Deux utopies communautaires chrétiennes
Deux utopies communautaires chrétiennes
Homélie pour le 2° dimanche de Pâques / Année A 23/04/2017
Cf. également :
Que serions-nous sans nos blessures ?
Au confluent de trois logiques ecclésiales : la communauté, l’assemblée, le service public
Êtes-vous plutôt centripètes ou centrifuges ?
Le Palais social de Guise
Avez-vous déjà visité le Familistère de Jean-Baptiste André Gaudin dans l’Aisne ? C’est un endroit exceptionnel, un lieu de pèlerinage social.
En 1846, Godin installa une petite usine à Guise avec 30 ouvriers pour fabriquer le célèbre poêle qu’il venait d’inventer. Il y eut bientôt 1500 ouvriers et la production, de 700 appareils par an, passa à 50 000. Soutenu par sa réussite économique, Godin put nourrir ses idéaux sociaux. Il s’imprégna des thèses du théoricien socialiste Charles Fourier qui tenta d’imaginer une alternative à l’horreur de la condition ouvrière, et synthétisa ses idées dans le Phalanstère. A 40 ans, le prospère fabricant de poêles et objets en fonte décida d’exécuter à Guise un modèle social inspiré du phalanstère, « le familistère ». De 1859 à 1882, Godin édifia le « palais social ». Le Familistère comprenait 500 logements loués aux ouvriers, mais aussi un « pouponnat », une école mixte et laïque, un théâtre, une piscine, des magasins. Parallèlement, il s’installait sur la scène politique. L’œuvre de Godin était exceptionnelle par son esprit autogestionnaire. Les ouvriers étaient intéressés à la gestion de la fabrique et aux bénéfices de l’entreprise. Surtout Godin mit en place un système de protection mutualiste. En 1880, huit ans avant sa mort, il créa la « Société du Familistère de Guise, Association du Capital et du Travail » dont les ouvriers étaient actionnaires. La coopérative fonctionna jusqu’en 1968, lorsqu’elle fit faillite sous la pression économique. Le Palais social de Guise est une de ces multiples résurgences dans l’histoire de l’utopie communautaire de vie fraternelle et de partage des biens.
De Woodstock au Larzac, des kibboutz aux communautés nouvelles, des monastères au New Age, du familistère d’André Godin à la ‘cité radieuse’ de Le Corbusier, l’aspiration à des formes de vie communautaires radicales traverse toute l’histoire humaine, et engendre régulièrement des innovations sociales bénéficiant à tous.
L’utopie de Jérusalem
Les Actes des Apôtres, juste après Pâques, nous offrent également dans la première lecture une description de la vie commune idéale des premiers disciples du Ressuscité :
Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. […] Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun. (Ac 2,42-44)
Sous l’angle économique, on a pu qualifier l’Église de Jérusalem de première incarnation d’un communisme intégral. C’est en effet un sens du partage élevé (« à chacun selon ses besoins »), une abolition volontaire de la propriété privée (« nul ne disait se tient ce qui lui appartenait »), une révolution sociale (plus de chefs ni de supérieurs, mais des frères et des sœurs).
Pour être honnête, le récit des Actes mentionne quand même la fraude d’Ananie et Saphire, qui leur a valu d’être exclus de l’Église. Ils ont fait semblant de mettre leurs biens en commun, mais en dissimulant une partie de leur richesse, afin de la garder pour eux. De façon réaliste, les obstacles à l’utopie communiste de Jérusalem sont donc exposés : l’amour de l’argent, la dissimulation, le manque d’authenticité. Certains courants utopistes actuels (l’entreprise « libérée » par exemple) reposent sur l’idée que l’homme est bon. La Bible est plus réaliste : certes l’homme aspire au bien, mais il est mélangé. L’image de Dieu en lui est inaliénable, mais sa ressemblance avec Dieu est largement obscurcie par une propension à faire le mal, inextricablement mêlée à son désir d’aimer. L’échec de bien des entreprises voulant se « libérer » trop facilement repose sur une erreur anthropologique de taille : il y a toujours des Ananie et Saphire dans une collectivité, comme en chacun de nous !
Autre limite, très réaliste également, de l’utopie de Jérusalem : sa pauvreté ! On ne sait pas si c’est une conséquence du partage intégral des biens ou seulement un contexte difficile qui l’aurait provoquée. En tout cas, les ‘partageux’ de Jérusalem sont dans une telle détresse matérielle que Paul organise une collecte à travers toutes les autres Églises pour leur venir en aide :
1 Corinthiens 16,1-3 : Quant à la collecte en faveur des saints (= les baptisés de Jérusalem), suivez, vous aussi, les instructions que j’ai données aux Églises de la Galatie. Que le premier jour de la semaine, chacun de vous mette de côté chez lui ce qu’il aura pu épargner, en sorte qu’on n’attende pas que je vienne pour recueillir les dons. Et une fois près de vous, j’enverrai, munis de lettres, ceux que vous aurez jugés aptes, porter vos libéralités à Jérusalem; et s’il vaut la peine que j’y aille aussi, ils feront le voyage avec moi.
2 Corinthiens 8,13-15 : Il ne s’agit point, pour soulager les autres, de vous réduire à la gêne; ce qu’il faut, c’est l’égalité. Dans le cas présent, votre superflu pourvoit à leur dénuement, pour que leur superflu pourvoie aussi à votre dénuement. Ainsi se fera l’égalité, selon qu’il est écrit : celui qui avait beaucoup recueilli n’eut rien de trop, et celui qui avait peu recueilli ne manqua de rien.
Le mot collecte employé par Paul est d’ailleurs le terme grec koïnonia qui signifie communion, désignant aussi la communion fraternelle qui caractérise l’Église, et même l’amour divin, communion trinitaire. L’Église depuis Vatican II se définit comme le « sacrement de la communion trinitaire » (Catéchisme de l’Église catholique n° 747, 775, 780, 1108), ce qui fait de la collecte d’entraide un quasi geste liturgique !
L’utopie de Jérusalem
Reste que, à côté de la pauvreté économique de Jérusalem, une autre forme de vie communautaire s’élabore à Antioche. Les chrétiens d’Antioche ne mettent pas leurs biens en commun, mais donnent à la quête. Ils n’habitent pas ensemble mais se rassemblent le premier jour de la semaine. Ils se mélangent sans se dissoudre, se structurent sans règles strictes. C’est en les regardant vivre que les autres leur donnent pour la première fois le nom de chrétiens (Ac 11,26).
Bref, il y a bien de modèles de vie chrétienne !
Celui de Jérusalem a inspiré l’idéal monastique, les socialismes utopiques (Fourier, Proudhon, Godin…), les nouveaux courants communautaires. Celui d’Antioche a inspiré l’idéal protestant, la spiritualité laïque de Vatican II, l’implication dans le monde tel qu’il est.
Pourquoi faudrait-il choisir ?
Nous avons besoin de pionniers qui expérimentent de nouvelles façons de vivre communautaires : les communautés nouvelles (charismatiques) ; les monastères, fidèles aux règles anciennes toujours très pertinentes ; les fraternités de tous ordres, formelles et informelles, qui recréent des cercles chaleureux et intenses où l’expérience chrétienne apparaît dans toute sa singularité et sa différence.
Nous avons également besoin des Antiochiens du XXI° siècle, sachant mener de front affaires et spiritualité, ouverture aux autres identités et ressourcement ecclésial.
Êtes-vous plutôt hiérosolymites (style Jérusalem) ou antiochiens ?
L’important est de choisir, et d’aller au bout de cette intuition pour aujourd’hui, jusqu’à susciter des Benoît ou des Thérèse d’Avila, des Godin ou des Bernard Devert [1] dans tous les domaines !
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE « Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun » (Ac 2, 42-47)
Lecture du livre des Actes des Apôtres
Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. La crainte de Dieu était dans tous les cœurs à la vue des nombreux prodiges et signes accomplis par les Apôtres. Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun. Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ; ils louaient Dieu et avaient la faveur du peuple tout entier. Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés.
PSAUME
(Ps 117 (118), 2-4, 13-15b, 22-24)
R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon ! Éternel est son amour !ou : Alléluia ! (Ps 117, 1)
Oui, que le dise Israël : Éternel est son amour ! Que le dise la maison d’Aaron : Éternel est son amour ! Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur : Éternel est son amour !
On m’a poussé, bousculé pour m’abattre ; mais le Seigneur m’a défendu. Ma force et mon chant, c’est le Seigneur ; il est pour moi le salut. Clameurs de joie et de victoire sous les tentes des justes.
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ; c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !
DEUXIÈME LECTURE
« Il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts » (1 P 1, 3-9)
Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ : dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts, pour un héritage qui ne connaîtra ni corruption, ni souillure, ni flétrissure. Cet héritage vous est réservé dans les cieux, à vous que la puissance de Dieu garde par la foi, pour un salut prêt à se révéler dans les derniers temps. Aussi vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or – cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu –, afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ. Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu ; en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi, vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire, car vous allez obtenir le salut des âmes qui est l’aboutissement de votre foi.
ÉVANGILE
« Huit jours plus tard, Jésus vient » (Jn 20, 19-31) Alléluia. Alléluia. Thomas, parce que tu m’as vu, tu crois, dit le Seigneur. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Alléluia. (Jn 20, 29)
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Patrick BRAUD