L'homélie du dimanche (prochain)

30 juin 2019

Je voyais Satan tomber comme l’éclair

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Je voyais Satan tomber comme l’éclair

Homélie pour le 14° Dimanche du temps ordinaire / Année C
07/07/2019

Cf. également :

Secouez la poussière de vos pieds
Les 72
Briefer et débriefer à la manière du Christ
Qu’est-ce qui peut nous réjouir ?
Le baptême du Christ : une histoire « sandaleuse »

Bigre ! Revoilà Satan, que la modernité avait cru évacuer à grand renfort de démythologisation. Il y a bien l’Exorciste, Amityville, Annabelle et tout autre film terrifiant que les effets spéciaux rendent de plus en plus efficaces ; mais c’est du cinéma. Il y a certes les soi-disant marabouts venus d’Afrique ou d’ailleurs qui pullulent pour exploiter la misère sociale en promettant force désenvoûtements et autres « travaux occultes ». Mais globalement, Satan n’a plus guère de place dans la culture ambiante, ni dans la foi des catholiques non plus.

Comment recevoir alors la désignation du combat que les démons eux-mêmes attribuent à Jésus : « Tu es venu pour nous perdre » (Lc 4,34).
Comment interpréter la joie de Jésus félicitant les 72 comme après une victoire : « je voyais Satan tomber comme l’éclair » (Lc 10,18) ?

Il se trouve que ce verset est également le titre d’un livre de René Girard, célèbre anthropologue français ayant enseigné aux USA, mort en 2015. René Girard propose une lecture originale et séduisante de cette déclaration de Jésus. Essayons d’en préciser les grandes lignes pour en tirer quelques pistes d’actualisation de notre évangile (Lc 10, 1-20).

Si Satan tombe comme l’éclair du ciel vers la terre grâce à la mission de 72, c’est parce que les disciples en annonçant le Royaume de Dieu désamorcent le cercle proprement infernal de la violence (notons au passage que les 72 le font… avant les 12 !).

En effet, d’où vient la violence ? Pour René Girard, s’appuyant sur le Décalogue (commandement 6 à 10 : « tu ne convoiteras pas… »), la violence vient essentiellement du désir mimétique, de la convoitise de ce qui appartient à autrui, de l’envie d’être l’autre. En convoitant ce qu’il a et ce qu’il est, le désir mimétique fait naître et grandir une violence meurtrière : prendre la place de l’autre.

Je voyais Satan tomber comme l'éclair dans Communauté spirituelle 10.%2BTu%2Bne%2Bconvoiteras%2Bpas%2Ble%2Bbien%2Bdes%2BautresLe bien d’autrui est désirable justement en cela qu’il est à autrui. Le désir devient infernal lorsqu’il est mimétique : vouloir, à travers la possession de l’objet appartenant à l’autre, devenir l’autre lui-même, à sa place (désir de la marchandise, pour parler le langage contemporain). Donc désir qui, par nature, est homicide dans son principe : désirer être l’autre, c’est déjà vouloir le tuer. « Homicide dans son principe » est la définition biblique de Satan. Satan, nous dit Girard, c’est justement tout le cycle mimétique dans son ensemble.

Cette prolifération de la violence culmine en une crise généralisée dangereuse pour tous. La seule issue est alors celle du bouc émissaire : trouver une victime et lui faire porter tout le poids du désordre, l’exclure pour exclure ainsi la violence, du moins pour un temps. Des sacrifices humains aztèques à la tentative de sacrifice d’Isaac jusqu’aux pogromes ou autres lynchages racistes, les rites païens essaient de réguler la violence mimétique en désignant un coupable à éliminer.

Image illustrative de l’article Bouc à AzazelLes rites juifs ont transformé cette logique en ne supprimant pas le bouc émissaire, mais en le chassant au désert « pour Azazel » après avoir prononcé sur lui un rite d’absolution (Lv 16). Pour les pèlerins musulmans, c’est la lapidation d’un pilier représentant le grand Satan qui lors du pèlerinage à la Mecque (le hadj) en sera une résurgence.

Le christianisme quant à lui reconnaît en Jésus la victime innocente, injustement condamnée pour soi-disant sauver le peuple : « il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple » (Jn 11,50 ; 18,14). En prenant le parti des victimes, en refusant que l’innocent soit déclaré coupable, en dévoilant la convoitise à la racine de la violence, les disciples de Jésus révèlent au grand jour ce qui devait rester caché pour exercer son emprise. Il prive ainsi Satan de son pouvoir sur des hommes.
« C’est maintenant le jugement de ce monde, maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors. » (Jn 12,31)
« Qui commet le péché est du diable, parce que depuis l’origine le diable est pécheur. C’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu est apparu » (1 Jn 3,8).
« Il est vaincu l’accusateur de nos frères, lui qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu » (Ap 12,10).

C’est par l’Esprit de Dieu que Jésus défait Satan. « Si c’est par l‘Esprit de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (Mt 12,28). René Girard explique ce pouvoir libérateur de l’Esprit par son autre nom, le Paraclet :

J’ai commenté ce terme dans d’autres essais mais son importance pour la signification de ce livre est si grande que je dois y revenir. Le sens principal de parakleitos, c’est l’avocat dans un tribunal, le défenseur des accusés. Au lieu de chercher des périphrases, des échappatoires, dans le but d’éviter cette traduction, il faut la préférer à toutes les autres, il faut s’émerveiller de sa pertinence. Il faut prendre à la lettre l’idée que l’Esprit éclaire les persécuteurs sur leurs propres persécutions. L’Esprit révèle aux individus la vérité littérale de ce qu’a dit Jésus pendant sa crucifixion : « Ils ne savent pas ce qu’ils font. » Il faut songer aussi à ce Dieu que Job appelle : « mon Défenseur ».
La naissance du christianisme est une victoire du Paraclet sur son vis-à-vis, Satan, dont le nom signifie originairement l’accusateur devant un tribunal, celui qui est chargé de prouver la culpabilité, des prévenus. C’est une des raisons pour lesquelles les Évangiles font de Satan le responsable de toute mythologie.
Que les récits de la Passion soient attribués à la puissance spirituelle qui défend les victimes injustement accusées correspond merveilleusement au contenu humain de la révélation, tel que le mimétisme permet de l’appréhender.

Il est intéressant de noter que Satan n’est pas défini en lui-même, mais par sa fonction : accuser l’homme, ou par sa chute comme l’éclair.
Cette révélation du ressort mimétique de la violence est en marche avec les 72 bien avant la Croix. Avec la Passion-Résurrection, cette dénonciation de la convoitise conduisant au bouc émissaire s’incarnera au plus haut point en Jésus de Nazareth. Il est, lui, l’innocent, que tous comptent parmi les pécheurs. Il est condamné pour les coupables alors qu’il n’a jamais rien fait de mal. En ce sens il est l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. En le faisant se lever d’entre les morts, Dieu apporte sa caution à cette dénonciation du désir mimétique. Il appose son sceau à l’œuvre de dévoilement opéré par cet obscur prophète éliminé pour maintenir la paix à Jérusalem.

Voilà pourquoi Satan tombe comme l’éclair, rapidement et avec puissance, de la terre au ciel : sa chute est la conséquence de la prédication de l’Évangile où l’humilité, l’esprit de pauvreté et l’amour des ennemis désarment l’envie et la violence qui dressent des hommes les uns contre les autres. D’ailleurs, notre passage insiste sur cet esprit de non-possession qui va triompher de Satan : « Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales ». Lorsqu’on ne veut rien posséder, l’autre n’est pas une menace. Lorsqu’on veut aimer l’autre comme soi-même, ni plus ni moins, la tentation de la violence s’efface devant la reconnaissance de l’autre. Le désir mimétique s’évanouit devant le désir de communion. Chaque fois que les Églises se sont éloignées de cet esprit de pauvreté – et ce fut souvent ! – elles sont elles-mêmes tombées dans le piège de Satan et ont généré une violence en complète contradiction avec leur message évangélique.

En demandant aux 72 d’être « comme des agneaux au milieu des loups », Jésus brise le ressort infernal de la violence : la non-violence répondra à la violence, le pardon à l’offense, le don au vol, la bénédiction à la persécution.

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En leur demandant de ne rien posséder comme lui-même n’a ni terrier ni pierre où poser la tête (Lc 9,58), Jésus prive Satan du levier par lequel il soulève les antagonismes entre les hommes. La cupidité des riches n’a pas de limites (cf. l’affaire Carlos Gohsn !). Seul un cœur de pauvre peut extirper cette volonté folle de posséder et d’amasser sans cesse.

Même le geste si fort de secouer la poussière de ses pieds en cas de non-accueil coupe l’herbe sous le pied à la violence : en refusant de s’imposer par la force, en ne sacrifiant pas la vérité à la concorde, en s’éloignant des violents sans pour autant fermer la porte pour toujours.

Reconnaître en Satan le mimétisme violent, c’est achever de discréditer le prince de ce monde, c’est parachever la démystification évangélique, c’est contribuer à cette « chute de Satan » que Jésus annonce aux hommes avant sa crucifixion. La puissance révélatrice de la Croix dissipe les ténèbres dont le prince de ce monde ne peut pas se passer pour conserver son pouvoir.

Satan tombe comme l’éclair du ciel vers la terre. C’est donc que sur terre il n’a pas fini de faire des dégâts… Il est potentiellement vaincu, mais pas encore pleinement. Il faudra attendre la manifestation du Christ en gloire pour que cette victoire soit totale, un peu comme il a fallu attendre le 8 mai 1945 après le 6 juin 1944, entre débarquement et armistice, entre D-Day et triomphe final.

Et nous, à la suite des 72, comment allons-nous couper court à la violence en nous et autour de nous ?
Comment allons-nous désarmer Satan et le faire
« chuter comme l’éclair » ?
Si la racine du péché est la convoitise comme l’écrit Jacques :
« chacun est tenté par sa propre convoitise, qui l’amorce et l’entraîne. Ensuite la convoitise, lorsqu’elle a conçu, enfante le péché, et le péché, lorsqu’il est consommé, engendre la mort » (Jc 1,14-15), alors le remède est simple : cesser de se comparer, cesser de convoiter, se réjouir de ce que l’autre a sans l’envier, se réjouir de ce que l’autre est sans le jalouser. Ce qui n’empêche nullement de se battre contre les structures d’un système injuste. Au contraire, car le combat est alors pur de toute recherche égoïste. La recherche du bien commun demande en effet des cœurs libres de tout attachement excessif.

Travaillons sur nous-mêmes afin d’étouffer dans l’œuf la violence infernale du désir mimétique qui pollue notre carrière professionnelle, nos relations familiales, notre vie spirituelle…

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve » (Is 66, 10-14c)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez !
Alors, vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ; alors, vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire. Car le Seigneur le déclare : « Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve et, comme un torrent qui déborde, la gloire des nations. » Vous serez nourris, portés sur la hanche ; vous serez choyés sur ses genoux. Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai. Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés. Vous verrez, votre cœur sera dans l’allégresse ; et vos os revivront comme l’herbe reverdit. Le Seigneur fera connaître sa puissance à ses serviteurs.

Psaume
(Ps 65 (66), 1-3a, 4-5, 6-7a, 16.20)
R/ Terre entière, acclame Dieu, chante le Seigneur !
(cf. Ps 65, 1)

Acclamez Dieu, toute la terre ;
fêtez la gloire de son nom,
glorifiez-le en célébrant sa louange.
Dites à Dieu : « Que tes actions sont redoutables ! »

Toute la terre se prosterne devant toi,
elle chante pour toi, elle chante pour ton nom.
Venez et voyez les hauts faits de Dieu,

ses exploits redoutables pour les fils des hommes.

Il changea la mer en terre ferme :
ils passèrent le fleuve à pied sec.
De là, cette joie qu’il nous donne.

Il règne à jamais par sa puissance.

Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu :
je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ;
Béni soit Dieu qui n’a pas écarté ma prière,
ni détourné de moi son amour !

Deuxième lecture
« Je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus » (Ga 6, 14-18)

Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Galates

Frères, pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde. Ce qui compte, ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis, c’est d’être une création nouvelle. Pour tous ceux qui marchent selon cette règle de vie et pour l’Israël de Dieu, paix et miséricorde. Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter, car je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus. Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit. Amen.

Évangile
« Votre paix ira reposer sur lui » (Lc 10, 1-12.17-20)
Alléluia. Alléluia.
Que dans vos cœurs, règne la paix du Christ ; que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse. Alléluia. (Col 3, 15a.16a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, parmi les disciples, le Seigneur en désigna encore 72, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’ S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous. Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté. Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : ‘Le règne de Dieu s’est approché de vous.’ » Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : ‘Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.’ Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville. »
Les 72 disciples revinrent tout joyeux, en disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. » Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »

Patrick BRAUD

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17 décembre 2014

La dilatation du désir

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 8 h 01 min

La dilatation du désir


Homélie du 4° Dimanche de l’Avent / Année B
21/12/2014

cf. également :  Laisser le volant à Dieu

 

« Que tout se passe pour moi selon ta parole… » (Lc 1, 26-38)

La dilatation du désir dans Communauté spirituelle 260px-Fra_Angelico_069Marie consent à la parole de Dieu qui lui est adressée.

Elle a d’abord été bouleversée par cette annonce qui ne ressemble à aucune autre, comme le sont souvent les annonces imprévues dans nos vies.

Elle a ensuite présenté loyalement son objection majeure : sa virginité, comme nous opposons souvent à Dieu notre manque de compétences ou nos réticences pour ce qu’il veut faire de nous.

Et finalement, elle consent.

Elle ne dit pas oui en fait dans le texte : c’est plus qu’un détail. Elle ne dit pas oui, mais « fiat » : « que tout se passe pour moi selon ta parole ». Dire oui aurait pu laisser croire qu’elle comprenait ce qui se passait et allait tout prendre en main. Il n’en est rien. Elle est loin de tout comprendre ; elle ne maîtrise rien. Mais elle agrandit son désir à la taille du désir de Dieu pour elle : « que tout se passe pour moi selon ta parole ».

Et du coup, parce que la Parole de Dieu est efficace, cette parole prend chair aussitôt en elle.

Parce que en Dieu la Parole et la Chair ne sont pas séparées, la chair elle-même de Marie s’élargit, sans le savoir encore, pour accueillir le Verbe de Dieu en son sein.

Dilater notre désir jusqu’au désir de Dieu a des répercussions sur tout notre être, notre chair même.

Le 4° Dimanche de l’Avent agrandit encore donc notre présent à tous les possibles qu’il contient. À l’image de Marie, dont le subjonctif indique l’élargissement de son corps, de son désir, de tout son être : « Que tout se passe pour moi selon ta parole ».

La Bible devient Parole de Dieu pour nous lorsqu’elle agrandit nos souhaits à l’immensité du souhait de Dieu pour nous…

 

« Que tout se passe pour moi selon ta parole… »

vierge-annonciation Annonciation dans Communauté spirituelleCe subjonctif exprime encore plus qu’un souhait : c’est un élargissement de notre désir le plus vrai, c’est une dilatation du cœur, c’est un puits creusé pour agrandir la soif, c’est une réorientation fondamentale de l’envie de vivre.

« Donne-moi quelqu’un qui aime, et il comprend ce que je dis » écrit saint Augustin.

« Donne-moi quelqu’un qui désire, qui a faim, donne-moi un homme qui voyage dans ce désert, qui a soif, qui soupire après la source de l’éternelle patrie, donne-moi un tel homme, et il comprend ce que je dis. Si je parle à un homme insensible, il ne sait pas de quoi je parle. Montre un rameau vert à une brebis et tu l’attires ; présente des noix à un enfant et il est attiré, il est attiré parce qu’il aime : c’est par la chaîne du cœur qu’il est attiré ».

 « Ne t’imagines pas que tu es attiré malgré toi : c’est par l’amour que l’âme est attirée ».
(Commentaire sur l’Évangile de Jean 26, 4-6).

 

« Que tout se passe pour moi selon ta parole… »

Marie, icône de l’Église, consent à la conversion de son désir.

En réponse à la Parole de Dieu qui lui est adressée, elle s’ouvre ainsi à tous les possibles que l’Esprit va engendrer en elle…

Comme l’écrit encore le génial Augustin, il s’agit d’élargir les aspirations de notre cœur à « plus haut », « plus vrai » que nos ambitions ordinaires :

« Toute la vie du chrétien est un saint désir.
Sans doute, ce que tu désires, tu ne le vois pas encore : mais en le désirant tu deviens capable d’être comblé lorsque viendra ce que tu dois voir.
Supposons que vous vouliez remplir une sorte de poche, et que vous sachiez les grandes dimensions de ce qu’on va vous donner. Vous élargissez cette poche, que ce soit un sac, une outre ou n’importe quoi de ce genre. Vous savez l’importance de ce que vous allez y mettre, et vous voyez que la poche est trop resserrée : en l’élargissant, vous augmentez sa capacité.
C’est ainsi que Dieu, en faisant attendre, élargit le désir.
En faisant désirer, il élargit l’âme ;
en l’élargissant, il augmente sa capacité de recevoir.

Nous devons donc désirer, mes frères, parce que nous allons être comblés. (…)

 

Et nous ? À l’approche de Noël, où en sommes-nous de cet élargissement de nos désirs ?

Allons-nous laisser la Parole convertir notre énergie la plus secrète ?

Ou resterons-nous englués dans de petites envies superficielles qui rétrécissent notre soif de vivre au lieu de la dilater à l’extrême ?

Les enfants auront les yeux rivés sur les tablettes spécialement conçues pour eux, les ados sur les dernières consoles de jeux… ; les adultes sur les écrans incurvés 4K 1000 Hz…

En s’élevant un peu, on se mettra à rêver d’une famille enfin réunie autour de la table de Noël, et en paix.

Certains se demanderont s’ils n’ont pas faim d’autre chose que d’accumuler des biens matériels ou de continuer sur des rails bien tracés.

D’autres, à cause de la crise ou de difficultés personnelles, devront réorienter leur vie radicalement.

 

 Augustin 


À tous, la Parole de Dieu transmise par Gabriel s’adresse, bouleversante :
veux-tu engendrer de nouveaux possibles ? Acceptes-tu d’élargir ton désir bien au-delà de tes horizons immédiats ?’

 

Pour chacun, la réponse de Marie peut devenir votre réponse : « Que tout se passe pour moi selon ta parole… »

 

 

1ère lecture : La royauté de David subsistera toujours devant le Seigneur (2 S 7, 1-5.8b-12.14a.16)
Lecture du deuxième livre de Samuel  

Le roi David habitait enfin dans sa maison.  Le Seigneur lui avait accordé la tranquillité  en le délivrant de tous les ennemis qui l’entouraient.  Le roi dit alors au prophète Nathan : « Regarde ! J’habite dans une maison de cèdre,  et l’arche de Dieu habite sous un abri de toile ! »  Nathan répondit au roi : « Tout ce que tu as l’intention de faire,  fais-le, car le Seigneur est avec toi. » Mais, cette nuit-là,  la parole du Seigneur fut adressée à Nathan : « Va dire à mon serviteur David :  Ainsi parle le Seigneur :  Est-ce toi qui me bâtiras une maison  pour que j’y habite ?  C’est moi qui t’ai pris au pâturage,  derrière le troupeau,  pour que tu sois le chef de mon peuple Israël.  J’ai été avec toi partout où tu es allé,  j’ai abattu devant toi tous tes ennemis.  Je t’ai fait un nom aussi grand  que celui des plus grands de la terre.  Je fixerai en ce lieu mon peuple Israël,  je l’y planterai, il s’y établira  et ne tremblera plus,  et les méchants ne viendront plus l’humilier,  comme ils l’ont fait autrefois,  depuis le jour où j’ai institué des juges  pour conduire mon peuple Israël.  Oui, je t’ai accordé la tranquillité  en te délivrant de tous tes ennemis.   Le Seigneur t’annonce  qu’il te fera lui-même une maison.  Quand tes jours seront accomplis  et que tu reposeras auprès de tes pères,  je te susciterai dans ta descendance un successeur,  qui naîtra de toi,  et je rendrai stable sa royauté. Moi, je serai pour lui un père ;  et lui sera pour moi un fils.  Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi,  ton trône sera stable pour toujours. »

Parole du Seigneur.

Psaume : 88 (89), 2-3, 4-5, 27.29
R/ Ton amour, Seigneur, sans fin je le chante ! cf. 88, 2a

L’amour du Seigneur, sans fin je le chante ;
ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge.

Je le dis : c’est un amour bâti pour toujours ;
ta fidélité est plus stable que les cieux.

« Avec mon élu, j’ai fait une alliance, j’ai juré à David, mon serviteur :
J’établirai ta dynastie pour toujours,
je te bâtis un trône pour la suite des âges. »

« Il me dira : ‘Tu es mon Père, mon Dieu, mon roc et mon salut !’
Sans fin je lui garderai mon amour, mon alliance avec lui sera fidèle. »

 

2ème lecture : Le mystère gardé depuis toujours dans le silence est maintenant manifesté (Rm 16, 25-27)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Romains

Frères, à Celui qui peut vous rendre forts  selon mon Évangile qui proclame Jésus Christ : révélation d’un mystère  gardé depuis toujours dans le silence,  mystère maintenant manifesté  au moyen des écrits prophétiques,  selon l’ordre du Dieu éternel, mystère porté à la connaissance de toutes les nations  pour les amener à l’obéissance de la foi, à Celui qui est le seul sage, Dieu, par Jésus-Christ,  à lui la gloire pour les siècles. Amen.

Parole du Seigneur.

 

Évangile : « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils » (Lc 1, 26-38)
Acclamation : Alléluia. Alléluia. Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. Alléluia.  (Lc 1, 38)  Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu  dans une ville de Galilée, appelée Nazareth,  à une jeune fille vierge,  accordée en mariage à un homme de la maison de David,  appelé Joseph ;  et le nom de la jeune fille était Marie.  L’ange entra chez elle et dit : « Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi. » À cette parole, elle fut toute bouleversée,  et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.  L’ange lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie,  car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.  Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ;  tu lui donneras le nom de Jésus.  Il sera grand,  il sera appelé Fils du Très-Haut ;  le Seigneur Dieu  lui donnera le trône de David son père ;  il régnera pour toujours sur la maison de Jacob,  et son règne n’aura pas de fin. » Marie dit à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire,  puisque je ne connais pas d’homme ? » L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint viendra sur toi,  et la puissance du Très-Haut  te prendra sous son ombre ;  c’est pourquoi celui qui va naître sera saint,  il sera appelé Fils de Dieu.  Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente,  a conçu, elle aussi, un fils  et en est à son sixième mois,  alors qu’on l’appelait la femme stérile.  Car rien n’est impossible à Dieu. »  Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur ;  que tout m’advienne selon ta parole. »  Alors l’ange la quitta.
Patrick BRAUD

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17 août 2013

De l’art du renoncement

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

De l’art du renoncement

Homélie du 20° Dimanche du temps ordinaire / Année C
18/08/2013

 

« Renonçant à la joie qui lui était proposée, Jésus a enduré, sans avoir de honte, l’humiliation de la croix, et, assis à la droite de Dieu, il règne avec lui. »

Chaque mot de cette phrase de la lettre aux Hébreux de ce Dimanche (He 12,1-4)  heurte notre sensibilité occidentale du XXI° siècle. Chaque mot semble prendre le contre-pied des idéologies soft actuelles sur le bien-être personnel, la recherche de l’épanouissement, le désir de ne pas souffrir, l’investissement dans la vie présente…

Prenez le verbe renoncer : qui prêche le renoncement aujourd’hui ? À part quelques écologistes radicaux prônant la décroissance, et donc la réduction de notre train de vie, qui rappelle cette vieille loi pourtant pleine de sagesse : le renoncement peut devenir un chemin de libération ?

Ce à quoi le Christ renonce, c’est à « la joie qui lui était proposée ». Voilà qui est encore plus scandaleux ! Le christianisme semble tomber ici sous les accusations de Nietzsche : religion de sous-hommes ne pouvant accéder à la joie dionysiaque, et érigeant leur impuissance en chemin de sainteté. Ce serait vrai si la phrase de He 12,3 s’arrêtait là, s’il n’y avait le but, la raison pour laquelle le Christ renonce à la joie possible.

La finalité de ce renoncement, c’est d’ « être assis à la droite de Dieu » et de « régner avec lui ». Avec en plus l’ouverture de cette ascension / assomption à tous ceux qui le suivraient.

Pour avoir oublié ce but ultime, certains courants du christianisme se sont transformés en rabats-joie lugubres que Nietzsche a eu raison de fustiger.

Pour avoir chassé ce but ultime de leur horizon, les courants hédonistes actuels ne comprennent pas que le renoncement est un investissement pour une joie future, éternelle. Seule la perspective eschatologique d’un autre monde en Dieu permet de comprendre le sacrifice (encore un autre mot que la modernité méconnaît) du Christ. Sinon il faut être fou pour ne pas rechercher son bonheur personnel, ici et maintenant, par tous les moyens.

 

En écartant la problématique de la joie présente comme non pertinente, Jésus introduit une contestation révolutionnaire : le salut offert aux autres est plus important que son propre épanouissement du moment. La fidélité à soi-même passe par le dessaisissement de soi pour que les humiliés de la terre puissent être élevés au plus haut.

 

Car le renoncement du Christ à ce à quoi il aurait pu prétendre (la gloire, l’admiration De l'art du renoncement dans Communauté spirituelledes foules, le pouvoir politique et religieux, la vénération populaire etc.) est la condition sine qua non pour qu’il épouse la condition des humiliés. « Il a enduré, sans avoir de honte, l’humiliation de la croix ». Notons au passage que la croix, dans cette interprétation des plus anciennes, est signe d’humiliation et non pas de souffrance physique. C’est en effet le supplice des humiliores dans le monde romain : la croix est le supplice des esclaves (cf. Spartacus et ses 6000 révoltés crucifiés avec lui le long des voies romaines), le supplice infamant qui prive tout juif le subissant des promesses faites à Israël, au point de devenir un « maudit de Dieu » (Ga 3,13; Dt 21,23) dont le corps n’est même pas digne d’être enterré.

La volonté du Christ c’est d’aller au bout de celle de son Père, « jusqu’à l’extrême » (Jn 13,1) : faire corps avec les damnés de la terre pour leur ouvrir un chemin de libération et de vie en Dieu.

En allant les rejoindre, il est assimilé à eux. Leur humiliation devient la sienne ; mais il l’assume « sans honte », alors que les puissants ont réussi en dominant les humiliés à leur faire intérioriser la honte d’être dominés. Il y a dans ce « sans honte » le début du retournement de la situation d’humiliation, comme on retourne un gant de l’intérieur. Le Père Joseph Wrésinsky l’a bien compris, qui a commencé à redonner un nom et une histoire au peuple du Quart-Monde pour qu’il retrouve la fierté d’être lui-même. Les grands libérateurs ont fait de même : Gandhi avec les colonisés indiens, Martin Luther King avec les ?nègres’ américains des années 60, Mandela avec les townships souffrant de ségrégation et de misère etc.

Endurer sans honte l’humiliation de ceux qui en sont écrasés est déjà leur ouvrir la possibilité d’une dignité pleinement rétablie.

 

Ce faisant, il ne faudra pas s’étonner de rencontrer « l’hostilité des pécheurs ». Le combat contre l’hostilité de ses adversaires, Jésus l’a vécu sans aide ni violence. Il a préféré être broyé par la violence adverse plutôt que d’employer contre elle la même logique de puissance, de domination.

Ceux qui veulent défendre les humiliés parmi leurs collègues, leurs salariés, leurs familles même, feront cette expérience au début très amère : prendre le parti des petits suscite l’hostilité, conduit à être méprisé comme eux, et apparemment cette violence semble gagner à court terme. Il faut une sacrée énergie spirituelle pour tenir bon sans « se laisser accabler par le découragement ». Il faut une vision prophétique pour garder « les yeux fixés » sur le long terme, pour surmonter les premières défaites inévitables. Il faut recevoir de Dieu le courage de « résister jusqu’au sang » s’il le faut dans notre lutte contre le mal.

 

Alors les renoncement à opérer nous apparaîtront logiques et efficaces.

Renoncer aux joies immédiates est finalement un bien par rapport à la perspective du règne de Dieu auquel le Christ nous associe. Le bonheur n’est pas un but de la vie présente. La recherche du bonheur personnel pourrait même nous éloigner de notre vrai désir. Le philosophe Alain écrivait : « le bonheur est une récompense qui vient à ceux qui ne l’ont pas cherchée ». Le bonheur est illucide, au sens où c’est en renonçant à lui qu’on peut paradoxalement y demeurer.

 

Quel est notre but ultime ?

Quelles humiliés sommes-nous appelés à défendre ?

À quel renoncement cela nous conduit-il ?

 

 

 

1ère lecture : Le prophète signe de contradiction (Jr 38, 4-6.8-10)

Lecture du livre de Jérémie

Pendant le siège de Jérusalem, les chefs qui tenaient Jérémie en prison dirent au roi Sédécias : « Que cet homme soit mis à mort : en parlant comme il le fait, il démoralise tout ce qui reste de combattant dans la ville, et toute la population. Ce n’est pas le bonheur du peuple qu’il cherche, mais son malheur. »
Le roi répondit : « Il est déjà entre vos mains, et le roi ne peut rien contre vous ! »
Alors ils se saisirent de Jérémie et le jetèrent dans la citerne du prince Melkias, dans la cour de la prison. On le descendit avec des cordes. Dans cette citerne il n’y avait pas d’eau, mais de la boue, et Jérémie s’enfonça dans la boue.
Un officier du palais, l’Éthiopien Ébed-Mélek, vint trouver le roi : « Mon Seigneur le roi, ce qu’ils ont fait au prophète Jérémie, c’est mal ! Ils l’ont jeté dans la citerne, il va y mourir de faim ! »
Alors le roi donna cet ordre à l’Éthiopien Ébed-Mélek : « Prends trois hommes avec toi, et retire de la citerne le prophète Jérémie avant qu’il ne meure. »

Psaume : 39, 2, 3, 4, 18

R/ Seigneur, à mon aide ! Viens à mon secours !

D’un grand espoir 
   j’espérais le Seigneur : 
il s’est penché vers moi 
   pour entendre mon cri. 

Il m’a tiré de l’horreur du gouffre, 
   de la vase et de la boue ; 
il m’a fait reprendre pied sur le roc, 
   il a raffermi mes pas. 

Dans ma bouche il a mis un chant nouveau, 
   une louange à notre Dieu. 
Beaucoup d’hommes verront, ils craindront, 
   ils auront foi dans le Seigneur. 

Je suis pauvre et malheureux, 
   mais le Seigneur pense à moi. 
Tu es mon secours, mon libérateur : 
   mon Dieu, ne tarde pas !

2ème lecture : Le combat dans la foi à l’exemple de Jésus (He 12, 1-4)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, ceux qui ont vécu dans la foi, foule immense de témoins, sont là qui nous entoure. Comme eux, débarrassons-nous de tout ce qui nous alourdit, et d’abord du péché qui nous entrave si bien ; alors nous courrons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine et au terme de la foi. Renonçant à la joie qui lui était proposée, il a enduré, sans avoir de honte, l’humiliation de la croix, et, assis à la droite de Dieu, il règne avec lui.
Méditez l’exemple de celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle hostilité, et vous ne serez pas accablés par le découragement. Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans votre lutte contre le péché.

Evangile : Jésus, cause de division entre les hommes (Lc 12, 49-53)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Jésus, le bon Pasteur, connaît ses brebis et ses brebis le connaissent : pour elles il a donné sa vie.Alléluia. (cf. Jn 10, 14-15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

Jésus disait à ses disciples : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé !
Je dois recevoir un baptême, et comme il m’en coûte d’attendre qu’il soit accompli !
Pensez-vous que je sois venu mettre la paix dans le monde ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division.
Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ;
ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »
Patrick Braud 

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24 mars 2012

Qui veut voir un grain de blé ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Qui veut voir un grain de blé ?

 

Homélie du 5° Dimanche de Carême  25/03/2012

 

« Nous voulons voir Jésus »

Au commencement, il y a le désir…

Désir d’une rencontre vraie : « nous voulons voir Jésus ». Désir de la rencontre de l’autre, car entre les Grecs et les Juifs de l’époque, la différence doit être aussi radicale qu’entre Juifs et Palestiniens aujourd’hui… La vie chrétienne est placée sous le signe du désir  de l’autre, et plus précisément de la croissance  dans le désir de l’autre, croissance à laquelle Jésus nous appelle tout au long de notre existence.

 

Heureuses différences (même si elles sont de fait difficiles à assumer) qui sont le carburant de nos rencontres : « je veux voir l’autre … »

Dans la foi chrétienne, nous croyons que le visage de l’autre, lorsqu’il est désiré pour lui-même et non pas dans nos projections imaginaires, ce visage devient sacrement de la rencontre de Dieu. « Il est possible, à partir de l’autre relativement autre que nous voyons, de pressentir l’Autre absolument autre que nous ne voyons pas et appelons Dieu » [1]. Voilà pourquoi la recherche du visage de l’autre renvoie à Dieu lui-même.

 

Au IVème siècle, un évêque (Grégoire de Nysse) parlait déjà de cet infini du désir qui interdit de figer la course vers l’être aimé:

« Au fur et à mesure que quelqu’un progresse vers ce qui surgit toujours en avant de lui, son désir augmente lui aussi. Ainsi, à cause de la transcendance des biens qu’il découvre toujours à mesure qu’il progresse, il lui semble toujours n’être qu’au début de l’ascension. C’est pourquoi la Parole répète: ?Lève-toi’ à celui qui est déjà levé, et: ?Viens’ à celui qui est déjà venu. A celui qui se lève vraiment, il faudra toujours se lever. Celui qui court vers le Seigneur n’épuisera jamais le large espace pour sa course.

Ainsi celui qui monte ne s’arrête jamais, allant de commencements en commencements, par des commencements qui n’auront jamais de fin ».

« Car c’est là proprement voir Dieu que de n’être jamais rassasié de le désirer » [2]

 

« Nous voulons voir Jésus » est la vérité de nos propres recherches amicales : « je veux découvrir qui tu es ».

 

L’écho ecclésial

Qui veut voir un grain de blé ? dans Communauté spirituelle ricochetsEnsuite, il y a le jeu de l’écho, qui amplifie et répercute ce désir de l’autre. Les Grecs le disent à Philippe, qui le dit à André, et tous les deux le transmettent à Jésus. Mais c’est déjà l’Église qui apparaît là! L’Église, comme un réseau de liens fraternels, pour que la démarche de ceux qui cherchent aboutisse. Une sorte de Facebook à la puissance 10, et mieux encore, car ce sont ici des visages et pas seulement des écrans … L’Église est ce lieu où nous pouvons dire le manque qui nous habite, la soif qui nous tient, l’envie de vivre que nous creusons en la partageant avec des frères. L’Église est cette eau tendue qui soutient nos rebonds successifs dans la recherche de l’autre, jusqu’à faire ricocher jusqu’au nuages ce galet nommé désir…

Par la vie paroissiale ou par les pèlerinages, par des équipes de partage ou par la formation spirituelle et théologique, nous pouvons expérimenter la force de ce soutien fraternel. Continuons à tisser ces liens ecclésiaux : ils nous aideront à rester vigilants et confiants.

 

Du grenier à l’épi

L’Évangile nous dit ensuite que la rencontre entre les Grecs et Jésus a lieu pendant la  fête, c’est-à-dire la grande, l’unique fête de la Pâque.

Et là, l’histoire du grain de blé que nous propose Jésus est très parlante. Devenir chrétien, c’est suivre le chemin de ce grain de blé jeté en terre. C’est consentir à se laisser aimer pour ne plus vivre centré sur soi. C’est accepter de se laisser faire, comme le grain de blé, pour pouvoir porter du fruit. La mort et la Résurrection sont au coeur de tout amour, qui est pascal, comme elle est au coeur de l’amour du Christ, que nous allons célébrer dans l’eucharistie. En buvant ensemble à la même coupe, nous exprimons la dimension pascale de la vie chrétienne : aimer, c’est verser son sang, c’est livrer sa vie.

 

Pourtant, que de résistances mettons-nous avant d’accepter de lâcher-prise ainsi sur notre propre vie! Eh oui!, le petit grain de blé était plus tranquille a

Fiches_9122011_1120_448 blé dans Communauté spirituelle

vant, ?en père peinard’ dans son grenier, en tas avec les autres [3]. Un certain bonheur, qui était le nôtre, avant de nous laisser déranger par le Christ. Et pourtant, il nous manquait quelque chose, ou plutôt quelqu’un, et ce petit bonheur nous semblait trop petit, un peu étroit…

Un jour, on charge ce tas de grains de blé sur une charrette et on le sort dans la campagne. C’est le début de l’ouverture à l’autre, avec un petit côté excitant pas désagréable…: çà se passe bien, il y a plein de gens nouveaux à découvrir, tout en gardant sa liberté.

Puis on verse les grains sur la terre fraîchement labourée: petit frisson d’un contact plus personnel, d’une proximité avec un corps étranger à la fois inquiétant et attirant.

 

Puis on enfonce le grain de blé tombé en terre. Et là, le grain de blé se demande s’il n’a pas fait une grosse bêtise en se laissant conduire jusque là. Il ne voit plus rien, il n’entend plus rien, l’humidité le transperce jusqu’au dedans de lui-même… Le grain de blé qui, par la mort inévitable, est en train d’être transformé, de devenir ce qu’il doit être, c’est-à-dire un bel épi, regrette le grenier où en effet il était très heureux, mais heureux d’un petit bonheur humain. Sa tentation est alors de faire machine arrière, de céder à la panique, de refuser de se laisser faire. C’est dommage, car c’est précisément là que Dieu agit: le Dieu qui le transforme, pour le faire passer de l’état de grain à l’état d’épi, ce qui n’est possible que par une mort à soi-même et une nouvelle naissance. Dieu veut notre croissance, et il n’y a pas de croissance sans transformation.

Bien sûr, sur ce chemin de croissance, il faut savoir quitter. Au début, les pertes sont visibles et conséquentes: son indépendance, ses habitudes, quelque fois sa région, ses amis, sa famille… Avec le temps, elles deviennent plus subtiles, plus difficiles: quitter ses certitudes toutes faites, son égoïsme, sa nostalgie… Le Christ lui-même a dû se battre intérieurement pour ne pas abandonner ce chemin. « Bien qu’il soit le Fils, il a pourtant appris l’obéissance par les souffrances de sa Passion » ; il a supplié Dieu «  avec un grand cri et dans les larmes »  (He 5,7-9), car il n’imaginait que « faire la volonté » de son père irait jusqu’à un tel abandon, jusqu’à une telle déréliction. Il en est « bouleversé » (Jn 12,30) au plus profond de lui-même. Dans l’évangile de Jean, c’est ce passage qui tient lieu d’agonie à Gethsémani, ce qui en dit long sur le déchirement au plus intime qui fait hésiter Jésus.

Et en même temps, suivant cette voie pascale, il nous sera donné mystérieusement de faire l’expérience de la joie et de la fécondité de cette Pâque permanente : notre travail, nos engagements, nos familles nous rendront féconds, avec la même efficacité que l’épi par rapport au grain de blé: 100, 1000 pour 1 ! Un tel rendement mérite bien un investissement massif et sans réserve…

 

Vous voyez que l’histoire de ce grain de blé n’est pas seulement celle du Christ dans sa Pâque : c’est la nôtre, à tout âge, dès lors que exprimons le désir de « voir Jésus ».

Que l’Esprit du Christ nous inspire une confiance à toute épreuve, pour traverser sans découragement les étapes jusqu’à Pâques, du grenier à l’épi?

 

 


 

 

[1].  VARILLON F.,  L’humilité de Dieu,  Le Centurion, Paris, 1974, p. 39.

[2]. Homélies sur le Cantique des Cantiques.

[3]. Cf. VARILLON F.,  Joie de croire, joie de vivre,  Le Centurion, Paris, 1981, p. 38s.

  

  

 

1ère lecture : La nouvelle Alliance (Jr 31, 31-34)

Lecture du livre de Jérémie

Voici venir des jours, déclare le Seigneur, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une Alliance nouvelle.
Ce ne sera pas comme l’Alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir d’Égypte : mon Alliance, c’est eux qui l’ont rompue, alors que moi, j’avais des droits sur eux.

Mais voici quelle sera l’Alliance que je conclurai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passés, déclare le Seigneur. Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai dans leur c?ur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple.
Ils n’auront plus besoin d’instruire chacun son compagnon, ni chacun son frère en disant : « Apprends à connaître le Seigneur ! » Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands, déclare le Seigneur. Je pardonnerai leurs fautes, je ne me rappellerai plus leurs péchés.

 

Psaume : Ps 50, 3-4, 12-13, 14-15

R/ Donne-nous, Seigneur, un c?ur nouveau !

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Crée en moi un c?ur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ;
vers toi, reviendront les égarés.

2ème lecture : La soumission du Christ, cause du salut éternel (He 5, 7-9)

 Lecture de la lettre aux Hébreux

Le Christ, pendant les jours de sa vie mortelle, a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ; et, parce qu’il s’est soumis en tout, il a été exaucé.
Bien qu’il soit le Fils, il a pourtant appris l’obéissance par les souffrances de sa Passion ; et, ainsi conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

 

Evangile : Jésus voit arriver son heure (Jn 12, 20-33)

Acclamation : Gloire à toi, Seigneur, gloire à toi. Fils de l’homme, élevé sur la croix, par toi tous les hommes reçoivent la vie. Gloire à toi, Seigneur, gloire à toi. (cf. Jn 3,14-15)

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Parmi les Grecs qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu durant la Pâque,
quelques-uns abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée. Ils lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. »
Philippe va le dire à André ; et tous deux vont le dire à Jésus.
Alors Jésus leur déclare : « L’heure est venue pour le Fils de l’homme d’être glorifié.
Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit.
Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle.
Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.

Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Dirai-je : Père, délivre-moi de cette heure ? ? Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci !
Père, glorifie ton nom ! »
Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre ; d’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. »
Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi que cette voix s’est fait entendre, c’est pour vous.
Voici maintenant que ce monde est jugé ; voici maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.

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