L'homélie du dimanche (prochain)

14 février 2024

La part des anges

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La part des anges

 

Homélie pour le 1° Dimanche du Carême / Année B 

18/02/2024

 

Cf. également :

Ce déluge qui nous rend mabouls
Poussés par l’Esprit
Une recette cocktail pour nos alliances
Gravity, la nouvelle arche de Noé ?

Sacrée belle-mère !


Un champignon ivre

La part des anges dans Communauté spirituelle fungus%20cognacSi vous allez visiter un jour la jolie petite ville de Cognac, avec ses chais au bord de la Charente, vous ne manquerez pas de voir sur de nombreux murs en pierre de la cité d’étranges traînées grises, comme des filets de toile d’araignée descendant entre les pierres ou s’accrochant sous les tuiles des toits. Pourquoi ne pas nettoyer les pierres et les tuiles de ces traînées noires ? Parce qu’elles reviennent sans cesse, du moins là où l’eau-de-vie est entreposée. En effet, un champignon qui se nourrit spécifiquement des vapeurs d’alcool (le torula compniacensis) se développe là où il y a des barriques, des caves, des réserves. Impossible de cacher son stock de cognac ! On est trahi par ce champignon ivre. Mais les vapeurs d’alcool font le bonheur d’autres créatures : on dit que les anges qui tournoient au-dessus des tuiles des chais de Cognac respirent eux aussi les effluves s’échappant des foudres, des distilleries, des cuves et des caves. Environ 3% en volume des eaux-de-vie de cognac s’évaporent chaque année, pour le plus grand bonheur de nos compagnons ailés. C’est la part des anges, le cadeau qui leur est offert en quelque sorte pour la transformation de l’eau-de-vie en cognac grâce au vieillissement en fûts de chêne du Limousin.

La part des anges à Cognac, c’est de s’enivrer de ce qui réjouit le cœur de l’homme.

Dans l’Évangile de ce dimanche (Mc 1,12-15) la part des anges c’est de servir Jésus au désert pendant qu’il se prépare à sa mission en combattant les tentations par lesquelles Satan veut l’en détourner :

« Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient ».

Ce texte est si court que pour une fois, exerçons-nous à le commenter presque mot à mot.

 

Aussitôt

As Soon As Possible"« Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt… » : le petit mot important qui fait la liaison avec l’épisode précédent est aussitôt. Ça n’a l’air de rien, mais pour Marc l’effet du baptême est immédiat. Hasard ou choix symbolique, Marc emploie cet adverbe 40 fois dans son Évangile (comme les 40 jours au désert !). C’est donc pour lui une constante de l’agir de Jésus : il y a urgence ! Chaque action, chaque déplacement de Jésus est marqué du sceau de cette urgence : le règne de Dieu est tout proche, vite, saisissez-le !

Ce dimanche, c’est aussitôt son baptême que Jésus part au désert.

Pourquoi remettre à demain ce que notre baptême nous pousse à faire ? Pourquoi différer notre conversion à l’Évangile ? Pourquoi procrastiner sans cesse les changements que nous devons opérer dans notre manière de vivre ?

Laissons résonner en nous cet aussitôt de Marc : qu’est-ce qu’il m’appelle à faire dès maintenant ? où m’appelle-t-il à aller sans tarder ?

 

L’Esprit le pousse au désert

On ne comprend rien à Jésus sans l’Esprit. C’est son être même d’Oint (= Christ) : il vient de recevoir l’onction, et dégouline encore de cet Esprit divin qui lui a entrouvert les cieux au Jourdain. Se laisser faire par l’Esprit est notre meilleure façon d’agir. Pas par nous-mêmes, mais poussé par lui. On retrouve la passivité-active qui fut celle de Marie à l’Annonciation, ou celle de l’Église de Jérusalem abolissant la circoncision sous la motion de l’Esprit de Pentecôte. Puisque nous aussi nous sommes des christs de par notre baptême, notre identité la plus vraie est de nous laisser conduire par l’Esprit, notre hôte intérieur plus intime à nous-même que nous-même…

La spiritualité chrétienne c’est cela : pas une accumulation d’exercices extérieurs (génuflexions, chapelets, processions etc.) ni une recherche de phénomènes magiques, mais une entière disponibilité à écouter ce que l’Esprit nous dit, à faire ce qu’il nous inspire, quoi qu’il en coûte.

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Cet Esprit pousse Jésus au désert. Le texte grec dit plus précisément : l’Esprit expulse (κβλλω = ekballō) Jésus au désert. C’est ce verbe que Marc emploie 12 fois pour l’action de chasser les démons en les expulsant hors de quelqu’un.

Voilà donc que Jésus est traité comme un démon !

Comme le bouc émissaire qu’on expulse au désert pour qu’il soit affronté à Azazel le démon, Jésus est chassé par l’Esprit au désert pour être confronté à Satan. Dans ce verbe chasser, expulser, on devine la violence de l’Esprit qui oblige Jésus à partir des rives du Jourdain pour aller au désert.

 

Il en va ainsi pour nous également : nous n’allons pas de bon cœur ni facilement vers les justes combats qui nous attendent. Il faut que l’Esprit nous force la main : par les événements, par une médiation, un ordre, une contrainte, un appel…

Se laisser expulser des lieux douillets où nous aimerions vivre notre baptême est donc le travail de l’Esprit en nous. Jonas ne voulait pas aller à Ninive : l’Esprit de Dieu l’y a obligé, par le naufrage et le poisson. Pierre ne voulait pas baptiser le païen Corneille : il y a été conduit par l’Esprit, presque à son corps défendant, lorsqu’il vit l’Esprit descendre sur Corneille et sa famille (Ac 10).

Nous renâclons devant les missions que nous n’avons pas choisies, mais heureusement l’Esprit se débrouille pour nous chasser de nos oasis de tranquillité et ainsi nous préparer à nos combats. Il nous expulse de nos régressions spirituelles de tous ordres (depuis nos écrans jusqu’à notre argent) pour connaître le désert. Pour certains (comme Mère Teresa) cela prendra la figure d’une nuit spirituelle épouvantable, rempli de doutes et d’absurde. Pour d’autres (comme Ignace de Loyola) ce sera le dépouillement d’une vie mondaine et superficielle à travers un accident, une catastrophe ; pour d’autres encore (comme Claudel) c’est une exaltation, un bonheur soudain qui leur révélera d’autres horizons à poursuivre en laissant tout tomber.
Laissons-nous conduire dans nos dépouillements successifs, comme autant de départs au désert, poussés par l’Esprit.

 

Dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan 

 CarêmeQuant au désert, inutile d’en dire beaucoup : les 40 années des Hébreux au désert restent  la référence de toutes les expériences de libération. Une génération (40 ans) s’y purifie de ses idoles, de ses veaux d’or. Une horde d’esclaves en fuite y devient un peuple. Des sans-loi y reçoivent une Alliance pour toujours. Jésus refait ce passage, comme s’il récapitulait en lui l’histoire de ses ancêtres assoiffés de liberté. Mais lui ne plie pas. Il est tenté constamment par Satan, mais ne s’incline pas devant lui : le veau d’or n’a pas de prise sur lui. Marc, sans doute plus proche du récit primitif, ne met pas en scène le jeûne (trop ?) spectaculaire de Jésus ni les trois tentations (trop ?) soigneusement construites pour explorer toutes les tentations que Jésus rencontrera après dans sa vie publique, jusqu’à l’ultime tentation sur la croix (« sauve-toi toi-même ! »). Non : Marc reste sobre, mais emploie l’imparfait pour montrer que ce combat contre Satan était continu, et durait.


Dieu que c’est long parfois d’être expulsé au désert ! Ne désespérons pas lorsque cette aridité dure et semble s’installer. Les 40 jours seront peut-être pour nous des mois, des années : notre départ pour la Galilée viendra pourtant, et l’Esprit nous fera discerner ce moment.

 

Un mot sur Satan, l’obstacle, l’adversaire : il sera actif tout au long de la prédication de Jésus. Les tentations au désert cristallisent en 40 jours les tentations des trois années à venir. Un peu comme la Transfiguration ramasse en un éblouissement toutes les facettes divines de Jésus se manifestant, éparpillées, lors de ses rencontres sur les chemins de Palestine.

Notre Satan est tout ce qui veut nous faire trébucher, ou changer d’orientation, ou abandonner par désespoir…

 

« Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient »

tumblr_neh4o57RLp1r3ov9vo1_1280 cognacEncore un imparfait qui dure, comme beaucoup d’imparfaits de nos vies…

La compagnie de bêtes sauvages, inoffensives ici, renvoie sans doute à l’Éden mythique où l’humanité vivait en paix avec tout être vivant ; ou au Déluge quand tous les animaux côtoyaient les 8 personnes sauvées dans l’arche (cf. 1° et 2° lectures de ce dimanche). Une nouvelle Création, enfin réconciliée, entoure Jésus au désert.

Nous avons nous aussi nos bêtes fauves, qui rôdent en nous et cherchent à nous dévorer, tel le loup de Gubbio terrorisant les habitants de ce petit village du temps de Saint François d’Assise. Nous savons que, si nous nourrissons ce loup intérieur qu’est notre part d’ombre [1], il deviendra notre ami et compagnon, comme François d’Assise nous l’a montré. Vivre avec les bêtes sauvages qui nous entourent demande cette pureté du cœur qui était celle de Jésus, en qui nul fauve ne pouvait lire de menace ni de convoitise.

Apprenons à vivre avec nos fauves ! [2]

 

« Et les anges le servaient »

Jan_van_Eyck_-_The_Ghent_Altarpiece_Adoration_of_the_Mystic_Lamb_Singing_angels_1432_-_%28MeisterDrucke-1201901%29 désertLa voilà la part des anges de ce dimanche : servir le Christ ! Ce sont les premiers diacres (ou diaconesses, selon le sexe des anges…) chez Marc, car c’est bien le verbe διακονω (= diakoneō) qui est utilisé. Souvenez-vous qu’ensuite, le premier être humain à revêtir cette fonction angélique du service, c’est la belle-mère de Pierre, première diaconesse de l’Église de Capharnaüm (« et elle les servait », Mc 1,31).

Autant dire que la part des anges nous revient désormais : servir le Christ rend libre comme lui. En le servant au désert, les anges le nourrissaient : à nous de nourrir les christs qui aujourd’hui encore sont chassés au désert, entourés de bêtes sauvages…

Les anges qui nous servent dans le désert sont ces mains tendues, ces inconnus qui passent en nous faisant du bien, ces messagers qui nous apportent de quoi tenir bon. Comme le bon samaritain qui devint l’ange du blessé sur la route. Comme pour Jésus lors de son agonie au mont des Oliviers : « du ciel lui apparut un ange qui le réconfortait » (Lc 22,43).

Parfois nous sommes nous-mêmes ces anges qui sans le savoir nourrissent  et réconfortent ceux qui ont été chassés au désert…

 

Quelle étrange réunion au final autour du Christ au désert : Satan, les bêtes fauves, les anges, c’est-à-dire l’enfer, la terre et le ciel !

Jésus était dans le désert, tenté par Satan.

Jésus était avec les bêtes sauvages, servi par les anges.

Ces deux phrases sont parallèles, avec un antagonisme terme à terme : désert vs bêtes / tenté vs servi / Satan vs anges. De quoi espérer le retournement final aujourd’hui invisible !

 

Ruminons cette scène qui symbolise la préparation spirituelle aux combats qui seront les nôtres.
Sans oublier l’issue promise : « et les anges le servaient… »

 

_____________________________

[2]. On pourrait d’ailleurs développer à partir de là une théologie animalière qui associe les bêtes au salut réalisé en Christ…

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Alliance de Dieu avec Noé qui a échappé au déluge (Gn 9, 8-15)

Lecture du livre de la Genèse
Dieu dit à Noé et à ses fils : « Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout ce qui est sorti de l’arche. Oui, j’établis mon alliance avec vous : aucun être de chair ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. » Dieu dit encore : « Voici le signe de l’alliance que j’établis entre moi et vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à jamais : je mets mon arc au milieu des nuages, pour qu’il soit le signe de l’alliance entre moi et la terre. Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre, et que l’arc apparaîtra au milieu des nuages, je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous, et tous les êtres vivants : les eaux ne se changeront plus en déluge pour détruire tout être de chair. »

PSAUME
(24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9)
R/ Tes chemins, Seigneur, sont amour et vérité pour qui garde ton alliance. (cf. 24, 10)

Seigneur, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

Rappelle-toi, Seigneur, ta tendresse,

ton amour qui est de toujours.
Dans ton amour, ne m’oublie pas,
en raison de ta bonté, Seigneur.

Il est droit, il est bon, le Seigneur,

lui qui montre aux pécheurs le chemin.
Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

DEUXIÈME LECTURE
Le baptême vous sauve maintenant (1 P 3, 18-22)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair, mais vivifié dans l’Esprit. C’est en lui qu’il est parti proclamer son message aux Esprits qui étaient en captivité. Ceux-ci, jadis, avaient refusé d’obéir, au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l’eau. C’était une figure du baptême qui vous sauve maintenant : le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ, lui qui est à la droite de Dieu, après s’en être allé au ciel, lui à qui sont soumis les anges, ainsi que les Souverainetés et les Puissances.

ÉVANGILE
« Jésus fut tenté par Satan, et les anges le servaient » (Mc 1, 12-15)
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance.
L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
Ta Parole, Seigneur, est vérité, et ta loi, délivrance. (Mt 4, 4b)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
 Patrick BRAUD

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21 mai 2023

Le délai entre Pâques et Pentecôte

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le délai entre Pâques et Pentecôte

Homélie pour le Dimanche de Pentecôte / Année A
28/05/2023

Cf. également :
La séquence de Pentecôte
Pentecôte : un universel si particulier !
Le déconfinement de Pentecôte
Les langues de Pentecôte
Pentecôte, ou l’accomplissement de Babel
La sobre ivresse de l’Esprit
Les trois dimensions de Pentecôte
Le scat de Pentecôte
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Le marché de Pentecôte : 12 fruits, 7 dons
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
La paix soit avec vous
Parler la langue de l’autre

Il faut du temps…
Le délai entre Pâques et Pentecôte dans Communauté spirituelle Cloud-to-ground
Quand j’étais enfant, mon père m’apprenait à compter les secondes entre l’éclair de la foudre et le grondement du tonnerre qui venait après. Il me donnait mon premier cours de physique : « tu vois, il faut du temps pour que le bruit de l’éclair parvienne jusqu’à nous. Tu divises le nombre de secondes que tu as comptées par 3, et tu as le nombre de kilomètres qui nous séparent de l’endroit où la foudre est tombée ».
J’étais fasciné par ce temps de latence entre l’éclair et le tonnerre, secondes de silence suspendues dans l’espace, pendant lesquelles on craignait être beaucoup trop près…

Depuis, j’ai appris que même la lumière met du temps à nous parvenir, comme l’atteste la découverte de Mathusalem – la bien nommée – la plus vieille étoile de l’univers (13,6 milliards d’années) située à 6000 années-lumière de la Terre. Elle pourrait donc être morte alors que nous la voyons briller dans le télescope spatial !
Il faut du temps pour que la nouvelle de la mort ou la vie d’une étoile nous parvienne !

Vous voyez une zébrure dans le ciel, et il faut du temps pour entendre le tonnerre.
Vous voyez une étoile scintiller, mais il faut du temps pour savoir si elle est vivante ou morte.
Il en est ainsi de bien des choses !
Vous vous mariez, et il faut bien plusieurs dizaines d’années avant de goûter la vraie qualité, la solidité, la fécondité de votre amour.
Vous plantez une semence, et il faut des saisons avant qu’elle fleurisse.
Vous recevez le baptême, et il vous faut des années avant de réaliser ce que cela signifie vraiment.
Vous entendez le même passage biblique chaque année, et un jour enfin il vous parle.
Vous faites cent fois le même geste au travail, en famille, et sans raison il vous apparaît soudain sous un autre jour.
Continuez vous-même la liste…

50_temoignages_annonce1 Esprit dans Communauté spirituelleIl y a souvent un délai, un écart, entre un événement et la plénitude de ce que cet événement nous apporte. La résurrection de Jésus n’échappe pas à cette règle empirique. Les apôtres ont été témoins de cet événement unique, inimaginable. Sous le choc, ils se sont confinés au Cénacle. Le temps de digérer l’énorme nouvelle et de commencer à intégrer cette donnée improbable. Après « un certain temps » – comme aurait plaisanté Fernand Raynaud autrefois – ils osent pointer le bout de leur nez dehors, encore convalescents de l’heureux traumatisme pascal. Symboliquement, Luc fixe ce délai à 50 jours pour ainsi passer de Pâques à Pentecôte, en situant le grondement du tonnerre de l’Esprit Saint 50 jours après la lumière fulgurante de Pâques :
« Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble… » (Ac 2,1).
Évidemment, on ne parle pas ici de secondes, mais de l’accomplissement de la promesse du Christ d’envoyer l’Esprit ; on parle de la plénitude de la Résurrection du Christ qui est l’effusion de l’Esprit sur tous et chacun.

Parcourons quelques interprétations symboliques de ces 50 jours par lesquelles il nous faut toujours passer aujourd’hui.

 

1. Il faut du temps pour récolter
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Les hébreux n’ont pas inventé la fête de Pentecôte. Ils l’ont empruntée aux cananéens qui étaient là avant eux dans le pays. C’est une fête agricole comme il y en a tant, célébrant le renouveau de la vie grâce aux premières récoltes qui arrivent. On l’appelait à cause de cela la « fête des prémices », car devait apporter les premières gerbes de céréales aux divinités païennes pour les remercier de l’abondance qui revient. Israël a gardé cette coutume, en la transposant sur YHWH et non plus Baal. Le sens est le même : il faut du temps entre les semailles et la moisson. La récolte demande d’être patient, d’anticiper le bon moment pour enfouir les graines et ensuite d’attendre le délai qu’imposera la nature pour cueillir et récolter.

Le nombre 50 est ainsi devenu symbolique d’une durée d’accomplissement. Par exemple, la Bible fixe la retraite des lévites … à 50 ans !
« À cinquante ans, le lévite se retirera du service actif, il ne servira plus » (Nb 8,25).
Et ses adversaires doutent que Jésus soit un prophète mature, car il n’a pas encore atteint cet âge de plénitude :
« Les Juifs lui dirent alors : ‘Toi qui n’as pas encore cinquante ans, tu as vu Abraham !’ » (Jn 8,57)

Ainsi en est-il de nos propres semailles : le délai de 50 jours nous apprend à être patients, envers nous-mêmes et envers les autres. Nous ne pouvons récolter immédiatement les fruits de ce que nous avons semé. Que ce soit au travail, en famille, dans la vie associative, la sagesse est de voir à long terme, de ne pas calculer trop court, de miser sur le temps avant de juger ou de récolter.

 

2. Il faut du temps pour intérioriser ce qui m’arrive
 Pentecôte
Tout en gardant le sens agricole de la fête, les hébreux lui ont associé un événement historique majeur : le don de la Loi à Moïse sur la montagne du Sinaï pendant l’Exode (Ex 19,16-25) La sortie d’Égypte était l’éclair déchirant leur servitude ; la théophanie sur la montagne fumante sera le tonnerre qui en délivre toute la signification, grâce à la Torah qui fait passer le peuple de la servitude de Pharaon au service de YHWH. D’ailleurs, le nombre 50 garde la trace de cette plénitude : c’est 5×10, soit le nombre de livres de la Torah (Gn, Ex, Nb, Lv, Dt) multiplié par le nombre de commandements inscrits sur les tables de la Loi. La Pentecôte juive fête donc la plénitude donnée par la Torah.

La Pentecôte chrétienne reprendra ce symbolisme, en allant jusqu’au bout de l’accomplissement : c’est l’Esprit de la Torah et non sa lettre qui fait vivre.
Il a fallu des années au désert pour que les fugitifs apprennent à avoir faim d’autre chose que les marmites de viande égyptiennes. Il a fallu des siècles pour que les juifs apprennent avec les prophètes que la Loi de Dieu n’est pas extérieure à l’homme. C’est dans le cœur de chacun que réside la véritable règle de conduite, et non dans des interdits extérieurs. L’Esprit de Pentecôte est celui qui fait passer la loi de l’extérieur à l’intérieur : intérioriser la Loi, c’est se laisser conduire par l’Esprit du Christ.

Shavouot prémicesNous mettons plus de 50 jours hélas à réaliser que notre foi chrétienne n’est pas un catalogue de permis et de défendus, qu’elle n’est même pas d’abord une morale, mais l’abandon confiant à l’inspiration qui nous vient de Dieu et que nous appelons fort justement l’Esprit de Dieu.

Ceux qui réduisent la religion à un marchandage pour obtenir ce qu’ils souhaitent (santé, succès, amour etc.) observent peut-être les commandements écrits sur les tables de pierre, mais ils ne les ont pas gravés dans leurs cœurs.
Ceux qui veulent imposer leurs croyances par la force ne savent pas vouloir ce que Dieu veut.
Ceux qui confondent foi et morale idolâtrent le texte, au lieu d’en retrouver le souffle.
Par contre, ceux qui font confiance à l’Esprit comme à leur ami le plus intime découvrent au contraire que Dieu n’est pas à l’extérieur, et qu’il ne se laisse enfermer par aucune loi, aucune liturgie, aucune autorité, aucune morale.
L’Esprit souffle où il veut : être chrétien, c’est le laisser devenir notre respiration la plus personnelle, c’est intérioriser ce qui nous anime.

 

3. Il faut du temps pour devenir libre
Une troisième signification de la Pentecôte tient dans sa manière de compter les semaines. Car la Bible dit : « À partir du lendemain du sabbat, jour où vous aurez apporté votre gerbe avec le geste d’élévation, vous compterez 7 semaines entières. Le lendemain du 7° sabbat, ce qui fera 50 jours, vous présenterez au Seigneur une nouvelle offrande » (Lv 23, 15-16).
C’est pourquoi les juifs appellent cette fête « shavouot » [1] (les semaines en hébreu), et la cinquantaine (πεντήκοντα = pentekonta en grec), ce qui a donné « pentecôte ».
L’allusion au Jubilé est très claire : de même que tous les 50 ans Israël devaient normalement libérer les esclaves, remettre les dettes à zéro, répartir à nouveau les terres à cultiver pour éviter d’injustes  accumulations de richesses (cf. Lv 25, la première loi antitrust en quelque sorte !), de même à Pentecôte le 50°jour Israël fête sa libération d’Égypte enfin complète.

Jubilee ShavouotLa Pentecôte est jubilaire ! La jubilation des apôtres (« ils sont pleins de vins doux ») le 50° jour à Jérusalem exprime cette liberté nouvelle accordée par l’Esprit : tous les peuples sont invités, l’inspiration accomplit la Loi, le baptême unit toutes les différences, les interdits (alimentaires, sexuels, rituels etc.) se révèlent n’être que les ombres portées de la vie spirituelle en Christ.

Nous aussi, nous mettons du temps à devenir vraiment libres…
Enserrés dans notre éducation familiale, la culture de notre pays, de notre milieu social, dans les aveuglements de notre époque, nous cherchons des sauveurs, des leaders, des modèles, des gourous. L’Esprit de Pentecôte nous délie de ces esclavages de pensée, comme il nous a déliés de l’esclavage en Égypte. Il annule nos dettes grâce au pardon, comme s’il était un Jubilé permanent. Il répartit ses dons entre tous mieux que les terres redistribuées l’année du Jubilé.

À nous de laisser l’Esprit de Pentecôte nous enivrer de sa liberté. Car la sobre ivresse de l’Esprit est de celles qui nous ouvrent les yeux sur la réalité du monde, et sur la vraie dignité de tout être humain.

 

4. Il faut du temps pour ressusciter
resurrection-tombeau-vide-1024x683 TorahFinalement, avec ses 50 jours symboliques entre Pâques et Pentecôte, Luc nous invite à laisser le renouveau pascal nous transformer en profondeur, ce qui demande du temps, de la patience, un savant mélange de désir et de laisser-faire l’Esprit en nous.

Nous ne savons pas ce que « ressusciter » veut dire.
Nous commençons juste en goûter quelques accords lorsque l’Alléluia pascal nous bouleverse.
Il nous faut des années de joies et de déceptions, de foi et de doute, de malheurs et d’extases pour que vivre en Christ devienne notre identité la plus vraie.

Apprivoisons les délais qui nous sont imposés.
Apprenons à ressusciter jour après jour.
Si nous laissons l’Esprit nous conduire sur ce chemin, comment notre mort pourrait-elle l’empêcher de continuer ?

 

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[1]. « Tu célébreras la fête des Semaines (shabuwa‘), des premiers fruits, de la moisson des blés, et aussi la fête de la Récolte, en fin de l’année. » (Ex 34,22)
« Le jour des Prémices, quand vous apporterez au Seigneur la nouvelle offrande de céréales pour la fête des Semaines (shabuwa‘), vous tiendrez une assemblée sainte et vous n’accomplirez aucun travail, aucun labeur. » (Nb 28,26)
« Tu compteras sept semaines (shabuwa‘) : dès que la faucille commence à couper les épis, tu commenceras à compter les sept semaines (shabuwa‘). Puis tu célébreras la fête des Semaines (shabuwa‘) en l’honneur du Seigneur ton Dieu, avec l’offrande volontaire que fera ta main ; ton offrande sera à la mesure de la bénédiction du Seigneur ton Dieu. » (Dt 16,9-10)

MESSE DU JOUR

PREMIÈRE LECTURE
« Tous furent remplis de l’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues » (Ac 2, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

PSAUME
(Ps 103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34)
R/ Ô Seigneur, envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre !ou : Alléluia ! (cf. Ps 103, 30)

Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur !
la terre s’emplit de tes biens.

Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

Gloire au Seigneur à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !
Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le Seigneur.

DEUXIÈME LECTURE
« C’est dans un unique Esprit que nous tous avons été baptisés pour former un seul corps » (1 Co 12, 3b-7.12-13)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, personne n’est capable de dire : « Jésus est Seigneur » sinon dans l’Esprit Saint. Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien.
Prenons une comparaison : le corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.

SÉQUENCE
Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut de ciel un rayon de ta lumière. Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs. Consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur. Dans le labeur, le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort. Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles. Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti. Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé. Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé. À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés. Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen.

ÉVANGILE
« De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie : recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 19-23)
Alléluia. Alléluia. Viens, Esprit Saint ! Emplis le cœur de tes fidèles ! Allume en eux le feu de ton amour ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
C’était après la mort de Jésus ; le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Patrick BRAUD

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7 mai 2023

Philippe à la mêlée, Pierre à l’ouverture

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Philippe à la mêlée, Pierre à l’ouverture

Homélie pour le 6° Dimanche de Pâques / Année A
14/05/2023

Cf. également :
Passons aux Samaritains !
L’agilité chrétienne
Fidélité, identité, ipséité
Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous
Se réjouir d’un départ
Le Paraclet, l’Église, Mohammed et nous

Philippe à la mêlée, Pierre à l’ouverture dans Communauté spirituelle

De l’importance vitale des charnières
Lors du match France-Galles du Tournoi des six Nations le 18/03/23, les numéros 9 Antoine Dupont et 10 Romain Ntamack ont fêté leur 26° titularisation ensemble, un record ! Les deux complices du Stade toulousain forment ce que le monde de l’ovalie appelle une charnière. Charnière bien nommée, car c’est grâce à cette paire que le jeu bascule des lignes avant aux lignes arrières.

Les appeler « demi », c’est souligner que chacun a besoin de l’autre !
Le demi de mêlée va fouiller dans les regroupements pour extraire la balle qu’il passera à son demi d’ouverture, chargé de lancer l’attaque à la main jusqu’à l’aile, ou de taper au pied pour aller occuper le camp adverse, ou de repiquer dans l’axe pour avancer avec les avants.

Il existe bien des charnières célèbres dans l’histoire du rugby ! Pour la France on se souvient de Pierre Lacroix & Pierre Albaladejo, Lilian & Guy Camberabero, Jacques Fouroux & Jean-Pierre Romeu, Jérôme Gallion & Alain Caussade etc. Mais aussi de Gareth Edwards & Phil Bennett (Galles), Peter Stringer & Ronan O’Gara (Irlande), Connor Murray & Jonathan Sexton (Irlande, 67 sélections !), Piri Weepu & Dan Carter (Nouvelle Zélande), George Gregan & Stephen Larkham (Australie), Faf de Klerk & Handré Pollard (Afrique du Sud).

Bref : capitaliser sur l’effort de conquête des avants et ouvrir le jeu jusqu’aux arrières nécessite une charnière solide, inspirée ! Il se pourrait bien que cela nous aide à comprendre le sens de notre première lecture…


La charnière de Samarie
 Esprit dans Communauté spirituelle
Luc était peut-être un fan assidu des compétitions de rugby en Israël ! Notre première lecture (Ac 8,5-8.14-17) raconte en effet le travail du diacre Philippe en pleine mêlée samaritaine, puis l’intervention de Pierre à qui Philippe passe le relais pour ouvrir l’Église à ces hérétiques mal famés ! En excellent numéro 9, Philippe se démène pour arracher la balle des mains de Simon le Magicien qui subjuguait les foules autour du mont Garizim. Notons d’ailleurs que Philippe est le premier, avant les Douze, à s’aventurer en territoire adverse : comme quoi les apôtres ne sont pas toujours à la pointe de l’évangélisation ! Ils doivent pouvoir compter sur des défricheurs, des aventuriers qui les précèdent en terrain inconnu.

Pierre et Jean arriveront à point, comme des seconds couteaux – ou des secondes lames si l’on préfère la publicité de Gillette G2 - pour conclure l’affaire, sceller l’œuvre de Philippe et en faire le bien commun de toute l’Église.

N’attendons donc pas tout des prêtres, diacres, évêques ou même du pape ! Il faut à l’Église des pionniers qui, tels des numéros 9 incisifs, vont plonger dans les mêlées culturelles, éthiques, économiques etc. de notre temps et en extraire des pistes d’action pour toute l’Église. Un peu à l’image des assemblées synodales qui font un gros travail d’écoute des signes des temps, de discernement, de créativité, et proposent ainsi au magistère des pistes pour ouvrir l’Église aux attentes contemporaines.

L’énigme de Samarie
Mais pourquoi diable séparer le baptême et l’Esprit Saint ? En effet, Philippe baptise les samaritains, mais Pierre et Jean constatent qu’ils n’ont pas encore reçu l’Esprit Saint. Ils s’empressent de leur imposer les mains que cela arrive. Cette séparation entre baptême et Esprit Saint est une énigme pour les exégètes. Plusieurs interprétations ont été explorées, qui nous intéressent par leur impact sur aujourd’hui.

a) L’Esprit souffle où il veut
vent Pentecôte
Les théologiens aiment bien lier le baptême et l’Esprit Saint de façon systématique et quasi mécanique. Mais les Actes des apôtres résistent à cette systématisation. En Samarie, on voit bien qu’on peut recevoir le baptême sans être réellement animé par l’Esprit Saint. Pensez à tous ceux qui demandent le baptême par routine, conformisme familial ou social, ou autrefois par peur de perdre leurs avantages. Pensez à tous ces bébés qu’on baptise et qui ne seront jamais ni catéchisés, ni confirmés ni eucharistiés. Suffirait-il de recevoir le baptême pour vivre de l’Esprit, par l’Esprit et dans l’Esprit ? La confirmation catholique, donnée des mois après le baptême des enfants, est la trace de cette hésitation : le baptême ne suffit pas, il faut une plénitude, une adhésion entière, une maturité de la foi qui n’est pas totalement présente au début.

Les Actes des apôtres connaissent également un autre décalage entre baptême et Esprit Saint, mais en sens inverse, quand l’Esprit précède le baptême. En effet, Pierre – toujours lui – constate que le centurion romain Corneille et sa famille ont déjà reçu l’Esprit à Césarée bien avant qu’il ne se décide enfin à baptiser ces païens incirconcis ! « Quelqu’un peut-il refuser l’eau du baptême à ces gens qui ont reçu l’Esprit Saint tout comme nous ? » (Ac 10,47)
Saint Augustin commente en rappelant l’absolue liberté de l’Esprit Saint qui n’est lié par aucune action humaine, pas même le baptême ou tout autre sacrement :

« Où sont ceux qui disaient que c’est une puissance d’homme qui confère l’Esprit-Saint ? Pendant que Pierre annonçait l’Évangile, Corneille et tous les gentils qui l’écoutaient avec lui se convertirent à la foi ; et tout à coup, avant même de recevoir le baptême, ils furent remplis du Saint-Esprit. Que répondra ici la présomption humaine? Ce n’est pas seulement avant l’imposition des mains, c’est même avant le baptême que l’Esprit-Saint est descendu. Ainsi prouve-t-il sa puissance et non sa dépendance. Pour trancher la question relative à la circoncision, il vient avant la purification du baptême. Des esprits chagrins ou ignorants auraient pu dire à l’Apôtre : Tu as mal fait ici de donner le Saint-Esprit. Mais voilà que s’est accomplie, que s’est réalisée clairement cette parole du Seigneur : « L’Esprit souffle où il veut ». Voilà qu’il est démontré manifestement et par l’effet même combien le Seigneur a eu raison de dire : ‘L’Esprit souffle où il veut’ ».

Résumons-nous : il peut y avoir des baptisés qui ne vivent pas de l’Esprit Saint, et des non-baptisés qui en vivent ! Comme disait le même et génial Augustin en parlant de l’Église :
« il y en a qui se croient dedans et qui sont dehors, et d’autres qui se croient dehors alors qu’ils sont dedans »…
Étonnante liberté de l’Esprit, qui nous invite à ne pas fétichiser l’action sacramentelle, et donc à accorder une importance égale à la vie spirituelle !

b) Le baptême seul ne suffit pas pour arracher les croyances magiques de nos cœurs
p28sorcier Philippe
Quand on lit Ac 8 en entier (la lecture liturgique est hélas tronquée), on est frappé de l’importance que les samaritains accordent dans un premier temps au surnaturel : les signes accomplis par Philippe, les esprits impurs exorcisés, les paralysés et boiteux guéris, la puissance de Dieu – « la Grande ! » – agissant en Simon le Magicien etc. Ils sont stupéfaits, comme sidérés par les pratiques magiques de Simon ou les guérisons plus spectaculaires encore de Philippe. Ils suivent le gourou qui a cette puissance, Simon d’abord, puis Philippe. Même Simon « ne quittait plus Philippe » ! Ils croient parce qu’ils ont vu des miracles ; or Jésus se défiait de pareille adhésion : « beaucoup crurent en son nom à la vue des signes qu’il accomplissait. Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous » (Jn 2,23-24). Le texte précise : « ils crurent en Philippe » (Ac 8,12) comme ils ont cru en Simon le Magicien. Or être chrétien, ce n’est pas changer de gourou !

À qui cela n’est-il pas arrivé de s’attacher d’abord à tel catéchiste, à tel prêtre ou religieuse, à tel chrétien ayant une aura charismatique ? Ce n’est pas négatif en soi si c’est le début d’une adhésion plus mature conduisant au Christ. Toujours l’histoire du doigt qui montre la lune !

Vient un moment où il nous faut passer d’une relation trop affective et magique à une communion plus vraie et plus ouverte. C’est tout le cheminement des catéchumènes adultes. En Samarie, c’est Pierre et Jean qui en imposant les mains aident les convertis à décoller de Philippe pour s’ouvrir à la dimension catholique (« kat-olon », selon le tout en grec = toute la foi, toute l’Église, partout) et pour renoncer à la dimension magique de leur foi naissante. L’œuvre de l’Esprit est ici de purifier une foi encore trop engluée dans des superstitions et croyances magiques, ou dans un attachement trop personnel à Philippe.

Pensez aux pratiques superstitieuses qui prolifèrent encore dans nos paroisses (Perpignan et Draguignan ont par exemple organisé des processions pour faire tomber la pluie !).
Ou pensez encore à l’attachement malsain avec lequel des communautés nouvelles comme les Frères de Saint-Jean, les Légionnaires du Christ, les Fraternités monastiques de Jérusalem, l’Arche, les Béatitudes, les Bénédictines de Montmartre, l’ex-communauté de la Théophanie, l’abbaye de Sylvanès avec le P. Gouzes etc. ont vénéré leurs fondateurs aujourd’hui reconnus coupables des pires abus.

C’est pour cela qu’il faut quelqu’un de l’extérieur – Pierre jouant le rôle de demi d’ouverture - pour se saisir de la communauté naissante rassemblée par Philippe et l’ouvrir à la grande Église.

c) L’Esprit nous ancre fermement dans l’unité ecclésiale
1024px-Greco-Espolio-Lyon Pierre
La forte et rapide croissance d’une start-up est pleine de risques, nous apprennent les économistes. À grandir trop vite et trop fort, on risque d’investir trop et mal, d’embaucher trop et mal, de se disperser à produire tous azimuts en oubliant sa raison d’être…
Il en est de même pour l’Église : elle a grandi rapidement à partir de Jérusalem, selon le programme explicite donné par Jésus à ses apôtres : « vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8).

Chaque étape de cette croissance a été franchie sous l’impulsion de l’Esprit : lors de la Pentecôte pour les juifs (Ac 2), avec Philippe, Pierre et Jean en Samarie (Ac 8), avec Pierre pour le passage aux païens dans la famille du centurion Corneille à Césarée (Ac 10) puis au ‘concile de Jérusalem’ (Ac 15). Trois ou quatre Pentecôtes successives, rythmant l’expansion demandée par le Ressuscité. À chaque fois, il aurait pu y avoir un schisme. Et en réalité il y en a eu : des juifs de stricte observance n’ont pas suivi après Pentecôte, des samaritains n’ont pas suivi Philippe et Pierre, l’adhésion des païens depuis Corneille a provoqué l’opposition et le départ de bien des judéo-chrétiens etc.

De même, après chaque concile un schisme s’est opéré. Le dernier était celui de Mgr Lefebvre suite à Vatican II. C’est donc quasiment une loi historique que chaque étape de croissance nette de l’Église suscite des réactions de séparation abîmant l’unité ecclésiale. Le rôle de l’imposition des mains en Samarie est de conjurer ce risque dès sa naissance : l’intervention des apôtres de Jérusalem va ancrer fermement les samaritains dans la grande Église, les détournant de l’envie de fonder une Église à part, une communauté trop liée aux seuls aspects ethniques ou nationaux. On a déjà dit ailleurs que c’est un peu le péché originel des Églises orthodoxes : être tellement liées au pouvoir politique local, à leur culture, à leur nation qu’elles en deviennent littéralement autocéphales, et capables de soutenir un empereur byzantin parce qu’il est orthodoxe ou un tyran russe parce qu’il est russe…

Les catholiques ont noté quant à eux la présence de Pierre à chacune de ces trois grandes étapes de la croissance ecclésiale dans les Actes.
Un évangélique commente [1] :

« Chaque fois, c’est Pierre qui préside. C’est lui à la Pentecôte ; c’est lui qu’on doit attendre à Samarie ; c’est lui que Dieu fait chercher par les gens de Corneille. Après cela, il ne sera plus guère question de lui dans le livre des Actes. A la mémoire remonte alors une promesse de Jésus : « Je te donnerai les clés du Royaume des Cieux » (Mt 16,19). Son privilège de « majordome » de la maison du Seigneur, Pierre ne l’a-t-il pas exercé dans sa mission historique d’ouverture ? Oui, il a ouvert la porte du Royaume : aux Juifs, puis aux Samaritains, puis aux païens. Pierre, le représentant du collège tout entier associé au Christ pour former le fondement de l’Église s’est trouvé là les trois fois : « vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondations les Apôtres et les prophètes ; et la pierre angulaire, c’est le Christ Jésus lui-même » (Ep 2,20) ».

image rugbyVoilà le rôle du pape encore actuellement : garantir l’unité de la grande Église en récoltant les inspirations venant des Églises locales tout en les intégrant dans une communion plus vaste, catholique. Par exemple le rite zaïrois est légitime pour célébrer la messe, afin de tenir compte du génie spirituel africain, à condition de ne pas en faire une exclusive ou un dénigrement des autres liturgies. Le diaconat permanent est légitimement rétabli en Occident, pas en Afrique, tout aussi légitimement. Chaque Église locale doit reconnaître la catholicité de l’autre, et Pierre – le pape – préside à la communion entre elles, pour que ne soit pas déchirée la tunique du Christ, l’unité des Églises. C’est le même processus dans un diocèse : l’évêque doit veiller à ce que les charismes de chaque mouvement, communauté ou paroisse s’intègrent dans un bien commun où l’on conjugue différences et communion.

Quelle que soit l’interprétation qui vous satisfait le plus parmi les trois évoquées ci-dessus, l’essentiel est de jouer notre rôle charnière : comme un numéro 9, extraire les pépites enfouies sous l’ensevelissement des débats qui nous traversent, et transmettre au numéro 10 – les responsables ecclésiaux – les matériaux dont ils pourront faire des ouvertures, des percées indispensables à la marche en avant de toute l’Église, sans rupture d’unité.

Que l’Esprit de Pentecôte de Jérusalem, de Samarie ou de Césarée fasse de nous ces charnières que le « French flair » fait étinceler de génie, de courage, d’intelligence pour aller en « terre promise »… !

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LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint » (Ac 8, 5-8.14-17)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie, et là il proclamait le Christ. Les foules, d’un même cœur, s’attachaient à ce que disait Philippe, car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait, ou même les voyaient. Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs, qui sortaient en poussant de grands cris. Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris. Et il y eut dans cette ville une grande joie.
Les Apôtres, restés à Jérusalem, apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu. Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean. À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ; en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux : ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint. « C’est ainsi que Philippe, l’un des Sept, arriva dans une ville de Samarie, et là il proclamait le Christ. Les foules, d’un même cœur, s’attachaient à ce que disait Philippe, car elles entendaient parler des signes qu’il accomplissait, ou même les voyaient. Beaucoup de possédés étaient délivrés des esprits impurs, qui sortaient en poussant de grands cris. Beaucoup de paralysés et de boiteux furent guéris. Et il y eut dans cette ville une grande joie. Or il y avait déjà dans la ville un homme du nom de Simon ; il pratiquait la magie et frappait de stupéfaction la population de Samarie, prétendant être un grand personnage. Et tous, du plus petit jusqu’au plus grand, s’attachaient à lui en disant : ‘Cet homme est la Puissance de Dieu, celle qu’on appelle la Grande.’ Ils s’attachaient à lui du fait que depuis un certain temps il les stupéfiait par ses pratiques magiques. Mais quand ils crurent Philippe qui annonçait la Bonne Nouvelle concernant le règne de Dieu et le nom de Jésus Christ, hommes et femmes se firent baptiser. Simon lui-même devint croyant et, après avoir reçu le baptême, il ne quittait plus Philippe ; voyant les signes et les actes de grande puissance qui se produisaient, il était stupéfait. Les Apôtres, restés à Jérusalem, apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu. Alors ils y envoyèrent Pierre et Jean. À leur arrivée, ceux-ci prièrent pour ces Samaritains afin qu’ils reçoivent l’Esprit Saint ; en effet, l’Esprit n’était encore descendu sur aucun d’entre eux : ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint. » (Ac 8,5-17)

PSAUME

(Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20)
R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur ! ou : Alléluia ! (Ps 65, 1)

Acclamez Dieu, toute la terre ;
fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.

Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »
« Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom. »

Venez et voyez les hauts faits de Dieu,
ses exploits redoutables pour les fils des hommes.
Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.

Il règne à jamais par sa puissance.
Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu :
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ;
Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !

DEUXIÈME LECTURE
« Dans sa chair, il a été mis à mort ; dans l’esprit, il a reçu la vie » (1 P 3, 15-18)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, honorez dans vos cœurs la sainteté du Seigneur, le Christ. Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous ; mais faites-le avec douceur et respect. Ayez une conscience droite, afin que vos adversaires soient pris de honte sur le point même où ils disent du mal de vous pour la bonne conduite que vous avez dans le Christ. Car mieux vaudrait souffrir en faisant le bien, si c’était la volonté de Dieu, plutôt qu’en faisant le mal. Car le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair ; mais vivifié dans l’Esprit.

ÉVANGILE
« Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur » (Jn 14, 15-21)
Alléluia. Alléluia. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : l’Esprit de vérité, lui que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. »
Patrick BRAUD

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30 avril 2023

Les Sept, ou la liberté d’innover

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Les Sept, ou la liberté d’innover

Homélie pour le 5° Dimanche de Pâques / Année A
07/05/2023

Cf. également :
Gestion de crise
Que connaissons-nous vraiment les uns des autres ?
Le but est déjà dans le chemin
La pierre angulaire : bâtir avec les exclus, les rebuts de la société
Quand Dieu appelle
Va te faire voir chez les Grecs !

Le chemin synodal allemand
Les Sept, ou la liberté d’innover dans Communauté spirituelle Actu2-Synode-allemand-300x177
Depuis trois ans, les paroisses catholiques allemandes sont en effervescence. La démarche synodale initiée par le pape François pour l’Église universelle rencontre ici un engouement impressionnant. Mais la participation massive des laïcs, et notamment des femmes, avait abouti dans un premier temps à une liste de réformes ecclésiales qui a effrayé le Vatican ! Les assemblées synodales allemandes demandaient plus de démocratie dans l’Église, la révision de l’obligation du célibat sacerdotal, la possibilité d’ordonner des femmes au diaconat, de les habiliter à prêcher, voire baptiser, marier ou même confesser ; sans oublier l’accueil des divorcés remariés, des personnes LGBT etc. Devant la stupeur romaine, les évêques allemands ont réussi à limiter le vote final à des demandes plus consensuelles, où figuraient cependant toujours le diaconat féminin, l’ordination d’hommes mariés, un autre exercice du pouvoir et de la prise de décision dans les diocèses etc.

On pourrait s’en étonner et penser que l’Église allemande est trop influencée par l’air du temps ou par sa consœur protestante. On peut aussi faire remarquer que certaines de ces demandes rejoignent en réalité la Tradition la plus ancienne. Car dans le Nouveau Testament comme dans les six premiers siècles environ [1], il y avait des diaconesses, on ordonnait des hommes mariés, il y avait même des évêques de père en fils (Grégoire de Naziance) … Les historiens orthodoxes feront remarquer d’ailleurs que c’est l’Église latine qui a innové – unilatéralement – en cessant d’ordonner des hommes mariés alors que l’Orient a perpétué cette tradition des origines. Ou que la centralisation romaine est également une invention tardive liée à l’Empire, au détriment de la collégialité chère aux chrétiens orientaux (les patriarcats) et de la synodalité chère ensuite aux protestants (qui décident en synodes réguliers).

Bref, l’innovation n’est pas là où l’on pense !
Du coup, les biblistes eux-mêmes en rajoutent une couche avec notre première lecture de ce dimanche (Ac 6,1-7), racontant l’appel et l’élection des Sept.

 

Un Messie ne devrait pas dire ça
Les ministères dans l’Eglise ancienne
En effet, cette élection des Sept qu’on appellera ensuite des diacres (serviteurs) est totalement incongrue par rapport aux Évangiles. Du moins si on se limite à la seule règle qui voudrait qu’on ne refait dans l’Église que ce que Jésus (ou à la limite un super apôtre comme Paul) a explicitement fait où demandé de refaire à sa suite, tel qu’il l’a accompli.

Jésus n’a appelé que des hommes, les Douze ? Donc, à jamais, l’Église n’appellera que des hommes.
Jésus a déclaré le mariage indissoluble ? Donc, à jamais, les divorcés remariés seront hors communion.
Paul exigeait que les femmes se taisent et se couvrent la tête dans les assemblées ? Donc elles n’auront pas le droit de faire de lectures, de servir à l’autel (l’acolytat et le lectorat ont longtemps été réservés aux hommes), et les mantilles fleuriront comme des champignons en sous-bois sur les bancs de la paroisse le dimanche…

Pourtant, Jésus a lavé les pieds de ses disciples et explicitement commandé de le refaire à sa suite, et aucune Église n’en a fait un sacrement réitérable.
Pourtant le nouveau Testament et les Pères de l’Église mentionnent le rôle des diaconesses dans les premiers siècles.
Pourtant les orthodoxes accordent un second mariage (sous conditions), alors qu’ils ne permettent pas le mariage après veuvage comme les catholiques. Etc.…

Le Christ avait prévenu ses disciples : « vous ferez des œuvres plus grandes que moi » (Jn 14,12). Car figer la vie ecclésiale à ce que Jésus de Nazareth pratiquait à son époque est une forme de monophysisme ecclésial – pour le dire avec les gros mots des théologiens – c’est-à-dire une absolutisation des pratiques humaines de Jésus en croyant que toutes sont divines. Tout dans les coutumes de l’Église serait immédiatement de nature divine et non pas humaine (monophysisme = une seule nature).
Figer la vie ecclésiale est également le symptôme d’un déficit pneumatologique – autre gros mot de théologiens comme Congar – qui traduit un manque de foi et de confiance dans l’action de l’Esprit Saint conduisant l’Église.
Car nous ne sommes pas que l’Église de Jésus-Christ ; nous sommes également l’Église de l’Esprit Saint, et cet Esprit « renouvelle sans cesse la face de la terre », « en faisant toutes choses nouvelles », dans l’Église comme en dehors d’elle.
Si Jésus avait voulu figer un groupe religieux dans des pratiques indépassables, il n’aurait pas dû dire : « vous ferez des œuvres plus grandes que moi ».
Si innover était un péché grave comme en islam, il aurait fallu arracher les Actes des Apôtres du Nouveau Testament, car ce sont en fait les actes de l’Esprit conduisant l’Église sur des chemins inédits : l’ouverture aux païens, la dispense de circoncision et de cacherout pour eux, des ministères nouveaux pour nourrir et servir le nouveau Peuple de Dieu, des discernements éthiques auxquels Jésus n’avait pas réfléchi ni préparé etc.

 

Les Sept, ou la liberté d’innover
Le meilleur exemple de cette liberté d’innover que confère l’Esprit à l’Église est sans doute notre épisode des Sept. Jésus n’avait pas prévu, ni voulu, ni annoncé ce que nous appelons aujourd’hui le diaconat permanent. C’est l’assemblée de Jérusalem tout entière – inspirée – qui va décider d’imposer les mains à sept hommes appelés pour servir les veuves à table, afin qu’il n’y ait pas d’inégalité entre les pauvres de la communauté naissante. Sept est le chiffre de la Création, alors que Douze était celui des tribus d’Israël : appeler 7 diacres est donc d’emblée situé dans une dynamique de création, d’innovation pour tous les peuples (et pas seulement Israël).

BB55r-V9kTUSpxK7s0dLB7H3aqg@300x200 diaconat dans Communauté spirituelleCe qui déclenche cette innovation sensationnelle est le besoin de l’assemblée : on ne peut laisser des pauvres (veuves) de côté, on ne peut diviser le corps du Christ en pratiquant l’inégalité en son sein, on ne peut freiner l’expansion de la Parole de Dieu en obligeant les apôtres à servir à table au lieu d’annoncer le Christ ressuscité aux foules.

La question n’est alors même pas : qu’aurait fait Jésus à notre place ? L’imitation de Jésus-Christ, malgré de belles lettres de noblesse, frise elle aussi le monophysisme. Il ne s’agit pas de singer l’action du Christ, mais d’être fidèle à l’Esprit qui le conduisait et qui nous inspire aujourd’hui.

Ne pas croire assez en l’action de l’Esprit Saint mène à figer toute la vie de l’Église dans l’état où on l’a connue. Les intégristes ne sont pas loin de cette hérésie, eux qui veulent une Tradition immobile, au lieu de discerner les signes des temps, c’est-à-dire de se laisser conduire par l’Esprit qui « souffle où il veut ». Les musulmans sont déjà tombés dans ce fixisme historique qui interdit toute interprétation (ijtihad) du Coran sous prétexte que ce serait les mots mêmes de Dieu (quelle folie !).

Heureusement, l’assemblée de Jérusalem croit en l’Esprit Saint, fermement. Par le débat, le jeûne, la prière, elle se laisse conduire à inventer ce nouveau ministère inédit, promis à un bel avenir. Ministère diaconal qui lui-même ne sera pas figé dans sa formulation initiale du seul service des tables. On suit en effet tout suite après la prédication du diacre Étienne, premier martyr, devant le tribunal juif (Ac 7). C’est donc qu’il n’était pas cantonné au réfectoire ! Et la catéchèse du diacre Philippe persuadant l’eunuque éthiopien dans son char que Jésus est bien le Serviteur souffrant annoncé par Isaïe (Ac 8) nous montre que les Sept ont activement participé à l’évangélisation de tous les peuples. Philippe est d’ailleurs le premier à aller proclamer l’évangile aux Samaritains, avant les apôtres !

Le ministère diaconal a donc tout de suite évolué, là encore pour répondre aux besoins de l’Église, sous l’action de l’Esprit qui accompagne l’ouverture aux nations païennes et les questions inédites que cette ouverture soulève.
Au passage, notons que l’intuition par exemple des Pères Blancs inventant le ministère de catéchiste en Afrique noire relève d’une inspiration semblable : puisque le diaconat permanent n’était pas encore rétabli, parce que les besoins des communautés éparpillées dans la brousse l’exigeaient, les Pères Blancs ont institué des hommes mariés responsables et évangélisateurs de ces communautés locales, en lien avec eux, mais de façon totalement nouvelle.

Les Pères Blancs au temps de la conquête colonialeL’histoire ne manque pas de tels exemples où l’Esprit fait surgir de nouvelles figures de vie ecclésiale pour annoncer l’Évangile dans des cultures, des peuples, des régions différentes, chacune selon son génie. On peut citer pêle-mêle les ordres monastiques, les béguines, le renouveau franciscain, les réveils charismatiques, l’Action catholique, les communautés de base en Amérique latine, et bien sûr les conciles, événements spirituels où les évêques unis à leur peuple se mettent à l’écoute de ce que « l’Esprit dit aux Églises », selon la belle expression de l’Apocalypse.

Les Sept n’existaient pas dans la pratique ni même dans la tête de Jésus marchant dans la poussière de Palestine. Il aura fallu Pentecôte et le concile de Jérusalem (Ac 15) pour que les baptisés juifs osent abandonner la circoncision et la cacherout, alors que Jésus avait formellement demandé de ne pas changer un iota de la loi qui obligeait à ce ritualisme. Heureusement que l’Esprit nous a appris à désobéir à la lettre de la Loi juive ! Sinon nous serions encore sous le joug du shabbat, de la circoncision, des interdits alimentaires, des innombrables règles de pureté à respecter, des rituels invraisemblables à observer scrupuleusement etc…

Jésus ne pouvait prêcher cela, mais il nous en a donné l’élan : « vous ferez des œuvres plus grandes que moi ».
Pourquoi ? Parce que « l’Esprit vous conduira vers la vérité tout entière » (Jn 16,13).

Que l’Esprit, qui a présidé à l’innovation diaconale, nous inspire aujourd’hui de vraies réponses aux besoins de notre temps !

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[1]. Outre les douze apôtres (sauf peut-être Jean) qui étaient mariés, on peut citer Timothée, un certain évêque appelé Syntyche qui était marié (Ph 4,3), l’évêque d’Alexandrie Héraclas au III° siècle, Paphnuce évêque en Égypte, Irénée de Lyon (130-202) fils d’évêque, Grégoire de Nysse (335-394) et Basile de Césarée (329-379) fils de Basile l’Ancien, évêque de Césarée en Cappadoce, Grégoire de Naziance père (l’Ancien) et fils (le Théologien) évêques de Naziance aux III°-IV° siècle etc. D’ailleurs, les canons apostoliques, qui datent du IV° siècle, autorisent les évêques à se marier, à condition que leur épouse soit d’accord et qu’elle soit choisie parmi les vierges de l’Église.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Ils choisirent sept hommes remplis d’Esprit Saint » (Ac 6, 1-7)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque, parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées dans le service quotidien. Les Douze convoquèrent alors l’ensemble des disciples et leur dirent : « Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt, frères, sept d’entre vous, des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons dans cette charge. En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière et au service de la Parole. » Ces propos plurent à tout le monde, et l’on choisit : Étienne, homme rempli de foi et d’Esprit Saint, Philippe, Procore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, un converti au judaïsme, originaire d’Antioche. On les présenta aux Apôtres, et après avoir prié, ils leur imposèrent les mains. La parole de Dieu était féconde, le nombre des disciples se multipliait fortement à Jérusalem, et une grande foule de prêtres juifs parvenaient à l’obéissance de la foi.

PSAUME
(Ps 32 (33), 1-2, 4-5, 18-19)
R/ Que ton amour, Seigneur, soit sur nous, comme notre espoir est en toi !ou : Alléluia ! (Ps 32, 22)

Criez de joie pour le Seigneur, hommes justes !
Hommes droits, à vous la louange !
Rendez grâce au Seigneur sur la cithare,
jouez pour lui sur la harpe à dix cordes.

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

DEUXIÈME LECTURE
« Vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal » (1 P 2, 4-9)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, approchez-vous du Seigneur Jésus : il est la pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu. Vous aussi, comme pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ. En effet, il y a ceci dans l’Écriture : Je vais poser en Sion une pierre angulaire, une pierre choisie, précieuse ; celui qui met en elle sa foi ne saurait connaître la honte. Ainsi donc, honneur à vous les croyants, mais, pour ceux qui refusent de croire, il est écrit : La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle, une pierre d’achoppement, un rocher sur lequel on trébuche. Ils achoppent, ceux qui refusent d’obéir à la Parole, et c’est bien ce qui devait leur arriver. Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière.

ÉVANGILE
« Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 1-12)
Alléluia. Alléluia. Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie, dit le Seigneur. Personne ne va vers le Père sans passer par moi. Alléluia. (Jn 14, 6)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : ‘Je pars vous préparer une place’ ? Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. Pour aller où je vais, vous savez le chemin. » Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? » Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. » Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. » Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres. Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes. Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père »
Patrick BRAUD

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