L'homélie du dimanche (prochain)

1 octobre 2018

Le semblable par le semblable

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Le semblable par le semblable


Homélie pour le 27° dimanche du temps ordinaire / Année B
07/10/2018

Cf. également :

L’homme, la femme, et Dieu au milieu
Le mariage et l’enfant : recevoir de se recevoir
Sur quoi fonder le mariage ?
Le festin obligé

 

Bienvenue aux Alcooliques Anonymes !

« – Bonjour. Je m’appelle Caroline.
- Bonjour, Caroline ! clame en chœur le groupe assis en cercle sur des chaises toutes simples.
- Je suis alcoolique. Cela fait trois mois que je n’ai pas touché un verre ».
Et le groupe applaudit.

Ce rituel des Alcooliques Anonymes est célèbre dans le monde entier. Il garantit l’égalité de condition des participants à ce groupe de parole. Il crée un lien de solidarité entre les participants : nous sommes tous confrontés à la même maladie ; nous savons de quoi nous parlons ; nous allons pouvoir nous entraider.

Ce qui est vrai des Alcooliques Anonymes l’est aussi d’autres groupes et associations de personnes touchées par un combat commun : des femmes battues, des victimes d’attentats, des malades de cancer, des veufs et veuves, des parents ayant perdu un enfant etc.

Pourquoi se regrouper ainsi ?

Parce que seuls ceux qui ont vécu telle expérience spécifique savent en parler aux autres. Parce qu’ils peuvent s’écouter mutuellement sans plaquer des aprioris et des clichés de l’extérieur. Entre compagnons de galère, on se reconnaît, on devine ce que l’autre ressent et veut exprimer, car on y est passé soi-même. Entendre quelqu’un parler du cancer en général, c’est bien ; mais rien ne remplace le témoignage personnel de quelqu’un qui a traversé le même cancer que le mien : celui-là, je peux le comprendre, recevoir ses paroles, lui accorder un crédit de confiance car son chemin est proche du mien. À l’inverse, les conseils, les belles paroles et les exhortations de ceux qui n’ont jamais vécu ma situation risquent d’être plaqués, extérieurs, et finalement peu pertinents.

Résultat de recherche d'images pour "Jonathan Pierres Vivantes"Quand un politique discourt sur la grande pauvreté par exemple, on ne peut qu’être méfiant : que connaît-t-il de la bataille quotidienne pour nourrir une famille avec cinq euros ? Que sait-il de l’usure morale et physique d’une mise à l’écart sociale pendant des années ? Même s’il s’appuie sur des études et des associations, ce sera toujours un riche qui se penche sur le problème des pauvres.

C’est pourquoi un prêtre des cités populaires a fondé ATD Quart-Monde. C’est grâce à un jeune aveugle, François Lesueur, que Valentin Haüy a pu créer sa Fondation pour aveugles. Ce sont des parents endeuillés qui ont créé l’association Jonathan Pierres Vivantes etc.

Les Pères de l’Église condensaient cette loi humaine en une formule bien frappée : « ce qui n’a pas été assumé ne peut être sauvé ». Autrement dit : c’est de l’intérieur, par des proches, des gens qui ont vécu la même chose que peut venir l’entraide.

 

Jésus, mon semblable.

La lettre aux Hébreux dans notre deuxième lecture constate que Jésus lui-même s’est soumis à cette loi anthropologique :
« celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine ; pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères » (He 2,11)

Le semblable par le semblable dans Communauté spirituelle zz Action Catholique dans Communauté spirituelleRésultat de recherche d'images pour "jésus bon larron"La libération ne peut venir de quelqu’un n’ayant pas la même origine. Lorsque quelqu’un ignore cela, il tombe dans la condescendance, l’assistance, la manipulation. Seuls des frères peuvent sauver les frères, sinon la domination ne fera que changer de mains. Quand Moïse par exemple, après son éducation égyptienne, redécouvre son appartenance au peuple hébreu, c’est alors qu’il peut en devenir le libérateur. Dieu l’a renvoyé vers les siens (épisode du buisson ardent) alors qu’il fuyait au désert la vie avec ses semblables.

Parce qu’il a la même origine en humanité, Jésus connaît de l’intérieur nos combats, nos détresses, nos dérélictions les plus extrêmes, car qu’y a-t-il de plus extrême que la croix pour lui ? Parce qu’il est mon semblable en humanité, je peux parler à Jésus comme à un ami, un frère, un compagnon de route. Il a assumé mes tentations, il a vibré à la beauté du monde comme moi, il a connu l’amour, l’amitié, la trahison, la joie, la tristesse, la colère, la souffrance sous toutes ses formes…

« Ce qui n’est pas assumé ne peut être sauvé » : les Pères de l’Église ont martelé cette formule à l’encontre de ceux qui niaient l’humanité de Jésus pour sauvegarder sa divinité. La prière eucharistique n° 4 redit cela avec force (cf. He 4,15) : « il a vécu notre condition d’homme en toutes choses, excepté le péché » (car en réalité le péché n’est pas humain ; il ne fait pas partie de notre vocation humaine).

Jésus se fait le semblable de tous, et surtout des pauvres, des petits, des sans-grades afin que tout être humain trouve en lui un égal, un familier.

 

Pourquoi est-ce si important d’avoir la même origine ?

LA DAME PATRONNESSERedisons-le : ceux qui veulent résoudre les problèmes des autres sans en avoir l’expérience directe ressemblent aux dames patronnesses du 19° siècle. Ils veulent faire pour, souvent avec générosité, mais hélas avec incompétence. Si bien que leur bonne volonté devient vite dangereuse. C’était par exemple le drame du pouvoir colonial français : il voulait assurer le ‘progrès’ des indigènes en faisant pour eux des infrastructures, des lois, une organisation sociale qu’ils imaginaient pour eux.

À l’inverse, si De Gaulle n’avait pas réussi à imposer la légitimité de son gouvernement aux Alliés en 39-45, si les chars du maréchal Leclerc n’avaient pas symboliquement libéré Paris avant les Américains, nous serions devenus une nation sous tutelle, mineure et assistée. Si les français n’avaient pas parlé aux français depuis Londres, nous aurions perdu notre indépendance pour des années.



 

 

L’empowerment

Comme le chante l’hymne de Ph 2, 6-11, Jésus a quitté sa condition divine pour aller épouser notre humanité, au plus bas, afin de la faire remonter auprès de Dieu dans son triomphe sur le mal et la mort. Il s’est fait proche. Il est devenu notre semblable. Il a voulu que l’homme soit sauvé non pas de l’extérieur, par un Dieu tout autre, mais par un frère qui libère en chacun sa capacité à être fils de Dieu.

On l’a dit : faire pour est peut-être généreux, mais naïf et dangereux. L’étape suivante est d’essayer de faire avec. C’est plus noble. Le risque persiste cependant de faire faire à l’autre ce que je pense être le meilleur. L’Occident décide ainsi de grands projets de développement économique et cherche des partenaires locaux en Afrique ou en Asie pour les réaliser avec eux. Mais qui a pris le temps d’écouter ce que les Africains, les Asiatiques mettent sous le terme ‘développement’ ? Faire avec suppose fait en réalité que l’autre ait déjà pris conscience de ce qu’il souhaite faire. Sinon, c’est une parodie de coopération où finalement j’impose mon point de vue en le faisant réaliser par mes ‘partenaires’.

Empowered

Il s’agit donc de rendre d’abord l’autre capable de vouloir et de faire, puis de faire ensemble. C’est ce qu’exprime le terme anglais empowerment : il s’agit de donner le pouvoir (power) à l’autre sur lui-même. L’empowerment est ce travail d’accompagnement qui consiste à libérer en l’autre sa capacité à décider et entreprendre par lui-même. L’empowerment redonne du pouvoir, de la liberté, de l’autonomie et des moyens pour construire son propre chemin par soi-même, en coopération libre avec d’autres.

Au lieu de faire pour, on donne à l’autre de quoi faire par lui-même, et alors seulement on peut faire avec.

Ainsi lorsque Jésus constate après un miracle : « ta foi t’a sauvé », il suit cette pédagogie : il révèle à l’autre la puissance du désir qui est en lui, et l’invite alors à mettre en œuvre cette puissance de salut par lui-même. C’est sa foi qui l’a sauvé et non pas Jésus de l’extérieur. Jésus agit alors comme un catalyseur : en se décentrant de lui-même, il donne à l’autre de découvrir son centre le plus personnel, et travaille avec lui à la réalisation de son désir le plus vrai, le plus saint.

 

Évangéliser le semblable par le semblable

C’est l’une des intuitions les plus fécondes de l’Action Catholique. Au milieu des questions sociales nées de la Révolution industrielle, les chrétiens ont fait l’expérience que mieux que tout autre les ouvriers savent parler aux ouvriers de l’Évangile dans leur culture, leurs modes de vie. De même les cadres trouvent les mots qui vont toucher d’autres cadres pour témoigner du Christ etc. Ainsi sont nés la JOC, la JEC, la JIC, la JICF, les CMR, l’ACO, le MCC, les EDC, le MCR… Si ces mouvements sont aujourd’hui exsangues, c’est sans doute à cause de leur emprunt idéologique à d’autres pensées (marxiste, socialiste, sociologiques…) qui leur ont fait perdre de vue cette intuition évangélique :
« celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine ; pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères » (He 2,11)

51EKW7SBRQL._AC_US400_ empowermentAu congrès de Besançon en 1898, l’ACJF avait déjà entendu la revendication d’une évangélisation du semblable par le semblable. Le souci d’atteindre les masses a conduit l’Action Catholique à se spécialiser par milieu social, à partir de cette idée que ce sont les jeunes d’un milieu qui sont capables de toucher l’ensemble des jeunes de ce milieu : « entre eux, par eux, pour eux ». Cette idée, c’est l’abbé Cardjin, puis l’abbé Guérin qui vont véritablement la mettre en œuvre. En 1925 la JOC est fondée en Belgique, en 1926 en France. Pie XI (pontificat 1922-1939) consacrera cette intuition dans son encyclique Quadragesimo anno dans le langage de l’époque :

« Les circonstances nous tracent clairement la voie dans laquelle nous devons nous engager. Comme à d’autres époques de l’histoire de l’Église, nous affrontons un monde retombé en grande partie dans le paganisme. Pour ramener au Christ ces diverses classes d’hommes qui l’ont renié, il faut avant tout recruter et former dans leur sein même des auxiliaires de l’Église qui comprenne leur mentalité et leurs aspirations et qui sachent parler à leur cœur dans un esprit de fraternelle charité. Les premiers apôtres, les apôtres immédiats des ouvriers seront les ouvriers ; les apôtres du monde industriel et commerçant seront des industriels et des commerçants ».

Les effectifs sont importants : en 1937, la JOC compte 30 000 adhérents et réunit 85 000 jeunes au Parc des Princes pour célébrer son dixième anniversaire. Les prêtres ouvriers naissent de la même intuition de proximité : ils sont 10 en 1947, 25 un an plus tard, puis une centaine. L’objectif n’est plus de convertir la masse ouvrière mais de réinventer l’Église en milieu ouvrier ; les maîtres mots sont « naturalisation » des prêtres et « incarnation » de l’Église. C’est à propos de la question communiste que leur aventure va prendre fin, dans le contexte de la guerre froide. En 1954, Rome met fin à l’expérience des prêtres ouvriers. Certains refusent de se soumettre et d’abandonner leur travail. La mission de France poursuit actuellement cette conception de l’évangélisation, en y incluant des laïcs.

Le constat demeure : avoir la même origine (sociale, géographique, culturelle, intellectuelle etc.) que l’autre m’en rend plus naturellement frère. Cette proximité me permet d’acculturer l’Évangile, de le traduire dans sa mentalité, son vocabulaire, sa vision du monde afin qu’il puisse entendre comme à Pentecôte le message dans sa langue maternelle.

 

Mais qui est mon semblable ?

Jésus s’est fait le semblable de tout homme. Mais moi, de qui suis-je naturellement le semblable ? Qui a la même origine que moi, si bien que nous pourrons facilement échanger, nous confier l’un à l’autre, interpréter ensemble l’Évangile dans notre condition commune ?
Le jeune homme riche demandait à Jésus : qui est mon prochain ?
Il nous faut lui demander aujourd’hui : qui est mon semblable ? quelle est mon origine ? qui la partage avec moi ?
Nous pourrons alors, de façon privilégiée et non exclusive, nous tourner vers nos semblables pour fraternellement leur proposer la belle aventure de la foi chrétienne qu’ils écriront avec nous.

Demandez-vous donc – et demandez au Christ – cette semaine : qui est mon semblable ?

 

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Tous deux ne feront plus qu’un » (Gn 2, 18-24)

Lecture du livre de la Genèse

Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. » Avec de la terre, le Seigneur Dieu modela toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l’homme pour voir quels noms il leur donnerait. C’étaient des êtres vivants, et l’homme donna un nom à chacun. L’homme donna donc leurs noms à tous les animaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs. Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde. Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place. Avec la côte qu’il avait prise à l’homme, il façonna une femme et il l’amena vers l’homme. L’homme dit alors : « Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme – Ishsha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish. » À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un.

Psaume
(Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-6)
R/ Que le Seigneur nous bénisse tous les jours de notre vie ! (cf. Ps 127, 5ac)

Heureux qui craint le Seigneur
et marche selon ses voies !
Tu te nourriras du travail de tes mains :
Heureux es-tu ! À toi, le bonheur !

Ta femme sera dans ta maison
comme une vigne généreuse,
et tes fils, autour de la table,
comme des plants d’olivier.

Voilà comment sera béni l’homme qui craint le Seigneur.
De Sion, que le Seigneur te bénisse !
Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie,
et tu verras les fils de tes fils. Paix sur Israël.

Deuxième lecture
« Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine » (He 2, 9-11)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, Jésus, qui a été abaissé un peu au-dessous des anges, nous le voyons couronné de gloire et d’honneur à cause de sa Passion et de sa mort. Si donc il a fait l’expérience de la mort, c’est, par grâce de Dieu, au profit de tous. Celui pour qui et par qui tout existe voulait conduire une multitude de fils jusqu’à la gloire ; c’est pourquoi il convenait qu’il mène à sa perfection, par des souffrances, celui qui est à l’origine de leur salut. Car celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine ; pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères.

Évangile
« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mc 10, 2-16) Alléluia. Alléluia.
Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous ; en nous, son amour atteint la perfection. Alléluia. (1 Jn 4, 12)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, des pharisiens abordèrent Jésus et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Jésus leur répondit : « Que vous a prescrit Moïse ? » Ils lui dirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation. » Jésus répliqua : « C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle. Mais, au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » De retour à la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question. Il leur déclara : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle. Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère. »
Des gens présentaient à Jésus des enfants pour qu’il pose la main sur eux ; mais les disciples les écartèrent vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.
Patrick BRAUD

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