantez-nous, disaient-ils,quelque chant de Sion. »

Comment chanterions-nous un chant du Seigneur sur une terre étrangère ?
Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite m’oublie !
Je veux que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir,
si je n’élève Jérusalem au sommet de ma joie.

DEUXIÈME LECTURE
« Morts par suite des fautes, c’est bien par grâce que vous êtes sauvés » (Ep 2, 4-10)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Frères,Dieu est riche en miséricorde ;à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ :c’est bien par grâce que vous êtes sauvés. Avec lui, il nous a ressuscités et il nous a fait siéger aux cieux,dans le Christ Jésus. Il a voulu ainsi montrer, au long des âges futurs, la richesse surabondante de sa grâce,par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus. C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi.Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas des actes : personne ne peut en tirer orgueil. C’est Dieu qui nous a faits, il nous a créés dans le Christ Jésus, en vue de la réalisation d’œuvres bonnes qu’il a préparées d’avance pour que nous les pratiquions.

ÉVANGILE
« Dieu a envoyé son Fils pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 14-21)
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus !
Dieu a tellement aimé le mondequ’il a donné son Fils unique, afin que ceux qui croient en lui aient la vie éternelle.
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (Jn 3, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème :« De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas,mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde,non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement, celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière,de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »
Patrick BRAUD

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