L'homélie du dimanche (prochain)

5 mai 2019

Il est fou, le voyageur qui…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Il est fou, le voyageur qui…

Homélie pour le 4° Dimanche de Pâques / Année C
12/05/2019

Cf. également :

Secouez la poussière de vos pieds
Un manager nommé Jésus
Des brebis, un berger, un loup
L’agneau mystique de Van Eyck
« Passons aux barbares »…
Du bon usage des leaders et du leadership
La différence entre martyr et kamikaze ou djihadiste
À partir de la fin !
Comme une ancre jetée dans les cieux

Aucun obstacle ne doit nous enlever la joie de la solennité intérieure,
car si l’on désire se rendre à un endroit qu’on s’est fixé, aucune difficulté ne peut changer ce désir.
Aucune prospérité flatteuse ne doit nous en détourner;
il est fou, le voyageur qui, apercevant sur sa route de gracieuses prairies,
oublie le but de son voyage.
Homélie de Saint Grégoire le Grand

Cet extrait de l’Office des lectures de ce dimanche résonne avec les textes que nous venons de proclamer à la messe. Car le but dont parle Grégoire le Grand est celui qui animait Paul et Barnabé à Antioche, celui que Jean avait devant les yeux intérieurement en écrivant l’Apocalypse, celui que Jésus désire partager à ceux qui le suivent : la vie éternelle.

Le but du chemin spirituel « Vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle » : le reproche habile de Paul et Barnabé aux juifs jaloux de leur succès est cinglant. L’impact de ce rejet sera immense : « nous nous tournons vers les nations païennes ». Et « tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants » (cf. Ac 13, 14.43-52). Si nous redécouvrions que parler du Christ à ceux qui ne le connaissent pas, c’est leur faire ce cadeau inouï de vie éternelle, nous serions moins timides dans l’annonce de l’Évangile…

L’Apocalypse quant à elle a été écrite pour soutenir les premiers chrétiens dans les persécutions romaines. Vers l’an 90, devenir chrétien faisait courir des risques énormes : perdre son travail, voir sa famille surveillée et inquiétée, être emprisonné pour rien. Le risque maximal était la mort dans les arènes ou les geôles de l’empire. Petit manifeste contre la terreur de César, l’Apocalypse ancrait les disciples dans l’espérance que l’Agneau de Dieu, leur pasteur, les conduira « aux sources de la vie » (cf. Ap 7, 9-17), au-delà de toutes les épreuves, de la violence romaine et de ses larmes. Un petit livre pour résister à l’oppresseur sans perdre cœur, au nom du but ultime.

Quant à Jésus, il définit lui-même sa mission de bon berger : connaître, protéger et rester uni à ses brebis. « Je leur donne la vie éternelle. Jamais elles ne périront » (cf. Jn 10, 27-30).

Il est fou, le voyageur qui… dans Communauté spirituelle Comme-une-ancre-jetee-dans-les-cieuxGrégoire le Grand a bien raison : celui qui oublie ce but est fou ! Il va s’égarer en cours de route, il se laissera fasciner par les idoles le guettant sur le bord du chemin, détourner par les promesses de gloire ou de richesses immédiates et sans lendemain. Comment tenir bon en effet lorsqu’on est minoritaires et persécutés sans s’ancrer dans l’espérance d’un au-delà de cette vie ? On peut tout supporter et prendre tous les risques lorsque l’horizon ne se limite pas à quelques décennies sur terre. On parcourt la terre entière pour annoncer le Christ lorsqu’il s’agit d’un enjeu aussi immense que l’éternité. On désire rester dans la main du Christ – de laquelle personne ne peut nous arracher – pour goûter avec lui la vie, la vraie, qui vient du Père.

Les martyrs de tous les temps se sont appuyés sur cette espérance invincible en la vie éternelle pour redevenir fidèles, pour préférer la mort terrestre à la mort spirituelle, pour obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, fût-ce aux dépens de leur liberté, pour affronter leurs bourreaux en les aimant et en leur pardonnant.

Qu’est devenue cette grande espérance qui a animé l’Occident pendant des siècles au point de le faire voyager jusqu’aux extrémités du monde connu, pour le meilleur et pour le pire ? Qu’est devenue cette promesse de vie éternelle qui inspirait les bâtisseurs d’églises romanes, de cathédrales gothiques, les œuvres de Bach, Michel-Ange, Pascal ou Claudel ?
Les sondages dépeignent l’un après l’autre l’effacement rapide et
Prénoms musulmanspresque complet du christianisme dans le cœur des Français. La dernière étude sur l’évolution des prénoms donnés en France aux nouveau-nés est à cet égard significative. Jérôme Fourquet la reprend dans son dernier livre : « L’archipel français ». Elle montre la dispersion spectaculaire de l’origine de ces prénoms, et l’affaiblissement considérable de la référence chrétienne pour appeler les enfants aujourd’hui. 18% des nouveau-nés garçons de 2016 ont un prénom arabo-musulman. Mohamed fait son entrée dans le Top 20 chez les garçons en France, et arrive même 10° à Paris, précise BFMTV. Au Royaume-Uni, Mohamed avec ses variantes est devenu le prénom masculin le plus populaire en 2016, devant Oliver. Dans le même temps, un prénom catholique disparaît progressivement chez les filles : Marie. Selon Jérôme Fourquet, alors qu’il était à 20% au début des années 1900, le prénom est tombé à 1% dans les années 1970 et a continué de baisser. « La phase terminale de la chute sera actée par une proportion de Marie inférieure à 1% au milieu des années 2000, le score résiduel de 0,3% étant atteint en 2016 en dépit de l’appel lancé en 2011 par le pape Benoît XVI en direction des parents afin qu’ils optent pour un prénom chrétien et non pas pour des prénoms à la mode », conclut Jérôme Fourquet, cité par Le Point. En plus des prénoms arabo-musulmans, les prénoms hébraïques ont, eux aussi, progressé quasiment sans s’arrêter depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le tout au milieu d’une extraordinaire diversification des prénoms, symptôme de la fragmentation de notre société en un archipel d’ilots individualistes. Au début du 20° siècle, on avait environ une base de 2000 prénoms en France, aujourd’hui on est à 13000 prénoms différents, auxquels il faut rajouter les 5000 prénoms quasi uniques (et inventés) qui ne sont donnés qu’une fois ou deux (volonté de différencier l’individu plutôt que de l’inscrire dans une histoire).

En même temps, les sociologues relèvent la persistance, la rémanence pourrait-on dire en termes électriques, de cette référence chrétienne dans le champ politique ou social : la démocratie chrétienne au Parlement européen, la ‘Manif pour tous’, ‘Sens commun’, Fillon ou Bellamy, les JMJ, l’élan autour de Notre Dame de Paris incendiée… Le christianisme possède en outre une force d’impact éducative impressionnante, et sa vitalité intellectuelle tranche avec le vide des églises : Rémi Brague, Pierre Manent, Jean-Luc Marion, sans oublier l’influence posthume de Paul Ricœur, René Girard, Jacques Ellul etc. Après tout, à l’apogée de l’ère soviétique, seule une poignée d’irréductibles babouchkas semblait encore tenir le flambeau de la foi alors que les coupoles dorées des basiliques ne couvraient plus que des musées ou des bâtiments annexés par le Parti…

En tout cas, en ce qui concerne l’espérance dans la vie éternelle, les Français sont de plus en plus distants, et cela a un impact profond sur la société. Selon un sondage OpinionWay réalisé pour le Service catholique des funérailles et publié par La Croix le 01/11/2017, 40% des Français disent ne pas croire à l’existence d’une vie dans l’au-delà, et 31 % des personnes interrogées ne savent pas si une telle vie existe. Pour le philosophe Martin Steffens, l’absence de croyance en un au-delà tend à nourrir une société de consommation.

La Croix: Le fait que beaucoup de Français ne croient plus à un au-delà a-t-il un impact sur la société ?
Martin Steffens
: Oui, je le pense. J’ai en tête l’exemple de ce couple de 65 ans qui se sépare, avec cette idée que, « si on n’a plus que 10 ans encore valides devant nous, il faut être heureux »… Sans au-delà, la vie devient à elle-même son propre enjeu. Et une vie qui a en elle-même son propre centre peut créer un certain affolement. On va essayer de vivre comme si toutes nos belles expériences étaient des choses qu’on volait à la mort. L’angoisse de passer à côté de quelque chose nourrit la société de consommation.

Sondage audelaLe bilan est donc mitigé : individuellement, l’espérance chrétienne devient une opinion minoritaire parmi d’autres ; collectivement la référence à la vie éternelle habite toujours notre culture.

Le triomphe apparent de l’individualisme libéral déteint sur les croyants eux-mêmes. Plutôt que de spéculer (speculare = voir loin en latin) sur un avenir radieux, mieux vaut à leurs yeux utiliser la religion pour bien vivre ici et maintenant. Le primat absolu est donné à l’épanouissement de l’individu sans attendre. La tentation est alors de réduire l’Église à un hôpital où guérir des blessures de l’existence, la foi à un manuel de bien-être personnel, la prière à des exercices de méditation de plus ou moins pleine conscience, la pratique à des stages de développement personnel… Cet épicurisme de fait (‘je veux être heureux maintenant à tout prix’) rogne les ailes de l’espérance et la transforme au mieux en mythe du progrès, au pire en calcul pour aller mieux demain.

Or la vie éternelle, c’est bien autre chose !

Grâce au Christ, par lui avec lui et en lui, être unis à Dieu : cette perspective bouleversante donne la force de soulever des montagnes, de traverser toutes les épreuves, de laisser couler toutes les larmes. Cette espérance plus forte que la mort donne de l’énergie pour tous les combats en faveur de la justice, pour aimer même les non-aimables, pour se passionner pour la beauté, la connaissance, la technique, toutes choses promises à être accomplies et récapitulées en Dieu. Au niveau de chacun, goûter la vie éternelle dès maintenant et l’espérer en plénitude pour après la mort change également bien les perspectives. Le but d’une carrière n’est plus de parvenir au plus haut poste ou salaire ou parachute doré, mais d’expérimenter la joie d’être utile, de servir, de construire, car en Dieu les premiers tomberont et les derniers seront notre joie. Le but de la famille n’est plus de laisser quelque chose – ou quelqu’un – derrière soi pour survivre à travers eux. La promesse de la vie éternelle nous libère de cette mainmise sur nos proches. Nous n’avons pas à leur demander ce que Dieu seul peut donner. Nous pouvons les rendre adultes, sans dépendance malsaine, les aimant « pour rien » car c’est ainsi que nous aimerons en Dieu pour toujours. Le but de nos engagements – associatifs, politiques, religieux, culturels etc. - n’est pas d’obtenir une reconnaissance, d’ailleurs illusoire et courte, car Dieu nous reconnaîtra mieux que quiconque.

En toutes choses, la promesse de la vie éternelle nous apprend à raisonner « à partir de la fin ». C’est à partir de ce que le criminel suspendu à sa droite va devenir en Dieu que Jésus lui annonce pardon et rédemption. C’est au nom de leur avenir en Dieu que nous défendons la dignité des personnes à la rue, ou en fin de vie, ou en prison. C’est appuyés sur le roc de la résurrection que nous affrontons le mal et la mort. C’est cette promesse, « comme une ancre jetée dans les cieux » (He 6,19), qui nous rend solidement enracinés dans l’amour de Dieu quoi qu’il arrive.

Que l’Esprit du Christ réveille en nous cette soif de vivre en plénitude, dès maintenant et pour toujours. Que cette soif transforme l’horizon de nos objectifs, de nos combats. Car « il est fou, le voyageur qui, apercevant sur sa route de gracieuses prairies, oublie le but de son voyage… »

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Nous nous tournons vers les nations païennes » (Ac 13, 14.43-52)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, Paul et Barnabé poursuivirent leur voyage au-delà de Pergé et arrivèrent à Antioche de Pisidie. Le jour du sabbat, ils entrèrent à la synagogue et prirent place. Une fois l’assemblée dispersée, beaucoup de Juifs et de convertis qui adorent le Dieu unique les suivirent. Paul et Barnabé, parlant avec eux, les encourageaient à rester attachés à la grâce de Dieu. Le sabbat suivant, presque toute la ville se rassembla pour entendre la parole du Seigneur. Quand les Juifs virent les foules, ils s’enflammèrent de jalousie ; ils contredisaient les paroles de Paul et l’injuriaient. Paul et Barnabé leur déclarèrent avec assurance : « C’est à vous d’abord qu’il était nécessaire d’adresser la parole de Dieu. Puisque vous la rejetez et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, eh bien ! nous nous tournons vers les nations païennes. C’est le commandement que le Seigneur nous a donné : J’ai fait de toi la lumière des nations pour que, grâce à toi, le salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » En entendant cela, les païens étaient dans la joie et rendaient gloire à la parole du Seigneur ; tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants. Ainsi la parole du Seigneur se répandait dans toute la région.

Mais les Juifs provoquèrent l’agitation parmi les femmes de qualité adorant Dieu, et parmi les notables de la cité ; ils se mirent à poursuivre Paul et Barnabé, et les expulsèrent de leur territoire. Ceux-ci secouèrent contre eux la poussière de leurs pieds et se rendirent à Iconium, tandis que les disciples étaient remplis de joie et d’Esprit Saint.

Psaume
(Ps 99 (100), 1-2, 3, 5)
R/ Nous sommes son peuple, son troupeau. ou : Alléluia.
(cf. Ps 99, 3c)

Acclamez le Seigneur, terre entière,
servez le Seigneur dans l’allégresse,
venez à lui avec des chants de joie !

Reconnaissez que le Seigneur est Dieu :
il nous a faits, et nous sommes à lui,
nous, son peuple, son troupeau.

Oui, le Seigneur est bon,
éternel est son amour,
sa fidélité demeure d’âge en âge.

Deuxième lecture
« L’Agneau sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie » (Ap 7, 9.14b-17)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main. L’un des Anciens me dit : « Ceux-là viennent de la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu, et le servent, jour et nuit, dans son sanctuaire. Celui qui siège sur le Trône établira sa demeure chez eux. Ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, ni le soleil ni la chaleur ne les accablera, puisque l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »

Évangile
« À mes brebis, je donne la vie éternelle » (Jn 10, 27-30)
Alléluia. Alléluia.
Je suis, le bon Pasteur, dit le Seigneur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Alléluia. (Jn 10, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus déclara : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle : jamais elles ne périront, et personne ne les arrachera de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut les arracher de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes UN. »

Patrick BRAUD

 

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11 novembre 2018

Jésus, Fukuyama ou Huntington ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Jésus, Fukuyama ou Huntington ?

 

Homélie pour le 33° dimanche du temps ordinaire / Année B
18/11/2018

Cf. également :

La destruction créatrice selon l’Évangile
« Même pas peur »…
La « réserve eschatologique »
Lire les signes des temps


Croyez-vous en la fin de l’histoire ?

Cette question peut paraître étrange, et bien loin de vos préoccupations quotidiennes. C’est pourtant une question que soulève l’Évangile de ce dimanche (Mc 13, 24-32) :

En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « En ces jours-là, après une grande détresse, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ; les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées. Alors on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire. Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel.

À la fin de chaque année liturgique, les récits apocalyptiques de la Bible nous obligent annuellement à sortir de notre train-train temporel : nous vivons comme si nous n’allions jamais mourir, nous vivons comme si l’univers n’allait jamais mourir, comme si aucun au-delà de l’histoire n’était envisageable. Or le Christ nous avertit : « le Fils de l’homme viendra, et le cosmos tout entier en sera transformé ». De même que nous espérons un au-delà de la mort individuelle pour chacun, de même nous attendons un au-delà de l’histoire collective pour tous, une Création nouvelle, un monde autre où Dieu sera tout en tous.

Cette espérance collective n’est plus naturelle à nos contemporains. Depuis la chute du mur de Berlin en 1989 signifiant la chute du communisme soviétique, la démocratie libérale à l’occidentale semble avoir gagné définitivement la partie. Plus aucun politique chez nous n’ose  prophétiser autre chose que la démocratie et l’économie de marché. Les seules alternatives crédibles à notre stade occidental de civilisation pourraient être l’islamisme et le curieux système chinois. Mais on voit mal tous les peuples de la terre aspirer à la charia ou désirer le régime si autoritaire du parti communiste chinois, même devenu capitaliste !

La Fin de l'histoire et le dernier homme par FukuyamaCette thèse de la démocratie libérale comme horizon indépassable désormais de nos sociétés humaines est celle d’un Américain, Francis Fukuyama, formulée en 1989 au lendemain de la chute du mur de Berlin [1]. Il y annonçait « l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de tout gouvernement humain ».

« Si nous en sommes à présent au point de ne pouvoir imaginer un monde substantiellement différent du nôtre, dans lequel aucun indice ne nous montre la possibilité d’une amélioration fondamentale de notre ordre courant, alors il nous faut prendre en considération la possibilité que l’histoire elle-même puisse être à sa fin ».

Après la fin de l’illusion communiste, il apparaît impossible, selon Fukuyama, d’imaginer un monde essentiellement différent du monde présent. Faute d’idéologie alternative crédible, l’avenir semble écrit, la démocratie libérale et l’économie de marché ont vocation à s’imposer partout à plus ou moins brève échéance. Ainsi le nombre des démocraties dans le monde est passé de 35 en 1974 (30% des pays du monde) à environ 120 en 2013 (60% du total), celles-ci, étant bien entendu loin d’être toutes parfaites.

La thèse de la fin de l’Histoire tient dans cette idée simple : la civilisation libérale, occidentale, est destinée à devenir universelle ; elle s’imposera à tous, pour toujours.

Dans L’Anticonformiste, Luc Ferry commente :

« De fait, nous ne sommes tout simplement plus capables ne serait-ce que d’imaginer un régime légitime autre que la démocratie. [...] [Fukuyama] suggère que les principes de légitimité auraient tous été plus ou moins explorés au fil de l’histoire, jusqu’à ce que le plus conforme aux exigences fondamentales de l’humanité s’impose à nous. [...] Si le colosse islamiste représente bien l’un des derniers « blocs » à résister à cette unification du monde, l’intégrisme ne pourra jamais se prévaloir de la même légitimité que le communisme. Ce dernier pouvait se penser comme une alternative universelle au capitalisme, potentiellement valable pour l’humanité tout entière, tandis que l’islamisme intégriste, lui, ne saurait nourrir une telle prétention » [2].

Fukuyama n’est pas naïf : il ne prédit pas l’absence de guerres, de crises économiques ou de conflits sociaux. Il formule tranquillement le souhait que désormais toutes les sociétés convergent vers le modèle de la démocratie de marché.

Les chrétiens qui adhéreraient à cette thèse seraient obligés « d’aplatir » leur espérance en l’amputant de toute attente radicalement différente. Tout au plus serions-nous chargés de corriger les excès, les abus, les inégalités de ce système, le seul à garantir liberté et prospérité pour le plus grand nombre. Une social-démocratie chrétienne en quelque sorte, où le ferment proprement révolutionnaire de l’Évangile serait anesthésié, neutralisé. On concéderait juste aux chrétiens le pouvoir de soigner les blessures psychologiques de chacun, mais pas question d’annoncer une société différente.

Fukuyama a réaffirmé son diagnostic récemment dans un article au Wall Street Journal : « à la fin de l’histoire il y a toujours la démocratie. 25 ans après la place Tiananmen et la chute du mur de Berlin, la démocratie libérale n’a toujours aucun concurrent réel » [3].

Face à ce nouvel impérialisme de l’Occident s’autoproclamant l’Oméga de l’histoire, l’islam  et la Chine sont peut-être les derniers contestataires (avec quelques autres résistances de la part des démocraties « illibérales » des pays de l’Est). La charia veut promouvoir le royaume de Dieu sur la terre – et non au-delà comme l’espèrent les chrétiens – en soumettant le monde entier, à commencer par un quartier, une commune, un État, à la volonté de Dieu censé être exprimée à la lettre dans le Coran. Cette idéologie intégraliste gagne du terrain, surtout en Afrique et dans les pays émergents, car elle prend le relais du communisme en dénonçant un Occident décadent et prétentieux, et en promettant une société enfin juste parce que gouvernée directement par Allah (un peu comme pour le PC soviétique avant 1989…).

Le Choc des civilisationsC’est ce qu’un autre penseur américain, pourfendeur de la thèse de Fukuyama, appelle le « choc des civilisations ». Pour Samuel Huntington en effet, l’aspiration à la démocratie libérale n’est pas universelle.

« Seule l’arrogance incite les Occidentaux à considérer que les non-Occidentaux s’occidentaliseront en consommant plus de produits occidentaux. Le fait que les Occidentaux identifient leur culture à des liquides-vaisselle, des pantalons décolorés et des aliments trop riches, voilà qui est révélateur de l’Occident. » [4]

Cette aspiration entre en conflit avec les liens ethniques et religieux qu’elle dissout dans le marché mondial. Car les identités locales, ethniques ou religieuses ne se laisseront pas facilement absorber par la globalisation marchande. Plus la mondialisation libérale progressera, plus des peuples refuseront de perdre leurs racines, plus les religions (islam, hindouisme, voire christianisme) refuseront d’être réduites à un vague sentiment privé sans un impact social.

« La résurgence religieuse à travers le monde est une réaction à la laïcisation, au relativisme moral et à la tolérance individuelle, et une réaffirmation des valeurs d’ordre, de discipline, de travail, d’entraide et de solidarité humaine. »
« Les conflits entre groupes issus de différentes civilisations sont en passe de devenir la donnée de base de la politique globale. »

Quant à l’alternative chinoise, si étonnante pour nos yeux occidentaux, elle fait semblant de se rallier au capitalisme, mais c’est peut-être pour mieux réaffirmer son caractère autoritaire et non démocratique une fois sa puissance d’antan retrouvée…

Alors, Fukuyama ou Huntington ?

Ce détour géopolitique n’est pas si loin qu’il y paraît de nos soucis quotidiens. Il suffit de voyager dans un État musulman ou en Chine pour se rendre compte que la question de l’évolution de nos voisins concerne directement notre style de vie, nos habitudes, notre culture, notre identité. Rêver que tous les peuples de la terre convergent vers notre modèle n’est pas réaliste, ni même souhaitable. Se résigner à l’inverse au conflit des civilisations est également dangereux. Car la démographie et la croyance sont deux armes que l’Occident ne possède plus. Et que faire contre un adversaire plus nombreux qui croirait que faire mourir l’impie est plus important que sa propre vie ? Et à l’inverse, quels occidentaux seraient prêts à mourir pour leur smartphone ou leur mode de vie ?

Jésus, Fukuyama ou Huntington ? dans Communauté spirituelle 41DJo-BoIqL._SX330_BO1,204,203,200_L’espérance de la venue du Fils de l’homme telle que la formule Jésus aujourd’hui nous libère de toute recherche de réalisation absolue du royaume de Dieu sur la terre. C’est la fameuse « réserve eschatologique » chère au théologien Jean-Baptiste Metz. Nous contestons à tout ordre établi la prétention de se proclamer stade ultime de l’évolution humaine. Nous annonçons un monde autre, qui ne sera pas fait de main d’homme, qui n’est pas l’aboutissement de nos efforts, mais don de Dieu au Jour ultime.

La fin de l’histoire selon nous n’appartient pas à l’histoire, mais à l’au-delà de l’histoire. Ce n’est d’ailleurs pas une fin, mais le commencement d’un monde autre, une nouvelle Genèse  qui est déjà en germe dans toutes les initiatives d’amour vrai. La fin de l’histoire n’est pas notre mort individuelle, car notre espérance est bien plus grande qu’une simple survie individuelle. La venue du Fils de l’homme concerne tous les hommes, toute la Création, « depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel ». Aux XIX° et XX° siècles, beaucoup de chrétiens ont cru reconnaître quelques traits de cette espérance dans le marxisme alors triomphant. Ils se sont lourdement trompés. Ne faisons pas la même erreur en nous installant dans nos démocraties libérales d’Occident comme si elles étaient indépassables.

Il y aura d’autres républiques que la nôtre, et d’autres systèmes que la république.
Il y aura d’autres organisations sociales que la démocratie.
Il y aura d’autres performances économiques que celle du marché.
L’histoire n’est pas finie…

Sans nous soumettre à la charia inhumaine, sans non plus abdiquer devant la puissance chinoise en pleine ascension, sans nous replier sur des particularismes d’autrefois, nous aurons à imaginer des renouveaux incessants, des ruptures radicales, pour ne jamais figer la quête spirituelle et sociale de l’humanité.

Ne croyons pas ceux qui nous répètent qu’il n’y a pas d’autre choix que les leurs.
Ne suivons pas les faux prophètes d’apocalypse qui veulent nous précipiter dans les bras des extrémistes de tous bords.
Arrimons-nous solidement à cette ancre jetée dans les cieux (He 6,19) : « le Fils de l’homme viendra ». Cette espérance nous rendra libres de toute adoration des veaux d’or devant lesquels on voudrait que nous nous prosternions avec reconnaissance…

 


[1]. Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, 1992. L’ouvrage s’inspire des thèses d’Alexandre Kojève.

[2]. Luc Ferry, L’Anticonformiste, 2011, Denoël, p. 268.

[3]. The Wall Street Journal, At the ‘End of History’ Still Stands Democracy. Twenty-five years after Tiananmen Square and the Berlin Wall’s fall, liberal democracy still has no real competitors, By Francis Fukuyama, June 6, 2014

[4]. Samuel Huntington, Le choc des civilisations (the clash of civilisations) (1996), Ed. Odile Jacob, 2007.

 

Lectures de la messe

Première lecture
« En ce temps-ci, ton peuple sera délivré » (Dn 12, 1-3)

Lecture du livre du prophète Daniel

 En ce temps-là se lèvera Michel, le chef des anges, celui qui se tient auprès des fils de ton peuple. Car ce sera un temps de détresse comme il n’y en a jamais eu depuis que les nations existent, jusqu’à ce temps-ci. Mais en ce temps-ci, ton peuple sera délivré, tous ceux qui se trouveront inscrits dans le Livre. Beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et la déchéance éternelles. Ceux qui ont l’intelligence resplendiront comme la splendeur du firmament, et ceux qui sont des maîtres de justice pour la multitude brilleront comme les étoiles pour toujours et à jamais.

Psaume
(Ps 15 (16), 5.8, 9-10, 11)
R/ Garde-moi, mon Dieu, j’ai fait de toi mon refuge.
(Ps 15, 1)

Seigneur, mon partage et ma coupe :
de toi dépend mon sort.
Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ;
il est à ma droite : je suis inébranlable.

Mon cœur exulte, mon âme est en fête,
ma chair elle-même repose en confiance :
tu ne peux m’abandonner à la mort
ni laisser ton ami voir la corruption.

Tu m’apprends le chemin de la vie :
devant ta face, débordement de joie !
À ta droite, éternité de délices !

Deuxième lecture
« Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie » (He 10, 11-14.18)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Dans l’ancienne Alliance, tout prêtre, chaque jour, se tenait debout dans le Lieu saint pour le service liturgique, et il offrait à maintes reprises les mêmes sacrifices, qui ne peuvent jamais enlever les péchés.
Jésus Christ, au contraire, après avoir offert pour les péchés un unique sacrifice, s’est assis pour toujours à la droite de Dieu. Il attend désormais que ses ennemis soient mis sous ses pieds. Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie.  Or, quand le pardon est accordé, on n’offre plus le sacrifice pour le péché.

Évangile

« Il rassemblera les élus des quatre coins du monde » (Mc 13, 24-32) Alléluia. Alléluia.
Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous pourrez vous tenir debout devant le Fils de l’homme. Alléluia. (cf. Lc 21, 36)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « En ces jours-là, après une grande détresse, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ; les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées. Alors on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire. Il enverra les anges pour rassembler les élus des quatre coins du monde, depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel.
Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier : dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte. Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive. Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père. »
Patrick BRAUD

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28 août 2017

Le serpent temporel

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Le serpent temporel

Homélie du 22° Dimanche du temps ordinaire / Année A
03/09/2017

Cf. également :
L’effet saumon
Le jeu du qui-perd-gagne
L’identité narrative : relire son histoire
L’événement sera notre maître intérieur
Bonne année !
Les trois dimensions de Pentecôte

Les thèmes des lectures de ce dimanche sont nombreux : les jérémiades du prophète devant avertir son peuple, le vrai culte spirituel selon saint Paul, Pierre traité de Satan, l’annonce de la Passion et de la venue ultime du Fils de l’homme, et l’insondable impératif : prendre sa croix, perdre sa vie…
Attachons-nous pour une fois au psaume 62 (63) de ce dimanche, tel que la liturgie  nous le livre :

Dieu, tu es mon Dieu,
je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.

Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !

Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
Comme par un festin je serai rassasié ;
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
Mon âme s’attache à toi,
ta main droite me soutient.

C’est un petit bijou mystique qui parle de quête, de soif, de désir, de faim et de louange.
Regardons plus précisément les temps des verbes du psaume, et la manière dont ils s’enchaînent :

 Ps62 Temps des verbesOn constate que l’orant navigue sans cesse entre passé / présent / futur mais pas dans l’ordre ! Il va du présent solitaire : « tu (absent) /je » et inquiet (« je te cherche ») au présent apaisé (« mon âme s’attache à toi, ta droite me soutient ») et amoureux (moi <=> toi).

Pour parcourir ce chemin d’apaisement et de communion, le psalmiste plonge dans le passé afin de trouver les traces de l’action de Dieu autrefois en sa faveur, puis il revient au présent pour déclarer son amour, laisse jaillir son désir de célébrer la louange de l’être aimé le reste de sa vie. Puis à nouveau il refait une incursion dans son histoire personnelle pour faire mémoire des moments où Dieu est venu à son secours, et revient ainsi apaisé à la jouissance de la présence de Dieu en lui, et de lui en Dieu.

Ce psaume a les accents du Cantique des cantiques (ou l’inverse !), car c’est la même quête qui pousse la bien-aimée vers son amant.

Pourtant, c’est sans doute un lévite qui l’a composé : « lever les mains » et le « festin » font allusion au sacrifice du Temple ; les « ailes » évoquent celles des chérubins dans le Saint des saints du Temple ; le « sanctuaire » (Temple) est le lieu où il contemple Dieu, où il reste des heures pendant son service à chercher et contempler… Ce n’est guère l’image que nous avons d’un lévite, fonctionnaire attaché aux cérémonies et services d’ordre du Temple de Jérusalem. Nous sommes plutôt habitués au lévite scrupuleux de la parabole de Jésus, qui évite le blessé sur la route pour ne pas devenir impur (Lc 10,32). Ou aux lévites venant avec les prêtres soumettre Jésus à une série de questions (« qui es-tu ? ») pour l’examiner sous toutes les coutures et lui tendre des pièges (Jn 1,19).

Eh bien non ! On peut être fonctionnaire et dévoré d’un feu intérieur ; on peut avoir le souci de construire de belles liturgies et les vivre au plus intime comme une quête amoureuse et passionnée. Eugen Drewermann opposait autrefois les « fonctionnaires de Dieu » (die Klëriker) à ceux qui au seuil de nos églises cherchent sans trouver des compagnons de questionnement. Il n’avait pas tort de souligner ce danger, mais notre lévite de ce dimanche nous rassure : le ‘service public de la religion’ n’est pas incompatible avec une authentique vie spirituelle, voire une bouleversante quête mystique en ce psaume 62 ! Bonne nouvelle pour tous les prêtres et agents pastoraux confrontés sur le terrain aux contraintes de ce service public de la religion : leur mission n’est pas obligatoirement usante, ils peuvent au contraire y trouver la source d’une aventure spirituelle intense…

Revenons à ce serpent temporel dont nous avons repéré la reptation dans le psaume : c’est d’une certaine manière la philosophie juive du temps qui s’y exprime. Non pas le temps cyclique des Grecs et autres civilisations polythéistes, avec le mythe de l’éternel retour auquel il faut sacrifier régulièrement pour rétablir l’harmonie originelle ou presque. Non pas le temps linéaire des Lumières, avec son mythe du Progrès qui a engendré tant de désillusions (dont le réchauffement climatique risque d’être la pire). Non : la conception juive du temps est très originale, irréductible aux autres. Elle s’appuie sur la mémoire du passé pour croire que Dieu agira à nouveau, et ainsi s’ancrer grâce à sa promesse dans un présent ouvert à l’intervention divine.

Notre psaume 62 (et bien d’autres) circule avec aisance entre le mémorial, la promesse, la confiance, à la manière des systèmes complexes se nourrissant de boucles rétroactives (feed-back) pour évoluer d’eux-mêmes.

Le christianisme assumera cette vision complexe du temps, avec un ajout  fondamental : l’eschatologie déjà réalisée en Jésus ressuscité. Pour le dire plus simplement : depuis que Dieu a ressuscité Jésus de Nazareth, le futur est déjà accompli, notre avenir est déjà réalisé en Christ. C’est donc de cet avenir que nous tirons force, courage et confiance afin d’affronter le présent, assuré par la mémoire du passé que Dieu est le même, hier aujourd’hui et demain.

Le festin dont parle le psaume 62 fait sûrement allusion aux festins d’animaux qu’engendraient les sacrifices de communion au Temple : on partageait les morceaux après l’offrande entre les membres de la famille et le prêtre. Il nous fait évidemment penser au festin eucharistique où notre espérance est « ancrée dans les cieux » (He 6,19). Dans l’eucharistie nous faisons mémoire de la Pâque du Christ, lui  qui est désormais au-devant de nous, assis à la droite de Dieu, d’où il peut nous accompagner dans nos combats actuels. Notre ‘serpent temporel’ chrétien ressemblerait alors plutôt à ceci :

Serpent temporel

C’est du futur eschatologique que nous viennent foi, espérance, et amour en s’appuyant sur la mémoire de ce que Dieu a fait pour nous, pour chacun. Ce n’est donc pas à la force des  poignets (mythe du Progrès) ni en soumission au destin (mythe de l’éternel retour) que nous construisons notre présent. Nous le recevons, gracieusement, de l’avenir auquel Dieu nous appelle et qui est déjà avec réalisé en Christ ressuscité nous  précédant en avant. Le passé n’a plus le dernier mot, comme dans la plupart des sciences humaines qui font du présent-futur la prolongation du passé (psychanalyse, économétrie, sociologie…). Il y a de l’imprévu, de l’évènementiel  qui surgit de l’avenir, radicalement imprédictible et irréductible à ce que nous connaissons déjà ou pouvons prévoir.

Cette grammaire des temps chrétienne se plogue bien fort bien avec celle du psaume 62 : il suffit d’ajouter cette note eschatologique où le futur (en Christ) in-forme (donne forme à) notre présent humain.

Les rabbins le disaient à leur manière : « souviens-toi de ton futur »

Que la quête amoureuse et mystique du psaume 62 devienne la nôtre.

Apprenez-le par cœur, il est fait pour cela. Vous vous surprendrez à laisser ses mots monter à vos lèvres lorsque le désir de vivre sera le plus intense, la soif de Dieu la plus inextinguible…

Lectures de la messe

Première lecture
« La parole du Seigneur attire sur moi l’insulte » (Jr 20, 7-9)

Lecture du livre du prophète Jérémie
Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ; tu m’as saisi, et tu as réussi. À longueur de journée je suis exposé à la raillerie, tout le monde se moque de moi. Chaque fois que j’ai à dire la parole, je dois crier, je dois proclamer : « Violence et dévastation ! » À longueur de journée, la parole du Seigneur attire sur moi l’insulte et la moquerie. Je me disais : « Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. » Mais elle était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir.

Psaume
(Ps 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 8-9)
R/ Mon âme a soif de toi, Seigneur, mon Dieu ! (cf. Ps 62, 2b)

Dieu, tu es mon Dieu,
 je te cherche dès l’aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.

Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !

Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
Comme par un festin je serai rassasié ;
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
Mon âme s’attache à toi,
ta main droite me soutient.

Deuxième lecture
« Présentez votre corps en sacrifice vivant » (Rm 12, 1-2)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Je vous exhorte, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.

Évangile
« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même » (Mt 16, 21-27)
Alléluia. Alléluia.
Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur, pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. Alléluia. (cf. Ep 1, 17-18)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. » Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
 Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera. Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? Et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ? Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors il rendra à chacun selon sa conduite. »
Patrick BRAUD

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7 décembre 2016

Dieu est un chauffeur de taxi brousse

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Dieu est un chauffeur de taxi brousse


Homélie du 3° dimanche de l’Avent / Année A
11/12/2016

L’Église est comme un hôpital de campagne !

La joie parfaite, et pérenne

Du goudron et des carottes râpées

La revanche de Dieu et la nôtre

 

« Bientôt »

Une gare routière – ou équivalent – au Niger. Voyageant jusqu’à Alger à travers le désert, je me renseigne devant un taxi brousse qui affiche partir vers la frontière :

- Quand partez-vous ?
- Bientôt.
- Bientôt ? Mais c’est quand bientôt ?
- C’est bientôt ! Tu peux attendre là.
- … ?

Et me voilà à cheval sur une branche près du taxi brousse, guettant le moindre signe d’activité préparant un départ éventuel. La même scène se répète une fois, deux fois, dix fois… D’autres voyageurs me rejoignent et me font signe d’arrêter de m’agiter inutilement. Finalement, nous ne partirons que le lendemain après-midi, lorsque le nombre de voyageurs sera tel qu’il sera impossible à la pauvre 404 bâchée de loger plus que la trentaine de passagers, avec leurs bagages empilés sur la galerie au-dessus et sur les côtés.

Le bientôt du chauffeur n’était pas celui d’un occidental, mais d’un africain qui attend que son taxi brousse soit plein à ras bord avant que de donner le signal du départ.
Un autre rapport au temps…

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Et si Dieu se comportait avec nous comme le chauffeur de ce taxi brousse ? Et si son retard apparent était en réalité l’expression de son désir de rassembler le plus de monde possible ? Et s’il avait un autre rapport au temps que le nôtre ?

C’est ce que semble suggérer l’apôtre Jacques dans sa lettre. Il fait la comparaison avec le cultivateur, qui est obligé d’attendre que la terre porte son fruit, sans pouvoir rien faire d’autre que de patienter avec confiance :

« Frères, en attendant la venue du Seigneur, prenez patience. Voyez le cultivateur : il attend les fruits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive. Prenez patience, vous aussi, et tenez ferme car la venue du Seigneur est proche. » (Jc 5, 7-10)

Le temps de l’Avent a pour but de le réveiller en nous l’attente de la venue du Christ à la fin des temps, et ainsi de nous éduquer à la patience, pour ne pas nous décourager ni renoncer à attendre…

 

La tentation de s’installer à son compte

Les premiers chrétiens auxquels Jacques s’adresse supposaient que ce retour du Christ en gloire allait être imminent : demain, la semaine prochaine, au plus tard dans quelques mois. Aussi, plus les années passaient, plus ils étaient déçus et s’éloignaient de cette perspective.

Afficher l'image d'origineAlors nous, deux mille ans après, nous avons 2000 raisons de plus d’être impatients  (qu’est-ce qu’il attend pour rétablir enfin la justice dans ce monde ?) ou désabusés (il ne viendra pas ; à nous de nous organiser sans lui).

Dans un pays pourtant ultrareligieux comme les États-Unis, un sondage de 2010  indiquait que 40 % des Américains seulement croyaient et espéraient en le retour du Christ. En France, il y a fort à parier que moins de 10 % de réponses seraient positives…

Notre tentation actuelle n’est plus l’impatience eschatologique, mais plutôt l’installation dans le seul horizon de ce monde-ci, sans autre perspective. Même les chrétiens les plus fervents seront tentés de s’investir dans une espérance à court terme, sans rien attendre d’autre finalement que le résultat du travail de leurs mains. Il chante l’anamnèse avec cœur à chaque eucharistie (« nous attendons ta venue dans la gloire ») mais reviennent à leurs activités de la semaine comme si la venue du Christ n’allait jamais se produire, et surtout comme si de toute façon cela ne changerait rien, car cela arrivera bien trop tard pour moi…

Tout au plus transférons-nous l’événement de la rencontre du Christ glorieux à l’heure de notre mort personnelle : là, oui, ce monde finira, au moins pour le mourant. Mais l’autre fin du monde, pour tous… : on a le temps ! Les générations futures verront ça après nous, peut-être.

À force de trop attendre, nous avons largement renoncé à espérer.
Espérer que l’histoire humaine ne débouche pas sur elle-même, mais sur la rencontre d’un autre.
Espérer que la justice soit pleinement manifestée (le juge est à notre porte).
Espérer que l’homme ne soit pas seul à transformer cette planète et cet univers.
Espérer un avenir collectif, communautaire, communionnel, et non pas une vague survie individuelle après la mort.

 

La société ouverte de Karl Popper

En mathématiques – plus précisément en topologie – on dit d’un espace qu’il est ouvert s’il existe une suite convergente d’éléments de cet espace dont la limite n’appartient pas à cet espace.

Afficher l'image d'origineKarl Popper, philosophe des sciences, s’est basé sur son concept de réfutabilité pour définir ce qu’il appelle une société ouverte [1]. Toute assertion scientifique n’est vraie que provisoirement, en attendant qu’une autre proposition vienne la réfuter, ce qui arrive inéluctablement dans le développement de la pensée scientifique. C’est donc que la vérité scientifique n’est pas immuable, ni absolue. La science est une quête, indéfinie, inachevée par essence, car ne bouclant jamais sur un résultat définitif. En transposant cela à la sociologie politique, Karl Popper définit une société ouverte comme une société où le pluralisme (démocratique) fait en sorte qu’aucun pouvoir ne soit absolu, immuable, définitif. Une société ouverte est caractérisée par l’alternance pacifique des gouvernances, par le côté relatif et contestable de tout pouvoir. Une société ouverte laisse de la place à autre chose qu’elle-même, alors qu’une société fermée est totalitaire, et empêche toute altérité de contester le pouvoir en place.

On pourrait dire que l’Avent nous oblige à maintenir ce monde ouvert, au sens topologique, comme au sens de Popper : la résultante de tous nos efforts humains n’appartient pas à ce monde-ci, mais au monde autre que le Dieu tout autre viendra inaugurer dans la venue du Christ et la résurrection finale. Le progrès humain reste contestable, « réfutable », et n’ouvre pas de lui-même sur l’avenir de l’humanité.

Le taxi brousse divin est encore bien loin d’être plein ! Nous attendons à côté, avec une foule de passagers qui grossit, de toutes langues, couleurs, nations. Il nous semble que cela dure depuis trop longtemps. Certains dorment sur leurs valises. D’autres sont déjà repartis à pied ailleurs. D’autres se lamentent et gémissent.

Soyons de ceux qui, comme Jacques, invitent à la persévérance et à la patience.
Oui, tout cela va bien quelque part.
Non, je ne sais pas quand ni comment.
Mais je suis sûr que le chauffeur du taxi brousse va nous appeler bientôt.
Un bientôt divin, qui ne s’inscrit pas dans notre temps humain.
Un bientôt qui vise le salut du plus grand nombre.

 


[1] . Karl Popper, La société ouverte et ses ennemis, 2 tomes, 1945.

 

 

1ère lecture : « Dieu vient lui-même et va vous sauver » (Is 35, 1-6a.10)
Lecture du livre du prophète Isaïe

Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme la rose, qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et crie de joie ! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sarone. On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu. Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent, dites aux gens qui s’affolent : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. » Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie. Ceux qu’a libérés le Seigneur reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuient.

Psaume : Ps 145 (146), 7, 8, 9ab.10a

R/ Viens, Seigneur, et sauve-nous !
ou : Alléluia !  
(cf. Is 35, 4)

Le Seigneur fait justice aux opprimés,
aux affamés, il donne le pain,
le Seigneur délie les enchaînés.

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes.

Le Seigneur protège l’étranger,
il soutient la veuve et l’orphelin.
D’âge en âge, le Seigneur régnera.

2ème lecture : « Tenez ferme vos cœurs car la venue du Seigneur est proche » (Jc 5, 7-10)
Lecture de la lettre de saint Jacques

Frères, en attendant la venue du Seigneur, prenez patience. Voyez le cultivateur : il attend les fruits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive. Prenez patience, vous aussi, et tenez ferme car la venue du Seigneur est proche. Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres, ainsi vous ne serez pas jugés. Voyez : le Juge est à notre porte. Frères, prenez pour modèles d’endurance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.

Evangile : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 2-11)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
L’Esprit du Seigneur est sur moi : il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Alléluia. (cf. Is 61, 1)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

En ce temps-là, Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison, des œuvres réalisées par le Christ. Il lui envoya ses disciples et, par eux, lui demanda : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus leur répondit : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! »

 Tandis que les envoyés de Jean s’en allaient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean : « Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? un roseau agité par le vent ? Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ? un homme habillé de façon raffinée ? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois. Alors, qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète. C’est de lui qu’il est écrit : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour préparer le chemin devant toi. Amen, je vous le dis : Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui. »
Patrick BRAUD

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