L'homélie du dimanche (prochain)

26 septembre 2021

À deux ne faire qu’Un

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

À deux ne faire qu’Un

27° Dimanche du Temps Ordinaire / Année B
03/10/2021

Cf. également :

Le semblable par le semblable
L’adultère, la Loi et nous
L’homme, la femme, et Dieu au milieu
Le mariage et l’enfant : recevoir de se recevoir
L’Esprit, vérité graduelle

 

Les impacts sociaux des divorces et séparations de couples

Il y a longtemps que le divorce en France n’est plus sous les feux des projecteurs. Il fait partie du paysage social. On s’y est habitué, au point de trouver presque normal qu’un couple sur deux se sépare (1,8 mariage pour 1 divorce). Les statistiques sont éloquentes.

Divorce évolution

En incluant les séparations après un PACS, la courbe ne cesse de grimper (alors que le nombre de divorces baisse avec celui des mariages).

Séparations évolution

Les causes des séparations sont bien connues : allongement de la durée de vie, autonomisation financière des femmes, montée de l’individualisme, maturité psychologique tardive, primat de l’émotion amoureuse sur l’engagement, revendication de liberté pour chacun etc. Les conséquences sociales du divorce sont plus rarement évoquées. La pandémie du Covid et ses confinements successifs ont pourtant mis en lumière la situation des familles monoparentales, surtout lorsque les mères sont coincées dans 40 m², en quartier difficile, avec deux ados… Le nombre régulier de divorces/séparations entraîne donc inexorablement la montée des solitudes, la montée de la précarité (pénurie de logements sociaux, pensions alimentaires non versées, femmes peu diplômées, travail à temps partiel), la montée des inégalités hommes-femmes, des inégalités sociales (les CSP+ soutiennent plus facilement leur fille qui se sépare) etc.

Solitude et isolement

Ces séparations portent à plus de 8% le nombre de familles recomposées en France, Quasiment 1,7 millions d’enfants sont concernés, un nombre qui donne le vertige ! Près de 18% des enfants de moins de 25 ans vivent de nos jours dans une famille monoparentale (contre moins de 8% en 1970). Les monoparents sont deux fois plus touchés par le chômage que les parents vivant en couple.

Familles monoparentales

Une enquête de l’IPSOS révélait que « presqu’une mère célibataire sur deux (45%) avoue ne pas arriver à boucler leur budget sans être à découvert. Plus grave, près d’une maman solo sur cinq dit s’en sortir de plus en plus difficilement et craindre de basculer dans la précarité (19%). Près d’un quart des familles françaises sont monoparentales, 85 % d’entre elles sont gérées par des femmes, qui élèvent seules 3 millions d’enfants, ont perdu au moins 20 % de leur niveau de vie au moment de la séparation contre 3% pour les pères dans la même situation, et pour un tiers vivent sous le seuil de pauvreté et sont allocataires du RSA.

On retrouve ainsi - en négatif - à travers toutes les statistiques du divorce l’une des grandes fonctions du mariage (du couple) que les économistes ont salué, repéré et étudié comme structurant la société : la fonction d’entraide entre les conjoints. À deux, la vie est moins dure. Partager le loyer, l’éducation des enfants, le coût de la vie ordinaire, les impôts, les coups durs facilite la vie. Avant le sentiment amoureux (dont le lien avec le mariage est finalement tardif), le couple est d’abord mû par la dure nécessité de ne pas être seul pour faire face aux aléas de la vie. La Genèse disait avec réalisme : « il n’est pas bon que l’homme (la femme) soit seul ». Tout seul, tout est plus difficile.

 

Jésus et le divorce

À deux ne faire qu’Un dans Communauté spirituelle JESUS_DIVORCE_REFORMES.CH_JUIN2017-1024x688Jésus reprend aujourd’hui cette réalité anthropologique de base, qui selon lui remonte à la création du monde : nous ne sommes pas faits pour vivre seuls. Avec la Genèse (2,24), il va plus loin que ce simple constat, déjà fondateur : « l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un » [1]. Voilà donc le vrai moteur du mariage : à deux, ne faire qu’un. Les juifs y voient l’attestation du Dieu unique dont les gens mariés témoignent à travers leur union. Les chrétiens y superposent sans peine le témoignage à l’amour trinitaire, capable d’unir plusieurs personnes sans séparation ni confusion. Paul y rajoutera le symbolisme de l’union entre le Christ et son Église (Ep 5).

Dans notre évangile, il est remarquable que Jésus se limite à ce premier fondement du mariage : à deux ne faire qu’un. Il ne parle même pas de l’autre utilité du mariage, qui est de faire des enfants pour la survie de l’humanité. De façon singulière, il ancre l’indissolubilité du mariage dans l’union de la chair (au sens large), et non dans la procréation : « ce que Dieu a uni, que l’homme le sépare pas ». Alors qu’il est lui-même célibataire, il magnifie avec gratitude le cri admiratif et étonné d’Adam devenant homme grâce à la parole échangée avec Ève : « voici l’os de mes os et la chair de ma chair ». Autrement dit : l’union dans la chair est pour Jésus une joie créatrice donnée par Dieu pour que le couple rende témoignage au Dieu unique. Ici, il ne finalise pas le mariage par les enfants, mais en lui-même, par l’union dans la chair qui devient ainsi un quasi-sacrement de la communion d’amour caractérisant l’être même de Dieu. C’est bien homme et femme ensemble que le couple est à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons de la réticence biblique vis-à-vis de l’homosexualité : comment le même (homo) pourrait-il témoigner du Tout-Autre (hétéro) ? Comment l’amour du même par le même pourrait-il signifier l’amour de l’autre par l’autre ? La radicale altérité des deux sexes acquiert ainsi une valeur quasi sacramentelle. Il y a là de solides fondements pour développer une mystique proprement chrétienne de la sexualité, un véritable érotisme chrétien [2].

Dans l’évangile de ce dimanche (Mc 10, 2-16), Jésus ne parle pas homosexualité, mais il répond à une question sur le divorce. Concession arrachée à Moïse à cause de la « dureté du cœur » du peuple juif de l’époque, la répudiation est peut-être un moindre mal dans bien des cas, mais reste cependant un mal aux yeux de Jésus. Car elle compromet l’attestation de l’Un. Elle sape la confiance en la puissance de la communion d’amour. Elle érafle l’image de Dieu en chaque être humain, et floute sa ressemblance divine.

La Torah formulait ainsi la possibilité » du divorce (à l’initiative exclusif de l’homme, faut-il le souligner ?) : « Lorsqu’un homme prend une femme et l’épouse, et qu’elle cesse de trouver grâce à ses yeux, parce qu’il découvre en elle une tare, il lui écrira une lettre de répudiation et la lui remettra en la renvoyant de sa maison. » (Dt 24, 1)

 couple dans Communauté spirituelleDeux interprétations existaient pour ce texte. La première, défendue par le célèbre rabbi Shammaï, limitait sévèrement les motifs de répudiation. Au contraire, Hillel, le chef de file de la seconde interprétation, élargissait à l’infini cette liste de motifs. Cette école de pensée détournait ainsi la Loi. Conçue au départ pour protéger les femmes, la lettre de répudiation se retourne contre elles, devenant une arme aux mains de maris peu scrupuleux. Par le recours à cette lettre, les hommes vivent une sorte de polygamie discontinue, affirment leur mépris des femmes, assoient sur elles leur pouvoir et leur autorité et deviennent esclaves de leurs désirs et de leurs pulsions. Par son retour à la volonté première de Dieu, Jésus dénonce l’hypocrisie des hommes et leur dureté : « C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de divorcer de vos femmes ; au commencement, ce n’était pas le cas » (Mt 19,8).

Jésus rappelle que Dieu a voulu un couple solidement uni dans l’amour. Les paroles de Jésus sur le divorce semblent tellement difficiles à mettre en pratique qu’un des pharisiens déclare : « Si telle est la condition de l’homme vis-à-vis de la femme, il vaut mieux ne pas se marier » (Mt 19,10). Pourtant, Jésus ne promulgue pas dans ce texte une nouvelle loi – plus dure que la précédente – sur le mariage et le divorce. Il rappelle simplement la volonté première de Dieu.

 

Respecter la loi de gradualité…

31weja1Ql5L._SX309_BO1,204,203,200_ divorceOn peut donc garder de Moïse et de la Torah le souci d’une pédagogie d’accompagnement des consciences, pour éveiller peu à peu le peuple à un idéal plus grand que ses mœurs actuelles. Concéder le divorce était pour Moïse une patiente éducation de ce « peuple à la nuque raide », afin qu’il découvre peu à peu que ce moindre mal n’est pas le bien désirable. C’est ce que les théologiens moralistes ont fort justement appelé la loi de gradualité : on progresse vers la vérité graduellement, par étapes, rarement en une seule fois. Il nous faut donc accepter humblement un cheminement pédagogique de croissance, pour marcher vers un horizon plus grand que nos pratiques habituelles.

Jean-Paul II en 1981 a donné une claire définition de ce concept de loi de gradualité, qui peut encore inspirer nos approches pastorales :

Il faut une conversion continuelle, permanente, qui, tout en exigeant de se détacher intérieurement de tout mal et d’adhérer au bien dans sa plénitude, se traduit concrètement en une démarche conduisant toujours plus loin. Ainsi se développe un processus dynamique qui va peu à peu de l’avant grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et absolu dans toute la vie personnelle et sociale de l’homme. C’est pourquoi un cheminement pédagogique de croissance est nécessaire pour que les fidèles, les familles et les peuples, et même la civilisation, à partir de ce qu’ils ont déjà reçu du mystère du Christ, soient patiemment conduits plus loin, jusqu’à une conscience plus riche et à une intégration plus pleine de ce mystère dans leur vie. (Familiaris Consortio n° 9)

 

qui n’est pas la gradualité de la Loi

 gradualitéIl précisait aussitôt que la loi de gradualité ne doit pas se dégrader en gradualité de la loi, c’est-à-dire en relativisme abaissant l’exigence à ce que peut en supporter apparemment une génération :

Ils ne peuvent toutefois considérer la loi comme un simple idéal à atteindre dans le futur, mais ils doivent la regarder comme un commandement du Christ Seigneur leur enjoignant de surmonter sérieusement les obstacles. C’est pourquoi ce qu’on appelle la « loi de gradualité » ou voie graduelle ne peut s’identifier à la « gradualité de la loi », comme s’il y avait, dans la loi divine, des degrés et des formes de préceptes différents selon les personnes et les situations diverses. Tous les époux sont appelés à la sainteté dans le mariage, selon la volonté de Dieu, et cette vocation se réalise dans la mesure où la personne humaine est capable de répondre au précepte divin, animée d’une confiance sereine en la grâce divine et en sa propre volonté. (Familiaris Consortio n° 34)

Avec l’individualisme occidental, la « dureté du cœur » atteint des sommets. Le divorce est sans doute un moindre mal indispensable à notre période. Moïse et son sens des concessions nous aident à l’accepter. Jésus nous appelle à ne pas nous y résigner une fois pour toutes, mais revenir à la grandeur première du projet conjugal : à deux ne faire qu’Un, et témoigner ainsi du Dieu-Un, communion d’amour trinitaire conjuguant unité et différences.

Quelle famille aujourd’hui n’est pas traversée par la réalité – souvent douloureuse – d’une séparation impactant les enfants et la société tout entière ? La radicale exigence de Jésus sur l’indissolubilité du mariage ne doit pas nous désespérer. Elle est là pour nous faire relever la tête, imaginer dès maintenant une autre façon de vivre à deux (de vivre ‘à Dieu’, pourrait-on dire !). À travers l’union de la chair (de toutes les chairs : personnelle, économique, sociale, professionnelle…), les époux rendent au monde le témoignage de l’unité divine et restaurent notre ressemblance à cet amour divin capable d’unir dans la différence.

Sinon, sans ce témoignage, comment croire en un Dieu-Trinité ?

 


[1]. Matthieu prévoit une clause d’exception dans la parole de Jésus : selon lui (Mt 19,9), le divorce est interdit, sauf en cas de porneia (union illégitime). Le terme grec se réfère à une situation spécifique présente uniquement dans la communauté de Matthieu à l’époque (le mariage entre personnes de même sang ou de relation légale Lv 18: 6-18), et donc non applicable en général.

[2]. Cf. Benoît XVI, Deus est caritas nos 150-152, 2005 et Pape François, Amoris laetitia nos 3-7, 2016.

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Tous deux ne feront plus qu’un » (Gn 2, 18-24)

Lecture du livre de la Genèse

Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. » Avec de la terre, le Seigneur Dieu modela toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l’homme pour voir quels noms il leur donnerait. C’étaient des êtres vivants, et l’homme donna un nom à chacun. L’homme donna donc leurs noms à tous les animaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs. Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde. Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place. Avec la côte qu’il avait prise à l’homme, il façonna une femme et il l’amena vers l’homme. L’homme dit alors : « Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme – Ishsha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish. » À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un.

Psaume
(Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-6)
R/ Que le Seigneur nous bénisse tous les jours de notre vie ! (cf. Ps 127, 5ac)

Heureux qui craint le Seigneur
et marche selon ses voies !
Tu te nourriras du travail de tes mains :
Heureux es-tu ! À toi, le bonheur !

Ta femme sera dans ta maison
comme une vigne généreuse,
et tes fils, autour de la table,
comme des plants d’olivier.

Voilà comment sera béni l’homme qui craint le Seigneur.
De Sion, que le Seigneur te bénisse !
Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie,
et tu verras les fils de tes fils. Paix sur Israël.

Deuxième lecture
« Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine » (He 2, 9-11)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, Jésus, qui a été abaissé un peu au-dessous des anges, nous le voyons couronné de gloire et d’honneur à cause de sa Passion et de sa mort. Si donc il a fait l’expérience de la mort, c’est, par grâce de Dieu, au profit de tous. Celui pour qui et par qui tout existe voulait conduire une multitude de fils jusqu’à la gloire ; c’est pourquoi il convenait qu’il mène à sa perfection, par des souffrances, celui qui est à l’origine de leur salut. Car celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés doivent tous avoir même origine ; pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères.

Évangile
« Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mc 10, 2-16) Alléluia. Alléluia.
Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous ; en nous, son amour atteint la perfection. Alléluia. (1 Jn 4, 12)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, des pharisiens abordèrent Jésus et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Jésus leur répondit : « Que vous a prescrit Moïse ? » Ils lui dirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation. » Jésus répliqua : « C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle. Mais, au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » De retour à la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question. Il leur déclara : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle. Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère. »
Des gens présentaient à Jésus des enfants pour qu’il pose la main sur eux ; mais les disciples les écartèrent vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.
Patrick BRAUD

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4 août 2019

Avec le temps…

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Avec le temps…

Homélie pour le 19° Dimanche du temps ordinaire / Année C
11/08/2019

Cf. également :

Restez en tenue de service
Agents de service
Jesus as a servant leader
Éveiller à d’autres appétits

Avec le temps
avec le temps, va, tout s’en va
on oublie le visage et l’on oublie la voix
le cœur, quand ça bat plus, c’est pas la peine d’aller chercher plus loin, faut laisser faire et c’est très bien

Avec le temps
avec le temps, va, tout s’en va
l’autre qu’on adorait, qu’on cherchait sous la pluie
l’autre qu’on devinait au détour d’un regard
entre les mots, entre les lignes et sous le fard
d’un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit
avec le temps tout s’évanouit

Avec le temps
avec le temps, va, tout s’en va
mêm’ les plus chouett’s souv’nirs ça t’as un’ de ces gueules
à la gal’rie j’farfouille dans les rayons d’la mort
le samedi soir quand la tendresse s’en va tout’ seule

Avec le temps.
Avec le temps, va, tout s’en va
l’autre à qui l’on croyait pour un rhume, pour un rien
l’autre à qui l’on donnait du vent et des bijoux
pour qui l’on eût vendu son âme pour quelques sous
devant quoi l’on s’traînait comme traînent les chiens
avec le temps, va, tout va bien

Avec le temps
avec le temps, va, tout s’en va
on oublie les passions et l’on oublie les voix
qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid

Avec le temps
avec le temps, va, tout s’en va
et l’on se sent blanchi comme un cheval fourbu
et l’on se sent glacé dans un lit de hasard
et l’on se sent tout seul peut-être mais peinard
et l’on se sent floué par les années perdues- alors vraiment
avec le temps on n’aime plus

La célèbre chanson triste de Léo Ferré (1970) vient inévitablement à trotter dans la tête en entendant l’Évangile de ce dimanche (Lc 12, 32-48) :

« Si le serviteur se dit en lui-même : ‘Mon maître tarde à venir’, et s’il se met à frapper les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, il l’écartera et lui fera partager le sort des infidèles. »

Jésus décrit l’effet du temps qui passe sur les serviteurs attendant le retour de leur maître. Au début on est fidèle, voire enthousiaste. Puis viennent les premières difficultés pour les chrétiens : les persécutions, les dénonciations, les trahisons, les lapsi (ceux qui renient leur baptême sous la menace du pouvoir) etc. Pire encore : avec le temps, les clercs eux-mêmes céderont aux tentations de la richesse, de l’abus de pouvoir, de la violence envers ceux qui pensent différemment etc. Les papes seront complices des pires crimes, des évêques s’enrichiront, mèneront une double vie, conduiront des croisades, des prêtres sombreront dans l’alcoolisme… On peut dire que Jésus est réaliste et par avance a averti ses disciples de la corruption généralisée qui va abîmer l’Église au cours des siècles, et les scandales actuels ne sont hélas que le prolongement de cette dégradation ecclésiale avec le temps.

Il y a d’ailleurs une analogie possible avec la dégradation de l’amour conjugal que pleurait Léo Ferré.

L'Usure du tempsAvec le temps, l’habitude et la routine s’installent entre les deux qui se découvraient avec émerveillement au début. La répétition usante de tous ces ‘comme d’habitude’ (clin d’œil à Claude François) peut lentement tuer le sentiment d’origine, un peu comme le frottement de la corde sur le rocher peut l’effilocher jusqu’à la rupture. De même, la répétition des gestes liturgiques identiques pendant des siècles peut devenir obsessionnelle, et engendrer chez les clercs un rubricisme liturgique sans âme qui fait fuir les fidèles.

Avec le temps, la tentation d’aller voir ailleurs est quasi inévitable dans un couple. D’autant plus que le doublement ou triplement de l’espérance de vie oblige à durer si longtemps ensemble qu’il est évident que l’infidélité, passagère ou durable, est hautement plus probable. Si plus d’un mariage sur deux se termine par un divorce en France, c’est bien parce que les années multiplient les occasions d’essayer d’autres partenaires, surtout si la grisaille de la routine a terni l’élan originel. De même, avec la mondialisation qui élargit l’offre religieuse, il est tentant pour les chrétiens d’aller voir ailleurs : le bouddhisme et autres philosophies orientales séduisent beaucoup les occidentaux, l’islam désormais proche devient un autre possible, l’athéisme tranquille sous sa forme de désintérêt pour l’au-delà devient la norme… Et ce d’autant plus que le christianisme souffre de sa position majoritaire voire ultra-dominante en Occident dans les siècles passés, et apparaît ainsi comme une vieille dame qui n’a plus grand-chose à offrir.

Avec le temps, les objectifs vrais de chacun dans le couple émergent, souvent incompatibles. La carrière professionnelle, le nombre et la place des enfants, la réussite sociale, amicale, associative, le rapport à l’argent, la spiritualité : si le sentiment n’a pas dès le début intégré la poursuite d’objectifs et d’activités communes, la divergence des intérêts de chacun rendra l’éloignement du cœur quasi inévitable. De même, les objectifs du Christ et ceux de l’Église connaîtront des périodes de tensions et de contradictions dramatiques. Non-violence, pauvreté, esprit de service, défense des petits, attente du Royaume de Dieu d’un côté, et exactement l’inverse de l’autre…

Tant d’autres facteurs peuvent séparer ceux qui s’aiment ! La différence de maturité, ou la maturité tardive par exemple : beaucoup ne deviennent vraiment adultes, conscients de leurs désirs et de leur personnalité, qu’après la trentaine. Or la vie en couple commence d’autant plus tôt que la maturité arrive plus tard : il est logique que les séparations soient très fréquentes dans les dix premières années de vie commune. De même, une forte proportion des nouveaux baptisés adultes abandonne en pratique l’Église dans les dix premières années après leur baptême. On pourrait citer encore le poids des familles, l’idéologie ambiante donnant tous les droits à la revendication strictement individuelle, le relativisme généralisé qui fait que tout se vaut même en matière familiale etc.

Décidément, le constat désabusé de Léo Ferré est peut-être en deçà de la réalité : avec le temps, un couple sur deux s’autodétruira, sans garantie de qualité ni de durée pour les survivants…

Il y a un petit parfum de Qohélet dans cette litanie des effets du temps sur l’amour ou sur la foi : « vanité des vanités, tout est vanité ». Pourtant, si Jésus est réaliste dans sa parabole du maître absent longtemps, ce n’est pas pour désespérer ses disciples. C’est pour les avertir : lorsque ces événements arriveront, courage, relevez la tête, ne vous laissez pas abattre !

De fait, dans l’histoire, à chaque fois que l’usure du temps a fait chuter l’Église, des réactions salutaires ont permis au Peuple de Dieu de ne pas sombrer avec l’infidélité du moment.

Le Veau d'Or : Ex 32-34- Au désert pendant l’Exode, alors que Moïse tardait à descendre de la montagne où il était parti chercher les 10 commandements (l’usure du temps), le peuple s’est fondu un veau d’or, retrouvant ainsi l’idolâtrie. Moïse, de colère, a brisé les tables de la Loi, et obligé les Hébreux à boire l’or fondu de l’idole. Mais ensuite il a intercédé pour eux et obtenu les nouvelles tables de la Loi, de faire jaillir l’eau du rocher ou de guérir des serpents grâce au serpent de bronze. Finalement, l’impatience du peuple aura engendré la tradition orale (les tables brisées), le ministère de Moïse, d’Aaron et des 70, les 40 ans de maturation au désert etc. Pas si mal !

- Israël s’est ensuite installé en Canaan en oubliant progressivement (l’effet du temps toujours) que cette terre lui avait été donnée par Dieu pour le servir. Le peuple a voulu croire que cette terre, il l’avait conquise par ses seules forces et son mérite pour s’enrichir et dominer sur ses voisins. Le conflit israélo-palestinien ne date pas de 1948…
La tentation d’être « une nation comme les autres » a fait surgir l’envie de royauté (alors que YHWH seul est roi sur Israël), d’un Temple magnifique à Jérusalem (alors que le vrai sanctuaire de Dieu, c’est nous) où l’on peut mettre la main sur Dieu grâce aux sacrifices d’animaux (or le vrai sacrifice, c’est un cœur brisé par le repentir) etc. La réaction divine à cette tentation d’installation temporelle d’Israël sur sa terre a d’abord été l’appel des prophètes qui ont osé critiquer ouvertement – à leurs dépens – les dérives royales et sacerdotales. Les livres prophétiques de la Bible témoignent de la pédagogie divine : inlassablement, il envoie ses serviteurs rappeler l’Alliance, la Torah, l’amour de Dieu. Lorsque cette litanie interminable de prophètes se révèle finalement inefficace, Dieu se résout (c’est du moins l’interprétation biblique) à la catastrophe de l’Exil à Babylone en -587, avec la déportation du roi Sédécias et la destruction du Temple de Jérusalem. Il faudra à nouveau de longues années de réflexion en exil, et des prophètes comme Isaïe ou Osée, pour que le retour devienne possible, avec une réforme religieuse de grande ampleur pour revenir à l’Alliance du Sinaï. Hélas, quelques siècles après, (l’effet du temps encore) les Romains achèveront de ruiner l’État d’Israël et disperseront le peuple dans tout l’empire.

L’histoire de l’Église (des Églises !) n’échappe pas à cette usure du temps et aux réactions salutaires qui heureusement la rénovent périodiquement.

Vieille église délabrée du 17ème siècle Banque d'images - 14204713- Dès la fin des persécutions, avec l’empereur Constantin, l’Église s’installe dans le pouvoir politique, la possession des richesses, le baptême de convenance.
Heureusement, des figures extraordinaires ont protesté contre ce glissement ecclésial vers le temporel et dénoncé ses excès. Ce sont les ermites, ceux qu’on appelle les Pères du désert : fuyant au désert en Égypte ou ailleurs, ils mènent une vie simple, pauvre, fraternelle, dans la contemplation et la louange, tout en ayant un immense rayonnement intellectuel et spirituel.

- Du III° siècle au Moyen Âge, les séparations vont se succéder, comme dans un couple moderne ! Les hérésies des premiers siècles ont largement déchiré l’unité ecclésiale du début. Le schisme Orient – Occident de 1054 aura des conséquences dramatiques pour les chrétiens d’Orient face à l’islam notamment. Le schisme d’Occident autour de Luther et de sa réforme au XVI° siècle fera couler le sang et la division dans toute l’Europe, en contradiction flagrante avec l’Évangile dont chaque Église se réclame.
Heureusement, le mouvement œcuménique né au XX° siècle entreprend de réparer patiemment ces déchirures : les excommunications réciproques sont levées, des avancées sans précédent sont conclues, du mariage mixte à une traduction commune de la Bible en passant par la reconnaissance du baptême de chaque Église etc.

Avec le temps... dans Communauté spirituelle Francois-va-224x300- Régulièrement, l’Église (les Églises) s’est assoupie au fil des siècles, s’embourbant dans l’argent, le pouvoir, le sexe. En France, l’anticléricalisme se nourrit toujours de siècles d’exploitation du peuple par les clercs, des abus de richesse et de domination de la part des évêques ou des abbés des monastères.
Heureusement, des réformateurs se sont régulièrement levés pour purifier l’Église (les Églises) en revenant à la radicalité de l’Évangile. Ainsi les béguines dans le nord de l’Europe ont inventé dès le XII° siècle une vie fraternelle dont l’indépendance féminine était novatrice. François d’Assise au XIII° siècle a été le pacificateur de l’Europe du Sud en adoucissant le capitalisme naissant grâce à ses communautés franciscaines simples et pauvres, et en prêchant le retour à l’Évangile dans une Église corrompue. Les religieuses ont anticipé le service des malades, des enfants, des vieillards que la république laïque reprendra et prolongera. Les figures de sainteté se sont multipliées, particulièrement en France, corrigeant les dérives ecclésiales grâce à leurs choix de vie évangélique, enthousiasmant des croyants comme au début de l’aventure avec le Christ.

Réparons l’Église : prenez la parole

Que retenir de cette comparaison entre l’usure de l’amour dans un couple et dans l’Église ?

1. Le premier élément encourageant est que chaque abus ou dérive a provoqué une réaction salutaire proportionnée. Soyons donc fermes dans notre foi : Dieu n’abandonne pas son peuple à ses contradictions, il l’accompagne en suscitant sans cesse les prophètes, les saints, les réformateurs dont nous avons besoin pour surmonter les crises et aller de l’avant.

2. Le deuxième élément encourageant est que le retour à l’Évangile constitue toujours l’élément structurant de la réponse à l’usure du temps. C’est en revenant à la pauvreté, la fraternité, à l’espérance incarnée par le Christ que l’Église, son épouse, a été profondément rajeunie et renouvelé lors des mues de son histoire.

Prenons ces deux points pour nous pareillement :

- ne pas douter que chaque crise due au temps qui passe (que ce soit dans le couple, la famille ou la foi) générera pour moi son antidote ;

- revenir régulièrement à l’Évangile, seul garant de la fidélité à l’amour des origines.

Alors le triste constat de Léo Ferré se changera en chant d’espoir d’Apocalypse : « un jour, Dieu sera tout en tous ».

 

Lectures de la messe

Première lecture
« En même temps que tu frappais nos adversaires, tu nous appelais à la gloire » (Sg 18, 6-9)

Lecture du livre de la Sagesse

La nuit de la délivrance pascale avait été connue d’avance par nos Pères ; assurés des promesses auxquelles ils avaient cru, ils étaient dans la joie. Et ton peuple accueillit à la fois le salut des justes et la ruine de leurs ennemis. En même temps que tu frappais nos adversaires, tu nous appelais à la gloire. Dans le secret de leurs maisons, les fidèles descendants des justes offraient un sacrifice, et ils consacrèrent d’un commun accord cette loi divine : que les saints partageraient aussi bien le meilleur que le pire ; et déjà ils entonnaient les chants de louange des Pères.

Psaume
(Ps 32 (33), 1.12, 18-19,20.22)
R/ Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu.
(Ps 32, 12a)

Criez de joie pour le Seigneur, hommes justes !
Hommes droits, à vous la louange !
Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu,
heureuse la nation qu’il s’est choisie pour domaine !

Dieu veille sur ceux qui le craignent,
qui mettent leur espoir en son amour,
pour les délivrer de la mort,
les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :
il est pour nous un appui, un bouclier.
Que ton amour, Seigneur, soit sur nous
comme notre espoir est en toi !

Deuxième lecture
« Abraham attendait la ville dont le Seigneur lui-même est le bâtisseur et l’architecte » (He 11, 1-2.8-19)

Lecture de la lettre aux Hébreux

Frères, la foi est une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas. Et quand l’Écriture rend témoignage aux anciens, c’est à cause de leur foi.
Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait.
Grâce à la foi, il vint séjourner en immigré dans la Terre promise, comme en terre étrangère ; il vivait sous la tente, ainsi qu’Isaac et Jacob, héritiers de la même promesse, car il attendait la ville qui aurait de vraies fondations, la ville dont Dieu lui-même est le bâtisseur et l’architecte.
Grâce à la foi, Sara, elle aussi, malgré son âge, fut rendue capable d’être à l’origine d’une descendance parce qu’elle pensait que Dieu est fidèle à ses promesses. C’est pourquoi, d’un seul homme, déjà marqué par la mort, a pu naître une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, une multitude innombrable.
C’est dans la foi, sans avoir connu la réalisation des promesses, qu’ils sont tous morts ; mais ils l’avaient vue et saluée de loin, affirmant que, sur la terre, ils étaient des étrangers et des voyageurs. Or, parler ainsi, c’est montrer clairement qu’on est à la recherche d’une patrie. S’ils avaient songé à celle qu’ils avaient quittée, ils auraient eu la possibilité d’y revenir. En fait, ils aspiraient à une patrie meilleure, celle des cieux. Aussi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu, puisqu’il leur a préparé une ville.
Grâce à la foi, quand il fut soumis à l’épreuve, Abraham offrit Isaac en sacrifice. Et il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses et entendu cette parole : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom. Il pensait en effet que Dieu est capable même de ressusciter les morts ; c’est pourquoi son fils lui fut rendu : il y a là une préfiguration.

Évangile
« Vous aussi, tenez-vous prêts » (Lc 12, 32-48)
Alléluia. Alléluia.
Veillez, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y pensez pas que le Fils de l’homme viendra. Alléluia. (cf. Mt 24, 42a.44)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, là où le voleur n’approche pas, où la mite ne détruit pas. Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Amen, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir. S’il revient vers minuit ou vers trois heures du matin et qu’il les trouve ainsi, heureux sont-ils ! Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure le voleur viendrait, il n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. Vous aussi, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. » Pierre dit alors : « Seigneur, est-ce pour nous que tu dis cette parabole, ou bien pour tous ? » Le Seigneur répondit : « Que dire de l’intendant fidèle et sensé à qui le maître confiera la charge de son personnel pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ? Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi ! Vraiment, je vous le déclare : il l’établira sur tous ses biens. Mais si le serviteur se dit en lui-même : ‘Mon maître tarde à venir’, et s’il se met à frapper les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, il l’écartera et lui fera partager le sort des infidèles. Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n’a rien préparé et n’a pas accompli cette volonté, recevra un grand nombre de coups. Mais celui qui ne la connaissait pas, et qui a mérité des coups pour sa conduite, celui-là n’en recevra qu’un petit nombre. À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage. » Patrick BRAUD

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12 mars 2018

Grain de blé d’amour…

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Grain de blé d’amour…

Homélie du 5° Dimanche de Carême / Année B
18/03/2018

Cf. également :

La corde à nœuds…
Qui veut voir un grain de blé ?
Amoris laetitia : la joie de l’amour
Le mariage et l’enfant : recevoir de se recevoir


Léa et Paul se sont mariés en choisissant l’évangile de ce Dimanche (Jn 12, 20-26) où Jésus se compare au grain de blé jeté en terre. Et c’est vrai qu’il y a un lien entre l’aventure conjugale / familiale et celle du grain de blé.
Essayons de voir comment.

Au commencement, il y a le désir…

Désir d’une rencontre vraie : « Nous voulons voir Jésus ». Désir de la rencontre de l’autre, car entre les Grecs et les Juifs de l’époque, la différence doit être aussi radicale qu’entre Juifs et Palestiniens aujourd’hui… En choisissant cet Évangile, Léa et Paul ont placé d’emblée leur mariage sous le signe du désir de l’autre, et plus précisément de la croissance dans le désir de l’autre, croissance à la quelle Jésus nous appelle tout au long de notre existence.

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La première différence, la première altérité, c’est la différence homme / femme, qui nous structure très profondément. Les fiancés croient peut-être connaître avant de se rencontrer, par leurs amitiés, leurs relations de travail etc… Mais dès qu’ils sont proches l’un de l’autre, depuis les fiançailles où cette proximité devient une promesse d’avenir, ils n’en finissent pas de découvrir combien le respect de cette différence demande du temps, de la patience, de l’écoute, du dialogue, du pardon … Au-delà des clichés trop faciles sur les soi-disant caractéristiques du féminin et du masculin, le véritable enjeu de l’identité homme / femme, c’est de sortir de soi, sortir du « même », pour aller à la rencontre de l’autre. Et d’ailleurs, cette irréductible altérité homme / femme se redouble de beaucoup d’autres différences : deux éducations familiales, deux histoires personnelles, deux caractères, Paris et la province, la Hollande et la France, la Banque et l’Éducation Nationale …

Heureuses différences qui sont le carburant de votre rencontre : « je veux voir l’autre … »

Dans la foi chrétienne, nous croyons que le visage de l’être aimé, lorsqu’il est désiré pour lui-même et non pas dans nos projections imaginaires, ce visage devient sacrement de la rencontre de Dieu. « Il est possible, à partir de l’autre relativement autre que nous voyons, de pressentir l’Autre absolument autre que nous ne voyons pas et appelons Dieu » [1]. Voilà pourquoi la recherche du visage aimé renvoie à Dieu lui-même.

À condition de rester vigilant sur son couple, pour que l’usure du temps n’émousse pas ce désir. Mais qu’au contraire, la durée permette à cette recherche amoureuse de grandir et de croître sans cesse. Il faut insister sur cette vigilance : rester en éveil, renouveler à chaque instant sa confiance et sa fidélité, raviver jour après jour la soif de la communion avec l’être aimé, se laisser étonner par ce qu’on ne finit pas de découvrir chez son mari ou sa femme, être capable de l’étonner encore, 10 ou 20 ou 50 ans après!…

Au IV° siècle, un évêque (Grégoire de Nysse) parlait déjà de cet infini du désir qui interdit de figer la course vers l’être aimé :

« Au fur et à mesure que quelqu’un progresse vers ce qui surgit toujours en avant de lui, son désir augmente lui aussi. Ainsi, à cause de la transcendance des biens qu’il découvre toujours à mesure qu’il progresse, il lui semble toujours n’être qu’au début de l’ascension. C’est pourquoi la Parole répète : ‘Lève-toi’ à celui qui est déjà levé, et : ‘Viens’ à celui qui est déjà venu. À celui qui se lève vraiment, il faudra toujours se lever. Celui qui court vers le Seigneur n’épuisera jamais la large espace pour sa course.

Ainsi celui qui monte ne s’arrête jamais, allant de commencements en commencements, par des commencements qui n’auront jamais de fin ». « Car c’est là proprement voir Dieu que de n’être jamais rassasié de le désirer » [2]

Chasse à courre 1

« Nous voulons voir Jésus » est l’autre versant de votre propre recherche amoureuse : « je veux découvrir qui tu es, et je n’aurai jamais assez de toute ma vie pour cela ».

Ensuite, il y a le jeu de l’écho, qui amplifie et répercute ce désir de l’autre. Les Grecs le disent à Philippe, qui le dit à André, et tous les deux le transmettent à Jésus. Mais c’est déjà l’Église qui apparaît là! L’Église, comme un réseau de liens fraternels, pour que ma recherche aboutisse. Une sorte d’Internet à la puissance 10, et mieux encore, car ce sont ici des visages et pas seulement des écrans … L’Église est ce lieu où nous pouvons dire le manque qui nous habite, la soif qui nous tient, l’envie de vivre que nous creusons en la partageant avec des frères. L’Église est cette eau tendue qui soutient nos rebonds successifs dans la recherche de l’autre, jusqu’à faire ricocher jusqu’aux nuages ce galet nommé désir…

Par la vie paroissiale ou par les pèlerinages, par des équipes de partage ou par la formation spirituelle et théologique, certains fiancés ont déjà expérimenté la force de ce soutien fraternel. Dans leur vie de couple et de famille, ils continueront à tisser ces liens ecclésiaux : ils les aideront à rester vigilants et confiants.

L’Évangile nous dit ensuite que la rencontre entre les Grecs et Jésus a lieu pendant la fête, c’est-à-dire la grande, l’unique fête de la Pâque. Que le mariage soit une fête, parce qu’on y rencontre l’être aimé, c’est évident. Il n’y a rien à renier de la fête humaine que le Christ a voulu assumer en prolongeant la joie de la noce, pour qu’elle dure toute la vie et pas seulement une soirée. Si le mariage est une fête, c’est surtout une fête pascale, c’est-à-dire une fête où l’amour de l’autre vous libère peu à peu de nos enfermements, de nos solitudes, une fête où la confiance en l’autre nous fait passer de la mort à la vie.

Et là, l’histoire du grain de blé que nous propose Jésus est très parlante. Se marier, c’est accepter de se laisser transformer par l’autre, pour ne plus rester seul. C’est consentir à se laisser aimer pour ne plus vivre centré sur soi. C’est accepter de se laisser faire, comme le grain de blé, pour pouvoir porter du fruit. La mort et la Résurrection est au cœur de votre amour, qui est pascal, comme cela est au cœur de l’amour du Christ, que nous célébrons dans l’eucharistie. En buvant ensemble à la même coupe, les mariés expriment la dimension pascale de la relation entre l’homme et la femme : aimer, c’est se désaltérer à la même source, boire ensemble le même calice, verser son sang, livrer sa vie. Lorsque les mariés donnent la communion eucharistique à l’assemblée, ils nous rappellent que l’Église est une communion qui se nourrit de leur amour lorsqu’ils le vivent dans l’Esprit du Christ.

Pourtant, que de résistances mettons-nous avant d’accepter de lâcher-prise ainsi sur notre propre vie ! Souvenez-vous de votre période d’apprivoisement réciproque, et de tous les décapages que ce temps de préparation vous a permis de faire. Eh oui !, le petit grain de blé était plus tranquille avant, ‘en père peinard’ dans son grenier, en tas avec les autres [3]. Un certain bonheur, qui était le vôtre quand vous étiez célibataires : un appartement, du travail, des amis, la liberté d’improviser votre emploi du temps, que demander de plus ? Et pourtant, il vous manquait quelque chose, ou plutôt quelqu’un, et ce bonheur vous semblait trop petit, un peu étroit…

calendrier amour dans Communauté spirituelle

Un jour, on charge ce tas de grains de blé sur une charrette et on le sort dans la campagne. C’est le début de l’ouverture à l’autre, avec un petit côté excitant pas désagréable… : ça se passe bien, il y a plein de gens nouveaux à découvrir, tout en gardant sa liberté.

41rgwvtZoqL bléPuis on verse les grains sur la terre fraîchement labourée : petit frisson d’un contact plus personnel, d’une proximité avec un corps étranger à la fois inquiétant et attirant.

Puis on enfonce le grain de blé tombé en terre. Et là, le grain de blé se demande s’il n’a pas fait une grosse bêtise en se laissant conduire jusque-là. Il ne voit plus rien, il n’entend plus rien, l’humidité le transperce jusqu’au dedans de lui-même… Le grain de blé qui, par la mort inévitable, est en train d’être transformé, de devenir ce qu’il doit être, c’est-à-dire un bel épi, regrette le grenier où en effet il était très heureux, mais heureux d’un petit bonheur humain. Sa tentation est alors de faire machine arrière, de céder à la panique, de refuser de se laisser faire. C’est dommage, car c’est précisément là que Dieu agit : le Dieu qui le transforme, pour le faire passer de l’état de grain à l’état d’épi, ce qui n’est possible que par une mort à soi-même et une nouvelle naissance. Dieu veut notre croissance, et il n’y a pas de croissance sans transformation.

Le mariage est notre Pâque, notre croissance personnelle par l’autre, grâce à l’autre. À condition d’aimer l’autre pour lui-même, tel qu’il est en vérité, et non pas pour ce qu’il me donne ou ce que je rêve de lui. Ce qui implique de savoir mourir à une certain possession de l’autre, pour naître à une attitude de service de sa croissance à lui. C’est cela la chasteté dans l’amour : c’est cette dépossession enrichissante où je renonce à utiliser l’autre pour mon bonheur, et où je commence à servir sa croissance, son épanouissement. C’est cela la dimension pascale de l’amour humain : passer du désir de l’autre – ce qui est encore trop possessif – au désir du désir de l’autre, ce qui est crucifiant, mais véritablement libérateur et fécond.

Désirer le désir de l’autre… : vous le vivez dans le couple, en renonçant à mettre la main sur le mystère de l’être aimé. Vous le vivez également comme parents, en renonçant à utiliser vos enfants pour vous-mêmes. Vous vivez ainsi à votre tour les ruptures familiales qui vous feront grandir. Quand vos propres enfants deviendront différents, ce sera votre joie de voir partir ceux que vous aurez aidé à grandir, sans les posséder jamais…

Bien sûr, sur ce chemin de croissance, il faut savoir quitter. Au début, les pertes sont visibles et conséquentes : son indépendance, ses habitudes, quelque fois sa région, ses amis, sa famille… Avec le temps, elles deviennent plus subtiles, plus difficiles : quitter ses certitudes toutes faites, son égoïsme, sa nostalgie… Mais au même moment, il vous sera donné à chaque fois de faire l’expérience de la joie et de la fécondité de cette Pâque permanente : votre couple, vos enfants, votre travail, vos engagements vous rendront féconds, avec la même efficacité que l’épi par rapport au grain de blé : 100, 1000 pour 1 ! Un tel rendement mérite bien un investissement massif et sans réserve…

Vous devinez que l’histoire du grain de blé n’est pas seulement celle du début : vous pourrez la relire encore en fêtant vos noces d’or, ce sera toujours votre histoire du moment… Puissiez-vous choisir chaque jour de vous laisser faire ainsi par la puissance de l’amour, pour notre plus grand bonheur à nous qui pourrons nous nourrir des fruits qu’ensemble vous porterez. Savourez sans cesse la croissance en épis que Dieu vous donne d’offrir à l’autre, dans et par votre amour…

 


[1]. VARILLON F., L’humilité de Dieu, Le Centurion, Paris, 1974, p. 39.

[2]. Homélies sur le Cantique des Cantiques.

[3]. Cf. VARILLON F., Joie de croire, joie de vivre, Le Centurion, Paris, 1981, p. 38s.

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Je conclurai une alliance nouvelle et je ne me rappellerai plus leurs péchés » (Jr 31, 31-34)

Lecture du livre du prophète Jérémie
Voici venir des jours – oracle du Seigneur –,où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle.Ce ne sera pas comme l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères,le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte :mon alliance, c’est eux qui l’ont rompue,alors que moi, j’étais leur maîtreoracle du Seigneur.
Mais voici quelle sera l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passésoracle du Seigneur.Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ;je l’inscrirai sur leur cœur.Je serai leur Dieu,et ils seront mon peuple.Ils n’auront plus à instruire chacun son compagnon,ni chacun son frère en disant :« Apprends à connaître le Seigneur ! » Car tous me connaîtront,des plus petits jusqu’aux plus grandsoracle du Seigneur.Je pardonnerai leurs fautes,je ne me rappellerai plus leurs péchés.

PSAUME(50 (51), 3-4, 12-13, 14-15)
R/ Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu. (50, 12a)

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ;
vers toi, reviendront les égarés.

DEUXIÈME LECTURE
« Il a appris l’obéissance et est devenu la cause du salut éternel » (He 5, 7-9)

Lecture de la lettre aux Hébreux
Le Christ,pendant les jours de sa vie dans la chair,offrit, avec un grand cri et dans les larmes,des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort,et il fut exaucé en raison de son grand respect.Bien qu’il soit le Fils,il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection,il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

ÉVANGILE
« Si le grain de blé tombé en terre meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 20-33)
Gloire à toi, Seigneur,gloire à toi.
Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive,dit le Seigneur ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur.
Gloire à toi, Seigneur,gloire à toi. (Jn 12, 26)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là,il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque.Ils abordèrent Philippe,qui était de Bethsaïde en Galilée,et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. » Philippe va le dire à André,et tous deux vont le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclare :« L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ;mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir,qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.
Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ?Père, sauve-moi de cette heure” ?Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci !Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait :« Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient :« C’est un ange qui lui a parlé. » Mais Jésus leur répondit :« Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.
Patrick BRAUD

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20 avril 2016

Amoris laetitia : la joie de l’amour

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Amoris laetitia : la joie de l’amour

 

Homélie du 5° dimanche de Pâques / Année C
24/04/16

Cf. également :

Persévérer dans l’épreuve

Comme des manchots?

Dieu est un trou noir

 

Aimez-vous les uns les autres

« Aimez-vous les uns les autres » est devenu à juste titre le slogan-clé de la foi chrétienne. À tel point qu’on peut dire sans caricaturer que le christianisme est d’abord la religion de l’amour, alors que le judaïsme est la religion de l’éthique et l’islam de l’obéissance.

Cette caractérisation par l’amour mutuel s’enracine notamment dans notre passage de Jn 13, 31-35. Seul hic ! : on omet souvent la deuxième partie de la phrase : « aimez-vous les uns les autres… comme je vous ai aimé ». Si on ne rapporte pas l’amour aux paroles et aux actes du Christ, on risque de canoniser chacun notre propre conception de l’amour, oubliant ainsi la dimension de conversion nécessaire pour arriver à aimer vraiment.

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L’amour est une révélation

En écoutant Jésus supplicié pardonner à ses bourreaux et prier pour eux, on devine l’ampleur de l’amour des ennemis auxquels nous sommes appelés.

En voyant Jésus enfant rester au Temple de Jérusalem sans ses parents, ou Jésus adulte dire « femme » à sa mère, on se dit que l’amour envers nos parents n’est peut-être pas ce que l’on nous en dit.

À s’étonner de la familiarité de ce prophète avec les mal-aimés et les pécheurs publics de son époque, on pressent que l’amour de l’autre devrait chambouler les barrières sociales.

À suivre ce jeune homme célibataire dans sa liberté envers les femmes, dans son accueil inconditionnel des exclus, dans sa compassion envers les estropiés de la vie en tout genre, mais aussi dans son amitié avec des riches, des puissants et des savants, on a presque honte de brandir le drapeau de l’amour mutuel pour un petit cercle de quelques personnes seulement…

Décidément, ce que nous appelons aimer n’est pas si naturel que cela, mais relève davantage d’une révélation que d’une évidence.

Il y a quelques années, Benoît XVI avait longuement et profondément médité sur l’amour divin, à la source de tout amour (dans son encyclique « Deus est caritas »). Il avait rappelé la distinction entre l’amour-amitié (philia en grec), l’amour-passion (eros) et l’amour-charité (agapê) en qui tout culmine.

Il y a quelques semaines, le pape François vient de livrer sa propre méditation sur l’amour humain, suite au synode des évêques sur la famille qui a duré deux ans. En voici quelques extraits qui permettent de voir la continuité entre les deux papes, et l’approfondissement de cette phrase : « aimez-vous les uns les autres » en ce qui concerne le couple et la famille.

 

Amoris laetitia

Afficher l'image d'origine·     Bien sûr, le pape François réaffirme la famille comme premier lieu d’expérimentation de l’amour humain :

La force de la famille « réside essentiellement dans sa capacité d’aimer et d’enseigner à aimer. Aussi blessée soit-elle, une famille pourra toujours grandir en s’appuyant sur l’amour ». (n° 53)

 

·     C’est un amour concret, qui doit se traduire en actes, sinon ce n’est qu’un sentiment qui sonne creux, « un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit » comme l’écrit Paul dans son magnifique hymne à l’amour (agapê) en 1Co 13,1-8) :

Dans tout le texte, on voit que Paul veut insister sur le fait que l’amour n’est pas seulement un sentiment, mais qu’il doit se comprendre dans le sens du verbe ‘‘aimer’’ en hébreu : c’est ‘‘faire le bien’’. Comme disait saint Ignace de Loyola, « l’amour doit se mettre plus dans les œuvres que dans les paroles ». Il peut montrer ainsi toute sa fécondité, et il nous permet d’expérimenter le bonheur de donner, la noblesse et la grandeur de se donner pleinement, sans mesurer, gratuitement, pour le seul plaisir de donner et de servir. (n° 94)

 

·     L’amour commence par la politesse de tous les jours, cette amabilité toute simple qui facilite les rapports sociaux :

Aimer c’est aussi être aimable, et là, l’expression asxemonéi prend sens. Elle veut indiquer que l’amour n’œuvre pas avec rudesse, il n’agit pas de manière discourtoise, il n’est pas dur dans les relations. Ses manières, ses mots, ses gestes sont agréables et non pas rugueux ni rigides. Il déteste faire souffrir les autres. La courtoisie « est une école de délicatesse et de gratuité » qui exige « qu’on cultive son esprit et ses sens, qu’on apprenne à sentir, qu’on parle, qu’on se taise à certains moments ». Être aimable n’est pas un style que le chrétien peut choisir ou rejeter : cela fait partie des exigences indispensables de l’amour. (n° 99)

 

·     L’amour de soi est l’une des dimensions de l’amour évangélique :

Une certaine priorité de l’amour de soi-même peut se comprendre seulement comme une condition psychologique, en tant que celui qui est incapable de s’aimer soi-même rencontre des difficultés pour aimer les autres : « Celui qui est dur pour soi-même, pour qui serait-il bon ? […] Il n’y a pas homme plus cruel que celui qui se torture soi-même » (Si 14, 5-6). (n° 101)

C’est sans doute encore plus vrai dans le couple : chacun risque de faire payer à l’autre ce qu’il ne supporte pas chez lui-même, ou ce qu’il n’a pas apaisé dans son histoire personnelle. Ainsi ceux qui ne savent pas exprimer leurs sentiments deviendront durs avec leurs proches ; ceux qui n’ont pas résolu les conflits avec leurs parents les reporteront sur leurs conjoints ou leurs enfants ; ceux qui n’aiment pas leur corps le livreront difficilement à leur conjoint etc.

 

·     L’amour véritable ne cherche pas un bénéfice en retour de (même s’il sait l’accueillir comme un cadeau lorsqu’il vient). Il aime, pour rien, sans raison, sans chercher à être aimé en retour :

Thomas d’Aquin a expliqué « qu’il convient davantage à la charité d’aimer que d’être aimée » et que, de fait, « les mères, chez qui se rencontre le plus grand amour, cherchent plus à aimer qu’à être aimées ». C’est pourquoi l’amour peut aller au-delà de la justice et déborder gratuitement, « sans rien attendre en retour » (Lc 6, 35), jusqu’à atteindre l’amour plus grand qui est « donner sa vie » pour les autres (Jn 15, 13). (n° 102)

Le pape François aurait pu citer ici la prière de son saint patron d’Assise :

[…] O Seigneur, que je ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre, à être aimé qu’à aimer. […]

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·     Le sommet de l’amour est sans doute de l’offrir à ceux qui vous veulent du mal, à ceux qui sont vos ennemis. Et là, le pape catholique n’hésite pas à citer longuement le pasteur protestant Martin Luther King :

Cela me rappelle ces paroles de Martin Luther King, quand il refaisait le choix de l’amour fraternel même au milieu des pires persécutions et humiliations : « Celui qui te hait le plus a quelque chose de bon en lui ; même la nation qui te hait le plus a quelque chose de bon en elle ; même la race qui te hait le plus a quelque chose de bon en elle. Et lorsque tu arrives au stade où tu peux regarder le visage de chaque homme et y voir ce que la religion appelle ‘‘l’image de Dieu’’, tu commences à l’aimer en dépit de [tout]. Peu importe ce qu’il fait, tu vois en lui l’image de Dieu. Il y a un aspect de la bonté dont tu ne peux jamais te défaire […]. Voici une autre façon d’aimer ton ennemi : lorsque tu as l’occasion d’infliger une défaite à ton ennemi, 90 c’est le moment de ne pas le faire […]. Lorsque tu élèves le niveau de l’amour, de sa grande beauté et de sa puissance, tu cherches à vaincre uniquement les mauvais systèmes. Les individus qui sont pris dans ce système, tu les aimes, mais tu cherches à vaincre le système […]. Haine contre haine ne fait qu’intensifier l’existence de la haine et du mal dans l’univers. Si je te frappe et tu me frappes et je te frappe en retour et tu me frappes encore et ainsi de suite, tu vois, cela se poursuit à l’infini. Évidemment, ça ne finit jamais. Quelque part, quelqu’un doit avoir un peu de bon sens, et c’est celui-là qui est fort. Le fort, c’est celui qui peut rompre l’engrenage de la haine, l’engrenage du mal […]. Quelqu’un doit être assez religieux et assez sage pour le rompre et injecter dans la structure même de l’univers cet élément fort et puissant qu’est l’amour ». (n° 118)

Martin Luther King

·     François n’a pas peur, au contraire, d’évoquer la dimension érotique de l’amour chrétien que Benoît XVI avait déjà fondé dans l’Éros de Dieu pour l’homme. Il y consacre trois numéros (150-152) où il décrit la valeur spirituelle de l’érotisme dans le couple, « langage interpersonnel où l’autre est pris au sérieux, avec sa valeur sacrée et inviolable » :

Dieu lui-même a créé la sexualité qui est un don merveilleux fait à ses créatures. Lorsqu’on l’entretient et qu’on évite sa déviance, c’est pour empêcher que ne se produise l’« appauvrissement d’une valeur authentique »

Dans ce contexte, l’érotisme apparaît comme une manifestation spécifiquement humaine de la sexualité. On peut y trouver « la signification conjugale du corps et l’authentique dignité du don ». Dans ses catéchèses sur la théologie du corps humain, saint Jean-Paul II enseigne que la corporalité sexuée « est non seulement une source de fécondité et de procréation » mais qu’elle comprend « la capacité d’exprimer l’amour : cet amour dans lequel précisément l’homme-personne devient don ». L’érotisme le plus sain, même s’il est lié à une recherche du plaisir, suppose l’émerveillement, et pour cette raison il peut humaniser les pulsions.

Par conséquent, nous ne pouvons considérer en aucune façon la dimension érotique de l’amour comme un mal permis ou comme un poids à tolérer pour le bien de la famille, mais comme un don de Dieu qui embellit la rencontre des époux. Étant une passion sublimée par un amour qui admire la dignité de l’autre, elle conduit à être « une pleine et authentique affirmation de l’amour » qui nous montre de quelle merveille est capable le cœur humain, et ainsi pour un moment, « on sent que l’existence humaine a été un succès ». (nos 150-152)

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·     Terminons par le titre de ce texte du pape : la joie de l’amour (Amoris laetitia).

Belle affirmation, directement tirée de l’évangile de Jean là encore : « je vous ai dit cela pour ma joie soit en vous, et que vous soyez comblés de joie » (Jn 15,11).

 

Relisez l’ensemble de ce document pour mesurer à nouveau combien la joie et l’amour sont liés…

 

1ère lecture : « Ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux » (Ac 14, 21b-27)
Lecture du livre des Actes des Apôtres

En ces jours-là, Paul et Barnabé, retournèrent à Lystres, à Iconium et à Antioche de Pisidie ; ils affermissaient le courage des disciples ; ils les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant : « Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. » Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises et, après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes qui avaient mis leur foi en lui. Ils traversèrent la Pisidie et se rendirent en Pamphylie. Après avoir annoncé la Parole aux gens de Pergé, ils descendirent au port d’Attalia, et s’embarquèrent pour Antioche de Syrie, d’où ils étaient partis ; c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu pour l’œuvre qu’ils avaient accomplie. Une fois arrivés, ayant réuni l’Église, ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux nations la porte de la foi.

Psaume : Ps 144 (145), 8-9, 10-11, 12-13ab

R/ Mon Dieu, mon Roi,
je bénirai ton nom toujours et à jamais !
ou : Alléluia. (Ps 144, 1)

Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
la bonté du Seigneur est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce
et que tes fidèles te bénissent !
Ils diront la gloire de ton règne,
ils parleront de tes exploits.

Ils annonceront aux hommes tes exploits,
la gloire et l’éclat de ton règne :
ton règne, un règne éternel,
ton empire, pour les âges des âges.

2ème lecture : « Il essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 21, 1-5a)
Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus. Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari. Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône. Elle disait : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur : ce qui était en premier s’en est allé. » Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. »

Evangile : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres » (Jn 13, 31-33a.34-35)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
Je vous donne un commandement nouveau, dit le Seigneur :
« Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. »
Alléluia. (cf. Jn 13, 34)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt. Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
Patrick BRAUD

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