L'homélie du dimanche (prochain)

15 mai 2022

Se réjouir d’un départ

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Se réjouir d’un départ

Homélie du 6° Dimanche de Pâques / Année C
22/05/2022

Cf. également :

L’Esprit saint et nous-mêmes avons décidé que…
Le Paraclet, l’Église, Mohammed et nous
La gestion des conflits
L’Esprit et la mémoire
Dieu nous donne une ville
L’Esprit nous précède
Lier Pâques et paix
La Trinité en actes : le geste de paix
La paix soit avec vous
Les chrétiens sont tous des demeurés
Ton absence…
Ascension : la joyeuse absence

La politique de la chaise vide

En entendant cette expression, les plus anciens d’entre nous penseront immédiatement à la décision du Général De Gaulle de ne plus participer aux réunions du Conseil des ministres de la CEE, pour protester contre la modification du principe de l’unanimité dans la prise de décision au profit de la règle majoritaire. Cette politique française de la chaise vide bloqua de facto toute prise de décision, et le bras de fer dura du 30 juin 1965 au 30 janvier 1966. Le compromis trouvé à Luxembourg en janvier 1966 mit fin à la crise institutionnelle en affirmant la nécessité d’une prise de décision à l’unanimité pour les votes importants.
Comme quoi s’absenter est quelquefois le meilleur moyen de faire bouger les lignes, et de faire évoluer l’histoire !
La génération des années Mitterrand associera plutôt cette expression à la séquence devenue culte où l’on entend l’ex-futur président Giscard d’Estaing battu aux présidentielles de 1981 prononcer un sépulcral « au-revoir » en laissant sa chaise vide après un long silence devant la caméra à la fin de son allocution d’adieu…
Comme quoi laisser sa chaise vide, c’est reconnaître – même forcé ! – qu’il faut partir…

Icône de la PentecôtePlus fondamentalement, il y a dans l’Église orthodoxe une autre symbolique de la chaise vide. Regardez l’icône de la Pentecôte : les apôtres sont réunis autour de la table pour recevoir l’Esprit, et au milieu d’eux, en haut de la couronne qu’ils forment, il y a un vide. Vide central volontaire, qui représente le Christ parti vers son Père. C’est sa place - au sommet de l’Église - et elle doit rester vide. Pour ne jamais mettre quelqu’un à sa place – fut-ce un patriarche, un pape ou un saint – les orthodoxes laissent vide le siège principal dans une cathédrale ou une basilique. On appelle cela l’étimasie, du grec ἑτοιμασία = etoimasia, préparer, selon les termes de Jésus dans l’Évangile de Jean : « Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : ‘Je pars vous préparer une place’ ? Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi » (Jn 14,2-3). La chaise vide nous rappelle que le Christ est parti nous préparer une place auprès de son Père, et que personne ne doit prendre sa place d’ici là.

Cette disposition rituelle liturgique est majeure : le Christ seul est la tête du Corps qu’est l’Église. Comme il n’est plus là devant nos yeux, sa place doit rester vide. Comme il s’est absenté de l’histoire depuis l’Ascension, son absence ne doit pas être remplacée, sinon l’idolâtrie nous guette. Souvenons-nous qu’au désert, lorsque Moïse s’est absenté 40 jours au mont Sinaï, le peuple ne supportant plus cette attente avait remplacé YHWH par un veau d’or fabriqué de leurs bijoux et richesses (Ex 32). Ne pas laisser vide la place du Christ, c’est préparer la voie à tous les veaux d’or modernes !
Et comme le Christ doit revenir à la fin des temps, qui prendrait le risque d’occuper son trône en attendant ? qui oserait usurper sa place ?

Dans l’Évangile de ce dimanche (Jn 14,23-29), le Ressuscité rappelle à ses disciples qu’il va bientôt s’en aller : « vous m’avez entendu dire : ‘je pars vers le Père’ » ; « je m’en vais… ». Notre première ascèse pascale est de regarder cette absence en face, de ne pas la masquer par des petits dieux dérisoires, comme on dissimule un trou dans le mur avec un poster recouvrant le vide. Or il est si facile de boucher les vides de notre existence ! Certains le font même avec des objets très religieux, des pratiques très spirituelles, des savoir-faire remarquables, d’autant plus dangereux qu’ils sont excellents, puisqu’ils occultent alors la béance laissée par le Christ de l’Ascension.

 

Partir c’est mourir un peu

Se réjouir d’un départ dans Communauté spirituelle ChatPeurMortS’en aller, partir : en français, c’est une façon pudique de parler de la mort. ‘Il s’en est allé…’ Mais il y a quelque chose de vrai dans ce langage : nos départ ont souvent la couleur du deuil, nos deuils ne sont en fait que de nouveaux départs. Jésus nous dit aujourd’hui qu’il part (πορεύομαι) vers le Père (Jn 14,2). C’est le même verbe que Jean emploie lorsque Jésus se rend au Mont des oliviers (Jn 8,1), ou montre le bon Pasteur sortant de l’enclos devant ses brebis (10,4), ou annonce que son départ est la condition de l’envoi de l’Esprit (16,7). C’est ce verbe encore qui montre Jésus allant réveiller Lazare, son ami mort (11,11). Les juifs hostiles à Jésus vont même jusqu’à imaginer qu’il pourrait quitter Jérusalem et partir pour la Diaspora dispersée chez les Grecs : « Les Juifs se dirent alors entre eux : où va-t-il bien partir (πορεύομαι) pour que nous ne le trouvions pas ? Va-t-il partir (πορεύομαι) chez les nôtres dispersés dans le monde grec, afin d’instruire les Grecs ? » (Jn 7,35). Sans le savoir (mais Jean lui le sait !), ils lient déjà départ et mission, absence et universalité, Ascension et catholicité de l’Église (« élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » Jn 12,32). Avec son humour habituel, Jean dénonce ainsi leur suffisance, puisqu’ils croient pouvoir mettre la main sur Jésus à leur guise !

Tous ces départs de Jésus nous mettent la puce à l’oreille : avec lui, il doit être possible de vivre nos propres départs autrement ! Nous aussi nous allons vers le Père. Nous aussi nous ne cessons de rencontrer et de quitter, d’être intensément présent puis de devoir nous absenter, de partir devant pour que d’autres puissent nous suivre, d’aller réveiller ce qui est mort ailleurs en acceptant de quitter notre zone de confort, d’anticiper pour préparer une place à nos enfants, notre conjoint etc.
Tous ces départs ont la saveur d’une Ascension sans cesse réactualisée ! Impossible de vivre sans quitter, impossible de grandir sans se séparer, impossible d’aimer sans s’absenter. Qui n’a pas connu l’absence ne sait rien de l’amour.

Plutôt que de subir ces départs successifs et de s’en désoler, nous pouvons les transformer selon l’Esprit du Christ en autant de preuves d’amour : partir pour préparer une place à ceux qui nous sont chers, partir en laissant vide notre place, car il ne nous appartient pas de distribuer les rôles de ceux qui restent.
L’absence est à l’amour ce qu’est le vent au feu : il éteint le petit, il allume le grand.
En famille c’est tout un art de savoir s’absenter. En entreprise – surtout une entreprise familiale – c’est encore plus difficile. Entre amis, l’éloignement et les années font leur œuvre, et nous avons du mal à ritualiser ces moments où il faut nous en aller en clôturant le lien. Dans une équipe de partage entre chrétiens, assumer et célébrer la fin de l’équipe est une forme de sagesse peu courante.

Laisserons-nous le départ du Christ vers son Père inspirer nos propres départs ?

 

Se réjouir pour ceux qui partent

9782330124328 absence dans Communauté spirituelleJésus est très clair : « Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie (ἐχάρητε, du verbe χαίρω = chairó, se réjouir) puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi » (Jn 14,28). C’est le même verbe que Luc emploie pour inviter Marie à se réjouir de la présence de Dieu en elle : « Réjouis-toi (chairō) Marie… » (Lc 1,28). Comme quoi se réjouir de la présence et de l’absence ne sont pas incompatibles, au contraire !
Si les disciples aiment le Christ, ils savent que son être est de ne faire qu’un avec celui qu’il appelle son Père. Toute forme d’éloignement – même l’Incarnation ! – est pour lui une souffrance, une déchirure intime. Aller vers le Père est synonyme pour Jésus d’aller vers soi (souvenez-vous de l’appel lancé à Abraham : « leikh lekha » = « va vers toi ! »). Qui ne se réjouirait de voir son ami réaliser sa vocation en plénitude ?
Bien évidemment, nous ne parlons pas ici des départs inhumains imposés par la guerre aux réfugiés, par la famine aux affamés, par la détresse à ceux qui ont tout perdu etc.
Dans l’Évangile de Jean, le verbe χαίρω (chairó, se réjouir) désigne la joie de l’ami de l’époux qui entend sa voix et conduit l’époux à l’épouse pour qu’ils soient ensemble (Jn 3,29). Tel Jean-Baptiste présentant l’époux Jésus à son peuple (féminin en hébreu) au Jourdain, les disciples éprouvent une grande joie en entendant le Ressuscité annoncer qu’il les quitte pour la communion d’amour trinitaire. Se réjouir du bonheur de l’autre, sans aucun regret, sans chercher à le posséder ni le retenir, est au cœur de la dépossession de l’amitié véritable.
De manière ordinaire, que dirait-on de parents qui maintiendraient leurs enfants trop longtemps sur leur coupe ? De managers qui ne feraient pas évoluer leur équipe, jusqu’à ce qu’ils volent de leurs propres ailes ? d’associations ou d’Églises dont on ne pourrait pas partir tellement la culpabilisation y serait forte ?
C’est la trace de la convoitise que de ne pas se réjouir du départ de l’autre vers son accomplissement. C’est vouloir le posséder, mettre la main sur lui, au sens le plus malsain du terme : ne pas être heureux qu’il soit heureux, loin de moi s’il le faut.

Le Christ de l’Ascension nous aide à nous réjouir pour ceux qui partent.

 

Se réjouir pour ceux qui restent

41VZeDij85L._SY291_BO1,204,203,200_QL40_ML2_ AscensionDans notre chapitre 14 de ce dimanche, Jean associe également le départ du Ressuscité à deux conséquences positives pour ceux qui restent :
– une place leur est préparée auprès du Père
– l’Esprit va leur être envoyé pour se souvenir, être conduits vers la vérité tout entière, et tenir bon jusqu’à la fin.
Double effet Kiss Cool de l’absence Christ en quelque sorte !

Il y a donc des absences qui bénéficient à ceux qui restent : « il est bon pour vous que je m’en aille » (Jn 16,7). De façon prosaïque, bien des dirigeants d’entreprises devraient dire cela ! Ou même des parents, car vivre dans l’ombre des générations précédentes ne doit durer qu’un temps. Des hommes politiques devraient aussi avoir cette humilité plutôt que de téter quelques décennies de trop les hochets du pouvoir…

Lorsque quelqu’un part, on peut donc se réjouir pour ceux qui restent. Pas toujours, car certains nous laissent vraiment orphelins. Mais lorsqu’ils ont su préparer leur départ, leur absence ouvre une nouvelle période pleine de nouvelles opportunités.

En Afrique, lorsqu’un vieux meurt, on fait la fête, on danse et on festoie pendant plusieurs jours, on porte son cercueil en dansant jusqu’au cimetière, on rassemble ceux qui restent pour qu’ils mesurent ce qu’ils ont reçu du défunt et continuent son aventure familiale et villageoise. En France, j’ai été maintes fois témoin du travail de mémoire que font les familles préparant des obsèques, avec des rires, des anecdotes, des confidences, une étonnante liberté de critiquer et remercier le défunt, et finalement une forme de paix qui s’installe à travers tout cela. La célébration vient alors comme un point d’orgue : mesurer combien un être cher nous manque, et éprouver le désir de vivre ensemble en faisant fructifier le don reçu de lui.

« Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez parce que je pars vers le Père vous préparer une place ».
Réjouissons-nous de l’absence du Ressuscité qui n’est plus devant nos yeux !
Réjouissons-nous de la place qui nous est préparée auprès du Père.
Réjouissons-nous de l’Esprit de Dieu envoyé par le Christ pour nous inspirer jour après jour.
Réjouissons-nous pour ceux qui partent, et réjouissons-nous pour ceux qui restent…

Et laissons vide la place du Christ au cœur de notre existence.

 

 

Lectures de la messe

Première lecture
« L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci qui s’imposent » (Ac 15, 1-2.22-29)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
En ces jours-là, des gens, venus de Judée à Antioche, enseignaient les frères en disant : « Si vous n’acceptez pas la circoncision selon la coutume qui vient de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés. » Cela provoqua un affrontement ainsi qu’une vive discussion engagée par Paul et Barnabé contre ces gens-là. Alors on décida que Paul et Barnabé, avec quelques autres frères, monteraient à Jérusalem auprès des Apôtres et des Anciens pour discuter de cette question. Les Apôtres et les Anciens décidèrent avec toute l’Église de choisir parmi eux des hommes qu’ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabé. C’étaient des hommes qui avaient de l’autorité parmi les frères : Jude, appelé aussi Barsabbas, et Silas. Voici ce qu’ils écrivirent de leur main : « Les Apôtres et les Anciens, vos frères, aux frères issus des nations, qui résident à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut ! Attendu que certains des nôtres, comme nous l’avons appris, sont allés, sans aucun mandat de notre part, tenir des propos qui ont jeté chez vous le trouble et le désarroi, nous avons pris la décision, à l’unanimité, de choisir des hommes que nous envoyons chez vous, avec nos frères bien-aimés Barnabé et Paul, eux qui ont fait don de leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus Christ. Nous vous envoyons donc Jude et Silas, qui vous confirmeront de vive voix ce qui suit : L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci, qui s’imposent : vous abstenir des viandes offertes en sacrifice aux idoles, du sang, des viandes non saignées et des unions illégitimes. Vous agirez bien, si vous vous gardez de tout cela. Bon courage ! »

Psaume
(Ps 66 (67), 2-3, 5, 7-8)
R/ Que les peuples, Dieu, te rendent grâce ; qu’ils te rendent grâce tous ensemble !
ou : Alléluia.
 (Ps 66, 4)

Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse,
que son visage s’illumine pour nous ;
et ton chemin sera connu sur la terre,
ton salut, parmi toutes les nations.

Que les nations chantent leur joie,
car tu gouvernes le monde avec justice ;
tu gouvernes les peuples avec droiture,
sur la terre, tu conduis les nations.

La terre a donné son fruit ;
Dieu, notre Dieu, nous bénit.
Que Dieu nous bénisse,
et que la terre tout entière l’adore !

Deuxième lecture
« Il me montra la Ville sainte qui descendait du ciel » (Ap 21, 10-14.22-23)

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean
Moi, Jean, j’ai vu un ange. En esprit, il m’emporta sur une grande et haute montagne ; il me montra la Ville sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu : elle avait en elle la gloire de Dieu ; son éclat était celui d’une pierre très précieuse, comme le jaspe cristallin. Elle avait une grande et haute muraille, avec douze portes et, sur ces portes, douze anges ; des noms y étaient inscrits : ceux des douze tribus des fils d’Israël. Il y avait trois portes à l’orient, trois au nord, trois au midi, et trois à l’occident. La muraille de la ville reposait sur douze fondations portant les douze noms des douze Apôtres de l’Agneau. Dans la ville, je n’ai pas vu de sanctuaire, car son sanctuaire, c’est le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau. La ville n’a pas besoin du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine : son luminaire, c’est l’Agneau.

Évangile
« L’Esprit Saint vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 23-29)
Alléluia. Alléluia. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé. Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.
Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez. »
 Patrick BRAUD

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