L'homélie du dimanche (prochain)

29 janvier 2018

Des sommaires pas si sommaires

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Des sommaires pas si sommaires


Homélie pour le 5° Dimanche du temps ordinaire / Année B
04/02/2018

Cf. également :

Sortir, partir ailleurs…

Avec Job, faire face à l’excès du mal

Qu’est-ce que « faire autorité » ?

Ce n’est pas le savoir qui sauve

 

Comment résumeriez-vous l’essentiel de vos activités ordinaires de la semaine ?
Sur quoi mettriez-vous l’accent ?
Qu’est-ce qui occupe 80 % de votre temps ?

Pour beaucoup d’entre nous, le tiercé transport – boulot – dodo risque fort d’arriver en tête… Quantitativement, oui, sans doute. Mais qualitativement ?

Des sommaires pas si sommaires dans Communauté spirituelle 39301735-ic%C3%B4ne-de-document-de-contr%C3%B4le-de-la-grammaire-Banque-d%27imagesL’évangéliste Marc est confronté à cette question lorsqu’il commence son évangile. Comment résumer simplement l’essentiel des activités ordinaires de cet homme extraordinaire nommé Jésus ? Le passage de ce dimanche (Mc 1, 29-39) nous donne quelques pistes. Marc campe tout de suite le paysage des années publiques de Jésus : Capharnaüm, une guérison, un sommaire, une nuit de prière, un autre sommaire. La guérison de la belle-mère de Pierre, outre qu’elle nous apprend que Pierre était marié, nous montre le ministère de la diaconie au cœur de la vie de famille et d’Église, accompli par une femme : « et elle les servait »… Le temps utilisé par Marc (l’aoriste = un imparfait qui se prolonge) souligne combien servir est la conséquence de la guérison opérée par Jésus au contact de son corps (« la prenant pas la main, il la fit se lever », et se lever – egeïro-  est le verbe de la résurrection). La diaconie du Christ serviteur trouve dès le début une figure féminine pour l’incarner : la belle-mère de Pierre, première diaconesse en quelque sorte !

Pourquoi appelées ‘sommaire’ ces deux passages ? Parce que Marc y fait la synthèse du ministère de Jésus, en évoquant son activité en général.

Premier sommaire :
Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal ou possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies, et il expulsa beaucoup de démons ; il empêchait les démons de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était.

Deuxième sommaire :
Et il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons.

Que nous apprennent ces deux sommaires ?

 

- Un mouvement d’accueil / de sortie

La réputation de guérisseur de Jésus est telle que dans un premier temps, il n’a pas besoin d’aller vers les gens : ce sont eux qui viennent à lui. « La ville entière se pressait à la porte ». Il est lui-même cette porte qui attire à lui l’humanité souffrante. Saint Jean dira la même chose, autrement, dans son langage théologique : « élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ». « Je suis la porte ».

Cette mission d’accueil de ceux qui souffrent fait structurellement partie de la mission de l’Église, de tout disciple. Accueil gratuit, inconditionnel (le sommaire n’énonce aucune exigence pour être guéri, sinon venir vers le Christ). Accueil libérateur, car selon la culture de l’époque (encore si prégnante dans nombre de continents et de visions du monde préscientifiques) les maladies et troubles personnels viennent de forces invisibles, de démons, qui causent « toutes sortes de maladies ».

Cet accueil à la maison aurait pu suffire à Jésus, qui aurait bien vécu après avoir posé sa plaque de guérisseur à Capharnaüm… Mais non, il est sorti de Dieu pour aller à la rencontre de l’humanité. Il sortira donc de Capharnaüm pour aller jusqu’au bout de la sortie de soi (exode/kénose) qui est la caractéristique de l’amour trinitaire : « allons ailleurs dans les villages voisins. C’est pour cela que je suis sorti ».

Le double mouvement d’accueil / sortie – qui nous fait penser au mouvement du cœur (diastole / systole), ou à la respiration (inspiration/ expiration) – est constitutif de note identité chrétienne.

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- Prier pour rester fidèle

Le succès facile de Capharnaüm aurait pu griser Jésus. Les foules adorent le pain et les jeux. Elles voudront faire roi ce guérisseur extraordinaire. Mais Capharnaüm est trop petit pour contenir son amour, et ‘roi de Judée’ est un titre trop étroit pour le roi de l’univers. Pourtant, la tentation est là : s’installer, surfer sur l’adulation des foules, se construire un petit bonheur tranquille et durable. Qui n’en rêve pas ? C’est sans doute à cause de cette tentation qui veut le détourner de sa vocation que Jésus à nouveau se rend dans un endroit désert pour prier. Cette prière avant l’aube lui permet de se recentrer sur l’essentiel de sa mission : proclamer l’Évangile dans les villages voisins, toute la Galilée, et à Jérusalem.

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Lorsque la tentation nous vient d’arrêter notre course, de nous installer dans nos succès faciles, le Christ nous montre le chemin de la prière solitaire pour y trouver la force de devenir fidèle, c’est-à-dire de continuer notre route nous aussi. Nous retrouvons parfois  l’urgence de la prière dans l’épreuve, pourquoi l’abandonnerions-nous dans les temps heureux où tout va bien ? L’infidélité nous y guette tout autant. Prier pour rester fidèle reste pour nous une ressource précieuse dans les Capharnaüm comme dans les Gethsémani de notre existence.

 

- Guérir et délivrer

Les deux sommaires de ce début d’évangile de Marc font la part belle aux guérisons et aux exorcismes pratiqués par Jésus. Guérir les malades et expulser les démons sont visiblement au cœur de l’activité de Jésus. Aux yeux de ses contemporains, avant d’être un prophète, un sage ou un messie, Jésus est un thérapeute, un faiseur de miracles, un exorciste (les trois étant liés dans les mentalités de l’époque). D’ailleurs, si l’on supprimait des évangiles les récits de guérison, les miracles et les exorcismes, il faudrait enlever au moins un tiers du texte en volume ! Autant dire que l’Église doit rechercher et comprendre ce que veut dire guérir et libérer aujourd’hui, avec la même puissance de l’Esprit qui animait le Christ autrefois.

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Soigner les corps, les esprits, les cœurs, les âmes ont toujours été des composantes essentielles de l’évangélisation. Dispensaires et PMI fleurissaient en Afrique autant que les églises. Les religieuses ont été infirmières bien avant le service public. Et délivrer les gens de leurs passions morbides a toujours fait partie du ministère de la confession et du charisme de l’accompagnement spirituel.

À continuer !

 

 

- Le savoir ne sauve pas

Jesus-et-la-gnose diaconieLe premier sommaire précise : Jésus « empêchait les démons de parler, parce qu’ils savaient eux, qui il était ». La foi n’est donc pas une question de connaissance, car ici ceux qui savent (les démons) sont expulsés, alors que ceux qui font confiance (les malades-possédés) sont accueillis. La gnose n’apporte pas le salut, contrairement à ce que prêcheront toutes les sociétés secrètes ultérieurement, des cathares aux francs-maçons…

 

- Parcourir / proclamer / libérer sont finalement les trois activités qui occupent 90 % de l’agenda de Jésus lors de ses trois années publiques. À sa suite, l’Église doit infatigablement sortir à la rencontre des peuples et de leurs cultures (Paul VI avait ré-initié cette tradition des voyages pontificaux dans le monde entier), proclamer l’Évangile à temps et à contretemps (même lorsque la liberté religieuse est limitée, comme sous le communisme autrefois où l’islam d’État actuellement), et libérer chacun et tous des démons qui les aliènent collectivement ou individuellement (de la soif d’argent qui déshumanise une société aux liens psychologiques et spirituels qui peuvent enchaîner une personne).

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Finalement, ces sommaires de Marc sont assez instructifs !

Et vous, si on vous demandait de faire le sommaire de vos journées, de vos semaines, qu’écririez-vous ? Y trouverait-on, selon votre charisme, la passion de parcourir, de proclamer, de libérer ?

 

 

Lectures de la messe
Première lecture
« Je ne compte que des nuits de souffrance » (Jb 7, 1-4.6-7)
Lecture du livre de Job

Job prit la parole et dit : « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée, il fait des journées de manœuvre. Comme l’esclave qui désire un peu d’ombre, comme le manœuvre qui attend sa paye, depuis des mois je n’ai en partage que le néant, je ne compte que des nuits de souffrance. À peine couché, je me dis : “Quand pourrai-je me lever ?” Le soir n’en finit pas : je suis envahi de cauchemars jusqu’à l’aube. Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand, ils s’achèvent faute de fil. Souviens-toi, Seigneur : ma vie n’est qu’un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur. »

Psaume
(Ps 146 (147a), 1.3, 4-5, 6-7)
R/ Bénissons le Seigneur qui guérit nos blessures ! ou : Alléluia ! (Ps 146, 3)

Il est bon de fêter notre Dieu,
il est beau de chanter sa louange :
il guérit les cœurs brisés
et soigne leurs blessures.

Il compte le nombre des étoiles,
il donne à chacune un nom ;
il est grand, il est fort, notre Maître :
nul n’a mesuré son intelligence.

Le Seigneur élève les humbles
et rabaisse jusqu’à terre les impies.
Entonnez pour le Seigneur l’action de grâce,
jouez pour notre Dieu sur la cithare !

Deuxième lecture
« Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16-19.22-23)
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, annoncer l’Évangile, ce n’est pas là pour moi un motif de fierté, c’est une nécessité qui s’impose à moi. Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! Certes, si je le fais de moi-même, je mérite une récompense. Mais je ne le fais pas de moi-même, c’est une mission qui m’est confiée. Alors quel est mon mérite ? C’est d’annoncer l’Évangile sans rechercher aucun avantage matériel, et sans faire valoir mes droits de prédicateur de l’Évangile. Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous afin d’en gagner le plus grand nombre possible. Avec les faibles, j’ai été faible, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l’Évangile, pour y avoir part, moi aussi.

Évangile
« Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies » (Mc 1, 29-39)
Alléluia. Alléluia. Le Christ a pris nos souffrances, il a porté nos maladies. Alléluia. (Mt 8, 17)
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, aussitôt sortis de la synagogue de Capharnaüm, Jésus et ses disciples allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d’André. Or, la belle-mère de Simon était au lit, elle avait de la fièvre. Aussitôt, on parla à Jésus de la malade. Jésus s’approcha, la saisit par la main et la fit lever. La fièvre la quitta, et elle les servait.
Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal ou possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies, et il expulsa beaucoup de démons ; il empêchait les démons de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était.
Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait. Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche. Ils le trouvent et lui disent : « Tout le monde te cherche. » Jésus leur dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. »
Et il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons.
Patrick BRAUD

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28 septembre 2016

Les deux serviteurs inutiles

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Les deux serviteurs inutiles

Homélie du 27° Dimanche du temps ordinaire / Année C
02/10/2016

Cf. également :

L’ « effet papillon » de la foi
L’injustifiable silence de Dieu
Jesus as a servant leader
Servir les prodigues
Entre dans la joie de ton maître
Restez en tenue de service

 

L’art pour rien

La prochaine fois que vous sortirez de la gare SNCF Paris Nord, laissez-vous étonner par un drôle de bâtiment de travers. Il s’agit d’une maison, avec de vraies fenêtres, ports, murs, toit… mais une maison qui penche, toute inclinée, émergeant du sol avec un rien d’ivresse.

Maison GDN

Les voyageurs qui acceptent de se laisser surprendre s’arrêtent, penchent la tête, tordent le cou pour retrouver l’axe familier d’une maison bien droite. Ils sourient, sortent leur smartphone pour immortaliser l’objet, en parler aux collègues, à la famille : « regardez ce qu’ils ont mis Gare du Nord ! »

Détruisez cet abri Naf-Naf factice et tout continuera comme avant : les trains seront toujours en retard, les foules iront du métro aux quais et des quais au métro, les brasseries vous proposeront leurs croque-monsieur avec le demi-pression et le petit noir qui les accompagnent si bien. Bref, cette maisonnée est réellement non-nécessaire.

Elle ne sert à rien, et c’est bien cela qui fait sa magie. Elle peut susciter un étonnement quasi-philosophique, ou l’indifférence des gens importants et pressés d’avoir – eux au moins – une tâche à accomplir.

La maison-tour-de-Pise est inutile : quel bonheur de la voir là, sans raison, sans prétention d’efficacité ou de rentabilité !

L’art et l’inutile ont bien un air de famille.

Si vous êtes sensible à l’art dans votre quotidien, vous serez également touché par ces serviteurs inutiles de la parabole de Jésus (Lc 17, 5-10). À l’instar de cette maisonnette-pour-rien, ils nous disent quelque chose d’essentiel sur la vraie beauté de la vie, et cela tourne évidemment autour du service désintéressé.

 

Les deux serviteurs inutiles

« Nous ne sommes que des serviteurs inutiles ».
Célébrissime réplique d’une parabole souvent commentée (Lc 17, 5-10). Parfois, des traductions essaient d’atténuer la dureté du propos en traduisant : serviteurs « ordinaires », ou « simples » serviteur comme la traduction liturgique de ce dimanche. Au moins, être ordinaire ne supprimerait pas toute utilité ! La tentation d’être un « président ordinaire » en quelque sorte…
Le texte grec ne dit pas ordinaires ni simples mais ἀχρεῖοί (achreioi) = inutiles, sans profit.

Inutile implique que le maître pourrait fort bien se passer des services de ce domestique qui pourtant a trimé toute la journée, bien au-delà du cadre des 35 heures !

De fait, Dieu n’avait pas besoin de l’homme. Il l’a créé sans nécessité aucune, par pure gratuité de l’amour voulant se communiquer.

De fait, Dieu pourrait fort bien se passer de l’homme, et peut-être cela arrivera-t-il un jour si, comme les dinosaures en leur temps, nous ne voyons pas venir les ‘météorites’ capables de nous faire disparaître de la surface de la Terre.

Nous ne sommes donc pas utiles à Dieu, et croire que nous pourrions mériter quoi que ce soit envers lui relève d’un l’orgueil démesuré.

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De même, Dieu ne nous est pas utile : nous ne croyons pas en lui pour obtenir la santé, la richesse, la gloire, contrairement à ce que prêchent tant d’évangélistes et de fondamentalistes chrétiens. Nous ne le servons pas pour obtenir une récompense.

Labourer, mettre les tables, servir le repas n’est pas un calcul pour se faire bien voir, être félicité et distingué devant tous. Il y a là d’ailleurs de quoi transformer l’état d’esprit de tout salarié vis-à-vis de son entreprise ou de ses chefs…

Remplacez le labour par votre activité professionnelle, en entreprise ou ailleurs, remplacez le service des tables par vos actions solidaires, généreuses, humanistes, et vous aurez ainsi une remise en cause radicale de tous vos motif plus ou moins intéressés pour faire ceci ou cela.

Le Christ nous fait une recommandation décisive, dont les orgueils et les pouvoirs que l’Église a si souvent brigués au cours de ses 20 siècles d’histoire montrent qu’elle n’est pas inutile : la recommandation de ne jamais se prévaloir devant Dieu du service accompli dans la communauté.

Ajoutons que dans la parabole de Jésus, ce n’est pas le maître qui appelle ses serviteurs « inutiles ». Ce sont eux qui sont invités à le reconnaître par eux-mêmes. « Dites : nous ne sommes que des serviteurs inutiles ». C’est la prise de conscience des disciples qui est sollicitée d’eux.

Découvrez par vous-même qu’agir par intérêt n’est que vanité.
Expérimentez alors la joie qu’il y a à servir en abandonnant toute notion d’utilité ou de profit.
La diaconie chrétienne ne relève ni de l’utilitarisme ni de l’intéressement.
« La rose fleurit sans pourquoi » (Angélus Silesius).

 

Les deux usages de l’expression

Afficher l'image d'origineL’expression « serviteurs inutiles » ne se retrouve que deux fois dans toute la Bible, et uniquement dans le Nouveau Testament. La première occurrence est ici en Luc 10,7 avec notre parabole des serviteurs inutiles. La deuxième occurrence est en Matthieu 25,30, dans la parabole dite des talents. Cette fois-ci, c’est bien le maître qui dit au serviteur apeuré ayant enfoui son argent (ses talents) :

« Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (Mt 25, 29-30)

Le rapprochement entre ces deux seuls usages est terriblement exigeant. Tout serviteur est invité à se découvrir inutile, et pourtant s’il n’apporte pas une plus-value à Dieu, il est jeté dans les ténèbres ! S’il trime 20 heures par jour, il ne peut en attendre aucune reconnaissance ! Si à l’inverse il se tourne les pouces en laissant ses talents dormir, il se fera taper durement sur les doigts. S’il reçoit peu, ce n’est pas pour en faire peu. S’il reçoit beaucoup, c’est pour donner beaucoup. S’il a réussi une mission, ce n’est pas pour la médaille. S’il enchaîne les missions, ce n’est pas pour laisser une œuvre derrière lui, un nom, un héritage. Bigre !

La vraie raison d’être du service est en lui-même. Rabindranath Tagore l’exprimait avec poésie :

« Je dormais et je rêvais que la vie n’était que joie.
Je m’éveillais et je vis que la vie n’est que service.
Je servis et je compris que le service est joie ».

Les sculpteurs, maître-verriers et peintres du Moyen Âge ne signaient pas leurs chefs-d’œuvre : l’important pour eux n’était pas de passer à la postérité, mais de réjouir les passants, les visiteurs de toutes conditions. L’anonymat et le service vont bien ensemble. Ste Bernadette Soubirous à Nevers pratiquait cette humilité de retrait : « Quand on soigne un malade, il faut se retirer avant de recevoir un remerciement. On est suffisamment récompensé par l’honneur de lui donner des soins. »

Afficher l'image d'origineLe serviteur inutile de Luc ne peut ni ne veut s’enorgueillir de ce qu’il accomplit. À l’inverse, le serviteur inutile de Mathieu est jeté dehors à cause de sa stérilité.

Le paradoxe chrétien est donc de tenir ensemble ces deux figures contradictoires : travailler d’arrache-pied pour transformer ce monde et lui faire produire des fruits de justice et de paix tout en ne s’attachant pas à nos réussites, sans non plus stériliser aucun des talents reçus, et sans d’autre attente que la joie de servir pour elle-même.

 

Devant Dieu, quel mérite pourrions-nous avancer ? Il nous a façonnés gratuitement. Il nous aime gratuitement.
Jésus prescrivait aux Douze envoyés en mission : « vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8).
Réexaminons toutes nos raisons d’agir à la lumière de ce désintéressement caractéristique de l’Évangile du Christ.

 

 

1ère lecture : « Le juste vivra par sa fidélité » (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4)

Lecture du livre du prophète Habacuc

Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. Alors le Seigneur me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. Car c’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard.

Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité.

Psaume : Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9

R/ Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur !

(cf. Ps 94, 8a.7d)

Venez, crions de joie pour le Seigneur,
acclamons notre Rocher, notre salut !
Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !

Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le Seigneur qui nous a faits.
Oui, il est notre Dieu ;
nous sommes le peuple qu’il conduit.

Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
« Ne fermez pas votre cœur comme au désert,
où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

2ème lecture : « N’aie pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur » (2 Tm 1, 6-8.13-14)

Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée

Bien-aimé, je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur, et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ; mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.

Evangile : « Si vous aviez de la foi ! » (Lc 17, 5-10)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
La parole du Seigneur demeure pour toujours ; c’est la bonne nouvelle qui vous a été annoncée.
Alléluia. (cf. 1 P 1, 25)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.

Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »
Patrick BRAUD

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7 août 2010

Agents de service

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Agents de service

 

Homélie du 19° Dimanche du temps ordinaire / Année C

08/08/2010

 

Agents de service dans Communauté spirituelle 129fwebTrois béatitudes en quelques lignes : l’événement est suffisamment rare pour ne pas laisser passer cette particularité de notre passage d’Évangile.

On est habitué aux quatre « heureux » des béatitudes de Luc (Lc 6), et plus encore au huit béatitudes  qu’on trouve chez Mathieu (Mt 5).

On oublie ces trois autres déclarations de bonheur que Jésus fait ici.

Or ces trois promesses – « qui feront des heureux » – sont toutes en lien avec le service, actif et vigilant :

- « heureux les serviteurs que le maître trouvera en train de veiller »

- « s’il revient à minuit et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! »

- « heureux serviteur que son maître, en arrivant, trouvera à son travail ».

 

L’insistance est si forte qu’on se dit qu’il y a là une clé pour aujourd’hui encore.

Se mettre au service, rester vigilants et actifs en ce service, c’est une source de bonheur pour demain (« lorsque le maître viendra »).

Pour demain : car, contrairement à ce qu’on croit trop facilement (parce qu’on voudrait utiliser la foi pour être heureux, c’est-à-dire se servir de la foi au lieu de la servir?), Jésus ne promet pas ici de bonheur immédiat. Il l’annonce pour le moment du retour du maître, c’est-à-dire de son retour à lui. D’ici là, il faut tenir, veiller sans voir venir, continuer à servir alors qu’apparemment on est tout seul et que le Christ semble bien loin…

 

Allusion sans doute aux premières générations des chrétiens, confrontés à la persécution, qui devaient tenir bon, rester fidèles, sans autre espérance que celle de rencontrer le Christ dans la même Pâque que lui (le martyre).

 

Allusion aujourd’hui à la condition ordinaire des chrétiens : servir.

Servir la croissance du monde à travers leur vie professionnelle.

Servir la croissance de la vie à travers leur famille.

Servir la beauté de la création grâce à la culture, les arts etc…

En ce sens, l’Église est fondamentalement diaconale, parce que être disciple du Christ, c’est durer dans le service, la plupart du temps sans rien voir de l’utilité réelle de ce service (« mon maître tarde à venir »).

Si l’Église ordonne quelques uns diacres, cela c’est justement pour rappeler à tous que la diaconie (= le service) est la condition ordinaire de la responsabilité chrétienne.

Rappelez-vous la béatitude (semblable aux trois nôtres) du lavement des pieds dans l’Évangile de Jean : « heureux serez-vous, si du moins vous le mettez en pratique » (Jn 13,17). Cette promesse liée au lavement des pieds rejoint la promesse liée au service – vigilant et actif – de ce dimanche.

 

Voilà pourquoi on a besoin des diacres : pour rappeler à tout chrétien qu’il est appelé au service, service de Dieu et service du frère, indissociablement unis.

Parce que la vocation de l’Église est d’être diaconale, servante de l’humanité, il faut qu’elle ordonne quelques-uns pour le rappeler à tous.

De même qu’elle ordonne quelques uns prêtres pour rappeler à tous qu’ils ont à vivre leur sacerdoce baptismal, c’est-à-dire à offrir leur vie au Père par le Christ dans l’Esprit.
Vous le savez, c’est le Concile Vatican II qui a ouvert la voie de la restauration du diaconat permanent, si florissant dans les premiers siècles. C’est « en vue du service » que le Concile l’a fait (Lumen Gentium 29, 63). La lettre aux catholiques de France précisait en 1996 : 
« Il est exclu de célébrer en vérité le mystère de la foi en s’en tenant à l’action cultuelle. Car le Dieu sauveur s’est lui-même identifié aux pauvres et aux petits? Le ministère des diacres nous rappelle tout particulièrement ce lien fondamental entre service de Dieu et service des hommes ».

Les diacres permanents nous rappellent cette dimension essentielle de l’Église, pour que le sacrement de l’autel et celui du frère ne soient jamais séparés l’un de l’autre…

 

Où en suis-je de cette attitude fondamentale de service ?

Surtout si j’ai reçu beaucoup (car alors « on me réclamera davantage ») : comment rester actif et éveillé dans la mise à disposition pour autrui de mes talents, de mes charismes ?

 

En entreprise, servir ses collaborateurs est la marque des grandes figures patronales. Loin d’écraser leurs équipes, les grands capitaines d’industrie libèrent l’énergie de leurs associés, leur donnent les moyens de grandir, font confiance, délèguent, catalysent leur enthousiasme…

Le service passe alors par le partage du pouvoir, du vouloir, de l’avoir : servir une aventure professionnelle commune demande cette vigilance active dont parle Jésus. Toujours sur le qui-vive pour promouvoir un collaborateur, un projet, une opportunité ; pour susciter une vision commune où chacun va donner le meilleur de lui-même ; pour partager les informations nécessaires ; pour partager jusqu’aux résultats financiers?

Leon HarmelUtopique ? Tant d’acteurs économiques – employés, ouvriers, cadres, actionnaires – ont été et sont toujours témoins que cette « utopie » du service est bien vivante et très féconde en entreprise ! Celui qui conçoit sa responsabilité comme un service, qu’il soit syndicaliste, opérateur sur une machine, hôtesse de caisse, cadre commercial ou grand patron, celui-là sait ce que Jésus veut dire : « heureux serviteur que son maître, en arrivant, trouvera à son travail ». Et le maître dont parle Jésus, c’est le maître des uns comme des autres, quelque soit leur position hiérarchique.

Chacun peut et doit répondre devant un « patron » plus grand que ceux qui l’entourent, et qui est commun à tous.

Or, lui répondre par le service – vigilant et actif – est le fondement du bonheur à venir…

 

Où en suis-je de cette attitude fondamentale de service ?…

 

Léon Harmel, figure du patronat chrétien « social »

 

1ère lecture : Dieu vient la nuit sauver son peuple (Sg 18, 6-9)

La nuit de la délivrance pascale avait été connue d’avance par nos Pères ; assurés des promesses auxquelles ils avaient cru, ils étaient dans la joie. Et ton peuple accueillit à la fois le salut des justes et la ruine de leurs ennemis. En même temps que tu frappais nos adversaires, tu nous appelais pour nous donner ta gloire. Dans le secret de leurs maisons, les fidèles descendants des justes offraient un sacrifice, et ils consacrèrent d’un commun accord cette loi divine : que les saints partageraient aussi bien le meilleur que le pire ; et déjà ils entonnaient les chants de louange des Pères.

Psaume : Ps 32, 1.12, 18-19, 20.22

R/ Bienheureux le peuple de Dieu !

 

Criez de joie pour le Seigneur, hommes justes !
Hommes droits, à vous la louange  !
Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu,
heureuse la nation qu’il s’est choisie pour domaine  !

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

2ème lecture : La foi d’Abraham, modèle de la nôtre (brève : 1-2.8-12) (He 11, 1-2.8-19)

Frères,
la foi est le moyen de posséder déjà ce qu’on espère, et de connaître des réalités qu’on ne voit pas.
Et quand l’Écriture rend témoignage aux anciens, c’est à cause de leur foi.
Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qui devait lui être donné comme héritage. Et il partit sans savoir où il allait.
Grâce à la foi, il vint séjourner comme étranger dans la Terre promise ; c’est dans un campement qu’il vivait, ainsi qu’Isaac et Jacob, héritiers de la même promesse que lui,
car il attendait la cité qui aurait de vraies fondations, celle dont Dieu lui-même est le bâtisseur et l’architecte.
Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge, fut rendue capable d’avoir une descendance parce qu’elle avait pensé que Dieu serait fidèle à sa promesse.
C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort, ont pu naître des hommes aussi nombreux que les étoiles dans le ciel et les grains de sable au bord de la mer, que personne ne peut compter.
C’est dans la foi qu’ils sont tous morts sans avoir connu la réalisation des promesses ; mais ils l’avaient vue et saluée de loin, affirmant que, sur la terre, ils étaient des étrangers et des voyageurs.
Or, parler ainsi, c’est montrer clairement qu’on est à la recherche d’une patrie.
S’ils avaient pensé à celle qu’ils avaient quittée, ils auraient eu la possibilité d’y revenir.
En fait, ils aspiraient à une patrie meilleure, celle des cieux. Et Dieu n’a pas refusé d’être invoqué comme leur Dieu, puisqu’il leur a préparé une cité céleste.
Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses
et entendu cette parole :C’est d’Isaac que naîtraune descendance qui portera ton nom.
Il pensait en effet que Dieu peut aller jusqu’à ressusciter les morts : c’est pourquoi son fils lui fut rendu ; et c’était prophétique.

 

Evangile : Se tenir prêts pour le retour du Seigneur (brève : 35-40) (Lc 12, 32-48)

Jésus disait à ses disciples : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume.
Vendez ce que vous avez et donnez-le en aumône. Faites-vous une bourse qui ne s’use pas, un trésor inépuisable dans les cieux, là où le voleur n’approche pas, où la mite ne ronge pas.
Car là où est votre trésor, là aussi sera votre coeur.
Restez en tenue de service, et gardez vos lampes allumées.
Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte.
Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : il prendra la tenue de service, les fera passer à table et les servira chacun à son tour.
S’il revient vers minuit ou plus tard encore et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils !
Vous le savez bien : si le maître de maison connaissait l’heure où le voleur doit venir, il ne laisserait pas percer le mur de sa maison.
Vous aussi, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »
Pierre dit alors : « Seigneur, cette parabole s’adresse-t-elle à nous, ou à tout le monde ? »
Le Seigneur répond : « Quel est donc l’intendant fidèle et sensé à qui le maître confiera la charge de ses domestiques pour leur donner, en temps voulu, leur part de blé ?
Heureux serviteur, que son maître, en arrivant, trouvera à son travail.
Vraiment, je vous le déclare : il lui confiera la charge de tous ses biens.
Mais si le même serviteur se dit : ‘Mon maître tarde à venir’, et s’il se met à frapper serviteurs et servantes, à manger, à boire et à s’enivrer,
son maître viendra le jour où il ne l’attend pas et à l’heure qu’il n’a pas prévue ; il se séparera de lui et le mettra parmi les infidèles.
Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n’a pourtant rien préparé, ni accompli cette volonté, recevra un grand nombre de coups.
Mais celui qui ne la connaissait pas, et qui a mérité des coups pour sa conduite, n’en recevra qu’un petit nombre. A qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage.
»
Patrick Braud

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