L'homélie du dimanche (prochain)

28 mai 2018

Les deux épiclèses eucharistiques

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Les deux épiclèses eucharistiques


Homélie pour la fête du Corps et du Sang du Christ / Année B
03/06/2018

Cf. également :

Les trois blancheurs
Emmaüs : mettre les 5 E dans le même panier
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédek
 

- « Elle était bien, votre messe, M. l’Abbé ! »
Le paroissien enthousiaste croit faire plaisir au prêtre qui présidait l’eucharistie de dimanche.
Une autre paroissienne renchérit :
- « J’aime bien quand c’est vous qui célébrez. »
La mine renfrognée, le prêtre se dit qu’il est temps de se lancer dans une catéchèse solide  sur l’eucharistie… Car qui célèbre, sinon l’Église tout entière ? Qui consacre, sinon l’Esprit Saint lui-même ? Qui fait l’eucharistie sinon l’Église !

Alors, en cette fête du Saint-Sacrement, dite également du Corps et du Sang du Christ, reprenons quelques éléments théologiques fondamentaux sur l’eucharistie.

 

La théologie des trois corps

Où est le corps du Christ ?
Nous en avons perdu l’habitude, mais le Moyen Âge avait popularisé une très belle conception du corps du Christ appelé théologie des trois corps.

Les deux épiclèses eucharistiques dans Communauté spirituelle 119299804_oEn effet, il y a d’abord le corps personnel de Jésus ressuscité.

Celui avec lequel il a été élevé dans la gloire du père. Ce corps glorieux, ou spirituel, est ajusté au monde de la Résurrection. Il est à la fois radicalement nouveau (les apôtres ne le reconnaissent pas tout de suite) et fidèlement hérité de sa vie humaine (cf. les traces des clous qu’exige de voir Thomas). Ce corps-là du Christ ressuscité est absent, invisible. Il échappe à notre espace-temps car il appartient au monde nouveau à venir.

Il y a ensuite le corps ecclésial du Christ.

« Vous êtes le corps du Christ » ne cesse de répéter Saint-Paul, plaçant le Christ à la Tête de cet organisme vivant dont nous sommes membres les uns des autres, reliés par le lien de la paix et de la charité dans l’Esprit. Ce corps ecclésial a pour vocation d’être uni au Christ-Tête pour rayonner de son amour à travers le monde.

Il y a enfin le corps sacramentel du Christ, sous les espèces eucharistiques du pain et du vin. C’est ce corps que nous fêtons aujourd’hui. Notons au passage qu’au Moyen Âge, on appelait corps vrai le corps ecclésial, et corps mystique le corps eucharistique. Puis, sous l’influence de crises successives contestant la transformation eucharistique, on a (malheureusement) inversé les deux termes.

On peut par exemple lire chez Guillaume de St Thierry (XI°-XII° siècles) :

Chaque fois que le prudent lecteur trouvera dans les livres quelque chose concernant la chair ou le corps du Dieu Jésus, qu’il ait recours à cette triple définition de sa chair ou de son corps, telle que je ne l’ai pas trouvée dans ma présomption ni forgée par mon sens propre, mais telle que je l’ai tirée des sentences des Pères…
Il faut en effet se représenter autrement cette chair ou ce corps qui pendit au bois et est sacrifié sur l’autel, – autrement sa chair ou son corps qui est Vie demeurant en celui qui l’a mangé, – autrement enfin sa chair ou son corps, qui est l’Église : car l’Église est dite la chair du Christ…  […]
Car le corps du Christ pour autant qu’il est en lui, se livre à tous en nourriture de vie éternelle, et il fait que ceux qui le reçoivent fidèlement vivent en unité avec lui, et par l’amour spirituel et par le partage de sa propre nature, à lui qui est la Tête du Corps de l’Église [1].

L’eucharistie sym-bolise, c’est-à-dire met ensemble, réunit les deux autres corps du Christ, personnel et ecclésial, de façon à ce que le Christ soit réellement présent en plénitude dans notre humanité sans quitter pour autant sa divinité.

On peut voir une trace de ce travail sacramentel de l’eucharistie dans les deux épiclèses  des prières eucharistiques. On appelle épiclèse une invocation de l’Esprit au-dessus de personnes ou d’objets. Or, écoutez bien : il y a deux épiclèses dans les prières eucharistiques (sauf le canon romain, la Prière eucharistique n° 1, qui illustre ainsi le déficit d’importance accordée à l’Esprit en Occident pendant des siècles).

La 1° épiclèse est faite sur le pain et le vin : « Dieu notre Père, nous te prions : Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit ; qu’elles deviennent pour nous le corps et le sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur » (Prière Eucharistique n° 2).

La 2°est faite sur l’assemblée (sur l’ekklèsia = l’Église) : « Humblement, nous te demandons qu’en ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps » (PE n° 2).

On a donc la structure suivante pour les prières eucharistiques, où se joue liturgiquement l’union du Christ et de son Église :

a) 1° épiclèse sur les dons (épiclèse consécratoire)

b) récit de l’Institution (+ anamnèse)

c) 2° épiclèse, sur l’assemblée – ekklèsia (épiclèse de communion)

d) intercession-supplication dans la communion de toute l’Église, du ciel et de la terre.

On pourrait faire une lecture ecclésiologique de cette structure fondamentale, en se souvenant de la théologie des trois corps qui présidait à la compréhension de l’Église.

3 corps 2 épiclèses

d) intercession

a) La première épiclèse invoque l’Esprit pour sanctifier les dons, le pain et le vin, « afin que le Christ Jésus réalise au milieu de nous la présence de son corps et de son sang ». Le repas va « prendre corps », grâce à l’Esprit, afin que l’offrande de Jésus, son unique sacrifice accompli une fois pour toutes, continue de s’actualiser dans et par son Église, l’ekklèsia localement rassemblée. En rigueur de termes, c’est donc l’Esprit-Saint qui est l’acteur principal de la transformation des espèces eucharistiques. Le lien Église-Esprit est ici évident, et le sera encore plus en c), soulignant la dimension épiclétique de l’assemblée qu’est l’Église.

b) le récit de l’Institution est bâti comme une sorte de contraction et d’arrangement des quatre textes principaux (Mt, Mc, Lc, 1Co). Il fait donc partie intégrante de la PE. Impossible d’être chrétien sans cet ancrage historique.

c) la deuxième épiclèse a une portée ecclésiologique capitale. L’Église invoque le Christ pour qu’elle devienne une seule offrande avec le Christ. Elle désire être envahie par l’Esprit, afin de se laisser entraîner dans l’offrande sacrificielle de son Sauveur, dans la communion avec le Père. L’Église, par la puissance de l’Esprit, devient une seule offrande, dans le Christ, à la louange de la gloire du Père. C’est l’enlacement symbolique du Christ et de l’Église qui s’effectue ainsi dans l’eucharistie, selon la si belle formule de St Augustin: « soyez ce que vous voyez, recevez ce que vous êtes ». C’est l’Esprit qui fait de l’Église le corps ecclésial du Christ, « rassemblée par l’Esprit-Saint en un seul corps, pour qu’ils soient eux-mêmes dans le Christ une vivante offrande à la louange de ta gloire » (PE 4). On ne peut donc séparer le corps eucharistique du corps ecclésial : celui-ci est fait pour celui-là, celui-là devient lui-même grâce à celui-ci. Les conséquences, notamment pour le culte de l’eucharistie en-dehors de la messe, sont énormes : toute césure entre l’eucharistie et l’Église serait « meurtrière », pour reprendre l’expression du Père de Lubac.

19237_apercu corps dans Communauté spirituelle

 Qui consacre, qui célèbre ?

L’épiclèse souligne avec une précision superbe l’humilité du ministère sacerdotal. Parfois on dit que le prêtre consacre. En rigueur de termes, l’affirmation ne tient pas. L’épiclèse révèle en tout cas très exactement ce que fait le prêtre : il dit la prière par laquelle la communauté célébrante demande au Père d’envoyer son Esprit Saint sur le pain et sur le vin pour qu’ils deviennent le corps et le sang de Jésus.

La Prière eucharistique III dit explicitement : « Nous te supplions de consacrer toi-même les offrandes que nous apportons. Sanctifie-les par ton Esprit pour qu’elles deviennent le corps et le sang de ton Fils. » C’est donc le Père qui consacre par son Esprit. Il revient au prêtre de dire la prière, au nom de la communauté, pour qu’il en soit ainsi.

Pie XII, citant Bellarmin dans Mediator Dei (20/11/1947), redit la foi commune de l’Église depuis les origines : « le sacrifice est offert principalement dans la personne du Christ. C’est pourquoi l’offrande qui suit la consécration atteste en quelque sorte que toute l’Église consent à l’oblation faite par le Christ et offre avec Lui ». L’hésitation de la Prière eucharistique n° 1 (« nous t’offrons pour eux, ou ils t’offrent pour eux-mêmes ») est la trace de cette conviction, malgré la survalorisation sacrificielle du rôle du prêtre.

D’ailleurs, le « nous » de la PE n’est pas un pluriel de majesté : même s’il est seul ministre ordonné, le prêtre dit « nous » pour exprimer qu’il dit la prière de l’Église, au nom de l’Église et avec elle. Encore une fois; répétons que tous célèbrent, mais pas de la même manière. Le Catéchisme de l’Église catholique est là-dessus très clair : « La liturgie est ‘action’ du ‘Christ tout entier’ (Christus totus). Ceux qui dès maintenant la célèbrent au-delà des signes sont déjà dans la liturgie céleste, là où la célébration est totalement communion et Fête. » (CEC n° 1136, question : Qui célèbre ?)

Les numéros suivants développent l’argumentation, qui est eschatologique : parce que la liturgie anticipe la louange finale, tous y sont associés, et tous célèbrent.

« C’est à cette liturgie éternelle que l’Esprit et l’Église nous font participer lorsque nous célébrons le mystère du salut dans les sacrements. C’est toute la Communauté, le Corps du Christ uni à son Chef (Caput = sa Tête) qui célèbre. ‘Les actions liturgiques ne sont pas des actions privées, mais des célébrations de l’Église, qui est le ‘sacrement de l’unité’, c’est-à-dire le peuple saint réuni et organisé sous l’autorité des évêques. C’est pourquoi elles appartiennent au Corps tout entier de l’Église, elles le manifestent et elles l’affectent; mais elles atteignent chacun de ses membres, de façon diverse, selon la diversité des ordres, des fonctions et de la participation effective’ (SC 26).

C’est pourquoi aussi ‘chaque fois que les rites, selon la nature propre de chacun, comportent une célébration commune, avec fréquentation et participation active des fidèles, on soulignera que celle-ci, dans la mesure du possible, doit l’emporter sur leur célébration individuelle et quasi privée’ (SC 27).

L’assemblée qui célèbre est la communauté des baptisés qui, ‘par la régénération et l’onction de l’Esprit Saint, sont consacrés pour être une maison spirituelle et un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels’ (LG 10).

Ce ‘sacerdoce commun’ est celui du Christ, unique Prêtre, participé par tous ses membres. » (CEC nos 1139-1141)

« Ainsi, dans la célébration des sacrements, c’est toute l’assemblée qui est ‘liturge’, chacun selon sa fonction, mais dans ‘l’unité de l’Esprit’ qui agit en tous. ‘Dans les célébrations liturgiques, chacun, ministre ou fidèle, en s’acquittant de sa fonction, fera seulement et totalement ce qui lui revient en vertu de la nature de la chose et des normes liturgiques’ (SC 28). » (CEC n° 1144)

Au Moyen-Âge, on affirmait avec audace: « Le prêtre ne sacrifie pas seul, ne consacre pas seul, mais toute l’assemblée des fidèles qui assistent consacre avec lui, sacrifie avec lui [2] ». Le Père Congar confirme : « Toute l’assemblée liturgique est célébrante et consacrante. » Et il ajoute : « Mais ce serait une erreur ecclésiologique et une hérésie liturgique de faire dire les paroles de la consécration par toute l’assemblée. Elle a son président, qui y fonctionne comme président. Et cependant elle est tout entière sacerdotale et célébrante [3]. »

Fêtons donc le Saint Sacrement, en ne séparant pas l’eucharistie de l’Eglise, en nous impliquant dans chaque messe en tant que concélébrants, grâce au prêtre qui préside…

 

 


[1]. Guillaume de Saint-Thierry, Sur le sacrement de l’Autel, ch. 12 (P. L. 180, 361-362) in Catholicisme, Les aspects sociaux du dogme, Œuvres complètes VII, pp. 345-346, tr. fr. Henri de Lubac, Cerf, Paris, 2003.

[2]. Attribué à Guerric d’Igny, Sermo 5,15; PL 185,87 AB : cité par CONGAR Y., Vatican II, Cerf, coll. Unam Sanctam 66, Paris, 1967, p. 252.

[3]. CONGAR Y., Le Concile de Vatican II, Cerf, coll. Théologie Historique 71, Paris, 1984, p. 113.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu t’a donné cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue » (Dt 8, 2-3.14b-16a)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »

PSAUME
(Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20)
R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! (Ps 147, 12a)

Glorifie le Seigneur, Jérusalem !
Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.

Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.
Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.

Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.
Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.

DEUXIÈME LECTURE
« Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps » (1 Co 10, 16-17)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.

SÉQUENCE
Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges ».
Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants. Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer. Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges. Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères. Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs ! C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution. À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne. L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit. Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui. Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut. C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang. Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature. L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin. Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces. On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier. Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître. Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort. Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent ! Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout. Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué. * Le voici, le pain des anges, il est le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens. D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères. Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants. Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.

ÉVANGILE
« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement.

Alléluia. (Jn 6, 51.58)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
 En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs :  « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »  Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »  Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous.  Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.  En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson.  Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui.  De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi.  Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD

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12 juin 2017

Les trois blancheurs

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Les trois blancheurs


Homélie pour la fête du Corps et du Sang du Christ / Année A
18/06/2017

Cf. également :

Emmaüs : mettre les 5 E dans le même panier
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédek

L’image est saisissante.

Samedi 13 mai 2017, le pape François célèbre l’eucharistie devant un million de pèlerins rassemblés au sanctuaire de Notre-Dame de Fatima pour la canonisation de deux des trois voyants de 1917. Le pape, l’eucharistie, la Vierge immaculée : « trois blancheurs »  catholiques réunies en un moment exceptionnel et symbolique.

En cette fête du Corps et du Sang du Christ (l’ancienne Fête-Dieu), rappeler cette image invite à méditer sur les liens unissant effectivement ces trois blancheurs si souvent déniées ou instrumentalisées.

Les trois blancheurs dans Communauté spirituelle 6945144_nis10qvr_1000x625

La récupération traditionnaliste

Au départ des trois blancheurs, il y a un songe de saint Jean Bosco (1815-1888), qui n’emploie pas cette expression, mais associe la papauté, le Saint-Sacrement et Marie dans une vision très marquée par les luttes de de son époque. La scène principale de ce songe (1862) est représentée sur un tableau qui s’appelle « Les 3 Blancheurs », exposé dans la basilique Maria Auxiliatrice à Turin.

« J’ai vu une grande bataille sur la mer : le navire de Pierre, piloté par le pape et escorté de bateaux de moindre importance, devait soutenir l’assaut de beaucoup d’autres bâtiments qui lui livraient bataille. Le vent contraire et la mer agitée semblaient favoriser les ennemis. Mais au milieu de la mer, j’ai vu émerger deux colonnes très hautes : sur la première, une grande hostie – l’Eucharistie – et sur l’autre (plus basse) une statue de la Vierge Immaculée avec un écriteau : Auxilium christianorum (secours des chrétiens). »

Par la suite, la blancheur commune à ces trois éléments servit de moyen mnémotechnique et pédagogique pour exposer la différence catholique. À tel point que le courant traditionaliste après Vatican II ira puiser dans cette piété pour en faire le modèle de sauvegarde de l’identité catholique, menacée selon eux par les ‘dérives’ modernistes et œcuméniques.

Tapez « trois blancheurs » dans le moteur de recherche de Google, et vous verrez apparaître une liste impressionnante de sites idéologiquement très marqués, allant jusqu’aux extrêmes [1]Il y a même un catéchisme traditionnel qui s’intitule : les trois blancheurs, très en vogue dans les établissements privés hors contrats par exemple. On comprend que l’expression ne soit plus connue ni enseignée ailleurs.

 

Le symptôme d’une foi peu trinitaire

Il y a bien des liens étroits unissant les trois blancheurs. C’est l’Esprit qui en fait est à la source de chacune. En effet, le pape est celui qui préside à l’unité des Églises locales. De même que l’Esprit réalise l’unité entre les différents membres du corps (1Co 12), le ministère confié au successeur de Pierre est de garantir la communion dans la vérité. Il est ordonné évêque de Rome pour cela. L’effusion de l’Esprit que l’imposition des mains lui confère dans le sacrement de l’épiscopat est la source de son pouvoir et de son autorité. La blancheur papale et donc une manifestation de l’Esprit de communion faisant vivre l’Église.

L’eucharistie quant à elle est intimement liée à la première épiclèse sur le pain et le vin : « que ce même Esprit Saint, nous t’en prions Seigneur, sanctifie nos offrandes : qu’elles deviennent ainsi le corps et le sang de ton Fils dans la célébration de ce grand mystère que lui-même nous a laissé en signe de l’alliance éternelle. » (Prière eucharistique n° 4)

C’est l’Esprit qui transforme le pain et le vin en en faisant le sacrement de la présence du Christ parmi nous. La blancheur de l’hostie consacrée est donc une manifestation de l’Esprit sanctifiant toute chose, et tout être, pour nous consacrer à Dieu par toute notre vie.

La deuxième épiclèse des prières eucharistiques nous met d’ailleurs sur la voie du lien Église-eucharistie : « accorde à tous ceux qui vont partager ce pain et boire à cette coupe d’être rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps, pour qu’ils soient eux-mêmes, dans le Christ, une vivante offrande à la louange de ta gloire (Prière eucharistique n°4). Le même Esprit qui a transformé le pain en Corps du Christ transforme également l’assemblée en Corps du Christ véritable, dans le même mouvement. Impossible de dissocier les deux présences réelles, les deux actions de l’Esprit Saint transsubstantiant le pain et le vin et l’assemblée d’un seul et même double mouvement ! Bien des piétés eucharistiques se sont perdues dans le sentimentalisme ou dans l’idéologie parce qu’elles ont oublié ce lien entre l’eucharistie et l’Église. Comme le rappelait l’un des théologiens français à l’origine de Vatican II, en se basant sur l’étude des Pères de l’Église : « l’Église fait l’eucharistie, l’eucharistie fait l’Église (Yves Congar).

« Marie est le premier membre de cette communauté portant l’Esprit : l’Église. L’Esprit concentre d’abord son action sur un être concret et historique, Marie, puis, de ce point, la diffuse sur tous les hommes disposés à dire comme elle « fiat! », qu’il en soit ainsi ! Ce n’est pas sans raison que certains théologiens affirment qu’il existe une relation ontologique de l’Esprit avec l’Église, constituée en mystica persona, personne mystique, avec l’Esprit. Cette incorporation de l’Église à la Personne de l’Esprit-Saint se présente comme le prolongement et le dérivé de celle qui s’est réalisé entre Marie et l’Esprit. De cette façon, l’Esprit remplit une fonction maternelle envers la vie nouvelle et rachetée, qui prend naissance visiblement dans l’histoire avec l’envoi salvifique de l’Esprit et du Fils. Comme il a engendré le Fils Jésus, l’Esprit continue d’engendrer des fils dans le Fils. » [2]

Un des rôles de l’Esprit-Saint est de rendre présent le Christ ressuscité. La dévotion au Saint-Sacrement qui se répand en Occident (non pas en Orient) à partir du XIII° siècle s’enracine dans cette mission de l’Esprit-Saint; mais le risque est de l’oublier…

 

Un certain déficit pneumatologique

À cause de la lutte contre la Réforme protestante du XVI° siècle, l’accent a été mis fortement sur les trois blancheurs comme ‘preuves’ de la vérité catholique, que les protestants abandonnaient avec éclat. En même temps, le processus d’éloignement avec les Églises d’Orient (depuis le schisme de 1054) a conduit l’Église romaine à oublier quelque peu la personne de l’Esprit Saint, ou du moins à en parler peu, pour se concentrer sur ses manifestations explicites (le pape, l’eucharistie, Marie). C’est ce que Congar (toujours lui !) a appelé le « déficit pneumatologique de l’Occident ». Malgré le réveil opéré par les charismatiques, la pratique populaire catholique reste beaucoup plus attachée aux trois blancheurs qu’à la Trinité divine en elle-même. Le pape, la messe, la Vierge ont pu ainsi en pratique se constituer en une sorte de trinité intermédiaire, se substituant presque à une Trinité divine éprouvée comme trop lointaine.

Ce qui n’est pas illégitime au vu de liens unissant les trois blancheurs, à condition de les  rapporter toujours à leur source, et donc à ne pas les absolutiser sous prétexte de vénération.

Les traditionalistes ont bien vu que le dialogue œcuménique, irréversible (Jean-Paul II), engagé depuis Vatican II allait complètement réordonner l’importance de ces médiations.

Rapporter à l’Esprit le ministère de l’évêque de Rome oblige à le convertir à une véritable ecclésiologie de communion (et non pas de domination, de centralisation ou de réintégration des séparés).

Rapporter à l’Esprit la puissance de l’adoration eucharistique nous convertit à une autre vision du Corps du Christ, particulièrement dans les plus méprisés, les plus pauvres de nos sociétés.

Rapporter à l’Esprit le rôle de Marie hier et aujourd’hui, de Nazareth à Fatima, désarme ceux qui voudraient en faire le signe d’un triomphe sur le reste du monde.

En cette Fête-Dieu, recevons l’eucharistie, vénérons-la, en contemplant en elle l’action de l’Esprit Saint consacrant tout et tous, pour « devenir, dans le Christ, une vivante offrande à la louange de la gloire »de Dieu (Prière eucharistique n° 4).

 

 


[1]. Certains essaient d’ancrer l’origine des trois blancheurs dans l’écriture, plus précisément dans Hébreux 9,4 : l’arche de l’alliance entièrement recouverte d’or, dans laquelle se trouvaient une urne d’or contenant 1° la manne, 2° le rameau d’Aaron qui avait poussé, et 3° les tables de l’alliance. « Vous verrez que ces trois choses sont manifestement une préfiguration de l’eucharistie, de l’autorité du pape, et de Marie, table de la loi nouvelle faite de chair. » C’est pousser un peu loin l’exégèse allégorique de la lettre aux Hébreux…

[2]. BOFF L., Je vous salue Marie, Cerf, Coll. Théologies, Paris, 1968, p. 77. Il faut cependant faire quelques réserves sur le lien « ontologique » que Boff croit déceler entre Marie et l’Esprit, comme entre l’Esprit et l’Église. Marie n’est pas une autre mission divine à côté de celle du Verbe, l’Église n’est pas une incarnation de l’Esprit-Saint…

  

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu t’a donné cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue » (Dt 8, 2-3.14b-16a)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »

PSAUME
(Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20)
R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! (Ps 147, 12a)

Glorifie le Seigneur, Jérusalem !
Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.

Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.
Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.

Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.
Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.

DEUXIÈME LECTURE
« Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps » (1 Co 10, 16-17)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.

SÉQUENCE
Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges ».
Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants. Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer. Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges. Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères. Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs ! C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution. À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne. L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit. Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui. Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut. C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang. Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature. L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin. Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces. On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier. Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître. Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort. Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent ! Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout. Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué. * Le voici, le pain des anges, il est le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens. D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères. Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants. Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.

ÉVANGILE
« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement.
Alléluia. (Jn 6, 51.58)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
 En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs :  « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »  Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »  Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous.  Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.  En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson.  Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui.  De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi.  Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD

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24 avril 2017

Emmaüs : mettre les 5 E dans le même panier

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Emmaüs : mettre les 5 E dans le même panier

Homélie pour le 3° dimanche de Pâques / Année A
30/04/2017

Cf. également :
Le premier cri de l’Église
La grâce de l’hospitalité
Bon foin ne suffit pas
Ascension : la joyeuse absence
N’avez-vous pas lu dans l’Écriture ?
L’événement sera notre maître intérieur
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie

Le récit d’Emmaüs
La référence à Emmaüs est devenue un passage obligé dans nos représentations eucharistiques, depuis les tableaux de Rembrandt (au moins 9 sur le sujet!) à la prière eucharistique pour les grands rassemblements : « comme jadis pour les disciples d’Emmaüs, il explique pour nous les Écritures et nous partage le pain ». L’expression « comme jadis » tend à mettre le récit d’Emmaüs au même rang fondateur que les récits d’institution de l’eucharistie. Cette prière eucharistique transpose  explicitement le récit d’Emmaüs au « repas de l’amour » qu’est chaque eucharistie.

La liturgie des Heures, depuis la réforme liturgique suite à Vatican II, est profondément marquée par les références à Emmaüs (l’ancien Bréviaire romain ne le mentionnait que deux fois). Un hymne sur six environ du temps ordinaire y renvoie. Les lectures, antiennes et répons du temps pascal y font fréquemment allusion.

 

Les 5 E dans le même panier !
Louis-Marie Chauvet [1] analyse le texte en quatre parties, sur fond d’aller-retour à Jérusalem, qui est à la fois le symbole (spatial) du lien entre Jésus et l’Église, et celui (temporel) de la méditation des Écritures – chère aux Juifs – pendant le temps de marche sur la route (cf. Dt 6,7). On peut reformuler ces résultats, désormais classiques, en disant que l’eucharistie, telle qu’elle apparaît dans cette relecture d’Emmaüs, est la symbolisation (la mise-ensemble) des ‘E’ constitutifs de la vie chrétienne, ce qui signifie alors que les 5 ‘E’ suivants sont « mis dans le même panier » lorsque l’ekklèsia se rassemble pour l’eucharistie.

L’aller-retour symbolique des deux disciples, de Jérusalem à Emmaüs, nous invite en ce temps pascal à mettre tous nos œufs dans le même panier !
Il y a en effet cinq E dans ce texte, que l’Esprit du Ressuscité nous appelle à réunir afin de reconnaître sa présence-absence.

 

1) E comme Événement

« Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. »
Il leur dit : « Quels événements ? »

Et ils racontent…
Par définition, l’événement est ce qui surgit, imprévu (ex-venire en latin = venir d’ailleurs), non maîtrisé. C’est aussi bien la crise financière de 2008 qu’un divorce trop rapide, une opportunité professionnelle inespérée qu’une rencontre merveilleuse. L’événement nous surprend, nous déroute, nous oblige à sortir de notre zone de confort. Pour les deux disciples d’Emmaüs, les événements de la semaine sainte sont si perturbants et inattendus qu’ils en ont perdu toute espérance :

« Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël ».

Manifestement rien ne s’est déroulé comme prévu, et le bruit des clous dans le bois de l’infâme  gibet de la croix a résonné comme le glas de leur ultime désillusion.
Pourtant, ils racontent tout cela à l’inconnu de passage. Et c’est ce qui va les préparer à accueillir son interprétation à lui des événements pour eux si obscurs.
« L’événement sera notre maître intérieur » (Emmanuel Mounier).
Nous avons tous besoin de raconter à d’autres les événements qui nous désarçonnent. Il nous faut trouver les mots, construire un récit en se confiant à quelqu’un, même un inconnu de passage (confesseur, accompagnateur spirituel, psychologue, équipe de révision de vie, ami fidèle…).

 

2) E comme Écriture
Le Ressuscité entend la soif de sens qu’expriment les disciples déroutés par les événements.

« Alors, il leur interprète dans l’Écriture ce qui le concernait ».

La Bible est le code qui nous permet de déchiffrer nos existences humaines.

Récitant les psaumes, nous y retrouvons notre colère, notre cri de souffrance, notre clameur d’espérance. Revivant la Passion du Christ dans les Évangiles, nous y reconnaissons les injustices qui nous frappent, les humiliations qui nous dégradent, les exclusions qui nous tuent. Avec Job nous nous révoltons devant Dieu à cause de ce qui nous arrive. Avec Jacob, nous luttons contre Dieu et nous nous roulons avec lui dans la poussière de nos combats intérieurs. Avec Abraham, nous avons envie de lever la main sur ce qui nous est le plus cher, jusqu’à ce que la violence nous apparaisse à nouveau comme interdite.

Impossible de comprendre quelque chose de Dieu dans les événements de nos vies si nous ne revenons pas à l’Écriture, lue, proclamée, interprétée.

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Les Pères de l’Église ont abondamment commenté ce texte en ce sens.
Par exemple Guillaume Durand, évêque de Mende (vers 1551), transmet une interprétation où la fraction du pain renvoie à l’explication des Écritures plus qu’à l’eucharistie : « il y est dit qu’ils reconnurent le Christ à la fraction du pain. Qu’est-ce que la fraction du pain sinon l’explication de l’Écriture ? Car c’est là que le Seigneur est reconnu ».

Ambroise de Milan (340-397) établit un parallèle entre la multiplication du pain de la Parole par la prédication et celle du pain eucharistique par la fraction. Dès lors, le pain que rompt Jésus est le pain de la parole, ce pain que distribuent les Apôtres et qui se multiplie à la mesure même de sa distribution : « dum dividitur, augetur » (Augustin), c’est-à-dire « il augmente pendant qu’il est divisé ». Le pain eucharistique « continue et parfait le don du Christ en sa parole ». Autrement dit, la parole conduit au pain eucharistique : « Tu as la nourriture fournie par les Apôtres; mange-la et tu ne défailliras pas. Cette nourriture, mange-la d’abord afin de pouvoir venir ensuite à la nourriture du Christ, à la nourriture du Corps du Seigneur… » Cette théologie du rapport parole et pain renvoie à Origène. On connaît le célèbre passage où celui-ci réclame le même respect pour la parole de Dieu que pour son corps eucharistique : « Si, pour conserver son corps, vous prenez tant de précaution, et à juste titre, comment croire qu’il y a un moindre sacrilège à négliger la parole de Dieu qu’à négliger son corps ? »

 

3) E comme Éthique

« Reste avec nous, car déjà le soir approche ».

Emmanuel Lévinas - Ethique et infini - Dialogues avec Philippe Nemo.L’hospitalité est encore aujourd’hui une vertu cardinale des peuples du Moyen-Orient et d’Afrique. Impensable de laisser un étranger tout seul dans la nuit ! L’éthique est bien ce sentiment de responsabilité envers l’autre, simplement parce qu’il est humain, et envers l’environnement, simplement parce qu’il est création de Dieu. Les événements médités et interprétés à la lumière de la Bible nous conduisent à prendre des engagements concrets, risqués, pour ce et ceux qui nous entourent.

Les Pères de l’Église n’ont cessé de souligner le lien qui unit les sacrements et la morale, la mystique et l’éthique. Grégoire le Grand (pape de 590 à 604) interprète le texte dans un sens éthique : « Les disciples dressent le couvert, servent la nourriture : Dieu qu’ils n’avaient pas reconnu quand il commentait la sainte Écriture, ils le reconnaissent à la fraction du pain. Ce n’est donc pas d’entendre les commandements de Dieu, c’est de les pratiquer qui les a éclairés ». C’est une exhortation à pratiquer l’hospitalité, qui traduit la perception très fine du rapport entre l’éthique chrétienne et l’expérience de la rencontre du Christ : « Recevez le Christ à votre table pour mériter d’être reçus par lui au banquet éternel; offrez maintenant un gîte au Christ-étranger, pour que, au moment du jugement, il ne vous ignore pas comme des étrangers, mais vous reçoive dans son royaume, comme des membres de sa famille ». Lecture mystique, et non moralisante, des implications éthiques de l’eucharistie.

St Augustin (354-430) fondait déjà cette interprétation éthique de Grégoire dans le lien entre l’accueil de l’étranger et la révélation du Christ : « Apprenez donc à pratiquer l’hospitalité; vous lui devez de reconnaître le Christ ».
« Retiens l’étranger si tu veux reconnaître ton Sauveur ».

L’Apologie de St Justin (100-165) décrit le partage avec les pauvres comme un élément liturgique structurant de l’eucharistie :
« [le jour du soleil, au cours de la réunion eucharistique] les fidèles, qui sont dans l’aisance et qui veulent donner, donnent librement, chacun ce qu’il veut ; ce qu’on recueille est remis à celui qui préside et c’est lui qui vient en aide aux orphelins et aux veuves, à ceux qui sont dans le besoin par suite de maladie ou pour toute autre cause, aux prisonniers, aux voyageurs, aux étrangers ; bref, il vient en aide à tous les malheureux. »

 

4) E comme Eucharistie

« Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna ».

sacrement de l'eucharistieLe geste est clairement eucharistique. Il ne vient qu’en quatrième position dans le texte. C’est assez dire que le sacramentel doit d’abord être précédé par tout un chemin catéchuménal, où l’on prend le temps de parler de soi, de se référer à l’Écriture, de transformer ses modes de vie. Alors peut venir le temps de la célébration et les sacrements. L’eucharistie enroule autour du geste de la fraction du pain ces différents éléments. Elle unit l’intime de nos vies, le tranchant de l’Écriture et le sérieux de nos engagements éthiques. Elle met un visage – celui du Ressuscité – sur le feu intérieur qui nous brûle. Elle révèle la cohérence de l’amour de Dieu à travers nos Passions. Elle dessine des lignes de force au milieu de nos fractures et de nos trajectoires multiples.

La théologie des deux tables opérée par le Concile Vatican II unit l’interprétation patristique sur la multiplication de la Parole, et celle plus moderne sur la fraction eucharistique comme sacrement pascal. « L’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle l’a toujours fait aussi pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de  prendre le pain de vie sur la table de la parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ, pour l’offrir aux fidèles ». (Dei Verbum 21; Sacrosanctum Concilium 48 ; 51). Le Missel Romain de Paul VI reprend ce thème des deux tables dans la Présentation Générale : « La messe comporte deux parties: la liturgie de la parole et la liturgie eucharistique [...] En effet, la messe dresse la table aussi bien de la parole de Dieu que du Corps du Seigneur, où les fidèles sont instruits et restaurés » (PGMR 8).

 

5) E comme Église
L’eucharistie fait se lever les disciples « à l’instant » pour retourner à Jérusalem retrouver les Onze. Eux qui s’éloignaient de la communauté, avec leurs regrets et leurs déceptions, ils y reviennent maintenant le cœur brûlant.

L’Église naît du besoin impérieux de partager avec d’autres l’éblouissement de nos illuminations les plus personnelles. C’est la joie communicative et extensive des amoureux incapables de taire leur encontre. C’est le chant incompressible, au-delà des paroles, qui nous fait exulter devant un paysage magnifique ou une musique incroyable.

L’Église est le fruit de la communion eucharistique car elle se nourrit de cette séquence d’Emmaüs : événements – écriture – éthique – eucharistie. Revenir vers Jérusalem est le signe d’une résurrection de l’espérance dont l’Église est le réceptacle et le catalyseur.

Elle est le sacrement fondamental de la communion salutaire offerte en Jésus-Christ (Lumen Gentium 1).

St Jérôme (347-420) atteste de l’existence d’une Église à Nicopolis, où l’on conservait la mémoire de notre épisode : « Nicopolis, qui auparavant s’appelait Emmaüs, près de laquelle le Seigneur, reconnu à la fraction du pain, consacra en église la maison de Cléophas (Cleopae domum in ecclesiam dedicavit ) ». Ce qu’on peut relire aujourd’hui, au-delà de l’indice archéologique, comme la trace d’une conviction évidente liant l’eucharistie et l’Église dans la conscience de Jérôme. L’eucharistie « enroule » symboliquement le Christ et l’Église dans une communion d’amour indissoluble.

Le pape François arrive au Campus Misericordiae entouré par des jeunes, samedi soir à Cracovie.

L’évangile des pèlerins d’Emmaüs met ensemble (c’est le sens du mot grec : sym-bole) les cinq E de Pâques  et nous invite à faire de même. Rompre le lien entre un seul de ces points et les autres, c’est morceler le Corps du Christ et rompre l’unité de la foi.

Quels sont les œufs de Pâques qui manquent à votre panier ?

Comment allez-vous laisser l’espérance pascale vous ressusciter ?

 


[1] . Cf. CHAUVET Louis-Marie,  Du symbolique au symbole. Essai sur les sacrements,  Cerf, coll. Rites et Symboles, Paris, 1979 ; étude reprise et amplifiée dans : CHAUVET L.M.,  Symbole et Sacrement. Une relecture sacramentelle de l’existence chrétienne, Cerf, coll. Cogitatio Fidei n° 144, Paris, 1987, pp. 167-194.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Il n’était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir » (Ac 2, 14.22b-33)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et leur fit cette déclaration : « Vous, Juifs, et vous tous qui résidez à Jérusalem, sachez bien ceci, prêtez l’oreille à mes paroles. Il s’agit de Jésus le Nazaréen, homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes. Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies. Mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir. En effet, c’est de lui que parle David dans le psaume : Je voyais le Seigneur devant moi sans relâche : il est à ma droite, je suis inébranlable. C’est pourquoi mon cœur est en fête, et ma langue exulte de joie ; ma chair elle-même reposera dans l’espérance : tu ne peux m’abandonner au séjour des morts ni laisser ton fidèle voir la corruption. Tu m’as appris des chemins de vie, tu me rempliras d’allégresse par ta présence. Frères, il est permis de vous dire avec assurance, au sujet du patriarche David, qu’il est mort, qu’il a été enseveli, et que son tombeau est encore aujourd’hui chez nous. Comme il était prophète, il savait que Dieu lui avait juré de faire asseoir sur son trône un homme issu de lui. Il a vu d’avance la résurrection du Christ, dont il a parlé ainsi : Il n’a pas été abandonné à la mort, et sa chair n’a pas vu la corruption. Ce Jésus, Dieu l’a ressuscité ; nous tous, nous en sommes témoins. Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez.

PSAUME

(Ps 15 (16), 1-2a.5, 7-8, 9-10, 11)

R/ Tu m’apprends, Seigneur, le chemin de la vie.
ou : Alléluia ! (Ps 15, 11a)

Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge.
J’ai dit au Seigneur : « Tu es mon Dieu !
Seigneur, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort. »

Je bénis le Seigneur qui me conseille :
même la nuit mon cœur m’avertit.
Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

Mon cœur exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
À ta droite, éternité de délices !

 

DEUXIÈME LECTURE
« Vous avez été rachetés par un sang précieux, celui d’un agneau sans tache, le Christ » (1 P 1, 17-21)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, si vous invoquez comme Père celui qui juge impartialement chacun selon son œuvre, vivez donc dans la crainte de Dieu, pendant le temps où vous résidez ici-bas en étrangers. Vous le savez :ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères ; mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ. Dès avant la fondation du monde, Dieu l’avait désigné d’avance et il l’a manifesté à la fin des temps à cause de vous. C’est bien par lui que vous croyez en Dieu, qui l’a ressuscité d’entre les morts et qui lui a donné la gloire ; ainsi vous mettez votre foi et votre espérance en Dieu.

ÉVANGILE
« Il se fit reconnaître par eux à la fraction du pain » (Lc 24, 13-35)
Alléluia. Alléluia.
Seigneur Jésus, ouvre-nous les Écritures ! Que notre cœur devienne brûlant tandis que tu nous parles. Alléluia. (cf. Lc 24, 32)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine),deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé. Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Jésus leur dit :« De quoi discutez-vous en marchant ? » Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes. L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. » Il leur dit :« Quels événements ? » Ils lui répondirent :« Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple : comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé. À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. » Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.
Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. »Il entra donc pour rester avec eux.
 Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.
Patrick BRAUD

 

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13 février 2017

Le vrai sanctuaire, c’est vous

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Le vrai sanctuaire, c’est vous

Homélie du 7° dimanche du temps ordinaire / année A 19/02/2017
Cf. également :

Boali, ou l’amour des ennemis
También la lluvia : même la pluie !
Pray for Paris
L’amour du prochain et le « care »
J’ai trois amours
Amoris laetitia : la joie de l’amour

L’ancien évêque brésilien de Récife, Dom Helder Camara, racontait autrefois :

Afficher l'image d'origineUn jour, une délégation est venue me voir, ici, à Recife : - « Vous savez, Dom Helder, il y a un voleur qui a réussi à pénétrer dans telle église. Il a ouvert le tabernacle. Comme il ne s’intéressait qu’au ciboire, il a jeté les hosties par terre, dans la boue… Vous entendez, Dom Helder : le Seigneur vivant jeté dans la boue !… Nous avons recueilli ces hosties et les avons portées en procession jusqu’à l’église, mais il faut faire une grande cérémonie de réparation !… » - « Oui, je suis d’accord. On va préparer une procession eucharistique. On va réunir tout le monde. On va vraiment faire un acte de réparation. Le jour de la cérémonie, quand tout le monde était là, j’ai dit : « Seigneur, au nom de mon frère le voleur, je te demande pardon. Il ne savait pas ce qu’il faisait. Il ne savait pas que tu es vraiment présent et vivant dans l’Eucharistie. Ce qu’il a fait nous touche profondément. Mais mes amis, mes frères, comme nous sommes tous aveugles ! Nous sommes choqués parce que notre frère, ce pauvre voleur, a jeté les hosties, le Christ eucharistique dans la boue, mais dans la boue vit le Christ tous les jours, chez nous, au Nordeste ! Il nous faut ouvrir les yeux ! » Et je disais que le meilleur fruit de la communion au Corps du Christ dans l’Eucharistie serait que le Christ ainsi reçu nous ouvre les yeux et nous aide à de reconnaître l’Eucharistie des pauvres, des opprimés, de ceux qui souffrent. C’est sur cela que nous serons jugés, le dernier jour… [1]

Contestant toutes les réductions de la spiritualité chrétienne à des états d’âme intérieurs, Dom Helder Camara rappelait dans cet épisode célèbre le cœur de la désacralisation biblique que Paul résumait ainsi dans notre première lecture :

Frères, ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. (1Co 3,16)

Les juifs, découvrant l’altérité radicale d’un Dieu unique, contestent logiquement les sacralisations opérées par les polythéismes ambiants. Non, la nature n’est pas sacrée, ni les bois, ni les pierres, ni les fétiches construits par de soi-disant sorciers. Non, le sanctuaire n’est pas fait d’or ou d’argent, mais de chair et le sang, car « le sanctuaire c’est vous ».

Le peuple hébreu se l’est entendu dire dès le début de l’Exode :
« Ils me feront un sanctuaire, et j’habiterai au milieu d’eux » (Ex 25,8)

Afficher l'image d'origineVous avez bien lu. Le texte ne commet pas de faute. Normalement, on aurait dû lire : « vous construirez ce sanctuaire afin que j’habite en lui ». Mais non ! Israël a construit le Temple pour que Dieu habite dans le cœur de chacun, et non dans les pierres. L’Église construit des cathédrales, non pour y enfermer l’Esprit du Christ, mais pour que l’Esprit du Christ habite en nous. Les bâtiments sont des symboles, des médiations, pour que Dieu fasse de nous son Temple vivant. Si Notre-Dame de Paris était détruite dans une prochaine guerre, la foi chrétienne n’en serait pas détruite pour autant, car l’inhabitation de Dieu en chacun n’est pas liée au sort de nos cathédrales.

Même l’eucharistie, sacrement suprême de la présence divine, ne peut être idolâtrée. Car ce serait idolâtrer l’eucharistie que de la chosifier (en la limitant aux hosties consacrées par exemple) en la coupant de sa réalisation humaine. La vérité de l’eucharistie est dans la justice rendue aux pauvres, dans le droit protégeant les faibles, dans la solidarité établissant la dignité des moins que rien.

Imaginez que vous vous approchiez du Christ pour l’embrasser au visage alors que vous lui écrasez les pieds avec de gros souliers ferrés. Eh bien – s’écriait saint Augustin – « le Christ criera plus fort pour ses pieds qu’on écrase que pour sa tête qu’on honore » !

Et le cardinal Ratzinger écrivait autrefois :

« seul célèbre vraiment l’Eucharistie celui qui l’achève dans le service divin de tous les jours qu’est l’amour fraternel » [2].

 L’évangile du jour nous montre Jésus dessinant les contours du culte nouveau, « en esprit et en vérité » : ne pas riposter aux méchants, aimer son prochain comme soi-même, tendre l’autre jour, aimer ses ennemis, être parfait comme notre Père céleste est parfait (Mt 5 ; Lv 19,2).

La tradition chrétienne parle d’ailleurs du sacrement du frère indissociable du sacrement de l’autel, les deux se renvoyant mutuellement sans cesse l’un à l’autre. Impossible en effet d’aimer ses ennemis sans aller puiser à la source de l’amour gratuit et inconditionnel qu’est le don de soi du Christ dans son eucharistie. Car aimer celui qui me fait du mal n’est pas naturel. C’est sur-naturel, disaient les anciens à juste titre. Impossible également d’adorer  le Saint Sacrement sans en même temps honorer la dignité d’enfants de Dieu des plus petits, les étrangers, des méprisés, des sans-grades…

 

Le véritable sanctuaire de Dieu, c’est vous.

Paul dynamite les pseudo-spiritualités qui voudraient soit à faire retour à la Terre-mère (sous prétexte d’écologie ou de vagues influences orientales), soit faire retour à une dévotion désincarnée (même revisitée d’une manière charismatique ou folklorique) qui a eu ses heures de gloire autrefois et tente à nouveau des jeunes générations sans repères.

Tout homme est une histoire sacrée : nous avons raison de le chanter. Adorer Dieu dans son sanctuaire et l’adorer en chaque être humain sont des mouvements distincts, mais indissociables : l’un implique l’autre, comme l’amour de Dieu implique l’amour du prochain et réciproquement.

Impossible alors à qui entre dans le sanctuaire divin de se désintéresser de ce que devient l’identité divine de chacun très concrètement : un logement décent, la possibilité d’un travail humanisant, être protégé contre toute forme de domination et d’exploitation etc.

À l’approche des présidentielles françaises, il est bon de rappeler ce lien eucharistie - engagement social. Voter, c’est prendre position sur des questions sociales complexes et mouvantes. Personne ne peut rêver d’être 100% cohérent entre sa pratique dominicale et son vote politique. Ce qui engendre un pluralisme nécessaire et légitime. Cette tension est constitutive de la double identité chrétienne que décrivait la lettre à Diognète au III° siècle :

« Les chrétiens se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils partagent tous la même table, mais non la même couche. Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois. Ils aiment tous les hommes et tous les persécutent. On les méconnaît, on les condamne ; on les tue et par là ils gagnent la vie. Ils sont pauvres et enrichissent un grand nombre. Ils manquent de tout et ils surabondent en toutes choses. On les méprise et dans ce mépris ils trouvent leur gloire. On les calomnie et ils sont justifiés. On les insulte et ils bénissent. On les outrage et ils honorent. Ne faisant que le bien, ils sont châtiés comme des scélérats. Châtiés, ils sont dans la joie comme s’ils naissaient à la vie. »

Cette tension et féconde, lorsqu’elle nous oblige à revisiter nos options politiques à la lumière de l’Évangile, comme à revisiter nos pratiques religieuses à l’aune du critère du respect de l’humain en lequel réside l’Esprit de Dieu.

 

Le véritable sanctuaire de Dieu, c’est vous.

Regardez-vous dans le miroir du matin avec cette phrase de Paul. Vous y décernerez un autre visage de vous-même…

Regardez vos proches, vos collègues, vos voisins avec cette conviction de Paul : chacun est habité par l’Esprit de Dieu, il est plus sacré que toutes les idoles environnantes…

 


[1] . Dom Helder Camara, Les conversions d’un évêque, Seuil, 1977, p. 145, chapitre « L’Eucharistie du pauvre ».
[2] . Joseph Ratzinger, Le nouveau peuple de Dieu, Paris, 1971, p. 17.

 

1ère lecture : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »(Lv 19, 1-2.17-18) Lecture du livre des Lévites
Le Seigneur parla à Moïse et dit : « Parle à toute l’assemblée des fils d’Israël. Tu leur diras : Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur. Mais tu devras réprimander ton compatriote, et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui. Tu ne te vengeras pas. Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur. »

Psaume : Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13
R/ Le Seigneur est tendresse et pitié. (Ps 102, 8a)

Bénis le Seigneur, ô mon âme, bénis son nom très saint, tout mon être !
Bénis le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits !

Car il pardonne toutes tes offenses et te guérit de toute maladie ;
il réclame ta vie à la tombe et te couronne d’amour et de tendresse.

Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ;
il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses.

Aussi loin qu’est l’orient de l’occident, il met loin de nous nos péchés ;
comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint !

2ème lecture : « Tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 16-23) Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. Que personne ne s’y trompe : si quelqu’un parmi vous pense être un sage à la manière d’ici-bas, qu’il devienne fou pour devenir sage. Car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. Il est écrit en effet : C’est lui qui prend les sages au piège de leur propre habileté. Il est écrit encore : Le Seigneur le sait : les raisonnements des sages n’ont aucune valeur ! Ainsi, il ne faut pas mettre sa fierté en tel ou tel homme. Car tout vous appartient, que ce soit Paul, Apollos, Pierre, le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu.

Evangile : « Aimez vos ennemis » (Mt 5, 38-48)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.  En celui qui garde la parole du Christ l’amour de Dieu atteint vraiment sa perfection. Alléluia. (1 Jn 2, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !

 Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »

Patrick BRAUD

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