L'homélie du dimanche (prochain)

21 septembre 2015

Coupe du monde de rugby : petit lexique à usage théologique

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Coupe du monde de rugby :
petit lexique à usage théologique

 

 

Cf. également :

En joug, et à deux !
Petite théologie du rugby pour la Coupe du Monde

 

Avant que la coupe du monde de rugby ne se termine, continuons la tentative de relecture Coupe du monde de rugby : petit lexique à usage théologique dans Communauté spirituellethéologique que nous avions commencée ici.

Les termes du rugby sont techniques, complexes, subtils. Beaucoup de dictionnaires en ligne ou sur papier peuvent vous guider. Je vous recommande particulièrement le très savoureux ‘Dictionnaire amoureux du rugby ‘ de Daniel Herrero, Plon, 2003.

Essayons juste de repérer quelques termes, avec humour et légèreté, quelques expressions rugbystiques qui ont une tonalité ou des harmoniques proprement théologiques.

 

Terre promise

C’est l’espace du terrain qui se situe au-delà de la ligne d’essai. Aller en Terre promise, c’est bien sûr aplatir la balle au-delà des poteaux. Symbole biblique qui assimile le jeu à un exode, les règles du jeu au Décalogue de l’Alliance, le franchissement de la ligne à celui du Jourdain par Josué… Et au rugby, on va souvent en Terre promise, mais on ne s’y installe jamais.

La théologie chrétienne aime bien cette dimension eschatologique, où l’au-delà est déjà présent sans être encore pleinement réalisé.

 

Demis

Être appelé demi est lourd de signification (au rugby, pas au bar…). Un demi n’existe qu’avec son alter ego, de mêlée ou d’ouverture. Il reconnaît en son nom l’appel à l’autre, l’incomplétude radicale qui marque finalement tout être humain. Ne parle-t-on pas de sa moitié pour désigner son mari ou sa femme ? Un demi de mêlée sait qu’il n’est rien sans son pack qui collecte les balles, ni sans son demi d’ouverture qui va déclencher l’attaque.

Dieu a peut-être créé l’homme à l’image de cette paire de demis : radicalement incomplet, pour l’obliger à faire équipe ; devant plonger dans les mêlées de la vie pour en extraire des balles propres, comme le demi de mêlée ; capable d’élargir le jeu en lançant ses partenaires vers la terre promise, comme le demi d’ouverture.

 

Charnière

C’est le nom donné à cette paire de demis. Stratégique, la charnière est comme son nom l’indique ce qui permet à l’équipe d’articuler l’effort des avants à la vista des arrières. L’équipe des 15 incarne elle aussi ce que Paul faisait porter à l’image du corps humain : « le Corps tout entier reçoit nourriture et cohésion de sa Tête, par les jointures et ligaments, pour réaliser sa croissance en Dieu » (Col 2,19 Ep 4,16).

Jouer un rôle charnière fait sans aucun doute partie de la vocation des baptisés. La charnière de demis nous rappelle que nous avons besoin de médiateurs pour articuler les rôles de chacun. Le Christ est le Médiateur par excellence, vrai Dieu et vrai homme. De là à penser qu’il aurait fait un bon demi d’ouverture, il n’y a qu’un pas, ou plutôt une passe…

 

Trois-quarts

Mêmes remarques que pour les demis : incomplétude, appel à l’autre. On peut y rajouter un sens certain de la gratuité : patienter des quarts d’heure entiers sans avoir aucun ballon d’attaque, plaquer à tour de bras en attendant, être jugé sur un ou deux ballons à ne pas manquer… Malgré l’arithmétique des fractions, les trois-quarts ne sont pas plus que les demis des héros solitaires. Mais leur nom nous rappelle que l’être humain est capable de ces grandes courses aux ailes à l’instar de ces gazelles (autre nom donné aux ailiers), où ils semblent s’envoler vers la Terre promise.

 

Maul

C’est une technique de progression où un avant, debout, est protégé par les autres avants pour avancer sans être plaqué. Pénétrant ou déroulant, le maul traduit la solidarité à laquelle nous sommes tous appelés. Pour que l’un d’entre nous puisse avancer protégé, il faut que d’autres lui fassent escorte, avec abnégation.

« Faire maul » autour des plus faibles, voilà une traduction rugbystique de l’option préférentielle pour les pauvres, chère à la doctrine sociale de l’Église…

 

Placage cathédrale

Placage qui soulevait l’adversaire à la verticale (comme une cathédrale dressée vers le ciel) avant de le faire retomber à la renverse. Extrêmement dangereux pour les cervicales, il est maintenant interdit.

Comme quoi ce qui est le plus spectaculaire peut s’avérer le plus dangereux, et c’est vrai même en religion…

 

Ascenseur

En touche, faire l’ascenseur, c’est aider un joueur à s’élever plus haut pour prendre le ballon, en le soulevant par le short ou les aisselles. Cette technique était autrefois interdite, mais aujourd’hui autorisée (à l’inverse du plaquage cathédrale : comme quoi les règles sont vivantes au rugby, comme elles devraient l’être en religion !), pour obtenir des touches plus spectaculaires.

Pour s’élever vers le ciel, il faut pouvoir compter sur des soutiens qui vous portent à bout de bras. Une autre version de la communion des saints en somme. L’ascenseur vers Dieu, c’est la force de l’Église qui vous porte et vous supporte.

Aider l’autre à s’élever, accepter d’être aidé pour monter plus haut : quelle plus belle image que l’ascenseur en touche pour traduire la quête spirituelle et le soutien de la communauté dans cette quête ?

 

Essai

Drôle de nom pour ce qui est en réalité une réussite ! Au début de l’histoire de rugby, on avait le droit de tenter de passer la balle entre les poteaux lorsqu’on l’aplatissait en terre promise. On avait donc droit à un essai (try), c’est-à-dire à une tentative. Ensuite on a trouvé le geste si beau qu’on a décidé de lui accorder des points pour lui-même : trois, puis cinq, en plus du coup de pied qui s’ensuit et qui est appelé ‘transformation‘. On a gardé le mot ‘essai’ alors que son enjeu était déjà partiellement réalisé.

Curieusement, ce déjà-là (les cinq points de l’essai) et ce pas encore (les deux points de la transformation) font penser aux gestes sacramentels : communier le dimanche par exemple, c’est déjà anticiper le passage au-delà de la ligne, et pourtant attendre la transformation de ce geste, qui doit encore rapporter des points dans la semaine à venir.

 coupe dans Communauté spirituelle 

Un essai n’est validé que si le ballon est aplati de haut en bas par le joueur, avec un contact physique joueur-ballon-terrain (d’où l’arbitrage vidéo souvent, pour vérifier que rien ne s’est interposé entre le ballon et la pelouse, et que le joueur a bien exercé une pression de haut en bas).

L’incarnation du Christ, c’est un peu ainsi : un Dieu qui s’aplatit au sol pour marquer l’essai. Il s’agissait bien pour Dieu de toucher le sol de notre humanité, ‘d’aplatir’ sa divinité pour qu’elle vienne au contact le plus physique de notre humanité. L’incarnation du Christ est un superbe essai divin, après une percée à travers les nuages déjouant les placages de l’Adversaire. À nous de le transformer, en faisant passer notre trajectoire humaine entre les poteaux plantés par Dieu (commandements, sacrements, comportements). Comme les trois arbitres d’un match de rugby se déplaçant au pied des poteaux lors des transformations, Dieu n’attend que de siffler joyeusement les deux points de notre plénitude…

 

Talonneur

Parmi les noms originaux des joueurs, cette métonymie est unique et parlante. Ce numéro 2 a pour rôle essentiel de ramener le ballon en arrière avec son talon, offrant ainsi le ballon introduit en mêlée aux deuxièmes et troisièmes lignes.

Comment ne pas penser au talon d’Ésaü, que Jacob a saisi par la main pour sortir du ventre de sa mère (Gn 25,26) ? Ou bien au talon de la première Ève que le serpent atteindra (Gn 3,15) mais grâce auquel la nouvelle Ève (Marie) pourra écraser sa tête ?

Devenir frère (Jacob et Ésaü), vaincre le mal (Ève et le serpent) : le geste obscur du talonneur dans l’intime de la mêlée, dérobé aux caméras, a peut-être plus d’ampleur qu’on ne le pense…

 

Piliers

Les numéros 1 et 3 encadrent le talonneur, et soutiennent la mêlée fermée, comme les piliers soutiennent un temple, une cathédrale. Ces forces de la nature subissent des pressions et des torsions énormes sur leur cou, leurs épaules. Ils ne crèvent pas l’écran comme les arrières, mais sans eux pas de munition pour les gazelles. Sans eux, tout s’écroule.

Dans nos communautés, s’il nous manque ces piliers, la fraternité s’écroule. Pierre a été choisi par Jésus parce qu’il était un peu comme ces colosses de la cohésion du pack : sa foi n’a jamais vacillé, et l’Église de Pierre (Rome) s’appuie sur les deux « colonnes » (Ga 2,9) de l’Église que sont Pierre et Paul, piliers avant l’heure, avec les 12.

 

French touch (ou french flair)

Style de jeu ‘à la française’, où, sur une inspiration subite, une équipe est capable d’inventer des combinaisons de génie, des enchaînements époustouflants, des courses folles depuis les 22 m, pour remonter tout le terrain et marquer des essais de légende. C’est bien un phénomène d’inspiration géniale, si fréquente chez les musiciens, les peintres, les artistes.

Les chrétiens n’ont aucune peine à y discerner la trace de cet Esprit créateur largement répandu sur tout homme et tout l’univers, se moquant des frontières institutionnelles et religieuses.

Mettez un ballon dans les mains de vos joueurs avec un peu de french touch, et les élèves pratiqueront un ‘rugby champagne’ où ils dépasseront leurs maîtres (« vous ferez des choses plus grandes que moi »,  promettait Jésus en Jn 14,12).

L’Esprit Saint est normalement la french touch de l’Église (à condition de ne pas l’étouffer)…

Crampons
Ces pointes de métal vissées aux semelles des joueurs sont tout un symbole. Se cramponner au terrain, c’est vouloir être solidement planté dans l’humus de la pelouse. Chausser les crampons, c’est vouloir adhérer à la réalité, être stable sur ses appuis, ne pas glisser lors des affrontements devant ou des crochets derrière. Les crampons des adversaires sont également une menace : à cause d’eux, il ne fait pas bon traîner sous les regroupements !

La vie spirituelle demande elle aussi de se cramponner, avec humilité, au réel. Les sacrements, la solidarité, la vie ecclésiale sont les crampons grâce auxquels la foi ne reste pas désincarnée, mais s’accroche et laboure le terrain de nos existences.

Alléluia

414D2CKN0WL._SX359_BO1,204,203,200_ dictionnaireCe n’est pas un cantique ni la fin du Messie d’Haendel, mais c’était au début du rugby une période un peu folle où tout était permis et où on essayait de goûter au jeu au-delà de la loi et des règles.

« Au collège de Rugby, à cette lointaine époque où le jeu de rugby tâtonnait encore à la recherche de ses lois, une règle décidée par les étudiants voulait que les matchs se terminent toujours par cinq minutes de liberté totale. (…) Une main trace en l’air un demi-cercle assuré et vient trouver le nez qu’elle cherche depuis longtemps, le bruit de branche cassée réjouit les visages : alléluia ! Un gémissement étouffé sort péniblement d’un frêle thorax d’élève arrogant, et l’écho vengeur chante : alléluia ! Coups dans les côtes, plaquages assassins, lèvres fendues, corps écrasés… Alléluia ! Alléluia ! Alléluia ! (…) Les règles officielles de 1862 interdirent les cinq minutes d’alléluia. »

(Daniel Herrero, Dictionnaire amoureux du rugby)

Quel dommage que l’alléluia rugbystique ne vienne plus répandre un air de folie sur nos pelouses (sans les excès décrits ci-dessus bien sûr?) ! Car en christianisme, la loi n’est que provisoire, et elle trouve son accomplissement dans l’Esprit, bien au-delà des règles…

 

 

Il y a encore beaucoup de termes goûteux et fleuris dans l’univers de l’ovalie (chandelle, bouchon, tampon, caramel, boîte à gifles, bouffe, pain, cravate, tortue béglaise, cocotte, ruck, pick and go, passe croisée / redoublée / sautée / chistéra, soutien, raffut, cuillère, fourchette, cadrage-débordement, tracteurs, 89, tee, casquette, drop, éponge magique, stamping, fondamentaux, joug, vendanger, fixer, trou de souris…), mais ceux-là y ont été mis « afin que vous croyiez » que ce sport est vraiment une révélation sur l’homme (cf. Jn 20, 30-31 !).

  Patrick Braud

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