Terreur de tous côtés !
Terreur de tous côtés !
Homélie pour le 12° dimanche du temps ordinaire / Année A
25/06/2017
Cf. également :
N’arrêtez pas vos jérémiades !
La première lecture (Jr 20, 10-13) rapporte une expression étonnante, qui n’est utilisé que huit fois dans la Bible [1], dont cinq dans le seul livre de Jérémie : « Terreur-de-tous-côtés ! »
Moi Jérémie, j’entends les calomnies de la foule : « Dénoncez-le ! Allons le dénoncer, celui-là, l’Épouvante-de-tous-côtés. » Tous mes amis guettent mes faux pas, ils disent : « Peut-être se laissera-t-il séduire… Nous réussirons, et nous prendrons sur lui notre revanche ! » Mais le Seigneur est avec moi, tel un guerrier redoutable : mes persécuteurs trébucheront, ils ne réussiront pas…
D’autres traductions (liturgie, Segond, TOB) remplacent terreur par épouvante. Le résultat est tout aussi… terrifiant : le rôle du prophète est ici d’annoncer la terreur qui vient, de prévenir le peuple des épouvantables événements qui vont bientôt arriver. En 597 avant Jésus-Christ, la terreur a pour les juifs le visage de Nabuchodonosor, empereur de Babylone, faisant le siège de Jérusalem, puis incendiant la ville, détruisant le Temple, et déportant le roi et les notables à Babylone. L’épouvante, c’est découvrir qu’il n’y a pas de limites aux crimes, à la cruauté des vainqueurs. L’épouvantable terreur que vont bientôt vivre les contemporains de Jérémie leur fera constater l’impensable, l’inenvisageable : la disparition de la royauté, du Temple, des prophètes, pendant les 60 années de l’Exil à Babylone.
Avouons que ces scènes de terreur résonnent en nous de façon dramatique. Les images des guerres du XX° siècle nous les ont remis en mémoire : boucheries inutiles des tranchées de 1418, horreur de la Shoah en 39-45, million de morts dans les camps, goulags ou autres exactions nazies ou communistes…
Et voilà qu’au 21° siècle, le djihadisme sème joue à nouveau sur la terreur pour essayer de gagner sa guerre idéologique. L’épouvante qui a frappé de stupeur les témoins du massacre du Bataclan en 2015 à Paris, ou récemment de l’explosion dans la salle de concert de Manchester ne quitte pas l’actualité de nos médias. Cette terreur-là n’est pas biblique. Au contraire, celle dont témoigne Jérémie agit à la manière d’un tocsin avertissant la population : si vous ne changez pas de comportement, les conséquences de votre iniquité, de vos idolâtries, de votre corruption seront inévitables. Vous perdrez tout, de manière horrible, si vous ne revenez pas à YHWH de tout votre cœur.
Pour Jérémie, l’annonce de la terreur se veut salutaire. Si ce n’est pas pour cette génération hélas inflexible, peut-être la génération suivante, réfléchissant sur les malheurs survenus entre-temps, pourra y puiser de quoi réfléchir sur les conditions de sa survie.
Avouez que cet avertissement prophétique de Jérémie a des accents très contemporains ! Regardez par exemple l’ex vice-président américain Al Gore. Pendant le G7 de Mai dernier, il présentait son deuxième film, qui va sortir en novembre, sur les dangers écologiques nous menaçant à très court terme. Après son premier film : « une vérité qui dérange » en 2006, il évoque dans « une suite qui dérange : le temps de l’action » le danger que représente un Donald Trump remettant en cause le réchauffement climatique et les accords de la COP 21. En même temps qu’il expose avec enthousiasme les actions qui ont commencé à transformer nos modes de vie pour plus de respect de la planète, Al Gore avertit des risques qu’un retour en arrière « trumpiste » nous ferait vivre.
Le pape François, à sa manière, prolonge également l’action prophétique de Jérémie sur ce plan de l’écologie. En liant combat écologique et option préférentielle pour les pauvres, en rappelant que tout est lié, le social et l’écologique, le spirituel et l’économique, François dans son encyclique Laudato si n’hésite pas à rappeler les malheurs frappant les paysans, les habitants des bidonvilles ou des mégapoles contaminées par la pollution, la rareté des ressources naturelles, des modes de vie inhumains… En offrant un exemplaire de Laudato si à Donald Trump lors de sa visite au Vatican en Mai dernier, le pape François faisait comme Jérémie cherchant à épouvanter les puissants de Jérusalem avant que la terreur réelle ne s’abatte sur le peuple.
Une autre forme de prophétisme d’épouvante en France porte le visage d’un philosophe aussi populaire que décrié : Michel Onfray. Dans son dernier ouvrage monumental : Décadence, Onfray prophétise l’effondrement inéluctable d’une civilisation occidentale incapable de retrouver ses vrais moteurs spirituels, face au terrorisme musulman notamment.
Quand on lui demande si cette décadence est évitable, Onfray répond que le Titanic coule, que rien ne peut l’empêcher de couler, et qu’on peut tout juste chanter et jouer de la musique avec élégance pendant le naufrage… Il est facile d’avoir de nombreux points de désaccord avec Michel Onfray : sa thèse invraisemblable de la non-existence historique de Jésus, sa confusion christianisme Occident, son exégèse biblique très superficielle et très datée etc. Mais on peut retenir de Décadence son côté « jérémiaque » : l’épouvante nous frappe de tous côtés à la vue de ce que les terroristes islamiques nous infligent, et cela doit résonner comme un avertissement dramatique. Onfray pense que l’Occident n’a plus de ressources pour se battre idéologiquement : qui accepterait de mourir pour une Rolex ou le CAC 40 ? Il pense que le christianisme va décliner avec l’Occident (en oubliant au passage le formidable essor chrétien en Afrique, en Asie, Amérique latine….). Il annonce l’épouvante de tous côtés qui ne fait que monter au sein des pays riches. Il prédit l’agonie d’une civilisation matérialiste qui a durement imposé sa loi d’airain aux autres cultures pendant des siècles, et c’est maintenant l’heure de leur revanche…
Sans partager cette vision déterministe, et cette désespérance des ressources du christianisme occidental, nous pouvons par contre relayer sa prophétie angoissée de l’épouvante à venir si nous ne changeons pas nos modes de vie, notre logiciel culturel, économique et spirituel. Les racines du terrorisme djihadiste sont théologiques plus qu’économiques : tant que l’Occident ne revisitera ses raisons religieuses d’être lui-même, tant qu’il n’entrera pas en débat critique avec la vision du monde provenant de l’islam, son anthropologie, ses mythes fondateurs etc, il ne pourra pas se défendre vraiment…
Jérémie sait d’expérience qu’annoncer le malheur qui vient ne rend pas très populaire ! On l’a humilié, persécuté, poursuivi, jeté dans une prison-citerne, parce que justement il vociférait tous haut ce que les puissants ne voulaient pas entendre. Lui-même est sans doute mort en route avec les exilés de 597 ou à Babylone.
Les Jérémie d’aujourd’hui, d’Al Gore au pape François, en passant plus ou moins par Onfray, Mélenchon ou autres ‘prophètes de malheur’, continueront à déranger les puissants, à choquer les masses soumises aux idées dominantes. Ils n’en sont pas moins ceux à partir de qui penser à frais nouveaux la reconstruction d’un monde plus humain, comme Israël a repensé la nouvelle Jérusalem en relisant Jérémie après le retour d’Exil, à partir de 537 avant Jésus-Christ…
Relayons les paroles fortes de nos Jérémies d’aujourd’hui.
La « terreur-de-tous-côtés » peut finalement s’avérer salutaire, si elle nous ouvre les yeux sur nos idolâtries meurtrières.
[1] . Jr 6,5 : Ne sortez pas dans la campagne, ne vous risquez pas sur les routes, car l’ennemi porte l’épée : terreur de tous côtés!
Jr 20,4 : Ce n’est plus Pashehur que Yahvé t’appelle, mais Terreur-de-tous-côtés. Car ainsi parle Yahvé : Voici que je vais te livrer à la terreur, toi et tous tes amis;
Jr 20,10 : J’entendais les calomnies de beaucoup : « Terreur de tous côtés! »
Jr 46,5 : Leurs braves, battus, s’enfuient éperdument sans se retourner. C’est la terreur de tous côtés, oracle de Yahvé.
Jr 49,29 : Leurs tentes et leurs moutons, qu’on les prenne, leurs étoffes et tous leurs ustensiles; qu’on s’empare de leurs chameaux et qu’on crie sur eux : « Terreur de tous côtés! »
Lm 2,22 : Tu as convoqué comme pour un jour de fête les terreurs de tous côtés; au jour de la colère de Yahvé, il n’y eut rescapé ni survivant. Ceux que j’avais bercés et élevés, mon ennemi les a exterminés.
Ps 31,14 : J’entends les calomnies des gens : terreur de tous côtés ! ils se groupent à l’envie contre moi, complotant de m’ôter la vie.
Is 31,9 : Dans sa terreur Assur abandonnera son rocher, et ses chefs apeurés déserteront l’étendard.
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Il a délivré le malheureux de la main des méchants » (Jr 20, 10-13)
Lecture du livre du prophète Jérémie
Moi Jérémie, j’entends les calomnies de la foule : « Dénoncez-le ! Allons le dénoncer, celui-là, l’Épouvante-de-tous-côtés. » Tous mes amis guettent mes faux pas, ils disent : « Peut-être se laissera-t-il séduire… Nous réussirons, et nous prendrons sur lui notre revanche ! » Mais le Seigneur est avec moi, tel un guerrier redoutable : mes persécuteurs trébucheront, ils ne réussiront pas. Leur défaite les couvrira de honte, d’une confusion éternelle, inoubliable. Seigneur de l’univers, toi qui scrutes l’homme juste, toi qui vois les reins et les cœurs, fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras, car c’est à toi que j’ai remis ma cause. Chantez le Seigneur, louez le Seigneur : il a délivré le malheureux de la main des méchants. – Parole du Seigneur.
PSAUME
(Ps 68 (69), 8- 10, 14.17, 33-35)
R/ Dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi. (Ps 68, 14c)
C’est pour toi que j’endure l’insulte,
que la honte me couvre le visage :
je suis un étranger pour mes frères,
un inconnu pour les fils de ma mère.
L’amour de ta maison m’a perdu ;
on t’insulte, et l’insulte retombe sur moi.
Et moi, je te prie, Seigneur :
c’est l’heure de ta grâce ;
dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi,
par ta vérité sauve-moi.
Réponds-moi, Seigneur,
car il est bon, ton amour ;
dans ta grande tendresse, regarde-moi.
Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête :
« Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! »
Car le Seigneur écoute les humbles,
il n’oublie pas les siens emprisonnés.
Que le ciel et la terre le célèbrent,
les mers et tout leur peuplement !
DEUXIÈME LECTURE
« Le don gratuit de Dieu et la faute n’ont pas la même mesure » (Rm 5, 12-15)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains
Frères,
nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché. Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde, mais le péché ne peut être imputé à personne
tant qu’il n’y a pas de loi. Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a établi son règne, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam. Or, Adam préfigure celui qui devait venir. Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute. En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
ÉVANGILE
« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps » (Mt 10, 26-33) Alléluia. Alléluia.
L’Esprit de vérité rendra témoignage en ma faveur, dit le Seigneur.
Et vous aussi, vous allez rendre témoignage. Alléluia. (cf. Jn 15, 26b-27a)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait à ses Apôtres : « Ne craignez pas les hommes ; rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en pleine lumière ; ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux. Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux.
Patrick BRAUD