L'homélie du dimanche (prochain)

4 juillet 2021

Obligation de moyens, pas de résultat

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Obligation de moyens, pas de résultat

Homélie pour le 15° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
11/07/2021

Cf. également :

Deux par deux, sans rien pour la route
Le polythéisme des valeurs
Plus on possède, moins on est libre
Secouez la poussière de vos pieds
Medium is message
Briefer et débriefer à la manière du Christ

Obligation de moyens, pas de résultat dans Communauté spirituelle

Amer constat

Mai 2021. Juste après la levée de l’interdiction des 10 kms, nous nous retrouvons avec trois couples amis pour goûter la liberté retrouvée. Bien sûr, les nouvelles des enfants et petits-enfants sont au menu de nos conversations. Au fil des échanges, un constat s’impose à eux : ‘nous qui sommes cathos, convaincus et engagés, nous avons transmis à nos enfants ce patrimoine spirituel et ecclésial. Mais très peu l’ont repris à leur compte, excepté les valeurs chrétiennes qu’ils ont adoptées et pour lesquelles ils nous sont reconnaissants. À la génération en dessous, qu’en sera-t-il ? Car sur les 14 petits-enfants que nous cumulons (à 3 couples) aucun n’est baptisé’…

Il y avait une pointe de déception dans ce froid constat, et également beaucoup d’interrogations : ‘qu’aurions-nous raté ? qu’est-ce qui relève de notre responsabilité ? la foi ne se transmet-elle donc pas ? sommes-nous désavoués par le désintérêt pratique de nos enfants envers l’Église ?’… Malgré des dynasties de familles intelligemment ancrées dans la foi chrétienne depuis des lustres, il a suffi de deux générations pour rompre le fil, pour que le relais semble perdu, pour longtemps.

Or ce sentiment d’échec dans la transmission de la foi est plutôt bon signe ! C’est justement qu’il n’y a rien d’automatique ni d’héréditaire dans l’identité chrétienne. Nous avons pu croire à une époque qu’il y avait des pays catholiques comme il y avait des pays hindous ou musulmans. Et voilà que la liberté rebat les cartes et distribue sans cesse de nouvelles donnes à travers les siècles. Être juif est une question quasi génétique où il suffit d’être de mère juive. Être musulman est théoriquement lié à la simple récitation de la confession de foi centrale appelée Shahada (« J’atteste qu’il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu et j’atteste que Mahomet est le Messager de Dieu »), mais en réalité l’appartenance musulmane s’est transmise par les conquêtes militaires, et ensuite par l’obligation d’être un sujet légal de l’État musulman. Nous redécouvrons en France que l’identité supposée catholique de nos concitoyens n’est en réalité que le résultat de leur libre choix. Pourquoi s’en désoler ?

L’échec de l’évangélisation fait partie intégrante de celle-ci, sinon elle dégénère en conversion forcée. Dès le début de sa mission, Jésus en fait la douloureuse expérience. Il revient à Nazareth, son village d’origine, et là il est surpris et navré de constater le manque de foi de ses amis d’enfance : « Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Et il s’étonna de leur manque de foi » (Mc 6, 5 6). Ce non-accueil est si fort qu’il oblige Jésus à s’installer ailleurs que chez lui, à Capharnaüm, ce croisement de routes, de flux de populations cosmopolites davantage prêt à l’accueillir que sa bourgade natale. Alors, quand il envoie ses disciples en mission deux par deux pour la première fois (Mc 6,7-13), Jésus ne se fait pas d’illusions : on refusera parfois de les accueillir. On leur fermera poliment la porte au nez ; on les chassera à coups de pierres ; on leur manifestera une indifférence dédaigneuse. La possibilité de l’échec fait partie de la mission. À tel point que Jésus leur demandera d’en tirer toutes les conséquences, en ne perdant pas leur temps ni l’énergie là où les cœurs ne sont pas prêts : « Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage ».

 

Les deux obligations

ob_91f4e4_oblllllllllllllllll conversion dans Communauté spirituelleOn dirait aujourd’hui que Jésus leur demande une obligation de moyens, et non une obligation de résultat. La distinction appartient au droit français, mais elle est facile à comprendre. L’obligation de moyens engage à explorer et utiliser tous les chemins possibles, dans les règles de l’art, pour atteindre le résultat souhaité. Mais celui qui signe le contrat ne garantit pas que le résultat soit obtenu, car tout ne dépend pas de lui. Ainsi, le chirurgien s’engage à pratiquer sur vous une opération dans les règles de l’art, avec tout l’arsenal hospitalier requis ; mais il ne peut vous garantir le succès d’une greffe, d’une ablation de tumeur etc. car la guérison ne dépend pas que de lui. Alors qu’un installateur de chaudière a l’obligation de vous fournir un appareil en état de marche, et il ne sera payé (sauf cas de force majeure) que si en appuyant sur le bouton vous avez bien l’eau chaude enfin disponible ! Autrement dit, l’obligation de résultat oblige le prestataire à parvenir à un résultat précis prévu dans le contrat.

Vous l’avez compris : la mission selon Jésus relève d’une obligation de moyens, pas de résultat. Les moyens eux doivent être évangéliques : « seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture ». Utiliser d’autres moyens ne serait pas fidèle à l’Esprit du Christ, même si cela semble sur le moment couronné de succès (conversions nombreuses, mais superficielles). Utiliser des moyens contraires est pire encore : déverser de l’argent, du pain sur des populations pauvres pour les attirer à l’Église, mettre des habits somptueux pour impressionner et forcer le respect, entasser des richesses dans le sac de l’Église (patrimoine immobilier, financier, artistique…). Si l’on prenait au sérieux l’envoi des Douze (comme celui des 72 en Lc 10, 1-24), on devrait considérablement simplifier la vie matérielle de nos Églises, simplifier la pastorale pour la ramener elle aussi à l’essentiel : annoncer, guérir, demeurer (hospitalité)…

Le déclin numérique – réellement impressionnant – de l’Église catholique en France la forcera peut-être à redécouvrir cette pauvreté missionnaire : vendre des bâtiments au lieu de les accumuler, manquer d’argent au lieu de s’en servir comme moyen d’influence, simplifier sa liturgie, ses vêtements, sa pastorale au lieu de se perdre dans des querelles de dentelles…

 

Le carré magique de l’évangélisation

Quand on croise les deux obligations de moyens et de résultat, on obtient un de ces ‘carrés magiques’ dont raffolent les entreprises pour diagnostiquer leur place d’acteur d’un marché et positionner leur stratégie en réponse.

Le carré magique de l'évangélisation (obligation de moyens / résultat)– Le quadrant en bas à gauche est le pire quadrant, celui des mercenaires (Jn 10, 10-20) qui font tout échouer en ne respectant pas la nature évangélique des moyens à mettre en œuvre dans la mission. Ils ne songent en fait qu’à leur gloire, leur intérêt, leur trajectoire individuelle. Dès qu’il y a un danger (des ‘loups’), il s’enfuit en abandonnant les communautés (les ‘brebis’) à leur sort. Dans l’histoire de l’évangélisation, bien des militaires (de Cortés à Bugeaud par exemple) qui ont voulu imposer leur religion par la force ont finalement engendré un rejet proportionnel à la violence employée. Dans bien des écoles catholiques, les moyens utilisés sont de réels contre-témoignages flagrants (cf. la récente affaire de sévices sur des enfants d’institutions catholiques dans le diocèse de Cologne en Allemagne). Dans bien des familles cathos, l’imposition dès l’enfance d’une tradition religieuse corsetée et étroite d’esprit ne fait que générer plus tard des adultes sceptiques, athées, anticléricaux.

– Le quadrant en haut à droite est évidemment l’exact contraire de la caricature précédente. Ici la mission chrétienne est pratiquée selon l’Esprit de l’Évangile (simplicité, pauvreté, service, désintéressement) et porte du fruit au centuple. La figure en est sans doute François d’Assise et l’ordre des franciscains avec lui. Riche héritier d’un marchand drapier italien du XIII° siècle, François a su se débarrasser des richesses qui l’alourdissaient, jusqu’à se dévêtir devant tous pour en exprimer l’abandon. Il n’avait sur lui ni sac, ni argent, ni vêtements somptueux, mais il parcourait les routes d’Italie – puis les franciscains de l’Europe – en prêchant le retour à l’Évangile, allégé du surpoids que l’Église médiévale avait accumulé pendant des siècles (puissance temporelle, influence politique, trésors, bâtiments, fortunes, pouvoir de coercition…).

- Entre ces deux extrêmes se situe la zone grise du quadrant en haut à gauche : les missionnaires utilisent des moyens non évangéliques, et pourtant ils obtiennent des résultats réels. Ainsi la colonisation occidentale en Afrique noire ; ou la paix constantinienne établissant un empire romain soi-disant chrétien ; ou le baptême de Clovis impliquant celui de tous les Francs ; ou certaines missions protestantes américaines convertissant à coup de dollars etc. Dans ces situations, la graine semée lève et porte du fruit, alors que pourtant l’humus sur lequel elle grandit est pollué par des pratiques antiévangéliques. C’est que l’Esprit a la liberté de faire pousser le bon grain au milieu de l’ivraie ! Contrairement au proverbe que citait Jésus, un mauvais arbre peut porter de bons fruits… Nous connaissons tous des familles à l’éducation religieuse catastrophique, mais où certains enfants arrivent cependant à en filtrer le meilleur, à remonter à la source pour devenir des chrétiens remarquables [1]. « Dieu écrit droit avec des lignes courbes » (Paul Claudel).

– Le dernier quadrant, en bas à droite, est celui de l’échec annoncé aux Douze. Malgré tous les moyens évangéliques utilisés (pauvreté, simplicité, service…), malgré la grande qualité spirituelle des témoins du Christ à l’œuvre, la mission échoue. C’est la liberté des peuples de se détourner de l’Évangile du Christ. C’est la liberté des individus de dire oui ou non, d’accepter ou non de se convertir. Ainsi Matteo Ricci et les jésuites en Chine. Peu aidés il est vrai par la rigidité de Rome sur la question des rites chinois, l’évangélisation brillante, intelligente et fidèle à Mc 6 ne pourra pas convaincre les Chinois. De même en Inde d’ailleurs avec St Thomas et ses successeurs. Ou bien Charles de Foucauld en terre musulmane. Ou bien mes couples d’amis cathos avec leurs enfants et petits-enfants. Comme le disait Bernadette Soubirous avec bon sens : « je suis chargé de vous le dire, pas de vous le faire croire ».
La foi ne se transmet pas, elle ne s’impose pas : elle se propose [2], s’exposant par là-même au refus. Celui qui n’a jamais rencontré d’échec n’a jamais évangélisé en vérité…

 

Dans quel quadrant êtes-vous ? Quel a déjà été votre parcours dans ce carré magique, en tant qu’acteur de l’évangélisation, en tant que destinataire également ? Quels visages, quelles pratiques vous concernant pourriez-vous mettre dans chacun de ces quadrants ?

 


[1]. St Augustin notait avec finesse que même les mercenaires pouvaient obtenir de bons résultats. « Remarquez-le cependant : les mercenaires sont indispensables. Il en est beaucoup dans l’Église pour travailler à leur avantage temporel ; néanmoins, ils prêchent le Christ, et, par leur intermédiaire, sa parole se fait entendre, et les brebis suivent, non pas le mercenaire, mais la voix du pasteur qui leur arrive par la bouche du mercenaire » (Augustin, Traité sur l’évangile de Jean n° 46).

[2]. Cf. Conférence des Évêques de France, Proposer la foi dans la société actuelle, Lettre aux catholiques de France, 1996.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Va, tu seras prophète pour mon peuple » (Am 7, 12-15)

Lecture du livre du prophète Amos

En ces jours-là, Amazias, prêtre de Béthel, dit au prophète Amos : « Toi, le voyant, va-t’en d’ici, fuis au pays de Juda ; c’est là-bas que tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète. Mais ici, à Béthel, arrête de prophétiser ; car c’est un sanctuaire royal, un temple du royaume. » Amos répondit à Amazias : « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ; j’étais bouvier, et je soignais les sycomores. Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau, et c’est lui qui m’a dit : ‘Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël.’ » – Parole du Seigneur.

PSAUME
(Ps 84 (85), 9ab.10, 11-12, 13-14)
R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. (Ps 84, 8)

J’écoute : que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pas traceront le chemin.

DEUXIÈME LECTURE
« Il nous a choisis dans le Christ avant la fondation du monde » (Ep 1,3-14)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ.  Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour.  Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ.
Ainsi l’a voulu sa bonté, à la louange de gloire de sa grâce, la grâce qu’il nous donne dans le Fils bien-aimé. En lui, par son sang, nous avons la rédemption, le pardon de nos fautes. C’est la richesse de la grâce que Dieu a fait déborder jusqu’à nous en toute sagesse et intelligence. Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté, selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ : pour mener les temps à leur plénitude, récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre. En lui, nous sommes devenus le domaine particulier de Dieu, nous y avons été prédestinés selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé : il a voulu que nous vivions à la louange de sa gloire, nous qui avons d’avance espéré dans le Christ.  En lui, vous aussi, après avoir écouté la parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et après y avoir cru, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit promis par Dieu est une première avance sur notre héritage, en vue de la rédemption que nous obtiendrons, à la louange de sa gloire.

ÉVANGILE
« Il commença à les envoyer » (Mc 6,7-13)
Alléluia. Alléluia.Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur, pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. Alléluia. (cf. Ep 1, 17-18)

Evangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs, et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture. « Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. » Il leur disait encore : « Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison, restez-y jusqu’à votre départ. Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. » Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils expulsaient beaucoup de démons, faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.
.Patrick Braud

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7 février 2021

Quand parler ? Quand se taire ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Quand parler ? Quand se taire ?

Homélie pour le 6° dimanche du Temps Ordinaire / Année B
14/02/2021

Cf. également :

Fréquenter les infréquentables
Quelle lèpre vous ronge ?
Pour en finir avec les lèpres
Carême : quand le secret humanise
Ce n’est pas le savoir qui sauve

Confier un secret

Bande-annonce Tu peux garder un secret ?« Est-ce que tu sais garder un secret ? »
L’enfant qui dans la cour de récréation a besoin de raconter quelque chose d’important, d’intime, veut d’abord s’assurer qu’il peut faire confiance à l’oreille amie qui va l’entendre. Qui n’a pas eu envie en grandissant de se confier, de parler de choses importantes, à condition qu’elles ne soient pas divulguées à tout le monde ? À tout âge, confier un secret à quelqu’un est une marque de maturité humaine et spirituelle : à un confesseur, à un ami véritable, au contraire à des inconnus parce qu’on ne se reverra plus après. Il y a ainsi des groupes d’échanges éphémères où chacun peut être vrai parce que chacun reprendra sa vie indépendamment des autres après. Ceux qui ne déposent jamais leur fardeau – ou leur merveille ! – au pied d’un écoutant risquent fort de laisser le fardeau s’infecter et pourrir en eux, ou la merveille pâlir et s’estomper de ne pas la partager.

Confier un secret, c’est accepter de se présenter vulnérable devant quelqu’un, protégé  cependant par le fait que « ça reste entre nous ». Certes, il y a des secrets qui ne devraient pas en être, et les récentes affaires d’inceste ne l’ont hélas que trop rappelé. Il y a également des secrets de famille qui sont de véritables cadavres dans le placard, et qui empoisonnent l’atmosphère familiale tant qu’on n’ose pas les regarder en face et en parler avec tous.

Restent tous les secrets positifs qui nous ont aidés à devenir plus humains lorsque nous les avons partagés en toute confiance. C’est ici que confiance et confidence vont de pair. Lorsque la confidentialité est assurée, on peut dire des choses plus vraies, plus personnelles, plus intimes. Ainsi, sans le secret de la confession, quelles confidences  pourrait recueillir un prêtre qui les répéterait aussitôt à d’autres personnes ?

 

Le secret messianique

Quand parler ? Quand se taire ? dans Communauté spirituelle 41lsK-01cRL._SX302_BO1,204,203,200_L’évangile de ce dimanche (Mc 1, 40-45) montre Jésus expérimenter lui aussi ce besoin de se confier, en secret. En effet, en guérissant le lépreux, il sait qu’il lève un coin de voile sur son identité profonde. Purifier un lépreux de sa maladie était considérée par les juifs de l’époque comme un signe messianique (cf. Mt 10,8 ; 11,5) : seul l’Oint de Dieu (le Messie, le Christ) peut guérir les lépreux, au même titre que ressusciter les morts.

L’horreur inspirée par la dégradation du corps du lépreux était inversement proportionnelle à l’admiration de celui qui saurait délivrer ces malades ! Jésus sait donc fort bien le risque qu’il prend en guérissant ce lépreux : si le bruit s’en répand, il va avoir des ennuis, car on va le prendre pour le Messie. Et pour Jésus (dans l’évangile de Marc [1]) c’est trop tôt : un Messie faiseur de miracles et adulé pour cela serait à l’opposé du Messie humble et crucifié. Comment les foules pourraient-elles comprendre la Passion plus tard si on leur dit tout de suite que ce guérisseur-prophète est le Messie ? Aussi, dans la première partie de son Évangile (chapitres 1 à 8), Marc prend bien soin de noter que Jésus demande de garder le secret de son identité messianique jusqu’à la Transfiguration. Le risque est multiple : provoquer des mouvements de foule qui vont l’exposer à la répression romaine, générer une confusion entre Messie et distributeur magique de guérisons, empêcher sa mission d’aller à son terme en se contentant d’un succès qui flatte les intérêts immédiats, susciter un fol espoir d’un royaume de Dieu trop terrestre etc. Jésus voudrait rester maître du timing de sa mission. Seulement voilà, dès le début de sa vie publique, il est confronté à la détresse de tous ces malades qu’on porte vers lui en foules (Mc 1,32–34), et ici à la supplication du lépreux tombant à genoux devant lui (Mc 1,40). Le texte dit qu’il fut « pris de pitié », ce qui l’a incité à agir sans réfléchir, pour annuler l’exclusion dont était frappé cet homme en tant que lépreux. Mais juste après, le texte mentionne que Jésus s’est « irrité » contre lui. Pourquoi donc s’irriter après l’avoir guéri ? Parce que Jésus réalise alors que ce geste public va le mettre en danger en l’exposant à la curiosité romaine ; parce que si le bruit s’en répond les foules vont affluer et réclamer des miracles (cf. Mc 1,45), alors que Jésus veut avant tout annoncer un royaume de Dieu qui n’est pas de ce monde.

D’où le secret sur sa personne qu’il demande lépreux de garder, tout en l’appelant à se manifester purifié aux prêtres du Temple de Jérusalem pour être officiellement déclaré pur et réintégré dans la communauté humaine.

Le secret messianique est parcouru de cette tension interne : ne pas aller trop vite pour parler du Christ – sinon il y aura maldonne, confusion et déception – et pourtant témoigner publiquement que le salut est offert à chacun. Ce qui était une nécessité s’imposant à Jésus au sujet de son identité est devenu par la suite une pédagogie missionnaire : ne pas trop vite parler du Christ, mais témoigner en actes que du radicalement neuf est possible dans notre condition humaine d’aujourd’hui.

 

Garder le secret

415G46MOIEL._SX331_BO1,204,203,200_ évangile dans Communauté spirituelleCeci implique de se mordre la langue plusieurs fois avant d’afficher sa foi, sinon le risque est grand de plaquer la foi de l’extérieur sur une coutume, une histoire, une culture, une vie. Il y a vraiment « un temps pour se taire et un temps pour parler » (Qo 3,7). Jésus a gardé le secret messianique pendant une trentaine d’années à Nazareth, puis ensuite deux ou trois ans environ sur les chemins de Palestine. Dans sa vie cachée au sein de sa famille, de son village, puis dans sa vie publique à enseigner les foulées et parcourir les routes, ce n’est guère que dans les derniers mois que Jésus a annoncés explicitement qui il était. Cette proportion extraordinairement déséquilibrée doit nous faire réfléchir sur notre propre manière d’annoncer l’Évangile. De plus, la laïcité à la française nous oblige à respecter une certaine neutralité de parole en matière de religion, que ce soit au travail, en politique, sur la voie publique ou autre.

Garder le secret messianique, c’est aujourd’hui pour nous : respecter le cheminement de l’autre, guetter patiemment le moment où l’annonce explicite pourra se faire, incarner d’abord le salut reçu comme le lépreux purifié. Le temps pour se taire est celui du compagnonnage avec les non-chrétiens, du partage de combats communs, de la confiance échangée qui permet les confidences mutuelles. Le temps pour parler viendra peut-être d’un événement qui fera brèche (lecture, décès, mariage, naissance, émotion…), d’un dialogue où les questions seront plus intimes. Rien ne sert de brusquer de rythme de l’autre ! Au contraire, cela le cabrerait. Il faudra bien des témoignages comme celui de notre lépreux guéri pour que la proclamation de foi : Jésus est le Messie soit reçue  librement avec joie.

Saint Jean de la Croix faisait dans ses poèmes l’éloge de la nuit obscure qui permettait à son âme d’aller en secret à la rencontre du bien-aimé :

J’étais dans les ténèbres et en sûreté,
Quand je sortis déguisée par l’escalier secret,
Oh ! l’heureux sort !
J’étais dans les ténèbres et en cachette,
Tandis que ma demeure était en paix.

Dans cette heureuse nuit
Je me tenais dans le secret; nul ne me voyait.
Et je n’apercevais rien
Pour me guider que la lumière
Qui brûlait dans mon cœur.

Ce secret-là est celui de notre rencontre intime avec Dieu, et demande lui aussi à être bien gardé pour que cette communion soit authentique.

Alors, est-ce le temps pour se taire ? Ou le temps pour parler ?
Posez-vous cette question avant de réagir trop vite.

Tourner sa langue sept fois dans sa bouche est toujours une pratique pleine de sagesse, surtout dans le monde de Twitter, Tik Tok, Instagram et Facebook…

 


[1]. Cf. les autres références au secret messianique dans Marc : Mc 1, 24 – 25; 34; 43 ; 3, 11-12 ; 5, 43 ; 7, 44 ; 8, 26 ; 30 ; 9, 9

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Le lépreux habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp » (Lv 13, 1-2.45-46)

Lecture du livre des Lévites
Le Seigneur parla à Moïse et à son frère Aaron, et leur dit : « Quand un homme aura sur la peau une tumeur, une inflammation ou une pustule, qui soit une tache de lèpre, on l’amènera au prêtre Aaron ou à l’un des prêtres ses fils. Le lépreux atteint d’une tache portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre, il se couvrira le haut du visage jusqu’aux lèvres, et il criera : “Impur ! Impur !” Tant qu’il gardera cette tache, il sera vraiment impur. C’est pourquoi il habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp. »

PSAUME
(31 (32), 1-2, 5ab, 5c.11)
R/ Tu es un refuge pour moi ; de chants de délivrance, tu m’as entouré.   (31, 7acd)

Heureux l’homme dont la faute est enlevée,
et le péché remis !
Heureux l’homme dont le Seigneur ne retient pas l’offense,
dont l’esprit est sans fraude !

Je t’ai fait connaître ma faute,
je n’ai pas caché mes torts.
J’ai dit : « Je rendrai grâce au Seigneur
en confessant mes péchés. »

Toi, tu as enlevé l’offense de ma faute.
Que le Seigneur soit votre joie !
Exultez, hommes justes !
Hommes droits, chantez votre allégresse !

DEUXIÈME LECTURE
« Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ » (1 Co 10, 31 – 11, 1)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, tout ce que vous faites : manger, boire, ou toute autre action, faites-le pour la gloire de Dieu. Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les Juifs, ni pour les païens, ni pour l’Église de Dieu. Ainsi, moi-même, en toute circonstance, je tâche de m’adapter à tout le monde, sans chercher mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés. Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ.

ÉVANGILE
« La lèpre le quitta et il fut purifié » (Mc 1, 40-45)
Alléluia. Alléluia.Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. Alléluia. (Lc 7, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, un lépreux vint auprès de Jésus ; il le supplia et, tombant à ses genoux, lui dit : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. » À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié. Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt en lui disant : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. » Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui.
Patrick BRAUD

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