L'homélie du dimanche (prochain)

3 novembre 2024

Huile essentielle

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Huile essentielle

 

Homélie pour le 32° Dimanche du Temps ordinaire / Année B
10/11/24

Cf. également :
L’éducation changera le monde
Quelle est la vraie valeur de ce que nous donnons ?
Le Temple, la veuve, et la colère
Les deux sous du don…
Défendre la veuve et l’orphelin
De l’achat au don
Épiphanie : l’économie du don
Le potlatch de Noël

Ephapax : une fois pour toutes

 

1. Un peu suffit

Huile essentielle dans Communauté spirituelle diffuseur-ultrasonique-huiles-essentielles-medusa-diffuseurs-d-essentiellesPassez la porte d’un magasin « Nature et Découvertes ». Vous aurez immédiatement envie de respirer profondément pour explorer les délicieuses fragrances, le plus souvent inconnues, qui imprègnent l’air du lieu de vente et sollicitent vos narines. Immanquablement, votre nez vous conduira vers les diffuseurs d’huile essentielles qui alimentent en permanence ce microclimat où les brouillards colorés, les senteurs, leur fraîcheur, leur goût, leur étrangeté vous subjugueront. Le vendeur vous fera la démonstration : il suffit de quelques gouttes d’un précieux condensé de parfums naturels les plus divers pour embaumer tout une pièce. Un peu d’huile essentielle suffit à purifier et enchanter tout l’espace !

L’huile de la veuve de Sarepta (1R 17,10-16) est essentielle elle aussi. Non pas à cause de sa fabrication, mais parce qu’elle va amener cette veuve à reconnaître en Élie le prophète du Dieu unique, si différent des idoles de la région.

Suivons le parcours d’Élie qui peut devenir le nôtre, afin de devenir nous aussi prophète du très Haut.

 

2. Sortir de sa zone de confort

Dans sa lutte contre les idoles (Baal et Astarté) qui pullulaient en Israël sous l’influence étrangère portée par la reine Jézabel, Élie joue chez lui dans un premier temps. Il convoque les soi-disant prophètes de Baal au Mont Carmel, et les défie dans la célèbre épreuve du feu (1R 18,20-46). Sorti grand vainqueur de ce barnum magique (peut-être grâce de l’alcool inflammable ?), Élie fait exterminer les 70 faux prophètes et croit être le champion d’Israël. Mais voilà que Jézabel lui en veut à mort de l’avoir humiliée ainsi ! Dieu envoie d’abord Élie se cacher à l’est du Jourdain, dans les gorges encaissées du torrent du Kérith, en Galaad. Là, il est nourri par les corbeaux. 

Double faiblesse pour l’ex champion : il n’est plus chez lui, il ne peut plus se nourrir par lui-même. Comme si YHWH prenait le contre-pied de la démonstration de puissance qu’Élie avait soigneusement manigancée au sommet du mont Carmel. 

Pire encore : le torrent du Kérith s’assèche. Élie a soif. Il doit émigrer encore plus loin, à Sarepta, qui se trouve à environ 110 km. à vol d’oiseau vers le nord-ouest, en Phénicie, non loin des montagnes du Liban. Une terrible famine règne dans le pays. Élie est alors loin de chez lui, loin de son peuple. C’est une terre hostile ! Et il ne pourra pas compter là-bas sur un riche mécène, un baron puissant ou sur quelqu’un qui connaisse son Dieu : c’est une pauvre veuve idolâtre qui doit le recevoir, et elle souffre elle-même de la famine.

 

 Elie dans Communauté spirituelleSortir de sa zone de confort semble être – pour Élie comme pour nous – un préalable à l’action prophétique. Jésus lui-même a ressenti cet appel impérieux à sortir de sa sphère juive en allant en Décapole, territoire païen au-delà du Jourdain, ou en voyageant jusqu’à Sidon, où une femme l’obligera à accorder quelques miettes du festin messianique aux petits chiens sous la table…

Notre zone de confort, c’est l’entre-soi douillet et rassurant des regroupements par école, par quartier, par activité, où les riches se retrouvent entre eux, où les cathos pratiquants se confortent mutuellement, où les autres religions font table à part, où les militants d’une cause s’auto-persuadent que c’est la bonne etc.

 

Rappelez-vous : nul n’est prophète en son pays ! Il faut sortir de chez soi, de sa doxa habituelle, de ses cercles concentriques d’amis et de relations, pour laisser la Parole de Dieu nous traverser et aller toucher le cœur d’autrui. Et sortir de notre zone de confort nous conduit souvent en situation de faiblesse, de dépendance, comme Élie au Kérith ou à Sarepta. C’est auprès des petits, des faibles, que nous trouverons aide et appui, et non chez les princes ou les puissants. Jésus fait ce constat : « En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère » (Lc 4,25–32).

À nous de nous laisser conduire par les événements vers cet ailleurs, vers ces « veuves », où nous découvrirons comment Dieu se manifeste dans la faiblesse du vase d’huile et non dans le feu du Carmel, chez une veuve étrangère et non dans les palais de la reine d’Israël…

 

3. Pour dissiper l’idolâtrie

Au début, la veuve parle de YHWH à Élie en l’appelant « ton Dieu ». Ce n’est effectivement pas le sien, car la Phénicie (le Liban actuel) est alors envahie par les cultes idolâtriques dédiés à Baal et Astarté, dieux de la fertilité. À la fin du récit, la veuve a changé. Elle reconnaît ans Élie le prophète du seul Dieu véritable : « Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu, et que, dans ta bouche, la parole du Seigneur est véridique » (1R 17,24).

IshtarL’ADN d’Élie est bien ce témoignage prophétique au Dieu unique, et son nom même en est la trace : Élie = ‘Mon Dieu est YHWH’ (en hébreu). Alors qu’on ne connaît pas le nom de la veuve, mais seulement son village : Sarepta, qui signifie : fonderie, orfèvrerie, raffinerie. Sarepta désigne une activité de fabrication (de bijoux, d’or, de minerais) qui renvoie au caractère artificiel des idoles. Baal et Astarté ne sont que des statues fabriquées par des artisans habiles. Ces objets inanimés ne sont rien à côté de YHWH, le Tout-autre, non fait de main d’homme. On a découvert sur le site de Sarepta des traces archéologiques de l’activité de soufflage du verre, activité qui existe encore aujourd’hui à Sarafand tout proche. 

Ce n’est plus dans une lutte frontale, violente, contre les idoles comme au Mont Carmel qu’Élie va témoigner de YHWH, mais dans la survie au côté d’une veuve en temps de famine. Inversion totale du rapport de force, à méditer par tous les religieux qui veulent imposer leur vision du monde en engageant un bras de fer violent avec les puissants (en Iran, en Israël, en Russie, en Inde, au Pakistan, au Sahel etc.).

 

En France, il semblerait qu’heureusement les cathos ne soient plus assez forts pour rêver de réguler la société, mais la tentation existe toujours – au nom du bien et du vrai – d’intriguer et de faire du lobbying pour imposer des choix de vie relevant de la liberté de chacun. Pourtant la foi chrétienne ne s’impose pas. Elle se propose. Ou mieux encore, comme ici avec Élie : elle se vit aux côtés des plus pauvres, souffrant de famine, et se diffuse alors aussi naturellement que l’huile essentielle au creux du diffuseur…

 

Au lieu de mettre le feu, Élie apprend à recevoir l’hospitalité. 

Au lieu de la force triomphante du Carmel, l’humble faiblesse d’un peu de farine et du huile. 

Au lieu du drapeau israélien si fièrement planté en haut du Carmel, le déroutant exil au Liban en terre étrangère.

Dissiper l’idolâtrie ambiante – et Dieu sait si les idoles modernes pullulent autour de nous ! – ne se fait pas en mettant le feu, mais en côtoyant les humbles, pas en convertissant de force, mais en sauvant la vie des idolâtres, gratuitement.

De quoi prendre à rebrousse-poil les stratégies de conquête de pas mal de mollahs, d’évangélistes ou de nationalistes !

 

4. Avec un peu d’huile

lampe-a-huile-periglass-boule-gm huitUn seul vase d’huile pour un temps de famine, c’est bien peu. 

Deux pains et cinq poissons pour nourrir toute une foule, c’est bien peu. 

Une seule fiole d’huile pour allumer le candélabre du Temple de Jérusalem pendant une semaine, c’est bien peu. 

Et pourtant le vase d’huile ne se videra pas. 

Et pourtant la foule fut nourrie. 

Et pourtant, la fête de Hanoucca commémore chaque année le miracle de la fiole d’huile qui ne s’épuise pas, symbole de la renaissance de la foi après l’occupation [1].

À l’inverse, l’huile des vierges folles va s’épuiser et priver les cinq jeunes filles de la rencontre avec l’époux.

 

De quoi l’huile de la veuve de Sarepta est-elle le nom ? 

Eh bien, paradoxalement, elle représente le refus d’aider l’autre en direct

Élie ne va pas aider la veuve, mais il lui demande de l’aider, en lui sacrifiant le peu qui lui reste ! Autrement dit : nourrir l’autre n’est pas l’aider. C’est lui apprendre à nourrir autrui qui le sauvera.

L’essentiel n’est pas d’aider mais d’initier au don. 

Non pas ‘faire pour’, mais apprendre l’autre à se livrer.

 

Avouons que cela est folie pour la sagesse humaine habituelle. Nous sommes habitués à la générosité, à l’humanitaire, aux Restos du cœur, aux collectes alimentaires etc. Et voilà qu’Élie ne donne rien à manger à la pauvre veuve étrangère qui crie famine, mais lui apprend à se donner jusqu’au bout !

Voilà pourquoi Jésus loue les deux sous du don de la veuve au Temple de Jérusalem, plus que les gros chèques des notables de la ville (Mc 12, 38-44). 

Car se donner est plus grand que demander. 

Se livrer jusqu’à l’extrême, jusqu’à donner de son essentiel (de son huile essentielle !) et non de son superflu est plus important que de quémander l’existence.

 

La pauvre veuve de Sarepta fait une expérience qui peut devenir la nôtre : il nous est donné de nous donner.

Et il suffit d’un peu d’huile – notre essentiel – pour que la bonne odeur de l’Évangile se répande partout autour de nous.

 

Sortir de notre zone de confort / pour dissiper idolâtrie / avec un peu d’huile : comment mettre nos pas dans ceux d’Élie cette semaine ?

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[1]. Le miracle de la fiole d’huile (hébreu : נס פך השמן Nes pakh hashemen) est une aggada consignée pour la première fois dans le Talmud de Babylone, selon laquelle les Maccabées victorieux découvrent, après la libération du Second Temple de Jérusalem (au II° siècle av. J.C.), que les huiles destinées à l’allumage de la Menorah du Temple ont été profanées à l’exception d’une fiole qui ne devrait pas suffire plus d’un jour ; c’est pourtant grâce à cette fiole qu’ils parviennent à allumer le candélabre pendant huit jours jusqu’à la fabrication d’huiles nouvelles.

 

 

Lectures de la messe


Première lecture

« Avec sa farine la veuve fit une petite galette et l’apporta à Élie » (1 R 17, 10-16)


Lecture du premier livre des Rois
En ces jours-là, le prophète Élie partit pour Sarepta, et il parvint à l’entrée de la ville. Une veuve ramassait du bois ; il l’appela et lui dit : « Veux-tu me puiser, avec ta cruche, un peu d’eau pour que je boive ? » Elle alla en puiser. Il lui dit encore : « Apporte-moi aussi un morceau de pain. » Elle répondit : « Je le jure par la vie du Seigneur ton Dieu : je n’ai pas de pain. J’ai seulement, dans une jarre, une poignée de farine, et un peu d’huile dans un vase. Je ramasse deux morceaux de bois, je rentre préparer pour moi et pour mon fils ce qui nous reste. Nous le mangerons, et puis nous mourrons. » Élie lui dit alors : « N’aie pas peur, va, fais ce que tu as dit. Mais d’abord cuis-moi une petite galette et apporte-la moi ; ensuite tu en feras pour toi et ton fils. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre. » La femme alla faire ce qu’Élie lui avait demandé, et pendant longtemps, le prophète, elle-même et son fils eurent à manger. Et la jarre de farine ne s’épuisa pas, et le vase d’huile ne se vida pas, ainsi que le Seigneur l’avait annoncé par l’intermédiaire d’Élie.


Psaume

(Ps 145 (146), 6c.7, 8-9a, 9bc-10)
R/ Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur !
 (Ps 145, 1b)


Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le Seigneur délie les enchaînés.


Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes,
le Seigneur protège l’étranger.


Il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !


Deuxième lecture

« Le Christ s’est offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude » (He 9, 24-28)


Lecture de la lettre aux Hébreux
Le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, figure du sanctuaire véritable ; il est entré dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu. Il n’a pas à s’offrir lui-même plusieurs fois, comme le grand prêtre qui, tous les ans, entrait dans le sanctuaire en offrant un sang qui n’était pas le sien ; car alors, le Christ aurait dû plusieurs fois souffrir la Passion depuis la fondation du monde. Mais en fait, c’est une fois pour toutes, à la fin des temps, qu’il s’est manifesté pour détruire le péché par son sacrifice. Et, comme le sort des hommes est de mourir une seule fois et puis d’être jugés, ainsi le Christ s’est-il offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude ; il apparaîtra une seconde fois, non plus à cause du péché, mais pour le salut de ceux qui l’attendent.


Évangile

« Cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres » (Mc 12, 38-44) Alléluia. Alléluia.

Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux ! Alléluia. (Mt 5, 3)


Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, dans son enseignement, Jésus disait aux foules : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »
Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes. Une pauvre veuve s’avança et mit deux petites pièces de monnaie. Jésus appela ses disciples et leur déclara : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »
Patrick BRAUD

 

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5 août 2023

L’icône de la Transfiguration

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 13 h 00 min

L’icône de la Transfiguration

Homélie pour le dimanche de la Fête de la Transfiguration du seigneur / Année A
06/08/2023

Cf. également :
À l’écart, transfiguré
Transfiguration : Soukkot au Mont Thabor
Compagnons d’éblouissement
Transfiguration : le phare dans la nuit
Transfiguration : la métamorphose anti-kafkaïenne
La vraie beauté d’un être humain
Figurez-vous la figure des figures
Visage exposé, à l’écart, en hauteur
Dieu est un trou noir

Theophane le Grec Icone de la transfigurationLa Transfiguration fait partie de ces quelques récits évangéliques (Nativité, Épiphanie, Baptême, Transfiguration, Passion, Résurrection) qui reviennent tous les ans dans la liturgie, à la différence des autres qui ne sont lus que tous les trois ans.
C’est le signe de l’importance exceptionnelle que l’Église lui accorde. Nous lui avons déjà consacré 9 homélies !
Une fois n’est pas coutume, méditons sur le sens de ce dimanche de fête avec l’icône officielle de la Transfiguration.
Cette icône est attribuée à Théophane le Grec, iconographe byzantin - fin du XIV° début du XV° siècle -. Parmi ses icônes les plus célèbres, notons la Vierge de la Déisis de l’église de l’Annonciation au Kremlin de Moscou et celle de la Transfiguration. Il travailla entre autres à Constantinople et à Moscou et développa l’École de peinture d’icônes de Novgorod. Il fut le maître de l’iconographe russe Andrei Roublev (1365-1430) connu pour son icône de la Trinité.

Le plan général de l’icône
On distingue nettement 3 étages horizontaux (rectangles verts sur l’image) :

Theophane le Grec Icone de la transfiguration 2– Le premier étage, en haut, comprend 3 personnages : Élie à gauche, Jésus au centre, Moïse à droite (reconnaissable aux tables de la Loi qu’il a en main). On est là visiblement au ciel, dans la gloire de Dieu marquée par la couleur or, les auréoles de sainteté, et la blancheur éclatante des vêtements de Jésus.
Élie et Moïse ne sont pas nécessaires à l’icône, mais sont en quelque sorte en surimpression de la scène, pour lui donner un autre sens encore : l’accomplissement de la Loi et des Prophètes.

 

– L’étage intermédiaire dépeint 3 montagnes : l’une, centrale, sous les pieds de Jésus, est de couleur terreuse et descend jusqu’en bas. C’est le mont de de la Transfiguration (le Thabor ou l’Hermon, selon les traditions). Les 2 autres montagnes sont de couleur ocre, sous les pieds d’Élie (le mont Horeb) et de Moïse (le mont Sinaï), afin de marquer qu’elles appartiennent à d’autres scènes que celle du Thabor.
Cet étage fait la jonction entre les 2 mondes. Comme dans une bande dessinée, dans l’anfractuosité de la montagne d’Élie, on voit Jésus qui emmène ses 3 disciples en haut de la montagne centrale ; et dans l’anfractuosité de la montagne de Moïse, on voit Jésus redescendre toujours en guidant ses 3 disciples.
L’ensemble du récit de la Transfiguration est ainsi reconstitué : il faut gravir le Mont Thabor, puis en redescendre, sans s’arrêter au milieu !

Au milieu de cet étage intermédiaire il y a des ouvertures, des failles dans le rocher de la montagne sur laquelle est Jésus, et de ces 2 fissures jaillissent 2 arbres verts et feuillus : la Transfiguration est l’annonce d’un monde nouveau, d’une nouvelle Création qui concerne tout l’univers, où les rochers stériles fleurissent ! C’est le même procédé qu’utilise Matthieu dans son récit de la résurrection de Jésus en mentionnant que les rochers se fendirent et que la terre trembla.

 

– L’étage du bas est celui des 3 disciples ; il est le miroir en quelque sorte de l’étage du haut avec ses 3 personnages célestes, autour de l’axe de symétrie que constitue l’étage intermédiaires des 3 montagnes.
Pierre est à gauche, qui se protège le regard de sa main gauche pour ne pas être aveuglé par la lumière émanant du Christ. Avec lui, l’Église garde les yeux fixés sur le Christ éblouissant de beauté.
Jean est au centre, retourné vers nous, méditant la scène en se tenant le visage avec son menton. Avec lui, l’Église reste contemplative et stupéfaite.
Jacques est à droite, il semble fuir, le dos tourné lui aussi. Avec lui, l’Église revient à l’action après la contemplation, encore irradiée de la proximité d’avec le Transfiguré.

 

Le Christ en gloire
Au centre de l’étage supérieur, le Christ est éblouissant de lumière. Le blanc domine, symbole de vie, de pureté, de lumière, avec des filets d’or, symbole de sainteté. Son corps ainsi transfiguré est inscrit dans une mandorle ovale (en rouge), iconographie omniprésente sur nos façades d’églises romanes. La mandorle est sans doute une symbolique très féminine évoquant par sa forme vulvaire une nouvelle naissance, ici l’avènement ultime de Jésus en tant que Fils de l’homme à la fin des temps, suscitant une nouvelle Création. La Transfiguration est l’anticipation de cet accomplissement de l’histoire humaine.
Cette mandorle de gloire est elle-même circonscrite à l’intérieur d’un carré (pointillés rouges) dont seules les diagonales blanches sont peintes, formant comme une étoile à 6 branches, l’étoile de David.
La forme carrée symbolise l’universel, en référence aux 4 points cardinaux qui la constituent : c’est le monde entier qui va bénéficier du débordement de gloire émanant du Fils de Dieu. Ce symbolisme est renforcé par l’alignement des 2 diagonales (pointillés bleus) avec le regard de Pierre en bas à gauche et celui de Jacques en bas à droite : la gloire du Transfiguré atteint déjà les disciples malgré leur lenteur à croire, et s’étendra à tout l’univers.

Le Christ transfiguré est circonscrit dans un cercle parfait, symbole d’infini et de plénitude (en pointillé bleu). Élie et Moïse sont à la frontière de ce cercle, déjà associés à la sainteté du Christ sans lui porter ombrage.
À l’intérieur de ce cercle, un dégradé de couleurs du bleu à l’or en passant par le blanc semble suggérer un mouvement au sein de cette sphère de gloire, irradiant vers les Prophètes à gauche et la Loi à droite. Elle les touche de son aura, afin de de les accomplir.
Curieusement, un deuxième cercle est également présent, à l’intérieur du premier. Plus difficile à interpréter, il évoque peut-être la double nature du Christ, son humanité (petit cercle) étant totalement assumée et transfigurée en sa divinité (grand cercle).

 

Élie et Moïse
Leur auréole (bien présente quoique se confondant presque avec le fond doré de l’étage supérieur) indique qu’ils sont associés à la gloire du Christ, même si leurs vêtements d’un beau drapé bicolore transparent les différencient des vêtements blancs lumineux du Christ, le seul Saint, de l’unique sainteté de Dieu.
Les vignettes bleues pâles au-dessus rappellent leur rencontre avec un ange de YHWH leur révélant leur mission. Ainsi Élie montre le Christ de sa main droite, dans une attitude semblable à celle de Jean-Baptiste le Précurseur. N’est-ce pas Élie qui a reconnu YHWH non dans l’orage, la foudre ou le tonnerre, mais dans l’humble souffle de vent qu’il perçoit, caché au creux du rocher de l’Horeb ? L’humilité du Fils de l’homme en gloire n’en est que plus saisissante, et sera confirmée par la Passion ensuite. Quant à Moïse, il tient les tables de la Loi en main, et les apporte au Christ.
Élie et Moïse sont tous deux légèrement inclinés devant le Fils de l’homme, chacun sur sa montagne. L’ensemble fait penser aux chérubins de l’Arche d’Alliance, qui veillaient de chaque côté du coffre-fort renfermant les rouleaux de l’Écriture… que Jésus tient justement en main !

 

Les 3 disciples
L’artiste a lui-même tracé 3 lignes bleues partant du Christ transfiguré vers les 3 disciples. Les regards de Pierre et de Jacques forment – on l’a vu – un X suivant les diagonales du carré de gloire du Transfiguré. En outre, si l’on prolonge la ligne bleue de Pierre et celle de Jacques, elles se croisent toutes deux exactement sur la main gauche de Jésus tenant les rouleaux de la Loi et des Prophètes ! La mission des apôtres sera donc de voyager aux quatre coins du monde pour annoncer l’Alliance nouvelle, où tous deviennent prophètes par l’Esprit du Christ, et où la seule Loi se résume au double commandement de l’amour…
Jean quant à lui est plus contemplatif : la ligne bleue de son regard ne remonte pas aux rouleaux de la Torah, mais à la main droite du Christ bénissant de façon trinitaire (3 doigts pour la Trinité, les 2 autres doigts unis pour sa double nature humaine et divine), et plus haut encore la même ligne touche au visage du Christ. N’est-il pas « celui que Jésus aimait », capable d’entrer dans l’intimité de son ami ? La place si particulière attribuée à Jean dans les Églises orthodoxes est ainsi finement soulignée dans la composition de l’icône.

Signalons enfin qu’aucun des 3 disciples n’a d’auréole, contrairement aux 3 personnages du haut : ils ne sont qu’en chemin, pas encore totalement sanctifiés. Leur propre transfiguration leur demandera eux aussi de passer par la croix.
Dernier détail troublant : quand on prolonge (traits blancs) le bras droit de Pierre, celui de Jean, et le contour du corps de Jacques, ces 3 lignes se croisent exactement… aux pieds de Moïse ! Hasard ? Ou bien évocation du lien unissant la mission des apôtres à celle de Moïse ?

 

La divinisation
La gloire du Christ transfiguré irradie les 3 disciples.
Chaque personnage est touché par un rayon de la Lumière, chacun reçoit une part de la Gloire divine. Dieu nous fait don de Lui-même. Les rayons que le Christ communique aux prophètes et aux apôtres sur le Thabor, c’est la Grâce, le don de Dieu qui nous fait vivre et nous sanctifie. Nous recevons cette grâce, le Don de l’Esprit Saint, pour devenir peu à peu « participants de la nature divine » (2P 1,4).

 

La Transfiguration par la croix
Tout cela pourrait paraître très céleste, très éthéré, dans un autre monde. Or, en prenant du recul, nous voyons nettement apparaître une croix (traits noirs) dans l’agencement global de l’icône. L’axe vertical est marqué bien sûr par la droiture du corps transfiguré, entre ciel et terre. L’axe horizontal est marqué par l’alignement des 3 visages d’Élie, Jésus et Moïse. La croix est toujours en filigrane de la Transfiguration. La gloire divine est celle du Serviteur souffrant.
Quelques jours plus tôt, Jésus a annoncé pour la première fois en termes très nets qu’il devait souffrir et mourir. Pierre a eu un sursaut scandalisé ; mais Jésus l’a sévèrement réprimandé, et il a ajouté que personne ne pouvait être son disciple à moins de renoncer à soi et de porter sa croix. Pendant la Transfiguration, Luc note que Moïse et Élie s’entretiennent du prochain départ de Jésus pour Jérusalem. Il n’est donc question que de la Passion.
Or, tous les détails de l’image évoquent les manifestations de Dieu dans l’Ancien Testament. La montagne est haute comme étaient hauts le Sinaï et l’Horeb. L’homme du Sinaï est là, c’est Moïse. L’homme de l’Horeb aussi est là, c’est Élie. Les vêtements de Jésus sont éblouissants de blancheur ; son visage resplendit comme le soleil ; une voix parle du sein de la nuée. Cette nuée est celle de l’Exode qui guidait les Hébreux dans le désert. Tout nous dit : c’est Dieu. C’est donc Dieu qui va souffrir et mourir. Personne ne pourra se tromper sur ce qu’est sa Gloire. Dans un autre contexte, la Transfiguration serait une manifestation de puissance et d’éclat. Dans le contexte de la Passion, c’est tout autre chose : les 3 disciples seront les 3 témoins de la faiblesse de Dieu au Jardin des Oliviers. Celui dont le visage est resplendissant comme le soleil sera un pauvre homme qui sue sang et eau. Entre cette Gloire et cette faiblesse, il n’y a pas opposition, mais indéchirable unité…

 

Allez ! Courez acheter cette icône de la Transfiguration pour quelques dizaines d’euros ! Placez-la dans votre coin prière, et contemplez-la, en la laissant vous parler au cœur.
Vous en sortirez éblouis, et peut-être même éblouissants…

 

Ci-dessous, une autre interprétation célèbre de la Transfiguration : le tableau de Raphaël (XVI° siècle)

 

LECTURES DE LA MESSE  PREMIÈRE LECTURE
« Son habit était blanc comme la neige » (Dn 7, 9-10.13-14

Lecture du livre du prophète Daniel
La nuit, au cours d’une vision, moi, Daniel, je regardais : des trônes furent disposés, et un Vieillard prit place ; son habit était blanc comme la neige, et les cheveux de sa tête, comme de la laine immaculée ; son trône était fait de flammes de feu, avec des roues de feu ardent. Un fleuve de feu coulait, qui jaillissait devant lui. Des milliers de milliers le servaient, des myriades de myriades se tenaient devant lui. Le tribunal prit place et l’on ouvrit des livres. Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.

PSAUME
(Ps 96, 1-2, 4-5, 6.9)
R/ Le Seigneur est roi, le Très-Haut sur toute la terre
 (Ps 96, 1a.9a) 

Le Seigneur est roi ! Exulte la terre !
Joie pour les îles sans nombre !
Ténèbre et nuée l’entourent,
justice et droit sont l’appui de son trône. 

Quand ses éclairs illuminèrent le monde,
la terre le vit et s’affola ;
les montagnes fondaient comme cire devant le Seigneur,
devant le Maître de toute la terre. 

Les cieux ont proclamé sa justice,
et tous les peuples ont vu sa gloire.
Tu es, Seigneur, le Très-Haut sur toute la terre,
tu domines de haut tous les dieux.

DEUXIÈME LECTURE
« Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue » (2 P 1, 16-19)

Lecture de la deuxième lettre de saint Pierre Apôtre
Bien-aimés, ce n’est pas en ayant recours à des récits imaginaires sophistiqués que nous vous avons fait connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est pour avoir été les témoins oculaires de sa grandeur. Car il a reçu de Dieu le Père l’honneur et la gloire quand, depuis la Gloire magnifique, lui parvint une voix qui disait : Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé ; en lui j’ai toute ma joie. Cette voix venant du ciel, nous l’avons nous-mêmes entendue quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. Et ainsi se confirme pour nous la parole prophétique ; vous faites bien de fixer votre attention sur elle, comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs.

ÉVANGILE
« Son visage devint brillant comme le soleil » (Mt 17, 1-9)
Alléluia. Alléluia. 
Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! Alléluia. (Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts.
Patrick BRAUD

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7 août 2017

Le doux zéphyr du mont Horeb

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Le doux zéphyr du mont Horeb

Homélie pour le 19° dimanche du temps ordinaire / Année A
13/08/2017

Cf. également :

Le dedans vous attend dehors

Le pur amour : pour qui êtes-vous prêts à aller en enfer ?

Traverser la dépression : le chemin d’Elie

Je me souviens d’un moment privilégié avec mon père durant mes années collège, qui revenait assez souvent les matins où il n’était pas en déplacement professionnel. Nous nous retrouvions tous les deux autour lui de son bol de café fumant et moi d’un bol de chocolat crémeux. De larges tartines avec le beurre salé et la confiture maison complétaient le plaisir de ces dix minutes calmes et silencieuses où, entre hommes (ma mère était encore dans sa chambre), nous partagions le début du jour avec une complicité muette. Puis venait le moment que j’attendais, devenu rituel et sacré : la partie de baby-foot en cinq minutes, avec des joueurs en plastique rouge et jaune de moyenne qualité, mais qui face à mon père devenaient des alliés tournicotants et frappeurs puissants. Je voyais qu’il me laissait gagner en classe de sixième, mais que je devais veiller à ne pas marquer trop vite en troisième… Puis il m’emmenait au collège dans sa voiture et j’étais fier d’arriver devant mes camarades en lançant : « bonne journée papa ! » après la bise d’encouragement mutuel. Ce quart d’heure de trajet en voiture était toujours parsemé de réflexions, de remarques, de discussions où je devenais peu à peu son égal, sans jalousie ni domination.

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Voilà ce que j’appellerais un doux zéphyr de l’enfance… De manière non spectaculaire, mais entêtée et obstinée, une proximité père-fils s’est construite autour de deux bols, d’un baby-foot et de 8 kms en voiture… Tous ceux qui peuvent raconter de tels souvenirs savent d’instinct ce dont la Bible veut parler en évoquant Élie au Mont Horeb : Dieu est dans la brise légère de ces bonheurs ordinaires, beaucoup plus que dans les claquements de cymbales de la réussite ou du drame !

elietext2Pour apprécier la portée de ce passage, il faut se souvenir d’un autre sommet : le mont Carmel, où Élie avait forcé la main à YHWH en l’obligeant à se manifester dans la puissance (lire le cycle d’Élie dans son intégralité en 1R 17-19). Élie avait défié les prophètes de Baal, les avait vaincus en utilisant un stratagème digne des plus grands magiciens (son eau qui s’enflamme toute seule ressemble fort à du pétrole ou équivalent…) et avait fait montre d’une cruauté barbare en passant ces prophètes au fil de l’épée (450, excusez du peu !). Le tout au nom de YHWH qui n’avait rien demandé ! Du coup, YHWH s’est fâché tout rouge d’être ainsi instrumentalisé sans qu’il ait donné son accord, et il fait rapidement descendre Élie du mont Carmel, poursuivi par Jézabel la reine « méchante ». Abandonné de tous malgré sa pseudo-victoire, Élie fait l’expérience de la faiblesse au désert, et il est obligé de demander à une femme – étrangère, pauvre et seule, la veuve de Sarepta – de le nourrir pour l’empêcher de mourir de faim. La démonstration de force militaire et de puissance magique avait donc échoué. Le miracle de l’huile et de la farine ne s’épuisant pas parce que partagés entre la veuve et Élie auraient dû le mettre sur la voie : Dieu n’est pas dans la victoire armée sur ses ennemis, mais dans l’humble don de ceux qui acceptent de ne pas posséder…

bliksem brise dans Communauté spirituelleAlors le rendez-vous du mont Horeb va donner la clé de ce cycle de rivalité mimétique / victoire destructrice / désillusion dans la fuite / expérience du don gratuit. La clé de la puissance n’est pas l’élimination de l’autre mais le compagnonnage avec lui. Dieu n’est pas dans l’ouragan de nos triomphes militaires, contrairement à ce que croyaient tous les peuples environnants, mais dans le zéphyr tranquille et régulier de nos rencontres ordinaires (Chouraqui traduit, plus près du texte hébreu : « une voix, un silence subtil »).

Pour expérimenter cela, Élie est obligé de sortir de sa caverne. Platon utilisait ce mythe de la caverne pour décrire notre impossibilité à saisir autre chose que des ombres portées sur les parois du rocher. Le Livre des Rois fait sortir Élie de sa caverne, justement pour passer de la figure à la réalité, de la projection humaine à la rencontre de l’autre. C’est donc il nous faut quitter nos cavernes où nous nous contentons trop facilement des figures et des ombres imaginaires. Quitter nos fausses représentations de Dieu et de sa puissance, de l’homme et de sa grandeur. Quitter nos projections trop humaines sur un dieu radicalement autre. Le bruit du tonnerre, le souffle de l’ouragan sont utiles s’ils nous attirent au-dehors de nous-mêmes. La caresse de la brise légère prendra ensuite le relais pour nous révéler où se situe l’amour de Dieu dans notre histoire personnelle.

Dernier détail, et non des moindres, et l’un des plus commenté d’ailleurs : Élie ne peut voir Dieu que de dos, comme Moïse au Sinaï.

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Ce n’est en effet qu’après coup, après avoir pris le recul de la méditation priante, de la relecture croyante, que tel événement, telle rencontre s’avère être authentiquement un moment avec Dieu. Bien des enthousiasmes flamboyants se sont éteints aussi rapidement qu’ils étaient venus : du coup de foudre amoureux à la transe religieuse, tant de moments clinquants se sont finalement révélés très décevants, superficiels, relativement creux.

 

À la suite d’Élie, notre travail prophétique est d’abandonner nos rêves de puissance trop humaine, de sortir de nos cavernes de pensée, et de nous exposer sans défense à la brise légère, à la voix silencieuse, c’est-à-dire de discerner le fil rouge de notre existence, sa cohérence interne avec Dieu au centre, toujours caché, de dos, toujours passant, tout près…

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur » (1 R 19, 9a.11-13a)
Lecture du premier livre des Rois
En ces jours-là, lorsque le prophète Élie fut arrivé à l’Horeb, la montagne de Dieu, il entra dans une caverne et y passa la nuit. Le Seigneur dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur, car il va passer. » À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère. Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne.

PSAUME
(Ps 84 (85), 9ab-10, 11-12, 13-14) R/ Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut. (Ps 84, 8)

J’écoute : Que dira le Seigneur Dieu ?
Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles.
Son salut est proche de ceux qui le craignent,
et la gloire habitera notre terre.

Amour et vérité se rencontrent,
justice et paix s’embrassent ;
la vérité germera de la terre
et du ciel se penchera la justice.

Le Seigneur donnera ses bienfaits,
et notre terre donnera son fruit.
La justice marchera devant lui,
et ses pas traceront le chemin.

DEUXIÈME LECTURE
« Pour les Juifs, mes frères, je souhaiterais être anathème » (Rm 9, 1-5)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères, c’est la vérité que je dis dans le Christ, je ne mens pas, ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint : j’ai dans le cœur une grande tristesse, une douleur incessante. Moi-même, pour les Juifs, mes frères de race, je souhaiterais être anathème, séparé du Christ : ils sont en effet Israélites, ils ont l’adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles. Amen.

ÉVANGILE
« Ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux » (Mt 14, 22-33) Alléluia. Alléluia.
J’espère le Seigneur, et j’attends sa parole. Alléluia. (cf. Ps 129, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire. Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
Patrick BRAUD

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14 mars 2014

Dressons trois tentes…

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Dressons trois tentes…

 

Homélie du 2° dimanche de Carême / Année A
16/03/2014

 

Quand vous arrivez à un sommet de votre existence, que faites-vous ?

Vous dites-vous : tout va bien pour moi, enjoy !

Commencez-vous déjà à préparer la suite ?

Êtes-vous de ceux qui se croient invulnérables, ou plutôt de ceux qui ont peur que tout cela ne dure pas ?

 

Pierre, lui, est tellement fasciné par la révélation de Jésus transfiguré qu’il souhaite appuyer sur la touche pause : « dressons trois tentes ». Il voudrait que Jésus, Moïse et Élie soient réunis, et qu’il puisse continuer à les contempler plus longtemps. Il gémit : ô temps suspends ton vol !, et demande à Jésus de ne pas aller plus loin…

 

Dressons trois tentes?

Nombre de couples parvenus à un sommet de leur relation voudraient ainsi arrêter le temps.

Nombre d’artistes au plus intense de leur inspiration voudraient y demeurer suspendus, portés par la fécondité de leur élan créatif dans cette période.

Nombre de situations professionnelles peuvent susciter une telle aspiration : je suis maintenant à un poste optimum, laissez-moi tranquille avec les mouvements à venir, je veux savourer le plus longtemps possible.

Toutes ces réactions sont légitimes. Que serait une si féroce envie de changement qu’elle empêcherait de savourer le moment présent ?

C’est juste l’installation dans un état donné qui peut devenir dangereuse.

Croire qu’on est un sommet indépassable empêche d’en découvrir de nouveaux.

S’imaginer un couple sans faille peut rendre aveugle sur ce qui va bientôt devoir être mis en chantier pour que l’amour reste vivant.

Croire qu’une situation professionnelle est gravée dans le marbre empêche de se remettre en cause et de voir les périls à venir.

 

Bref, s’installer, s’est décliner.

Dressons trois tentes... dans Communauté spirituelle CC5Lapinbleu311C-Ph3_14Bergson le disait avec talent : le seul élément stable du christianisme, c’est l’ordre de ne s’arrêter jamais.

C’est bien la réponse de Jésus à notre pauvre Pierre chamboulé par la Transfiguration : descend de la montagne ; après la Résurrection tu comprendras et tu pourras parler. D’ici là, marche seulement et ne laisse ni le Mont Thabor, ni bientôt la colline du Golgotha arrêter ta marche.

C’était déjà le commandement lancé à Abraham : « pars de ton pays, laisse la famille et la maison de ton père ». Dieu demande à Abraham de ne pas s’installer dans son héritage matériel et spirituel, de prendre la route vers ailleurs, sans autre bagage que la promesse de la bénédiction de Dieu.

 

 

Ne pas s’installer…

Le renouveau actuel du pèlerinage sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle est un écho de la résonance que cet appel de Dieu éveille en nous.

Stjacquescompostelle beauté dans Communauté spirituelle

Ils sont des milliers à partir chaque année sur des chemins inconnus, pour que la route faite avec leurs pieds les aide à parcourir le voyage qu’ils ont à faire dans leur tête et dans leur coeur.

Certains chaussent les pataugas après un événement bouleversant, comme on va chez le kiné pour une convalescence après une opération.

Certains partent après mûre réflexion parce qu’ils sentent qu’ils ont rendez-vous avec eux-mêmes en cours de route.
D’autres quittent leur maison par goût de l’aventure, des rencontres improbables, voire de la performance physique.

Peu importe après tout : l’essentiel est de quitter chez soi, d’oser se mettre en route, de ne pas s’installer.

Ces marcheurs redisent une vérité qui vaut pour tous : ne pas sortir de chez soi devient vite mortel ; ne jamais faire le détour par l’autre (l’autre pays, l’autre culture, l’autre visage…) rend stériles nos meilleures possessions ; vouloir figer le temps est illusoire ; dresser une tente au sommet du mont Thabor nous privera de Pâques…

 

Si cette exigence biblique du départ nous semble dure, c’est parce que nous ne croyons pas assez à la promesse de bénédiction qui y est associée. Si l’appel évangélique à descendre de la montagne nous effraie, c’est parce que la promesse de la résurrection nous paraît moins consistante que le bonheur actuel. Sinon, nous nous mettrions en route, heureux d’avoir entraperçu de manière fulgurante la beauté promise.

 

Les sommets auxquels nous touchons parfois ne sont pas là pour suspendre notre élan, mais pour nous servir de bâton de marche.

 

L’enfant qui doit quitter la maison pour ses études, l’amoureux(se) qui va quitter l’enfance pour fonder un couple, le couple qui ne se laissera pas endormir par les débuts heureux, le poste professionnel qui me demande d’évoluer, la retraite qui oblige à voir la vie autrement, et jusqu’à la fin de la vie elle-même comme un appel à accepter de partir : du début à la fin, le seul élément stable du christianisme est l’ordre ne s’arrêter jamais.

 

Puissions-nous entendre les appels que Dieu nous lance aujourd’hui à partir du point que nous occupons, à viser d’autres sommets encore, à nous laisser conduire par l’Esprit toujours plus loin, sans nous installer en cours de route.

 

 

1ère lecture : La vocation d’Abraham (Gn 12, 1-4a)
Lecture du livre de la Genèse
Abraham vivait alors en Chaldée. Le Seigneur lui dit : « Pars de ton pays, laisse ta famille et la maison de ton père, va dans le pays que je te montrerai.
Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction.
Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui te méprisera. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. »
Abraham partit, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth partit avec lui.

Psaume : Ps 32, 4-5, 18-19, 20.22

R/ Seigneur, ton amour soit sur nous, comme notre espoir est en toi !

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ;
il est fidèle en tout ce qu’il fait.
Il aime le bon droit et la justice ;
la terre est remplie de son amour.

Dieu veille sur ceux qui le craignent, 
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort, 
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur : 
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous 
comme notre espoir est en toi.

2ème lecture : Dieu nous appelle à connaître sa gloire (2Tm 1, 8b-10)

Lecture de la seconde lettre de saint Paul Apôtre à Timothée

Fils bien-aimé,
avec la force de Dieu, prends ta part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile.
Car Dieu nous a sauvés, et il nous a donné une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles,
et maintenant elle est devenue visible à nos yeux, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté en détruisant la mort, et en faisant resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile.

Evangile : La Transfiguration (Mt 17, 1-9)

Acclamation : Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. Du sein de la nuée resplendissante, la voix du Père retenti : « Voici mon Fils, mon bien-aimé, écoutez-le ! » Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne.
Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.
Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.
Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. »
Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour ; écoutez-le ! »
Entendant cela, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d’une grande frayeur.
Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et n’ayez pas peur ! »
Levant les yeux, ils ne virent plus que lui, Jésus seul.

En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »
Patrick Braud

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