Question d’identité
Question d’identité
Homélie du 12° Dimanche du temps ordinaire / Année C
19/06/2016
Cf. également :
Retour d’ailleurs
Souvenez-vous d’une réelle expérience de dépaysement que vous avez vécue : lors d’un voyage, d’un séjour dans une autre culture, avec une autre langue, d’autres coutumes… Si vous vous êtes sentis vraiment ailleurs, étranger au milieu d’une société si différente, vous avez comme un choc en retour perçu les spécificités de votre propre identité. Immergé par exemple au coeur d’un village africain traditionnel pour qui les forces invisibles régissent la nature sont omniprésentes, vous percevrez plus nettement combien votre culture occidentale est marquée par la rationalité scientifique et technique. Ou bien, découvrant avec délices les traditions culinaires d’un pays inconnu, vous mesurerez combien vos propres habitudes alimentaires sont particulières et originales. Et cela vaut de même pour notre façon de s’habiller, de parler, de se saluer, de travailler…
Le détour par l’autre me permet de mieux me connaître moi-même, par comparaison, par différenciation.
Aller rendre visite à un autre me permet de mieux savoir qui je suis.
Autrement dit : notre identité, personnelle ou collective, est d’abord réceptive. Elle se reçoit d’un autre, au double sens de la transmission (j’hérite de l’identité transmise par mes parents, mon pays, ma langue etc.) et de l’altérité (je me construis en étant différent).
Enquête d’identité
Dans ce passage d’évangile, Jésus s’interroge sur sa propre identité : « qui suis-je ? » Question radicalement humaine, qui travaille d’autant plus Jésus qu’il se perçoit comme habité par la présence divine d’une manière unique (d’où le titre de « fils unique de Dieu »). Au moment d’affronter sa Passion qui approche, il a besoin d’être ré-assuré dans cette identité qui va être fortement contestée et même niée dans le scandale de la croix.
Alors, humblement, au lieu de s’affirmer fils de Dieu de façon péremptoire et autoritaire, il va enquêter auprès de ses proches pour savoir ce que les gens disent de lui. Non pas qu’il ait la bonne réponse, comme s’il faisait passer un examen, en piégeant les disciples. Non : il a simplement besoin de connaître ce que les gens pensent de lui, pour mieux découvrir qui il est, pour mieux habiter son identité la plus personnelle.
D’ailleurs, il ne reprend pas les premières réponses qu’on lui transmet (prophète, Élie…) comme un professeur corrigerait en rouge les mauvaises copies de ses élèves. Il recueille précieusement ces premières indications, car elles lui renvoient quelque chose de lui-même. Oui, il se situe bien dans la lignée des prophètes d’Israël. Oui, il est bien comme Élie dont la seconde venue devait inaugurer les temps messianiques. Oui, il est bien celui dont Jean-Baptiste a annoncé la mission, au prix de sa vie.
L’opinion publique peut certes se tromper. Mais elle a le plus souvent un certain flair, une réelle capacité à deviner bien des éléments de la personnalité de quelqu’un, et cela se manifeste à travers ce que les gens disent de lui. Dans l’Église, on appelle même cette capacité le « sens de la foi » (sensus fidei) des fidèles : on peut faire confiance à ce qu’une assemblée croit et perçoit, dès lors qu’elle est habitée par l’Esprit saint, qui est un esprit de discernement, de jugement, de conseil…
Notre identité nous renseignent sur nous-mêmes
La réponse de Pierre ne viendra pas contredire celle de l’opinion publique sur l’identité de Jésus. Elle la précisera : Jésus est le Messie, le fils de Dieu.
Nos proches sont ceux qui nous connaissent le mieux et peuvent renvoyer une image plus juste de nous-mêmes. Nos intimes savent sur nous des choses que nous ignorons. À nous de les demander, pour recueillir humblement la part de notre identité qui est entre leurs mains, dans leur regard, à notre contact.
Le fait que Pierre ne comprenne pas bien le contenu de sa réponse ne diminue en rien la pertinence de celle-ci. Il aide Jésus à assumer son identité la plus profonde en lui transmettant ce que l’Esprit de Dieu a produit en lui de connaissance de sa personne.
Si le Christ lui-même s’est soumis à ce test de personnalité, s’il a accepté de recevoir son identité de la bouche de ses proches et des foules, qui serions-nous pour avoir l’orgueil de prétendre nous connaître sans demander aux autres comment ils nous perçoivent ?
En entreprise, on appelle cela l’évaluation 360°. Pour apprécier le professionnalisme et le relationnel d’un salarié, on ne demande pas seulement à son N+1 de l’évaluer, mais également à ses collègues, directs et indirects, à ceux dont il est responsable, à ceux à qui il doit rendre des comptes etc. Impossible d’évaluer quelqu’un sans recueillir de manière exhaustive cet ensemble d’appréciations (dans l’anonymat, pour préserver la liberté des réponses). Un collègue peut se tromper, mais l’ensemble des évaluations se trompe rarement. Jésus se soumet volontairement à un 360° en demandant ainsi à ses disciples de lui rapporter ce qu’on dit de lui.
Quel parent aura le courage de le faire auprès de sa famille ?
Quel patron acceptera de consulter ainsi l’ensemble de ses salariés sur lui-même ?
Quel évêque aura l’humilité de demander comment il est perçu par le plus grand nombre ?
L’enjeu est évidemment pour nous de progresser : en acceptant l’image qui nous est renvoyée, nous pouvons identifier les aspects de notre identité qui sont des atouts ou des obstacles à notre mission, qu’elle soit familiale, professionnelle ou ecclésiale.
Ré-assuré dans son identité de Messie, Fils unique, Jésus va pouvoir affronter résolument le conflit qui l’oppose aux pouvoirs religieux et politiques de Jérusalem.
La question est d’autant plus actuelle en ces temps ou certains courants de pensée en Occident voudraient faire croire que l’identité personnelle n’est qu’une construction sociale, qui pourrait donc être remodelée selon la seule volonté supposée libre de chaque individu. Choisir son sexe – pardon, son ‘genre’ – est par exemple emblématique de ces conceptions d’une identité choisie et non reçue. La contestation de la nature sociale de l’identité contraste d’ailleurs étonnamment avec la revendication écologique où l’être humain se reçoit de la nature tout autant qu’il la maîtrise.
Découvrir que l’identité est d’abord reçue avant d’être construite critique donc radicalement les prétentions à se modeler chacun sa propre identité sans vouloir dépendre de personne. Le mythe capitaliste du self-made-man récupéré par l’extrême gauche à son insu, en quelque sorte…
Prenez le temps cette semaine de poser la question par oral ou par écrit, à plusieurs autour de vous : pour toi, pour vous, qui suis-je ?
Acceptez les traits de personnalité dérangeants qui vous sont ainsi renvoyés, en positif comme en négatif, et vous verrez que vous serez de plus en plus vous-même…
1ère lecture : « Ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19,37) (Za 12, 10-11a ; 13, 1)
Lecture du livre du prophète Zacharie
Ainsi parle le Seigneur : Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication. Ils regarderont vers moi. Celui qu’ils ont transpercé, ils feront une lamentation sur lui comme on se lamente sur un fils unique ; ils pleureront sur lui amèrement comme on pleure sur un premier-né. Ce jour-là, il y aura grande lamentation dans Jérusalem.
Ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem : elle les lavera de leur péché et de leur souillure.
Psaume : Ps 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 8-9
R/ Mon âme a soif de toi, Seigneur, mon Dieu.
(cf. Ps 62, 2b)
Dieu, tu es mon Dieu,
je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.
Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !
Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
Comme par un festin je serai rassasié ;
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.
Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
Mon âme s’attache à toi,
ta main droite me soutient.
2ème lecture : « Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 26-29)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Galates
Frères, tous, dans le Christ Jésus, vous êtes fils de Dieu par la foi. En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. Et si vous appartenez au Christ, vous êtes de la descendance d’Abraham : vous êtes héritiers selon la promesse.
Evangile : « Tu es le Christ, le Messie de Dieu. – Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup » (Lc 9, 18-24)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Mes brebis écoutent ma voix, dit le Seigneur ;
moi, je les connais, et elles me suivent.
Alléluia. (Jn 10, 27)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce jour-là, Jésus était en prière à l’écart. Comme ses disciples étaient là, il les interrogea : « Au dire des foules, qui suis-je ? » Ils répondirent : « Jean le Baptiste ; mais pour d’autres, Élie ; et pour d’autres, un prophète d’autrefois qui serait ressuscité. » Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Pierre prit la parole et dit : « Le Christ, le Messie de Dieu. » Mais Jésus, avec autorité, leur défendit vivement de le dire à personne, et déclara : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. » Il leur disait à tous : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. »
Patrick BRAUD