Désormais notre chair se trouve au ciel !
Désormais notre chair se trouve au ciel !
Homélie pour la fête de l’Ascension / Année A
25/05/2017
Cf. également :
Ascension : « Quid hoc ad aeternitatem ? »
Ascension : la joyeuse absence
Ascension : l’ascenseur christique
Une Ascension un peu taquine : le temps de l’autonomie
Les vases communicants de l’Ascension
« Sens dessus dessous.
Actuellement, mon immeuble est sens dessus dessous.
Tous les locataires du dessous voudraient habiter au-dessus !
Tout cela parce que le locataire qui est au-dessus est allé raconter par en-dessous que l’air que l’on respirait à l’étage au-dessus était meilleur que celui que l’on respirait à l’étage en-dessous !… »
Ainsi commence un sketch célèbre de Raymond Devos, magicien des mots. Quand l’ordre habituel est bouleversé au point de ne plus respecter les séparations entre les étages, l’immeuble tout entier est sens dessus dessous !
C’est notre humanité tout entière qui aujourd’hui est sens dessus dessous, avec cette fête de l’Ascension. Le départ du Christ nous fait monter au ciel avec lui, puisqu’il emporte notre nature humaine au plus haut. L’ascenseur christique promet à chacun de nous de partager un jour, corporellement, la plénitude de divinité : folie pour les sans-Dieu, scandale pour les juifs et les musulmans…
Et bientôt, 50 jours symboliques après Pâques, la fête de Pentecôte retracera le mouvement descendant, symétrique : l’Esprit de Dieu viendra habiter en-bas, et l’effusion de l’Esprit deviendra la marque de l’église pérégrinante.
Vraiment, le voisin du dessus passe en-dessous, et celui du dessous au-dessus…
L’Ascension donne lieu à ce chassé-croisé improbable, ainsi condensé par St Jean Chrysostome :
« Nous avons donc, grâce à lui (le Christ), une garantie au ciel : la chair qu’il a prise de nous, et ici-bas : l’Esprit Saint qui demeure en nous. [1]
D’habitude, notre représentation est inverse : l’homme est en-bas, et Dieu est au ciel. Ici, c’est notre chair qui est au ciel, là-haut, et l’Esprit qui est en-bas, depuis la Pentecôte qui approche. Vraiment, l’Ascension du Christ met tout sens dessus dessous, comme Raymond Devos le pressentait !
Au-delà du jeu de mots, quels sont les enjeux pour nous de ce double mouvement d’ascension (du Christ) / descente (de l’Esprit) ? Dieu et l’homme se croisent dans l’ascenseur post-pascal : quelles conséquences ?
1. Notre chair humaine y revêt une noblesse incomparable
Rendez-vous compte : si Jésus en chair et en os a été élevé dans l’intimité divine, alors notre chair actuelle peut espérer une telle transformation elle aussi ! Déjà, la transfiguration du Christ sur la montagne nous avait laissé entrevoir une promesse inouïe : le corps humain peut rayonner d’une beauté incroyable lorsqu’il se laisse habiter par l’Esprit ! Avec l’Ascension, Dieu nous promet que nos éblouissements furtifs, nos transfigurations fulgurantes deviendront l’ordinaire de la vie après.
De quoi donner une sacrée valeur à ce que nous appelons la chair humaine, c’est-à-dire notre mode de présence au monde actuel. Notre chair, muscles et sangs mêlés en action, c’est notre interface, notre hub in and out, qui nous permet d’être présents aux autres, à la création. Cette chair-là sera ressuscitée : un nouveau mode de présence nous sera donné au monde nouveau qui nous attend. La bonne nouvelle est quelle sera l’accomplissement de notre chair actuelle, non sa négation ni son oubli. Si le Ressuscité fait toucher ses plaies à Thomas, s’il mange du poisson grillé sur le bord du lac de Tibériade, c’est bien qu’il y a à la fois continuité et transfiguration dans ce que nous deviendrons à travers la mort. Dès maintenant, notre chair humaine a une valeur immense, puisque Dieu ne nous fera pas monter auprès de lui sans elle, transformée, renouvelée pour le monde de la résurrection.
Apprenons donc à aimer cette chair, au sens fort, au sens spirituel du terme, la nôtre et celle des autres. La chair de l’être aimé comme la chair de l’ennemi, la chair des animaux comme celle des arbres, celle des créatures magnifiques et admirées comme celle dégradée et repoussante des SDF ou des malades défigurés…
Ni le mépris ni l’idolâtrie de la chair ne sont fidèles à l’expérience de l’Ascension. Aimons notre propre chair, chérissons-la, nourrissons-la, matériellement et spirituellement, afin de faire de même les uns pour les autres.
2. Si la chair est au-dessus et l’Esprit en-dessous, c’est donc que la vie spirituelle se joue en-bas
Autrement dit : rien de plus spirituel que le travail humain pour transformer cette terre, que l’économie pour la gérer, les sciences pour la déchiffrer etc. ! En christianisme, il n’y a pas d’évasion par le haut : « pourquoi restez-vous là à fixer le ciel ? » s’étonne notre texte d’évangile de l’Ascension. C’est en-bas que se joue notre salut. Même les ermites qui s’isolent pour anticiper le face-à-face avec Dieu reconnaissent le travail manuel comme une école de sainteté, et la visite du passant comme une épiphanie à laquelle ils ne peuvent se soustraire au nom de l’élévation dans la prière. Selon le mot de St Vincent de Paul, c’est « quitter Dieu pour Dieu » que de passer de la liturgie à la diaconie, de l’oraison au service des pauvres, de la contemplation au labeur professionnel. Il est possible de vivre son métier, sa vie de famille, ses engagements comme de vrais chemins de communion avec Dieu, à chaque instant. La vie spirituelle ne commence pas le dimanche matin : elle est une autre manière d’expérimenter la rencontre des autres, le travail humain. De l’écran d’ordinateur au lit conjugal, des courses en hypermarché au bain des enfants, des embouteillages du matin au bulletin d’information du soir, rien n’est plus spirituel que de vivre ces merveilles du quotidien habités par l’Esprit de Dieu. Alors nous vivons ce battement caractéristique que les électriciens appellent opposition de phase [2]: sans cesse notre nature humaine et l’Esprit de Dieu montent et descendent, et l’abaissement maximum de la divinité correspond à l’élévation maximum de notre humanité…
Que cette fête de l’Ascension nous donne de voir autrement notre chair humaine, et celle des autres. Puissions-nous l’aimer de tout cœur. Car depuis la montée du Christ aux cieux, elle est promise elle aussi à la plus belle ascension qui soit…
[1] . St Jean Chrysostome (+ 407), sur l’Ascension, 16-17, PG 52, 789-792.
[2] . Deux tensions alternatives (sur deux fils différents) sont en phase (ou en opposition de phase) lorsqu’elles passent à la valeur zéro simultanément. Si le maximum de l’une coïncide avec le minimum de l’autre, les deux courbes sont dites « en opposition de phase ».
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva » (Ac 1, 1-11)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
Cher Théophile, dans mon premier livre j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le moment où il commença, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel, après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis. C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ; il leur en a donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu. Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. Il déclara : « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche : alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que, devant eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs, qui leur dirent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »
PSAUME
(Ps 46 (47), 2-3, 6-7, 8-9)
R/ Dieu s’élève parmi les ovations, le Seigneur, aux éclats du cor. ou : Alléluia ! (Ps 46, 6)
Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
Car le Seigneur est le Très-Haut,
le redoutable, le grand roi sur toute la terre.
Dieu s’élève parmi les ovations,
le Seigneur, aux éclats du cor.
Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
sonnez pour notre roi, sonnez !
Car Dieu est le roi de la terre :
que vos musiques l’annoncent !
Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.
DEUXIÈME LECTURE
« Dieu l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux » (Ep 1, 17-23)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Éphésiens
Frères, que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître. Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles, et quelle puissance incomparable il déploie pour nous, les croyants : c’est l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux. Il l’a établi au-dessus de tout être céleste : Principauté, Souveraineté, Puissance et Domination, au-dessus de tout nom que l’on puisse nommer, non seulement dans le monde présent mais aussi dans le monde à venir. Il a tout mis sous ses pieds et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l’Église qui est son corps, et l’Église, c’est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude.
ÉVANGILE
« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (Mt 28, 16-20)
Alléluia. Alléluia. Allez ! De toutes les nations faites des disciples, dit le Seigneur. Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Alléluia. (Mt 28, 19a.20b)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Patrick BRAUD