L'homélie du dimanche (prochain)

26 mai 2024

Communier, est-ce bien moral ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Communier, est-ce bien moral ?

 

Homélie pour la Fête du Saint Sacrement (Fête du Corps et du Sang du Christ) / Année B 

02/06/24

 

Cf. également :

Fêtons le Saint Sacrement avec Chrysostome
Le réel voilé sous le pain et le vin
L’Alliance dans le sang
Les 4 présences eucharistiques
Bénir en tout temps en tout lieu
Les deux épiclèses eucharistiques
Les trois blancheurs
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédech
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie


Le moine et le crapaud

Communier, est-ce bien moral ? dans Communauté spirituelle 220px-Ill_dict_infernal_p0205-189_crapauds_dansant_sabbatCésaire était le prieur de sa communauté cistercienne de Heisterbach, près de Bonn, au XIII° siècle. Ayant remarqué que ses frères communiaient très peu, par peur d’en être indignes, il leur inventa cette fable (exemplum en latin) pour les détourner de leur puritanisme eucharistique [1] : « Celui qui prend en horreur le corps et le sang du Christ est mal avisé, car il est quasiment impossible que l’homme n’encoure pas de péril d’âme ou de corps, si ce n’est des deux. Et à ce sujet je vais donner un exemple vrai et manifeste ». Voici la fable de Césaire :

Un moine n’osait pas communier à la messe du monastère. On ne savait pas pourquoi, mais il fuyait à chaque fois la file de la communion. Déchiré par ce grand écart, le moine finit précisément un Jeudi Saint par quitter bel et bien le monastère, et jette son habit monastique. Il s’assoupit sous un arbre, la bouche ouverte. Un immonde crapaud en profite pour se faufiler dans sa gorge, et s’y cramponne jusqu’à y élire domicile ! Les souffrances que lui inflige l’animal le conduisent à chercher un remède. Il trouve enfin une femme qui parvient à s’adjoindre les services d’une guérisseuse. Placé devant une décoction d’herbes, ouvrant la bouche et fermant les yeux, le moine sent le batracien sortir de son corps par là où il est entré. Assagi par ces épreuves, il retourne au monastère. Il y relate ses déboires et on lui fait boire une potion qui le purge de plus de soixante-dix petits crapauds qui étaient restés dans son corps.

Césaire tire lui-même la leçon de son historiette : c’est à bon droit que celui qui refuse le remède du salut s’expose au danger du poison. Se priver de la communion est suicidaire [2].


On enseignait encore récemment ce puritanisme eucharistique aux fidèles terrorisés : ‘si vous n’êtes pas en état de grâce, votre communion sera votre condamnation et vous irez en enfer’. Mieux valait alors communier le moins possible, car qui sait si je ne suis pas en état de péché mortel sans le savoir ? D’où, en réaction, l’obligation du concile de Latran (1215) de « faire ses Pâques » au moins une fois par an : se confesser et communier tout de suite après (pour ne pas pécher entre-temps) le jour de Pâques. Si bien que 51 dimanches par an on allait « assister à la messe » (sans participer à la communion), et l’on communiait une fois à Pâques.

Durant les siècles marqués par la rigueur janséniste (XVII°-XIX° siècles), l’eucharistie est la récompense rare à un comportement moral exceptionnel. Le pécheur doit être tenu à distance de ce grand mystère. Bien significative est la lettre envoyée par un curé, un soir de Noël à son évêque [3] : « Monseigneur, réjouissez-vous avec moi. Il n’y a pas eu de communion sacrilège aujourd’hui, car je n’ai pas ouvert le tabernacle ». À une époque encore pas si lointaine, Thérèse et ses sœurs du carmel de Lisieux étaient soumises au jugement de leur confesseur qui, seul, pouvait les autoriser à communier.


Kirill et Kigali

Le patriarche Kirill lors d'une messe de Noël à Moscou, le 6 janvier 2023.Le mouvement s’est inversé de façon spectaculaire, et c’est presque l’excès contraire : maintenant : tout le monde communie, sans se poser de questions. ‘Parce que j’y ai droit, parce que je le vaux bien, parce que j’en ai besoin, parce que tous les autres le font et je ne veux pas être à l’écart’ etc. Si bien que les divorcés-remariés ou les catéchumènes voient avec étonnement de fieffés filous, des libertins notoires, des patrons véreux, bref de vrais salauds s’approcher les mains ouvertes en toute innocence sans que personne n’en dise rien, alors que eux n’y ont pas droit. Un peu facile, non ?

Regardez Kirill, chef du patriarcat russe orthodoxe de Moscou. Enseveli sous des kilos d’étoffes rutilantes, de chasubles brodées d’or et d’argent, chamarré comme un cheval de cirque, il célèbre l’eucharistie avec componction et gravité, et se met juste après à remercier Dieu pour « le miracle Poutine » et à faire prier ses fidèles pour la victoire de la Sainte Russie en Ukraine.

À quoi servent ces belles célébrations orthodoxes aux chœurs sublimes si c’est pour contredire en pratique la communion reçue ?


240404_Affiche-Rwanda-300dpi crapaud dans Communauté spirituelleOu encore souvenez-vous du génocide du Rwanda, dont nous avons marqué le triste trentenaire cette année. En avril 1994, 90% de la population du Rwanda était catholique. Tous pratiquants réguliers. Tous allaient à la messe avec enthousiasme, chantaient, dansaient et animaient des célébrations eucharistiques extraordinairement ferventes comme l’Afrique Noire sait en faire. Las, à peine sortie de l’église, ce 7 avril 1994 et après, le pain azyme à peine fondu dans la bouche, ils ont pris leurs machettes et commencé à rompre d’autres corps que celui de l’autel, à verser d’autres sangs que celui du calice. Ils ont gorgé le sol rwandais du sang de 800 000 à 1 million de victimes. Ils ont déchiqueté et démembré des corps plus que les charniers ne pouvaient en contenir. Ils ont massacré ceux avec qui ils communiaient le dimanche… C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que la violence intra-religieuse connaissait un tel niveau d’horreur. Même les guerres de religion en Europe ont fait moins de victimes, et c’était entre catholiques et protestants, pas entre catholiques. À cela il faut ajouter hélas les 10 millions de morts (oui, vous avez bien lu !) que ce confit Hutus/Tutsis a provoqué en République Démocratique du Congo depuis 1994…

À quoi servent alors les belles messe dominicales, les magnifiques costumes endimanchés multicolores, les communions recueillies, les prières à genoux sur les bancs de l’église si c’est pour massacrer les co-paroissiens Tutsis (ou les Hutus ensuite) à la sortie ?


Les responsables politiques français n’étaient pas plus au clair, comme le président Macron l’a enfin reconnu récemment. Mitterrand avait nié en son temps être complice de quoi que ce soit dans ce génocide, « les yeux dans les yeux ». Mais heureusement, lui n’allait pas communier le dimanche…

Kirill et ses sbires, ou les génocidaires du Rwanda et leurs complices feraient bien de relire Saint Jean Chrysostome, liant fermement la communion eucharistique et l’amour de l’autre, le sacrement de l’autel et le sacrement du frère (il a d’ailleurs été condamné à l’exil pour avoir osé refuser à l’empereur la communion en public dans sa cathédrale, parce qu’il sortait des jeux du cirque et avait ainsi du sang sur les mains) :


Calice de messe orné de saphirsQuel avantage y a-t-il à ce que la table du Christ soit chargée de vases d’or, tandis que lui-même meurt de misère ? Commence par rassasier l’affamé et, avec ce qui te restera, tu orneras son autel. Tu fais une coupe en or, et tu ne donnes pas un verre d’eau fraîche ? Et à quoi bon revêtir la table du Christ de voiles d’or, si tu ne lui donnes pas la couverture qui lui est nécessaire ? Qu’y gagnes-tu ? Dis-moi donc : Si tu vois le Christ manquer de la nourriture indispensable, et que tu l’abandonnes pour recouvrir l’autel d’un revêtement précieux, est-ce qu’il va t’en savoir gré ? Est-ce qu’il ne va pas plutôt s’en indigner ? Ou encore, tu vois le Christ couvert de haillons, gelant de froid, tu négliges de lui donner un manteau, mais tu lui élèves des colonnes d’or dans l’église en disant que tu fais cela pour l’honorer. Ne va-t-il pas dire que tu te moques de lui, estimer que tu lui fais injure, et la pire des injures ?

 

Pense qu’il s’agit aussi du Christ, lorsqu’il s’en va, errant, étranger, sans abri ; et toi, qui as omis de l’accueillir, tu embellis le pavé, les murs et les chapiteaux des colonnes, tu attaches les lampes par des chaînes d’argent ; mais lui, tu ne veux même pas voir qu’il est enchaîné dans une prison. Je ne dis pas cela pour t’empêcher de faire de telles générosités, mais je t’exhorte à les accompagner ou plutôt à les faire précéder par les autres actes de bienfaisance. Car personne n’a jamais été accusé pour avoir omis les premières, tandis que, pour avoir négligé les autres, on est menacé de la géhenne, du feu qui ne s’éteint pas, du supplice partagé avec les démons. 

Par conséquent, lorsque tu ornes l’église, n’oublie pas ton frère en détresse, car ce temple-là a plus de valeur que l’autre.

Jean Chrysostome, Homélie sur l’Évangile de Matthieu

Ou Saint Augustin tonnant contre l’hypocrisie de communiants trop dévots pour être honnêtes :


Imaginez – disait-il – que vous vous approchez du Christ pour l’embrasser au visage alors que vous lui écrasez les pieds avec de gros souliers ferrés. Eh bien, le Christ criera plus fort pour ses pieds qu’on écrase que pour sa tête qu’on honore » !

Homélies sur la première épître de saint Jean, X, 8

 

Et le cardinal Ratzinger écrivait autrefois :
« seul célèbre vraiment l’Eucharistie celui qui l’achève dans le service divin de tous les jours qu’est l’amour fraternel » [4].


Ce qui est moral, c’est de s’interroger

Le moine et le crapaud nous encouragent à aller communier fréquemment pour trouver la force de lutter contre le mal. Mais à l’inverse, Kirill ou Kigali nous montrent en négatif la contradiction meurtrière qu’il y aurait à communier sans aimer « en actes et en vérité ». D’un côté il nous faut affirmer que communier n’est pas moral, au sens où ce n’est pas une démarche reposant sur la valeur morale de nos actes. D’un autre côté, il nous faut nous souvenir de l’avertissement de Paul sur une communion qui ne porterait aucun fruit éthique de conversion :  « celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation » (1 Co 11,29).

cranium-2028555__340 eucharistieEn cette fête du Saint Sacrement, laissons donc cette question nous tarauder, sans y répondre trop vite : est-ce bien moral que j’aille communier ce dimanche ?

Si je réponds non, je risque de dissocier la foi et l’éthique de manière irresponsable, ou je risque de me condamner à ne jamais y avoir accès car je ne serai jamais à la hauteur. J’avale le crapaud en refusant l’hostie.

Si je réponds oui, je risque de faire de l’eucharistie une récompense, une médaille méritée par mes efforts pour une vie droite.


Dissocier radicalement eucharistie et morale, c’est s’exposer aux aberrations de Kirill et de Kigali.

Lier la communion à mes vertus serait tout aussi dangereux, car cela ferait de l’eucharistie une médaille et non un remède, un sommet uniquement et non une source avant le sommet…

Beaucoup de chrétiens ont encore un crapaud cramponné dans la gorge, les décourageant d’aller communier. Et ce crapaud fait des petits en eux…

Beaucoup d’autres – la majorité sans doute – ne veulent pas faire le lien entre l’hostie et le corps de l’autre, entre le calice et le sang de l’autre. Ils communient par habitude, par conformisme, par superstition, par revendication individuelle, pour leur épanouissement personnel etc.


Y a-t-il une autre voie eucharistique que ces deux-là ?

Ne pas déserter la communion, et ne pas s’y habituer.

S’en approcher en tremblant et la recevoir avec confiance.

S’examiner loyalement à la lumière des textes de la messe, et s’en remettre à Dieu qui seul est Juge.

Communier pour faire le bien, mieux, davantage, et non parce que je suis moralement dans les clous.

Recevoir l’hostie comme un don, un cadeau immérité, une grâce incroyable, et s’engager de toutes mes forces à la faire fructifier en famille, en entreprise, entre voisins, entre nations…


Les non-pratiquants disent souvent pour se justifier : ‘les chrétiens qui vont à la messe ne sont pas meilleurs que les autres’. On peut leur répondre en souriant : ‘Peut-être. Mais qui sait s’ils ne seraient pas pires s’ils n’y allaient pas ?…

Laissons à nouveau la parole à Saint Jean Chrysostome, qui prie ainsi juste avant de recevoir la communion :
Je ne suis pas digne, ô mon Maître et mon Seigneur, de te recevoir sous le toit de mon âme ; mais puisque, dans ton amour des hommes, tu veux habiter en moi, je prends confiance et je m’approche de toi. Tu ordonnes que j’ouvre largement les portes de mon cœur, que toi seul as créées, pour que tu puisses entrer avec cet amour qui est ta nature ; je le crois fermement, tu entreras et tu illumineras mon esprit enténébré. Car tu n’as pas chassé la prostituée venue à toi en larmes, ni repoussé le publicain repentant, ni rejeté le larron qui confessait ton royaume, ni abandonné à lui-même le persécuteur converti. Mais tous ceux qui sont venus à toi par la pénitence, tu les as placés au rang de tes amis, toi qui es le seul béni en tout temps et dans les siècles sans fin. Amen.

 

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[1]. Cf. François Wallerich, L’eucharistie, l’apostat et le crapaud. Sur un exemplum de Césaire de Heisterbach, Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 21.2 | 2017, consultable ici : https://journals.openedition.org/cem/14731

[2]. « Nous rompons un même pain qui est remède d’immortalité, antidote pour ne pas mourir, mais pour vivre en Jésus-Christ pour toujours », Ignace d’Antioche, Eph. 20, 2.

[4] . Joseph Ratzinger, Le nouveau peuple de Dieu, Aubier, 1971, p. 17.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu t’a donné cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue » (Dt 8, 2-3.14b-16a)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »

PSAUME
(Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20)
R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! (Ps 147, 12a)

Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.
Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.


Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.
Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.


Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.


DEUXIÈME LECTURE
« Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps » (1 Co 10, 16-17)


Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.


SÉQUENCE
Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges »
Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères.
Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.
* Le voici, le pain des anges, il devient le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.


ÉVANGILE
« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51.58)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD

 

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4 juin 2023

Fêtons le Saint Sacrement avec Chrysostome

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Fêtons le Saint Sacrement avec Chrysostome

Homélie pour le Dimanche de la fête du Corps et du Sang du Christ / Année A
11/06/2023

Cf. également :
Le réel voilé sous le pain et le vin
L’Alliance dans le sang
Les 4 présences eucharistiques
Bénir en tout temps en tout lieu
Les deux épiclèses eucharistiques
Les trois blancheurs
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédech
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie

Fêtons le Saint Sacrement avec Chrysostome dans Communauté spirituelle Le-Saint-Sacrement-Livre-1970896240_MLSaint Jean Chrysostome (344-407) est l’un des Pères de l’Église les plus percutants sur le plan social. Cela lui a valu des années d’exil de la part du pouvoir impérial qui n’aimait pas trop ce trublion, non aligné sur les puissants de l’époque.

Il fait sans cesse le lien entre l’eucharistie et les pauvres, et souligne avec force que le sacramentel doit se traduire dans le social, sinon ce n’est que de la superstition. Pourtant on lui doit l’anaphore (prière eucharistique) la plus célébrée des Divines Liturgies dans les Églises orthodoxes : son amour de l’eucharistie est donc au-dessus de tout soupçon !

À l’heure où prolifèrent les élucubrations les plus irrationnelles sur l’eucharistie, célébrons la fête du Corps et du Sang du Christ en laissant l’évêque de Constantinople remettre à l’endroit notre dévotion au Saint Sacrement.

 

À la vue d’un pauvre fidèle, dites-vous que c’est un autel que vos yeux contemplent
Le Christ nous a invités à sa table, il nous a vêtus, quand nous étions nus, et nous ne l’accueillons pas quand il passe.
Il nous a fait boire à sa coupe, et nous lui refusons un verre d’eau fraîche.

infographie-carte-europe-sdf-01 autel dans Communauté spirituelleEh bien ! Vous honorez cet autel parce qu’il supporte le corps du Christ, et pour l’autel qui est le corps du Christ, vous l’outragez, et quand il tombe en ruines, vous passez sans regarder. Cet autel, vous pourrez le voir partout, dans les ruelles, et dans les places, et il n’est pas de jour où vous ne puissiez y offrir un sacrifice à toute heure, car sur cet autel le sacrifice s’offre aussi.

Et de même que le prêtre, debout à l’autel, fait venir le Saint-Esprit, de même, vous aussi, vous le faites venir ce Saint-Esprit, non par des paroles, mais par des actions. Car il n’est rien qui alimente, qui embrase le feu du Saint-Esprit, comme cette huile de l’aumône largement répandue. Tenez-vous à savoir encore ce que deviennent les largesses épanchées par vous, approchez, je vous montrerai tout. Quelle est la fumée ? Quelle est la bonne odeur que cet autel exhale ? C’est la gloire, avec les bénédictions. Et jusqu’où monte-t-elle cette fumée ? Jusqu’au ciel ? Non, elle ne s’y arrête nullement ; elle s’élève bien au-dessus du ciel, elle va plus haut encore ; jusqu’au trône même du Roi des Rois. « Car - dit l’Écriture - vos prières et vos aumônes sont montées jusqu’à la présence de Dieu » (Ac 10,4). La bonne odeur qui flatte les sens ne traverse pas une grande partie de l’air,  alors que le parfum de l’aumône pénètre à travers les plus hautes voûtes des cieux. Vous gardez le silence, mais votre œuvre fait entendre un grand cri. C’est un sacrifice de louange ; il n’y a pas de génisse égorgée, de peau dévorée par la flamme, c’est une âme spirituelle qui apporte tous ses dons : sacrifice incomparable, surpassant tout ce que peut faire l’amour pour les hommes.

Donc à la vue d’un pauvre fidèle, dites-vous que c’est un autel que vos yeux contemplent.

À la vue d’un mendiant, qu’il ne vous suffise pas de ne pas l’outrager, soyez encore saisi de respect. Que si vous voyez qu’on l’outrage, empêchez, repoussez cette injure. C’est ainsi que vous pourrez vous rendre Dieu propice, et obtenir les biens qui nous sont annoncés. Puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Jean Chrysostome, Homélie XX sur 2Co 9, 10-15

 

Ce temple-là a plus de valeur que l’autre
« Tu veux honorer le Corps du Christ ? Ne le méprise pas lorsqu’il est nu. Ne l’honore pas ici dans l’église, par des tissus de soie, tandis que tu le laisses dehors souffrir du froid et du manque de vêtements. Car celui qui a dit : “Ceci est mon Corps” (1 Co 11,24), et qui l’a réalisé en le disant, c’est lui qui a dit : “Vous m’avez vu avoir faim, et vous ne m’avez pas donné à manger” (Mt 25,42), et aussi : “Chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait“ (Mt 25,45). Ici le Corps du Christ n’a pas besoin de vêtements, mais d’âmes pures ; là-bas, il a besoin de beaucoup de sollicitude. »

Apprenons donc à vivre selon la sagesse et à honorer le Christ comme il le veut lui-même. Car l’hommage qui lui est le plus agréable est celui qu’il demande, non celui que nous-mêmes choisissons. Lorsque Pierre croyait l’honorer en l’empêchant de lui laver les pieds, ce n’était pas de l’honneur, mais tout le contraire. Toi aussi, honore-le de la manière prescrite par lui en donnant ta richesse aux pauvres. Car Dieu n’a pas besoin de vases d’or mais d’âmes qui soient en or.

Je ne vous dis pas cela pour vous empêcher de faire des donations religieuses, mais je soutiens qu’en même temps, et même auparavant, on doit faire l’aumône. Car Dieu accueille celles-là, mais bien davantage celle-ci. Car, par les donations, celui qui donne est le seul bénéficiaire mais, par l’aumône, le bénéficiaire est aussi celui qui reçoit. La donation est une occasion de vanité ; mais l’aumône n’est autre chose qu’un acte de bonté.

trois calice d'or

Quel avantage y a-t-il à ce que la table du Christ soit chargée de vases d’or, tandis que lui-même meurt de misère ? Commence par rassasier l’affamé et, avec ce qui te restera, tu orneras son autel. Tu fais une coupe en or, et tu ne donnes pas un verre d’eau fraîche ? Et à quoi bon revêtir la table du Christ de voiles d’or, si tu ne lui donnes pas la couverture qui lui est nécessaire ? Qu’y gagnes-tu ? Dis-moi donc : Si tu vois le Christ manquer de la nourriture indispensable, et que tu l’abandonnes pour recouvrir l’autel d’un revêtement précieux, est-ce qu’il va t’en savoir gré ? Est-ce qu’il ne va pas plutôt s’en indigner ? Ou encore, tu vois le Christ couvert de haillons, gelant de froid, tu négliges de lui donner un manteau, mais tu lui élèves des colonnes d’or dans l’église en disant que tu fais cela pour l’honorer. Ne va-t-il pas dire que tu te moques de lui, estimer que tu lui fais injure, et la pire des injures ?

Pense qu’il s’agit aussi du Christ, lorsqu’il s’en va, errant, étranger, sans abri ; et toi, qui as omis de l’accueillir, tu embellis le pavé, les murs et les chapiteaux des colonnes, tu attaches les lampes par des chaînes d’argent ; mais lui, tu ne veux même pas voir qu’il est enchaîné dans une prison. Je ne dis pas cela pour t’empêcher de faire de telles générosités, mais je t’exhorte à les accompagner ou plutôt à les faire précéder par les autres actes de bienfaisance. Car personne n’a jamais été accusé pour avoir omis les premières, tandis que, pour avoir négligé les autres, on est menacé de la géhenne, du feu qui ne s’éteint pas, du supplice partagé avec les démons.
Par conséquent, lorsque tu ornes l’église, n’oublie pas ton frère en détresse, car ce temple-là a plus de valeur que l’autre.

Jean Chrysostome, Homélie sur l’Évangile de Matthieu

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Dieu t’a donné cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue » (Dt 8, 2-3.14b-16a)

Lecture du livre du Deutéronome
Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur. N’oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. C’est lui qui t’a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. C’est lui qui, pour toi, a fait jaillir l’eau de la roche la plus dure. C’est lui qui, dans le désert, t’a donné la manne – cette nourriture inconnue de tes pères. »

PSAUME
(Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20)
R/ Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! (Ps 147, 12a)

Glorifie le Seigneur, Jérusalem ! Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.

Il fait régner la paix à tes frontières,
et d’un pain de froment te rassasie.
Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.

Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.
Pas un peuple qu’il ait ainsi traité ;
nul autre n’a connu ses volontés.

DEUXIÈME LECTURE
« Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps » (1 Co 10, 16-17)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.

SÉQUENCE

Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de : « Le voici, le pain des anges »

Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères.
Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.

* Le voici, le pain des anges, il devient  le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.

ÉVANGILE
« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51-58)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51.58)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
 En ce temps-là, Jésus disait aux foules des Juifs : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Patrick BRAUD

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2 avril 2023

Le casse-croûte du Jeudi saint

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le casse-croûte du Jeudi saint

Homélie pour le Jeudi Saint / Année A
06/04/2023

Cf. également :

Jeudi Saint : aimer jusqu’au « telos »
La portée animalière du sacrifice du Christ
Jeudi saint : les réticences de Pierre
« Laisse faire » : éloge du non-agir
« Laisse faire » : l’étrange libéralisme de Jésus
Jeudi Saint : pourquoi azyme ?
La commensalité du Jeudi saint
Le Jeudi saint de Pierre
Jeudi Saint / De la bouchée au baiser : la méprise de Judas
Jeudi Saint : la nappe-monde eucharistique
Je suis ce que je mange
La table du Jeudi saint
Le pain perdu du Jeudi Saint
De l’achat au don

Casse-croûte
Casse-croûte
Il fut un temps où le pain était croustillant. Le mordre à pleines dents le faisait craquer de partout, et on avait aux oreilles le bruit si caractéristique de la croûte qui se brise, ce qui double le plaisir. La croûte de la miche de pain était si dure, blonde et noire de cuisson, qu’il fallait la casser au préalable avec un outil spécial au XVIII° siècle pour que les vieillards édentés des hospices puissent quand même savourer la tendre mie à l’intérieur. D’où l’expression « casser la croûte », qui supposait alors connu le but : nourrir les édentés ! Puis l’expression s’est étendue au fait de nourrir son voisin à table, en prenant la miche de pain et on la fractionnant à la main pour la partager avec ses commensaux.

Le casse-croûte était né, qui charrie toujours avec lui un parfum de camaraderie, de partage, de bonne humeur d’être ensemble, ou de pause-travail bien méritée à plusieurs.

Pain rompu pour nourrir
Jésus ne connaissait pas notre bon pain français, mais le pain azyme utilisé lors du repas pascal est aussi croustillant ! Puisqu’il est sans levain, le pain azyme ressemble à une galette craquante, une biscotte géante. C’est le rôle du père de famille lors du repas pascal de prendre la matsa (galette de pain azyme), de la casser et la fracturer pour donner à chacun sa part de pain autour de la table.
MatsaOn n’est pas sûr que le dernier repas de Jésus ait suivi le rituel pascal (le seder Pessah), le rituel très codifié de la nuit pascale, mais on est sûr que Jésus a de multiples fois rompu le pain azyme pour ses disciples, en prononçant les bénédictions juives prévues pour accompagner ce geste.

Dans notre 2° lecture, Paul est donc le premier témoin d’une chaîne de transmission orale qui est formelle sur la fraction du pain :
« Frères, moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous » ».
Ce qui est au cœur de ce que nous appelons aujourd’hui l’eucharistie n’est donc pas le pain, mais le pain rompu [1]. Et qui dit ‘pain rompu’ dit ‘pain rompu pour’ : pour partager aux convives, pour le faire qu’un en Christ ajoutera Paul. À tel point que dans les premiers siècles on appelle fraction du pain et non eucharistie le rassemblement du dimanche matin qui singularise les chrétiens des juifs. Les Actes des Apôtres ont gardé la trace de la place centrale de ce geste dans la célébration :

« Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur » (Ac 2,46).
« Le premier jour de la semaine, nous étions rassemblés pour rompre le pain… » (Ac 20,7).
« Paul remonta, rompit le pain et mangea ; puis il conversa avec eux assez longtemps, jusqu’à l’aube ; ensuite il s’en alla » (Ac 20,11).
« Ayant dit cela, Paul a pris du pain, il a rendu grâce à Dieu devant tous, il l’a rompu, et il s’est mis à manger » (Ac 27,35).
Et la Didachè, texte chrétien du II° siècle, montre que l’usage était encore en vigueur : « chaque jour du Seigneur, réunissez-vous pour la fraction du pain… ».

Le terme eucharistie (action de grâces) a peu à peu remplacé la fraction du pain, à partir du III° siècle. Il semblait peut-être plus global, car désignant toute la célébration et pas seulement un moment de celle-ci.

Puis le mot messe a remplacé eucharistie, revenant au procédé métonymique où une partie de la célébration - en l’occurrence l’envoi final : ite missa est = maintenant vous êtes envoyés au monde - désigne la totalité.

C’est presque dommage d’avoir remplacé fraction du pain par eucharistie ou messe ! Imaginez que vous disiez un collègue : « le dimanche, je vais à la fraction du pain ». Sa curiosité serait piquée au vif ! Vous lui parleriez alors de ce pain qui est brisé pour nourrir tous les invités. Vous évoqueriez les brisures de la Passion du Christ, comment il a fait de sa vie une nourriture partagée à tous. Vous pourriez même vous confier : les grandes fractures de votre parcours personnel, le sens que vous leur avez donné. Vous lui témoigneriez de la joie qu’il y a à se partager aux autres, à devenir soi-même pain rompu pour ses proches.

Le casse-croûte du Jeudi saint dans Communauté spirituelle 78590504-isol%C3%A9-rompu-%C3%A0-la-place-de-la-matza-carr%C3%A9-shmura-sauv%C3%A9e-par-la-tradition-du-pessa-h-juifLa fraction du pain est l’histoire de notre suite du Christ, lorsque nous expérimentons qu’une vie rompue au service des autres fait la joie de ceux qui sont attablés ensemble.

Au Moyen Âge, on a remplacé l’unique hostie qui était fracturée pour l’assemblée par une multitude de petites hosties rondes prédécoupées. Du coup, le geste de la fraction du pain pendant lequel on doit chanter l’Agneau de Dieu aussi longtemps que nécessaire ne dure que 2 secondes. Et c’est bien dommage. Car qui peut croire en recevant une hostie ronde qu’elle provient d’un seul pain qui a été fracturé ? [2]

La fraction du pain est le signe de l’amour-agapè : l’amour-charité est essentiellement une proexistence, une brisure de soi, une multiplication infinie… « L’amour augmente lorsqu’il est partagé » disait St Augustin. Ce n’est pas le pain comme objet qui est apte à porter la présence du Christ, mais le pain partagé, car l’être même de Dieu est de se livrer, de se donner, de se perdre pour les autres, par amour… Ainsi transparaît l’Amour livré pour le salut du monde. La présence réelle, sacramentelle et agissante, passe par cette brisure.

Pain rompu pour unir
Paul ajoute une autre signification au pain rompu : il écrit aux corinthiens parce qu’ils sont divisés, chamailleurs, querelleurs. Leur Église locale divisée par la rivalité des egos : « j’entends dire que, parmi vous, il existe des divisions, et je crois que c’est assez vrai » (1Co 11,18).

Rien de très neuf en réalité…
Mais du coup, en bon pasteur de la communauté, Paul leur prescrit le seul remède radical qu’il connaisse : communier à la fraction du pain. Car paradoxalement, ce pain rompu est le symbole de notre unité. Il est cassé, fractionné, coupé en de multiples morceaux, mais ceux qui le mangent deviennent un seul corps.
C’est presque un traitement homéopathique : rompre le pain nous donne la force spirituelle de ne pas rompre nos liens fraternels.

wXRp1896993 croûte dans Communauté spirituelleOn a la même idée dans l’Ancien Testament lorsqu’Abraham coupe en deux des carcasses d’animaux pour sceller l’Alliance entre YHWH et lui, dans le fameux et mystérieux passage de « l’Alliance entre les morceaux » :
« Le Seigneur lui dit : ‘Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe.’ Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre |…] Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram |…] » (Gn 15,9-18). Paradoxalement, le partage des carcasses symbolise l’union avec YHWH. Dans l’Alliance, le peuple sera en vis-à-vis face à YHWH comme les morceaux d’animaux deux par deux. Le but de la fraction est déjà de ne plus faire qu’un à plusieurs, ce que la Nouvelle Alliance de la fraction du pain accomplira à l’extrême.

1-c39302f2b1 eucharistieSaint Augustin développera sans cesse ce thème du pain rompu pour l’unité des chrétiens :
« Pourquoi donc le corps est-il dans le pain ? Ici encore, ne disons rien de nous-mêmes, écoutons encore l’Apôtre qui, en parlant de ce sacrement, nous dit : Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps (1Co 10,17). Comprenez cela et soyez dans la joie : unité, vérité, piété, charité ! Un seul pain : qui est ce pain unique ? Un seul corps, nous qui sommes multitude. Rappelez-vous qu’on ne fait pas du pain avec un seul grain, mais avec beaucoup. Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. Voilà ce que l’Apôtre dit du pain » (sermon 272).

Pain rompu pour nourrir,
pain rompu pour unir :
que la fraction du pain ce soir nous entraîne à nous-même devenir rompu pour les autres…

 

 

 

 

______________________________________

[1]. On retrouve l’expression « rompre le pain » dans le miracle du partage des pains (Mt 14, 19.20 ; 15, 36.37 ; Mc 6, 41.43 ; 8, 6.8. 19.20; Lc 9, 17; Jn 6, 11.12.13). b. Puis dans la dernière Cène (Mt 26, 26 ; Mc 14, 22 ; Lc 22, 19; 1 Co 11, 24). c. Et dans cinq autres circonstances : à Emmaüs (Lc 24, 30.35), à Jérusalem (Ac 2, 42.46), à Troas (Ac20, 7.11), sur le navire qui conduit Paul à Rome (Ac 27, 35), à Corinthe (1 Co 10, 16). Dans tous ces passages (au total 16), 14 fois celui qui rompt le pain est nommé : 12 fois c’est Jésus, et 2 fois c’est Paul. Par 2 fois le sujet est la communauté, l’Église locale dans son ensemble.

[2]. La Présentation Générale du Missel Romain (n° 283) demande d’ailleurs qu’on puisse distribuer au moins quelques morceaux du pain rompu à quelques fidèles, et estime « très souhaitable » (n° 564) que l’assemblée reçoive le Corps du Christ avec les hosties consacrées pendant la messe (plutôt qu’avec celles du tabernacle).

MESSE DU SOIR

PREMIÈRE LECTURE
Prescriptions concernant le repas pascal (Ex 12, 1-8.11-14)

Lecture du livre de l’Exode
En ces jours-là, dans le pays d’Égypte, le Seigneur dit à Moïse et à son frère Aaron : « Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois, il marquera pour vous le commencement de l’année. Parlez ainsi à toute la communauté d’Israël : le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. Si la maisonnée est trop peu nombreuse pour un agneau, elle le prendra avec son voisin le plus proche, selon le nombre des personnes. Vous choisirez l’agneau d’après ce que chacun peut manger. Ce sera une bête sans défaut, un mâle, de l’année. Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. Je traverserai le pays d’Égypte, cette nuit-là ; je frapperai tout premier-né au pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’au bétail. Contre tous les dieux de l’Égypte j’exercerai mes jugements : Je suis le Seigneur. Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte.
Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est un décret perpétuel : d’âge en âge vous la fêterez. »

PSAUME
(115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18)
R/ La coupe de bénédiction est communion au sang du Christ. (cf. 1 Co 10, 16)

Comment rendrai-je au Seigneur
tout le bien qu’il m’a fait ?
J’élèverai la coupe du salut,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Il en coûte au Seigneur
de voir mourir les siens !
Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur,
moi, dont tu brisas les chaînes ?

Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.
Je tiendrai mes promesses au Seigneur,
oui, devant tout son peuple.

DEUXIÈME LECTURE
« Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 23-26)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »
Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

ÉVANGILE
« Il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1-15)
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus ! (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? » Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. » Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, sinon les pieds : on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs, mais non pas tous. » Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « Vous n’êtes pas tous purs. »
Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Patrick BRAUD

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12 juin 2022

Le réel voilé sous le pain et le vin

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le réel voilé sous le pain et le vin

Homélie pour la fête du Corps et du Sang du Christ / Année C
19/06/2022

Cf. également :

Bénir en tout temps en tout lieu
Les 4 présences eucharistiques
Les deux épiclèses eucharistiques
Les trois blancheurs
Comme une ancre jetée dans les cieux
Boire d’abord, vivre après, comprendre ensuite
De quoi l’eucharistie est-elle la madeleine ?
Donnez-leur vous-mêmes à manger
Impossibilités et raretés eucharistiques
Je suis ce que je mange
L’eucharistie selon Melchisédech
2, 5, 7, 12 : les nombres au service de l’eucharistie
L’Alliance dans le sang

 

Canal arc en ciel liquide

Diffraction liquide

Un jour, me promenant le long d’un canal, j’ai vu soudain surgir un arc-en-ciel liquide dansant sur les ondulations de l’eau calme. Les couleurs s’étalaient sur toute la largeur, et on distinguait nettement le jaune, le rouge, le vert, l’indigo etc. Les marcheurs derrière ne le voyaient pas. Les poissons dans l’eau nageant au milieu ne le savaient pas. Les cyclistes sur le pont au-dessus ne remarquaient rien. Cet arc-en-ciel liquide, petit miracle de diffraction dans l’eau et non dans l’air, n’existait que pour les passants à l’intérieur d’un certain angle  de vue, et pour personne d’autre. Et pourtant, il était bien réel !

Et voilà que me remontaient à la mémoire les débats du XX° siècle entre scientifiques au sujet du réel : la physique peut-elle atteindre le réel en soi, tel qu’il existe en dehors de nous, ou bien tout dépend-t-il de la position de l’observateur ? Les tenants de la première position, dite réaliste, avaient dans leurs rangs Einstein et la théorie de la relativité. La seconde position, dite subjectiviste, était soutenue par Max Planck, Maxwell et la théorie de la mécanique quantique. Leur disputatio faisait écho à celle des philosophes du XVIII° siècle, notamment entre les héritiers d’Aristote voulant atteindre l’être des choses telles qu’il existe en lui-même hors de l’homme et les novateurs comme Kant qui avançait que l’homme ne connaîtrait jamais que des phénomènes, manifestations extérieures d’une réalité hors de portée de la connaissance humaine.

En physique, le débat Einstein-Planck a été tranché fin XX° début XXI° par des expérimentations incontestables. Sans entrer dans le détail [2], des physiciens ont montré qu’Einstein avait tort, et que la mécanique quantique a bien raison : tout dépend de l’observateur, sa position, sa vitesse. Ce qu’il voit ou ce qu’il mesure n’est pas la chose en elle-même, mais le résultat de sa mesure sur la chose. Un peu comme le thermomètre dans un verre d’eau : il ne mesure pas la température de l’eau avant, mais du système ‘eau + thermomètre’ après. Autrement dit, la température d’avant la mesure est inaccessible. Bien sûr, dans la vie courante, ces différences sont microscopiques et ne changent rien. Mais à l’échelle atomique ou astronomique, leurs conséquences sont énormes !

 

Le Réel voilé

Le réel voilé

Un physicien et philosophe français a proposé une belle expression pour désigner cette caractéristique de l’être des choses qui ne se révèle qu’en interaction avec un observateur : le réel voilé [2]. Bernard d’Espagnat commente longuement les conséquences philosophiques de ces expériences qui ont permis de résoudre le fameux paradoxe EPR (acronyme dérivé des initiales d’Einstein, Podolsky et Rosen, deux de ses collaborateurs à l’Université de Princeton qui partageaient son postulat déterministe) au bénéfice du subjectivisme et au détriment du réalisme. Le réel est voilé : il se manifeste en se transformant ; il reste caché tout en se laissant mesurer ; il est irréductible à ce qu’on connaît de lui ; il échappe toujours ; il dépend de celui qui l’approche, comme l’arc-en-ciel liquide apparaît puis disparaît aux yeux du marcheur le long du canal…
« Toujours au chapitre des propriétés de cette évanescente réalité, il faut enfin noter qu’elle n’est pas directement accessible, puisque nos instruments nous indiquent seulement ce qu’elle ne saurait être. D’ailleurs, elle dépend, du moins en partie, de l’observateur, une notion que la mécanique quantique a rendue familière ».

Il semble bien que les choses existent en dehors de nous, indépendamment de toute observation ou mesure. Notre fonction est de savoir les saisir sans les déformer. Est-il possible de le faire objectivement ? Est objectif ce qui est comme détaché de son auteur, ce qui est dans l’objet et non pas dans le sujet qui l’observe. Mais comment le saurai-je s’il n’y a pas quelqu’un pour le dire ? C’est pourquoi on précise : est objectif ce qui est dans l’objet pensé. Est subjectif ce qui est dans le sujet pensant. De toute manière, la pensée est toujours présente. Il n’est pas possible de dire ce que serait le monde si l’homme n’était pas présent pour l’exprimer.

Ainsi le réel vrai est lointain alors que la chose est proche. Et c’est parce qu’il est lointain qu’il est aussi voilé. Qu’est-ce que le voile ? C’est l’étoffe qui couvre ou protège un visage, peut-être pour le cacher, le tenir à l’écart des indiscrétions ou des impuretés, tel le voile des religieuses ou des femmes arabes. Mais le voile peut exprimer un obscurcissement ou un éblouissement, et c’est le cliché voilé. Il peut être encore un prétexte pour empêcher que l’on connaisse la vérité : il est alors voulu et non pas spontané. Il est provisoire ou définitif : on voit s’esquisser ainsi les expressions de dévoiler et de révéler. La fonction de l’esprit est de lever le voile qui empêche de connaître. Mais est-il vraiment capable de le faire ? Pour d’Espagnat le mot réalité a deux sens qui ne se recouvrent pas. Il y a la réalité en soi, ou de base ; la réalité « derrière les choses », dite encore intrinsèque, hors de l’espace et du temps : c’est celle qui est lointaine et voilée. L’autre réalité est appelée : de l’expérience, ou empirique, la réalité « pour nous » qui la côtoyons, celle que le commun considère comme la seule. C’est le monde des phénomènes, domaine de la science positive, de l’ensemble des apparences. Le mot allemand Erscheinung (ce qui émerge, ce qui apparaît) est précisément meilleur que celui de phénomène pour décrire notre interaction avec le réel.

 

La séquence du Saint-Sacrement

Lauda SionPourquoi ce long détour par la philosophie des Lumières ou la physique quantique ? Parce que la séquence de la fête du Saint-Sacrement d’aujourd’hui nous met sur cette voie pour penser ce qui arrive au pain et au vin dans l’eucharistie. Cette séquence longue, belle et solidement construite, est le fruit de la réflexion théologique de Saint Thomas d’Aquin sur l’eucharistie. Il propose le mot de transsubstantiation pour appréhender le mystère de cette transformation sacramentelle. Et dans la séquence qu’il a composée, il emploie des termes plus simples qui sont finalement assez proches de ceux employés par Bernard d’Espagnat :

C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.

Voilà notre réel caché qui pointe le bout de son nez dès 1264, appliqué aux espèces eucharistiques ! Sa consonance avec la physique quantique nous fait dresser l’oreille : il y aurait donc une réalité cachée sous l’apparence du pain et du vin ? Une réalité voilée en quelque sorte que la foi nous permettrait de deviner, tel le bon angle de vue pour l’arc-en-ciel liquide sur le canal ? Celui qui voit le pain et le vin sous l’angle de la foi ne voit pas la même chose que les autres observateurs. Et tous ont raison ! Car de la position de chacun dépend la réalité de ce qu’il observe !

Soyons honnêtes : Thomas d’Aquin était un aristotélicien réaliste. Il croyait fermement que l’en-soi des choses existe en dehors de nous, et que la transsubstantiation pouvait décrire l’en-soi de l’eucharistie. Peu importe ! Il nous suffit de reprendre sa géniale intuition : il y a un réel caché sous le pain et le vin, et les yeux de la foi y discernent le corps et le sang du Christ. Le réel voilé sous les espèces, c’est le Christ lui-même, en personne, qui se donne à celui qui croit.

Cet autre texte poétique de Thomas d’Aquin sur l’eucharistie peut nourrir notre méditation de ce dimanche :

« Je t’adore avec amour, ô Dieu caché, réellement présent sous ces apparences ; mon cœur se soumet à toi tout entier, car quand il te contemple, tout lui fait défaut.
La vue, le toucher, le goût ne font ici que nous tromper mais nous croyons fermement ce que nous avons entendu ; je crois tout ce qu’a dit le Fils de Dieu. Rien n’est plus vrai que cette Parole de vérité.
Sur la Croix seule la divinité se cachait, mais ici l’humanité aussi se cache; je crois pourtant à toutes deux et je le proclame, et je demande ce que demandait le larron repentant.
Je ne vois pas tes plaies comme saint Thomas, je proclame pourtant que tu es mon Dieu ! Fais que je croie toujours plus en toi, Que j’espère en toi, que je t’aime.
Ô mémorial de la mort du Seigneur ! Pain vivant qui donne la vie aux hommes : Fais que mon esprit trouve la vie en Toi ! et goûte toujours combien tu es doux.
Seigneur Jésus, Pélican plein de bonté, de mon impureté purifie-moi par ton Sang, dont une seule goutte suffirait pour sauver le monde de tous ses péchés.
Jésus que je contemple maintenant voilé, je t’en prie, réalise mon plus ardent désir : que j’aie le bonheur de te voir un jour face à face dans ta Gloire. Amen. » (Prière de Saint Thomas recueillie dans le Catéchisme de l’Église Catholique au n° 1381).

Le Dieu caché

Bien avant d’Espagnat, un autre génial français avait formulé cette hypothèse du Dieu caché sous le voile des apparences. Blaise Pascal en effet été fortement impressionné par le caractère caché du Dieu de l’Ancien Testament : Deus absconditus, adjectif qui a donné abscons en français, qu’on traduit par incompréhensible alors que ce n’est que du caché qui demande du travail pour être dévoilé.

« Je crois qu’Isaïe le voyait en cet état, lorsqu’il dit en esprit de prophétie : Véritablement tu es un Dieu caché (Is 45,15). C’est là le dernier secret où il peut être. […] Toutes choses couvrent quelque mystère ; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les Chrétiens doivent le reconnaître en tout ».

Pascal soutenait – à juste titre – que Dieu ne cesse d’être caché tout en se révélant en Jésus de Nazareth, car son incarnation enfouit la divinité en quelque sorte dans notre humanité, si bien que très peu l’ont reconnue. Pascal voit dans l’eucharistie la prolongation de ce jeu de dévoilé-caché, puisque le pain et le vin enveloppent la présence réelle d’un voile que seule la foi peut percer. Caché « sous le voile de la nature », caché sous l’humanité de l’Incarnation, Dieu l’est aussi, comme Pascal le précise ensuite, sous les espèces du pain et du vin dans l’Eucharistie et sous la lettre de l’Écriture.

Dans une Lettre à Mademoiselle de Roannez du 29 octobre 1656, il écrit :

Vierge voilée Musée de Valenciennes« Cet étrange secret, dans lequel Dieu s’est retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché sous le voile de la nature qui nous le couvre jusques à l’Incarnation ; et quand il a fallu qu’il ait paru, il s’est encore plus caché en se couvrant de l’humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible, que non pas quand il s’est rendu visible. Et enfin quand il a voulu accomplir la promesse qu’il fit à ses Apôtres de demeurer avec les hommes jusques à son dernier avènement, il a choisi d’y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l’Eucharistie. C’est ce sacrement que saint Jean appelle dans l’Apocalypse une manne cachée ; et je crois qu’Isaïe le voyait en cet état, lorsqu’il dit en esprit de prophétie : Véritablement tu es un Dieu caché. C’est là le dernier secret où il peut être. Les chrétiens hérétiques l’ont connu à travers son humanité et adorent Jésus-Christ Dieu et homme. Mais de le reconnaître sous des espèces de pain, c’est le propre des seuls catholiques ; il n’y a que nous que Dieu éclaire jusque-là… »

« Les Chrétiens possèdent Jésus-Christ dans l’Eucharistie véritablement et réellement, mais encore couvert de voiles. Dieu, dit saint Eucher, s’est fait trois tabernacles : la synagogue, qui n’a eu que les ombres sans vérité ; l’Église, qui a la vérité et les ombres ; et le Ciel où il n’y a point d’ombres, mais la seule vérité. […] Ainsi l’Eucharistie est parfaitement proportionnée à notre état de foi, parce qu’elle enferme véritablement Jésus-Christ, mais voilé. De sorte que cet état serait détruit, si Jésus-Christ n’était pas réellement sous les espèces du pain et du vin, comme le prétendent les hérétiques : et il serait détruit encore, si nous le recevions à découvert comme dans le Ciel ; puisque ce serait confondre notre état, ou avec l’état du Judaïsme, ou avec celui de la gloire. »

C’est pourquoi, dans les Pensées, où le motif du Deus absconditus d’Isaïe est récurrent, Pascal se moque des théologiens qui prétendent que l’action de la Providence est visible par les hommes. L’Écriture, objecte-t-il, « dit au contraire que Dieu est un Dieu caché et que depuis la corruption de la nature il a les laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par Jésus-Christ hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée […]. C’est ce que l’Écriture nous marque quand elle dit en tant d’endroits que ceux qui cherchent Dieu le trouvent. Ce n’est point de cette lumière qu’on parle comme le jour en plein midi. On ne dit point que ceux qui cherchent le jour en plein midi ou de l’eau dans la mer en trouveront. Et ainsi il faut bien que l’évidence de Dieu ne soit pas telle dans la nature. Aussi elle nous dit ailleurs : Vere tu es Deus absconditus (vraiment, tu es un Dieu qui se cache) ».

En remontant plus loin, on peut déjà lire entre les lignes chez saint Augustin (354-431) cette intuition d’un réel voilé sous les apparences matérielles :
« Mes frères, ces mystères portent le nom de sacrements, parce que l’apparence ne correspond pas à leur réalité profonde. Que voit-on ? Un objet matériel. Mais l’esprit y discerne une grâce spirituelle ». (Sermon 272)

Ou déjà chez Irénée de Lyon (140-202) :
« De même que le pain de la terre, après avoir reçu l’invocation de Dieu, n’est plus du pain ordinaire mais l’Eucharistie, constituée d’un élément terrestre et d’un élément céleste, ainsi nos corps, en recevant l’Eucharistie, échappent à la corruption puisqu’ils ont l’espérance de la Résurrection » (Contre les Hérésies. Livre IV).

The Art of Living, 1967 by Rene Magritte

Le sacramentel est bien réel

Ces concepts de Dieu caché et de réel voilé ouvrent la porte à une appréhension sacramentelle de la réalité tout aussi légitime que l’approche scientifique, ou même artistique. Car dire que le réel reste caché le rend inépuisable, et valide la multiplicité des approches pour le décrire. Le philosophe allemand Habermas a bâti une théorie de la modernité reposant sur une éthique de la discussion où plusieurs rationalités sont légitimes : la rationalité légale et scientifique, la rationalité juridique, la rationalité esthétique et symbolique… La poésie a raison de dire que « la terre est bleue comme une orange » (Eluard). La musique créée la possibilité pour chaque mélomane de se créer son univers musical à nul autre pareil. La peinture peut vouloir imiter la nature ou au contraire la réinventer. La littérature dépeindra la beauté ou le tragique du monde et de l’âme humaine avec autant de force, même si elle est de nature très différente, que les sciences expérimentales. D’Espagnat affirmait : « Il est essentiel de dire des choses vagues, de ne pas aller croire que ce qui ne peut pas être dit avec rigueur n’existe pas. » Les expressions  « voilées » de la poésie, de la peinture, de la musique sont en définitive une approche de ce qui est lointain, une quête de l’accès à l’être. « Je dirai que, alors que si, sur le plan de l’accès à la réalité empirique, la science est seule reine, en revanche elle ne jouit d’aucun privilège lorsqu’il s’agit du « fond des choses ». Que là, l’émotion, artistique par exemple, se trouve (au moins !) à égalité avec elle, l’une comme l’autre ne nous fournissant que des lueurs [...] sur un domaine qu’elles ne nous laissent qu’entrevoir ».

Ainsi la spiritualité, la théologie, la prière vont elles aussi lever quelques voiles, qu’elles seules peuvent manipuler, afin d’entrer en relation avec le réel.

Ce réel reste d’autant plus caché que nous l’approchons de plus près. Car Dieu est l’ineffable, l’au-delà de tout, que nos mots ne pourront jamais épuiser. Souvenons-nous que son nom YHWH s’écrit mais ne se prononce pas. En ce qui concerne le Saint-Sacrement, notons d’ailleurs que le Concile de Trente, reprenant le concile de Latran 1215, n’a pas canonisé le mot transsubstantiation ni ne l’a rendu obligatoire : il l’a proposé comme une règle d’interprétation qui permettrait d’éliminer les interprétations contradictoires (celles  de Wycliffe, Luther, Calvin ou Zwingli à l’époque) :

Moco Museum Amsterdam Banski« Par la consécration du pain et du vin s’opère le changement de toute la substance du pain en la substance du Corps du Christ notre Seigneur et de toute la substance du vin en la substance de son Sang ; ce changement, l’Église catholique l’a justement et exactement appelé transsubstantiation ». C’est la présence réelle qui est objet de foi, et dogme de foi. L’explication par la transsubstantiation est la manière la plus appropriée pour la dire (en l’état philosophique de l’époque, c’est-à-dire selon les catégories d’Aristote, revues et aménagées par Thomas d’Aquin). Les anciennes liturgies d’Occident utilisaient d’autres termes : transformare, transfigurare, transmutare… La Tradition la plus ancienne parlait de conversion réelle du pain et du vin, mais dans un autre cadre de pensée : les réalités y étaient vues comme dominées par des puissances ; la transformation d’une réalité signifiait alors qu’elle passait sous l’emprise d’autres puissances. Le Christ prend possession du pain et du vin ; il en fait son corps et son sang, leur conférant ainsi une réalité radicalement nouvelle.

 

Conclusion

« Vraiment tu es un Dieu qui se cache, Dieu d’Israël, Sauveur ! » (Is 45,15)

Le réel voilé sous les apparences du pain et du vin peut échapper aux passants trop pressés, trop distraits. Seul le marcheur qui sait s’arrêter pourra contempler les couleurs de l’arc-en-ciel liquide diffracté dans la lumière du soleil à la surface du canal. Un pas en arrière, un pas trop loin, et la danse des couleurs s’évanouit.

Sachons nous tenir dans cet angle de vue où le Dieu caché sous le pain et le vin nous apparaît scintillant de mille feux…

 

 


Lectures de la messe

Première lecture
Melkisédek offre le pain et le vin (Gn 14, 18-20)

Lecture du livre de la Genèse
En ces jours-là, Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut. Il bénit Abram en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a fait le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris.

Psaume

(Ps 109 (110), 1, 2, 3, 4)
R/ Tu es prêtre à jamais, selon l’ordre de Melkisédek.
 (cf. Ps 109, 4)

Oracle du Seigneur à mon seigneur :
« Siège à ma droite, et je ferai de tes ennemis
le marchepied de ton trône. »

De Sion, le Seigneur te présente
le sceptre de ta force :
« Domine jusqu’au cœur de l’ennemi. »

Le jour où paraît ta puissance,
tu es prince, éblouissant de sainteté :
« Comme la rosée qui naît de l’aurore, je t’ai engendré. »

Le Seigneur l’a juré
dans un serment irrévocable :
« Tu es prêtre à jamais selon l’ordre du roi Melkisédek. »

Deuxième lecture
« Chaque fois que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur » (1 Co 11, 23-26)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. » Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne.

Séquence

Cette séquence (ad libitum) peut être dite intégralement ou sous une forme abrégée à partir de :
« Le voici, le pain des anges »

Sion, célèbre ton Sauveur, chante ton chef et ton pasteur par des hymnes et des chants.
Tant que tu peux, tu dois oser, car il dépasse tes louanges, tu ne peux trop le louer.
Le Pain vivant, le Pain de vie, il est aujourd’hui proposé comme objet de tes louanges.
Au repas sacré de la Cène, il est bien vrai qu’il fut donné au groupe des douze frères.
Louons-le à voix pleine et forte, que soit joyeuse et rayonnante l’allégresse de nos cœurs !
C’est en effet la journée solennelle où nous fêtons de ce banquet divin la première institution.
À ce banquet du nouveau Roi, la Pâque de la Loi nouvelle met fin à la Pâque ancienne.
L’ordre ancien le cède au nouveau, la réalité chasse l’ombre, et la lumière, la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il ordonna qu’en sa mémoire nous le fassions après lui.
Instruits par son précepte saint, nous consacrons le pain, le vin, en victime de salut.
C’est un dogme pour les chrétiens que le pain se change en son corps, que le vin devient son sang.
Ce qu’on ne peut comprendre et voir, notre foi ose l’affirmer, hors des lois de la nature.
L’une et l’autre de ces espèces, qui ne sont que de purs signes, voilent un réel divin.
Sa chair nourrit, son sang abreuve, mais le Christ tout entier demeure sous chacune des espèces.
On le reçoit sans le briser, le rompre ni le diviser ; il est reçu tout entier.
Qu’un seul ou mille communient, il se donne à l’un comme aux autres, il nourrit sans disparaître.
Bons et mauvais le consomment, mais pour un sort bien différent, pour la vie ou pour la mort.
Mort des pécheurs, vie pour les justes ; vois : ils prennent pareillement ; quel résultat différent !
Si l’on divise les espèces, n’hésite pas, mais souviens-toi qu’il est présent dans un fragment aussi bien que dans le tout.
Le signe seul est partagé, le Christ n’est en rien divisé, ni sa taille ni son état n’ont en rien diminué.

* Le voici, le pain des anges, il est le pain de l’homme en route, le vrai pain des enfants de Dieu, qu’on ne peut jeter aux chiens.
D’avance il fut annoncé par Isaac en sacrifice, par l’agneau pascal immolé, par la manne de nos pères.
Ô bon Pasteur, notre vrai pain, ô Jésus, aie pitié de nous, nourris-nous et protège-nous, fais-nous voir les biens éternels dans la terre des vivants.
Toi qui sais tout et qui peux tout, toi qui sur terre nous nourris, conduis-nous au banquet du ciel et donne-nous ton héritage, en compagnie de tes saints. Amen.

Évangile
« Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés » (Lc 9, 11b-17)
Alléluia. Alléluia. 
Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel, dit le Seigneur ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Alléluia. (Jn 6, 51)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du règne de Dieu, et guérissait ceux qui en avaient besoin. Le jour commençait à baisser. Alors les Douze s’approchèrent de lui et lui dirent : « Renvoie cette foule : qu’ils aillent dans les villages et les campagnes des environs afin d’y loger et de trouver des vivres ; ici nous sommes dans un endroit désert. » Mais il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Ils répondirent : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. À moins peut-être d’aller nous-mêmes acheter de la nourriture pour tout ce peuple. » Il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples : « Faites-les asseoir par groupes de cinquante environ. » Ils exécutèrent cette demande et firent asseoir tout le monde. Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule. Ils mangèrent et ils furent tous rassasiés ; puis on ramassa les morceaux qui leur restaient : cela faisait douze paniers.
Patrick BRAUD

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