L'homélie du dimanche (prochain)

10 février 2024

Êtes-vous plutôt colère ou compassion ?

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 10 h 30 min

Êtes-vous plutôt colère ou compassion ?

 

Homélie pour le 6° Dimanche du Temps ordinaire  /  Année B 

11/02/2024

 

Cf. également :
Quand parler ? Quand se taire ?
Fréquenter les infréquentables
Pour en finir avec les lèpres
Carême : quand le secret humanise
Ce n’est pas le savoir qui sauve


Une tente au feu rouge

Êtes-vous plutôt colère ou compassion ? dans Communauté spirituelleÀ 200 m de chez moi, au carrefour, une tente squatte la maigre bande d’herbes entre deux voies. Une silhouette hirsute et barbue en sort entre les gouttes, un gobelet à la main, pour mendier auprès des automobilistes arrêtés au feu. Que faire ? …
Je n’ai jamais réussi à trouver de réponse entièrement satisfaisante à cette interrogation qui se répète des dizaines de fois lorsqu’on circule dans une métropole.

Ma première réaction est la colère.
Colère envers cette société qui malgré son 6° rang mondial tolère encore 330 000 SDF en 2023 (chiffres de la Fondation Emmaüs, en comptant les personnes en hébergement d’urgence). Est-ce si difficile de planifier la construction de 500 000 logements sociaux sur les 10 années qui viennent ? Est-ce impossible d’accompagner les SDF les plus à la dérive pour les réinsérer progressivement ?

Je dois cependant avouer que ma colère est parfois dirigée contre le SDF lui-même : lorsqu’il est suffisamment jeune et en bonne santé pour trouver du boulot facilement, lorsqu’il capitule trop vite en laissant l’alcool le dominer, lorsqu’il laisse la dépression s’installer alors que d’innombrables associations lui tendent la main. Chacun a sa part de responsabilité.

J’ai suffisamment travaillé avec l’une de ces associations qui essaient de les sortir de la rue pour ne pas ignorer combien c’est compliqué. Alors, en repensant aux visages de ceux  qu’on accueillait – et qui sont morts pour la plupart, tant leur espérance de vie est plus courte que la nôtre – je ressens plus de compassion que de colère. Je sais qu’une poignée de main, un sourire, du temps passé à parler, écouter, échanger, jouer aux cartes etc. est plus précieux qu’un billet de 5 € à travers la vitre d’une voiture. Offrir un peu de chaleur humaine et de compréhension est aussi important que d’offrir un panier-repas.

 

Le problème, c’est que la compassion soigne les symptômes, et non les causes. Il y aurait beau y avoir 10 Mère Teresa et 10 Sœur Emmanuelle par pays, cela n’éradiquerait en rien la pauvreté et la misère… Pire encore : la compassion peut avoir des effets pervers, en maintenant les SDF par exemple en état de dépendance alors que la colère pourrait les forcer à vouloir sortir de leur état, ou en permettant à l’État de se défausser sur les associations alors que la colère obligerait à réformer un système entier. Pire encore : on a vu des organisations fondamentalistes comme les Frères Musulmans instrumentaliser la misère en Égypte pour apparaître comme le sauveur du peuple par le biais d’associations de charité auprès des pauvres… La compassion peut devenir le cheval de Troie d’une dictature.

 

Pourquoi évoquer ce dilemme où choisir entre colère et compassion est toujours un mauvais choix ? Parce que les copistes de l’évangile de notre dimanche (Mc 1,40-45) ont eux-mêmes été troublés par l’attitude de Jésus envers le lépreux. Les manuscrits les plus anciens, en grec, parlent de la colère de Jésus : « en colère (ργζω, orgizō), il étendit la main ». Cette réaction violente de Jésus est d’ailleurs renforcée par les deux autres verbes décrivant la suite : « le rudoyant, il le chassa aussitôt ». Bigre ! Engueuler un lépreux parce qu’il lui demande sa guérison, puis le chasser vertement, voilà qui ne correspond pas vraiment au portrait bonhomme d’un gentil Jésus guérisseur !

Les copistes ultérieurs ont été choqués par cette colère de Jésus. Ne pouvant pas la comprendre, ils ont cru à une erreur, ils ont remplacé la colère par la compassion : « Jésus, ému de compassion (σπλαγχνζομαι, splagchnizomai), étendit la main » (traduction liturgique). D’un mot à l’autre, on rétablissait un portrait de Jésus plus rassurant et plus conforme à son image de miséricorde.

Alors : colère ou compassion ?

 

La colère de Jésus

La colère justifiée. Jésus contre les vendeurs du temple.Pourquoi Jésus réagit-il par la colère à cette demande somme toute logique de guérison ? Pas par sentiment d’injustice politique ou sociale : Jésus n’est pas venu inaugurer un royaume terrestre. Pas par ressentiment envers ce lépreux qui ne sait que mendier : Jésus a guéri tant d’autres malades dont la détresse le bouleversait au cœur. Non, mais il faut se souvenir qu’en Mc 1,41 nous sommes au début de l’Évangile. Marc vient de montrer Jésus empêcher les démons de parler pour révéler qui il est vraiment (1,34) : c’est le fameux secret messianique cher à Marc. Et quand Simon et les autres veulent en faire l’exorciste officiel de Capharnaüm (ce qui les aurait bien servis !), Jésus refuse et n’est pas loin de se fâcher : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti » (Mc 1,38).

Jésus est sorti de Nazareth / de Capharnaüm / de la divinité même, afin de proclamer l’Évangile. Et voilà qu’on veut l’enfermer dans un rôle finalement secondaire par rapport à sa mission, en le cantonnant à Capharnaüm : or guérisseur n’est pas Messie, Capharnaüm n’est pas le monde.

 

Le lépreux veut le forcer à briller aux yeux des foules en tant que thaumaturge. Il fait d’ailleurs courir un grand risque à Jésus car certaines lèpres se transmettent par les postillons et pas seulement par le toucher. Dès lors qu’il s’approche pour parler à Jésus de sa guérison, le lépreux le force à réagir sinon il sera contaminé comme lui. Ce coup de force ne plaît pas à Jésus qui lui fait savoir qu’on n’exige pas le don de Dieu, et que réduire la proclamation de l’Évangile aux guérisons spectaculaires est une trahison de sa vocation messianique.

 

Jésus a de quoi être doublement en colère donc : on lui force la main, et on dénature sa mission. Mais cela cadrait assez peu avec l’image que les évangélistes après Marc voulaient transmettre. Alors Matthieu et Luc ont fait disparaître cette colère de Jésus, trop peu conventionnelle à leur goût : « Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : “Je le veux, sois purifié.” Et aussitôt il fut purifié de sa lèpre » (Mt 8,3 ; Lc 5,13). Et les pieux copistes ont ensuite transformé le texte de Marc pour le rendre plus acceptable en remplaçant la colère par la compassion. Ils se souvenaient sans doute de l’avertissement de Jésus lui-même sur la gravité de la colère : « Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. Si quelqu’un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal » (Mt 5,22).

 

Quand on examine les 8 seules occurrences du terme colère dans le Nouveau Testament, on constate que l’épisode du lépreux est l’unique passage où cette colère est attribuée à Jésus. Les 5 autres recours à la colère dans les évangiles sont des figures de style dans des paraboles (Mt 18,34 ; 22,7 ; Lc 14,21 ; 15,28) où le roi / le maître / le fils aîné se mettent en colère contre ceux qui n’acceptent pas leur volonté. Autant dire que cette colère est plutôt négative, comme la colère des nations contre le Messie (Ap 11,18) et du dragon contre la femme (Ap 12,17).

La seule colère de Jésus en Mc 1,41 n’en est que plus impressionnante et significative : renverser un ordre injuste est peut-être plus important que de consoler le pauvre qui en souffre ; trouver un remède et un vaccin compte peut être plus qu’embrasser un lépreux…

 

La compassion de Jésus

 colère dans Communauté spirituelleÉvidemment, à trop durcir les traits positifs de la colère, on peut en devenir inhumain, insensible et froid. Quand les copistes remplaçaient la colère par la compassion, ils n’avaient pas tout à fait tort. Car les 12 usages du mot compassion dans le Nouveau Testament plaident pour un portrait de Jésus pétri d’humanité, se laissant toucher et même bouleverser par le malheur des autres rencontré en chemin. Il est « ému de compassion (σπλαγχνζομαι, splagchnizomai) » devant les foules languissantes et abattues comme des brebis sans berger (Mt 9,36;14,14;15,32 ; Mc 6,34;8,2), devant des aveugles de naissance (Mt 20,34), devant un débiteur incapable de rembourser sa dette (Mt 18,27), devant l’épileptique aux tendances suicidaires (Mc 9,22), devant le chagrin de la veuve de Naïn portant en terre son fils unique (Lc 7,13), à l’image du samaritain touché par la détresse du blessé sur la route (Lc 10,33) ou du père du fils prodigue qui court se jeter à son cou pour l’embrasser (Lc 15,20).

 

La compassion est donc dans l’ADN de Jésus. Elle fait écho à la hesed de YHWH (cf. la belle encyclique de Jean-Paul : Dives in misericordia, 1980), la tendresse miséricordieuse par laquelle ses entrailles divines sont bouleversées à la vue de la misère de son peuple. C’est un trait féminin, quasi maternel : la compassion de Jésus est sans doute sa part de féminité – son anima dirait Jung – qui lui donne de percevoir de l’intérieur la souffrance de l’autre.

 

Impossible d’être le Messie sans cette empathie fondamentale : éprouver au plus intime la détresse d’autrui, pour la partager, pour la soulager.

C’est cette empathie–compassion–miséricorde–hesed qui a poussé Jésus à prendre la dernière place, celle des exclus, afin qu’ils ne soient plus seuls. Ainsi dans notre texte, le lépreux ayant réussi son coup (de force, c’est Jésus qui devient comme lépreux en quelque sorte, puisqu’ « il ne peut plus entrer ouvertement dans une ville et est obligé de rester à l’écart dans des endroits déserts » (Mc 1,45), comme les lépreux à son époque.

 

Êtes-vous plutôt Père Damien ou Alice Augusta Ball ?

Alors finalement, qu’est-ce qui est le plus important : la colère ou la compassion ?

Répondre par un « en même temps » serait une solution trop facile, car chacune des deux réponses demande de s’y engager absolument, sans compromission. « Que votre oui soit oui, que votre non soit non » (Mt 5,37). On ne peut se laisser submerger par le sentiment si on veut éradiquer la lèpre. Et on ne peut faire semblant d’être ému si on veut vivre avec les lépreux d’aujourd’hui.
Prenons l’exemple du lépreux de ce dimanche qui s’adresse à Jésus : la compassion demande de le serrer dans ses bras, et de ne pas le laisser seul ; la colère contre la maladie demande de trouver des remèdes pour soigner, et mieux encore pour éradiquer la lèpre.

Alice Augusta Ball

Alice Augusta Ball

Père Damien

Dans le premier cas, vous êtes le Père Damien, missionnaire belge qui a tout quitté pour vivre au milieu des lépreux de l’île de Molokaï à Hawaï au XIX° siècle (1873-1889), jusqu’à mourir lui-même de la lèpre.

Dans le second cas, vous êtes Alice Augusta Ball, qui a réussi en 1915 à extraire le principe actif d’une plante pour fabriquer le premier vrai traitement de la lèpre, annonçant sa guérison généralisée [1].

 

Êtes-vous plutôt Père Damien ou Alice Augusta Bal ? …


Sur la durée d’une vie humaine, il y a peut-être un temps pour la colère, et un temps pour la compassion, ou une alternance de ces temps.

Il nous faut des acteurs engagés résolument dans le combat contre les structures injustes, contre tout ce qui dégrade notre humanité.

Et il nous faut d’autres acteurs engagés tout aussi résolument dans l’accompagnement, l’être-avec des plus souffrants.


Si vous choisissez la colère, allez jusqu’au bout du combat qu’elle exige.

Si vous choisissez la compassion, allez jusqu’au bout de la communion qu’elle appelle.
« Tout le reste vient du Mauvais » (Mt 5,37).

________________________________________

[1]. Aujourd’hui, la lèpre est une maladie curable. Le schéma thérapeutique actuellement recommandé est une polychimiothérapie qui comprend trois médicaments : la dapsone, la rifampicine et la clofazimine. La durée du traitement est de 6 mois pour les cas paucibacillaires et de 12 mois pour les cas de multibacillaires. La science fait mieux que les guérisseurs…

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
Le lépreux habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp » (Lv 13, 1-2.45-46)

Lecture du livre des Lévites
Le Seigneur parla à Moïse et à son frère Aaron, et leur dit : « Quand un homme aura sur la peau une tumeur, une inflammation ou une pustule, qui soit une tache de lèpre, on l’amènera au prêtre Aaron ou à l’un des prêtres ses fils. Le lépreux atteint d’une tache portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre, il se couvrira le haut du visage jusqu’aux lèvres, et il criera : “Impur ! Impur !” Tant qu’il gardera cette tache, il sera vraiment impur. C’est pourquoi il habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp. »

PSAUME
(31 (32), 1-2, 5ab, 5c.11)
R/ Tu es un refuge pour moi ; de chants de délivrance, tu m’as entouré. (31, 7acd)

Heureux l’homme dont la faute est enlevée,
et le péché remis !
Heureux l’homme dont le Seigneur ne retient pas l’offense,
dont l’esprit est sans fraude !

Je t’ai fait connaître ma faute,
je n’ai pas caché mes torts.
J’ai dit : « Je rendrai grâce au Seigneur
en confessant mes péchés. »

Toi, tu as enlevé l’offense de ma faute.
Que le Seigneur soit votre joie !
Exultez, hommes justes !
Hommes droits, chantez votre allégresse !

DEUXIÈME LECTURE
« Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ » (1 Co 10, 31 – 11, 1)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens
Frères, tout ce que vous faites : manger, boire, ou toute autre action, faites-le pour la gloire de Dieu. Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les Juifs, ni pour les païens, ni pour l’Église de Dieu. Ainsi, moi-même, en toute circonstance, je tâche de m’adapter à tout le monde, sans chercher mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés. Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ.

ÉVANGILE
« La lèpre le quitta et il fut purifié » (Mc 1, 40-45)
Alléluia. Alléluia. Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. Alléluia. (Lc 7, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
En ce temps-là, un lépreux vint auprès de Jésus ; il le supplia et, tombant à ses genoux, lui dit : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. » À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié. Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt en lui disant : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. » Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui.

Patrick BRAUD

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28 février 2021

Assumer notre colère

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Assumer notre colère

Homélie pour le 3° Dimanche de Carême / Année B
07/03/2021

Cf. également :
Le Corps-Temple
De l’iconoclasme aux caricatures
Une Loi, deux tables, 10 paroles
La prière et la loi de l’offre et de la demande

Les coups de gueule célèbres
La colère a mauvaise presse dans notre inconscient collectif. On en fait un défaut, voire un péché capital. On dit qu’elle est mauvaise conseillère. On lui attribue un aveuglement fait de haine, de revanche, de violence, donc incompatible avec une vie moralement saine.

Pourtant, dans l’histoire, bien des choses n’auraient pas changé s’il n’y avait pas eu quelques cris de colère devant l’injustice ou l’absurde. Sans remonter à Moïse brisant les tables de la Loi ou Clovis cassant le vase de Soissons, on peut se souvenir que les cahiers de doléances préparant les États généraux de 1789 étaient de véritables condensés de la colère populaire qui grondait depuis des décennies contre les inégalités, la famine, le manque de liberté. Ensuite, s’il n’y avait pas eu le fameux « J’accuse » d’Émile Zola dans le journal L’Aurore en 1898, l’antisémitisme français n’aurait pas été démasqué. Plus tard, quand l’Abbé Pierre en l’hiver 1954 voit à Paris le corps gelé d’une femme morte dans la rue, son sang ne fait qu’un tour ; il va crier sa révolte dans le micro de radio Luxembourg :  »Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… » En septembre 1985, Coluche lui emboîtera le pas en s’indignant, qu’on puisse encore crever de faim dans le cinquième pays le plus riche du monde à l’époque : « Je lance l’idée comme ça ». « On est prêts à recevoir les dons de toute la France. Quand il y a des excédents de bouffe et qu’on les détruit pour maintenir les prix sur le marché, nous on pourrait peut-être les récupérer… »

Ces coups de gueule célèbres – et il y en a eu tant d’autres ! – ont comme vertu de ne pas accepter l’inacceptable, de réveiller la conscience de l’opinion publique, d’enclencher une action immédiate.
Voilà déjà de quoi nous faire voir la colère sous un jour plus sympathique !

Dans l’Évangile de ce dimanche des marchands chassés du Temple de Jérusalem (Jn 2, 13-25), la colère de Jésus se faisant un fouet avec des cordes est devenue légendaire elle aussi, au point d’incarner ce qu’on français on appelle « une sainte colère », en référence à celle de Jésus.

 

Les colères de Jésus
Car le « doux Jésus » est capable de pousser lui aussi des coups de gueule fort dérangeants ! Ici, c’est pour préserver la gratuité de la relation à Dieu, contre ceux qui font de la religion – quelle qu’elle soit – un trafic d’avantages, un marchandage de grâces. Mais ce n’est pas la seule fois, visiblement ! Les évangélistes nous ont transmis au moins six situations où la colère de Jésus se manifestait (c’est donc qu’il y en a eu beaucoup d’autres…) :

contre l’endurcissement des pharisiens, pour la liberté de faire passer l’esprit de la Loi avant sa lettre, en vue de guérir, dans l’épisode rapporté par Mc 3,5 : « Alors, promenant sur eux un regard de colère, navré de l’endurcissement de leurs cœurs, il dit à l’homme : “Étends la main.” Il l’étendit, et sa main redevint normale ».

- contre l’hypocrisie, Jésus explose de colère avec ses « Malheureux êtes-vous ! » si rarement lus en liturgie (Mt 23,13-22).

- contre le figuier qui ne produit pas de fruits alors qu’il est visité par le Messie : « il dit au figuier : “Que jamais plus personne ne mange de tes fruits !” Et ses disciples avaient bien entendu » (Mc 11, 12 14).

- contre le lépreux qui va l’obliger à s’exposer trop tôt : « Avec colère, Jésus le renvoya aussitôt » (Mc 1, 43)

- contre ceux qui veulent écarter les enfants de Jésus : « Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : Laissez les enfants venir à moi… » (Mc 10, 14)

- contre le trafic se substituant à la religion, dans notre évangile d’aujourd’hui.

Ces saintes colères n’ont évidemment rien à voir avec la haine, la revanche ou la volonté de faire du mal. C’est une preuve d’amour de pouvoir se mettre en colère ainsi : enfin un homme qui témoigne que Dieu est Dieu, que la personne est le sommet de toute la création, que les dispositifs liturgiques et sociaux les mieux huilés ne sauvent pas et ne suffisent pas ! En les émondant pour qu’elles portent du fruit, Jésus pratique l’assistance à personnes en danger…

Par contre ses colères utilisent bien la violence (verbale comme contre les pharisiens, ou même physique contre les marchands) pour sortir les concernés de leur torpeur morale ou spirituelle. Le royaume de Dieu ne demande-t-il pas qu’on emploie parfois ce type de violence afin qu’il advienne ? « La Loi et les Prophètes vont jusqu’à Jean le Baptiste ; depuis lors, le royaume de Dieu est annoncé, et chacun met toute sa force (violence) pour y entrer » (Lc 16, 16).

Comme toute la Bible, Jésus se révèle ainsi paradoxal : il est « doux et humble de cœur », il appelle à la non-violence : « heureux les doux ! », mais il sait discerner quand la violence est utile, et quel type de violence.

Il souligne que se mettre en colère contre son frère est très grave, passible du tribunal (Mt 5,22). Et pourtant il n’hésite pas à laisser éclater sa colère lorsqu’elle peut sauver l’autre en le réveillant. Il respecte infiniment le Temple de Jérusalem, au point de vouloir le purifier de ses trafics ; et en même temps il le relativise au point d’annoncer qu’il n’en restera pas pierre sur pierre (Lc 21, 5-11), et que finalement le vrai Temple, c’est son corps, bientôt détruit par la croix, relevé au bout de trois jours par la résurrection.

Impossible d’enfermer Jésus dans tel ou tel comportement seulement ! Ce qui devrait nous rassurer sur nous-mêmes…

Paul en recueillera quelque chose dans son conseil en Ep 4,26 : « Si vous vous mettez en colère, ne péchez pas. Que le soleil ne se couche pas sur votre colère ». Ce verset ne nous demande pas d’éviter la colère, encore moins de la refouler ou de l’ignorer, mais de l’exprimer avec justesse (« sans pécher »), au bon moment, et de la mettre au service de la suite.

 

Assumer nos propres colères
Car la complexité de l’être humain est également sa chance. S’il n’était que douceur, où trouverait-il l’énergie pour secouer les jougs qui l’oppriment ? S’il n’était que colère, comment éviterait-t-il de prendre la place des dictateurs renversés ? La colère de la révolution française a débouché sur la Terreur. Celle de l’Abbé Pierre ou de Coluche sur Emmaüs et les Restos du cœur. La colère de Jésus au Temple de Jérusalem est une réforme religieuse en actes : purifier la foi et ses pratiques de ce qui la dénature.

Nos propres colères ont cette ambivalence. Certaines sont destructrices : elles entraînent des ruptures irréparables, elles infligent des blessures indélébiles. D’autres sont pleines de promesses : elles nous libèrent de la soumission, elles crient à l’autre un besoin vital non respecté, elles affirment une valeur qui nous est chère, elles renversent les comptoirs de ceux qui nous maintiennent en leurs calculs. Pour devenir saintes, nos colères doivent se mettre au service d’une cause juste et grande. Ce dimanche, c’est le culte au Temple qui est en jeu. Notre colère serait mesquine si elle ne poursuivait que des objectifs superficiels ou égoïstes. La première question à se poser quand notre colère monte est donc : qu’est-ce qui vaut vraiment la peine que je me mette en colère ? Si vous arrivez à répondre à cette question, alors votre colère vous apportera une foule d’éléments positifs :

– une alarme (très physique : rougeur, grosse voix, tremblements, taper du poing sur la table etc.). Il se passe quelque chose d’important on vous, et vous devez y accorder de l’attention en laissant s’exprimer ce qui veut sortir.

Assumer notre colère dans Communauté spirituelle 51ZcSamNjTL._SX347_BO1,204,203,200_- un message : le plus souvent, le message porte sur un de vos besoins fondamentaux non satisfait (ex : ‘je ne me sens pas reconnu dans cette discussion qui me met en colère’), sur une valeur très importante que vous sentez bafouée en cette occasion (ex : ‘où est la justice dans ce que tu me dis ?’). Le message peut également toucher à vos limites, à ce que vous n’arrivez plus à supporter (ex : ‘j’explose de colère parce que je n’en peux plus que tu m’en demandes toujours plus’). Enfin le message peut être objectivement une vraie prise de conscience adressée à l’autre : (ex : ‘ne vois-tu pas que ce que tu es en train de faire est… ?’).

– une énergie : de couleur rouge, l’émotion–colère libère une énergie incroyable pour faire changer les choses ! Elle permet de soulever des fardeaux dix fois plus lourds que d’ordinaire ; elle bouscule les habitudes, les complicités établies. En se calmant (la ‘descente en pression’), elle invite à trouver de nouveaux chemins pour tenir compte de ce qu’elle a exprimé.

Certains tempéraments sanguins devront se méfier des fausses colères qui envahissent leurs réactions au point de brouiller leur communication aux autres. Le piège des colériques est de prendre pour une atteinte personnelle le désaccord des autres : se croyant remis en cause personnellement, ils réagissent comme une bête blessée, sans voir qu’ils s’infligent le mal à eux-mêmes.

D’autres tempéraments plus empathiques (ou soumis) devront travailler au contraire à s’autoriser la colère : ‘oui, j’ai le droit de dire à l’autre ce qui me blesse, et la colère peut m’y aider. Elle peut me donner le courage de savoir dire non’. Le piège des faux-calmes est de mettre un couvercle sur leur colère, jusqu’à ce que la cocotte-minute émotionnelle explose de façon meurtrière.

Parvenir à la sainte colère du Christ est un long travail, pour chacun, avec beaucoup d’essais et d’erreurs…

Reste que l’épisode du fouet chassant les marchands du Temple peut nous aider à nous réconcilier avec nos propres colères : l’indignation qui bout en nous devant le mal, l’injustice ou l’absurde peut transformer l’inacceptable en changement salutaire !

Que l’Esprit du Christ nous apprenne à discerner les justes colères que nous assumerons avec amour…

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
La Loi fut donnée par Moïse (Ex 20, 1-17)

Lecture du livre de l’Exode

En ces jours-là, sur le Sinaï, Dieu prononça toutes les paroles que voici : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi. Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, pour leur rendre un culte. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux : chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils, jusqu’à la troisième et la quatrième génération ; mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements, je leur montre ma fidélité jusqu’à la millième génération. Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu, car le Seigneur ne laissera pas impuni celui qui invoque en vain son nom.
Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage ; mais le septième jour est le jour du repos, sabbat en l’honneur du Seigneur ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l’immigré qui est dans ta ville. Car en six jours le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié. Honore ton père et ta mère, afin d’avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu. Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne commettras pas de vol. Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain. Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient. »

 

PSAUME
(18b (19), 8, 9, 10, 11)
R/ Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle. (Jn 6, 68c)

La loi du Seigneur est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du Seigneur est sûre,
qui rend sages les simples.

Les préceptes du Seigneur sont droits,
ils réjouissent le cœur ;
le commandement du Seigneur est limpide,
il clarifie le regard.

La crainte qu’il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du Seigneur sont justes
et vraiment équitables :

plus désirables que l’or,
qu’une masse d’or fin,
plus savoureuses que le miel
qui coule des rayons.

DEUXIÈME LECTURE
« Nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les hommes, mais pour ceux que Dieu appelle, il est sagesse de Dieu » (1 Co 1, 22-25)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient juifs ou grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

 

ÉVANGILE
« Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai » (Jn 2, 13-25)

Gloire au Christ,Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur
Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que ceux qui croient en lui aient la vie éternelle.
Gloire au Christ,Sagesse éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur. (Jn 3, 16)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem. Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment. Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? » Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.
Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite. Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il accomplissait. Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.
 Patrick BRAUD

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4 novembre 2015

Le Temple, la veuve, et la colère

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Le Temple, la veuve, et la colère

 

Homélie du 32° dimanche du temps ordinaire / Année B
08/11/2015

Cf. également :

Les deux sous du don…

 

C’est fou ce que Jésus doit aux femmes !

De Marie de Nazareth à Marie de Magdala, en passant par la cananéenne et ses petits chiens, Jésus n’a cessé de recevoir des femmes de sa vie de quoi exister, annoncer, grandir. Ici, c’est une pauvre veuve qui va le révéler à lui-même, en confortant son désir de se jeter à corps perdu dans la réforme du judaïsme.

Pour décrypter le fonctionnement religieux du Temple, Jésus se poste dans le parvis de femmes, sur les marches d’un escalier de pierre.

Le parvis des femmes, c’était une vaste cour carrée entourée de trois côtés par une colonnade supportant une galerie d’où les femmes pouvaient assister aux cérémonies religieuses. Un large escalier semi-circulaire de quinze marches conduisait au parvis d’Israël. C’est sans doute sur l’un de ces degrés que Jésus s’était assis ; de là, il voyait sur sa gauche la salle du trésor le long de laquelle, d’après le Talmud, se trouvaient treize troncs au goulot étroit et évasé par le bas, d’où leur nom de trompettes. Les fidèles y jetaient leurs aumônes et, à l’époque de la Pâque, l’affluence autour des troncs était énorme. Certains en profitaient pour jeter à pleines mains et avec ostentation de la monnaie de cuivre ou de bronze. Ils auraient pu s’acquitter plus commodément de la même offrande en monnaie d’argent, mais leur générosité aurait été moins bruyante et n’aurait pas attiré l’attention des pèlerins…

Afficher l'image d'origineTiens, aujourd’hui encore, c’est donc en se plaçant aussi chez du côté des femmes que nous pouvons décrypter la vérité sur notre société. Les féministes du « Care »  disent des choses vraies sur ce qui manque à nos relations de travail, de politique etc. Les théologiennes américaines écrivent des choses vraies sur le système religieux catholique, encore trop dominé par les hommes.

Jésus aurait aimé se placer dans ces parvis des femmes contemporains, pour contempler les foules de nos entreprises, de nos cités, et y révéler à la fois l’hypocrisie des riches et l’aliénation des pauvres. L’Église doit accepter de décaler ainsi son point de vue (sur l’économie, la politique, la famille, l’Église etc.) en regardant et écoutant ce que les femmes disent des relations humaines de notre temps.

Jésus entend le bling-bling clinquant des riches versant ostensiblement leur obole dans les vases de la collecte, mais il entend plus encore le silence – l’énorme silence si lourd de conséquences - de la pauvre veuve jetant de son nécessaire.

 

La colère contre l’institution religieuse du Temple

À lire le texte, on ne sait pas si c’est l’admiration (de la veuve) ou l’indignation (contre le Temple) qui prévaut en Jésus. Le contexte de ce passage est en effet une controverse entre Jésus et les pouvoirs religieux du Temple de Jérusalem : « ils dévorent les biens des veuves ». On peut penser qu’au lieu d’admirer les deux sous du don de cette femme, il continue au contraire à frémir de colère envers le Temple. Comment, ce Temple a été érigé pour la gloire de Dieu et le voici qui dévore tout ce que cette veuve a pour vivre !? Comment la foi d’Israël a-t-elle pu engendrer un système d’offrandes aussi injuste ? D’autant plus que ce Temple, Jésus annonce qu’il n’en restera bientôt plus pierre sur pierre ! Jésus dénonce le caractère stérile et absurde de ces offrandes pour une cause condamnée à disparaître.

Il aurait frémi de colère devant les sacrifices humains exigés par Hitler, Lénine, Staline ou Mao. Il renverserait aujourd’hui les écrans des changeurs de la Bourse et s’indignerait que l’épargne des plus petits soit utilisée pour d’autres buts que la vraie solidarité. Il dénoncerait à nouveau les chefs religieux – les chrétiens, musulmans ou autres - qui vivent comme des nababs aux dépens de leur communauté. Il ne supporterait pas qu’une pauvre veuve soit trompée dans son espérance par les politiques, les puissants.

Afficher l'image d'origineL’aliénation de cette femme est d’autant plus terrible que son don et volontaire : elle a donc intériorisé ce que le système exige d’elle, plus que les puissants n’auraient osé rêver. Hegel a montré que dans la dialectique maître-esclave, la domination est maximum lorsque l’esclave consent à son exploitation et y collabore. C’est cette aliénation que Jésus démasque en public. C’est à cela que les disciples du Christ sont appelés aujourd’hui : démasquer l’hypocrisie des riches qui font semblant de donner, et à grand bruit ; libérer les pauvres de la fausse obligation de se sacrifier pour un système condamné à disparaître.

On comprend que cette charge contre le Temple de Jérusalem a été une accusation majeure contre Jésus lors de son procès, suffisante pour éliminer celui qui dit la vérité, pour reprendre des paroles de Guy Béart.

 

La pauvre veuve, icône du Christ

Afficher l'image d'origineIl y a plus encore que l’indignation prophétique de Jésus dans ce texte. Car cette veuve annonce le Christ lui-même dans sa vie, jetée sans rien garder pour lui-même. Vous aurez peut-être remarqué que ce verbe jeter, ballo en grec, revient à sept reprises dans le très court récit consacré à l’obole de la veuve. La foule jette dans le tronc… Des riches jettent beaucoup… Une veuve jette deux petites pièces… Elle a jeté plus que tous ceux qui jettent dans le tronc… Tous ont jeté du superflu… Elle a jeté tout ce qu’elle possédait. A noter que jeter beaucoup en dispersant se rattache en grec au verbe dia-ballo, qui a donné diable en français… Alors que la veuve jette ensemble les deux pièces, syn-ballo en grec, ce qui a donné symbole en français. Le geste de la veuve est symbolique (d’une vie cohérente jusqu’au bout), alors que le geste des riches est diabolique (éparpillant l’être comme les pièces).

Ces deux sous jetés dans le trésor du Temple sont une icône du don total que Jésus va faire de lui-même. Mais lui pourra par ce sacrifice subvertir la logique de domination : le système religieux qui le condamnera sera lui-même renversé par la victoire du Christ dans sa résurrection. Ce que la veuve dans sa faiblesse n’avait pas pu réaliser : la fin de l’iniquité du Temple, le Christ l’obtiendra dans la puissance de l’Esprit qui lui fera traverser la mort. La même offrande : jeter tout son nécessaire, portera des fruits enfin en plénitude.

En voyant cette pauvre veuve donner tout ce qu’elle a, Jésus se voit lui-même devoir aller jusqu’au bout de ce dépouillement de soi, non pour se soumettre à un pouvoir injuste, mais pour « renverser les puissants de leur trône et élever les humbles ».

 

La pauvre veuve, icône de l’Église

Du coup, cette pauvre veuve est également une figure de l’Église. Les Pères de l’Église ont bien vu en elle la vocation des chrétiens : se donner par amour, pour libérer avec le Christ les plus pauvres de la domination des systèmes inhumains.

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Ne reconnaissez-vous pas dans cette pauvre veuve l’Église qui apporte ses présents à Dieu ? Elle est pauvre, car elle repousse loin d’elle l’esprit de superbe et l’amour des richesses de la terre. Elle est veuve, car son époux a subi la mort pour elle, et maintenant il est bien loin d’elle. Et pendant que les Juifs offraient orgueilleusement à Dieu leur justice acquise par les œuvres de la Loi, l’estimant une richesse immense, l’Église offrait avec humilité, s’estimant heureuse de la voir acceptée par Dieu, la double obole de sa foi et de sa prière, ou encore de son amour de Dieu et du prochain. En les regardant par rapport à sa faiblesse, elle les estimait peu de chose ; mais à cause de la pureté de son intention, son offrande l’emportait de beaucoup sur l’offrande fastueuse des Juifs.
Saint Bède le Vénérable : commentaire de l’évangile selon saint Marc

 

Que l’indignation prophétique du Christ devienne également la nôtre, pour que les systèmes religieux contemporains arrêtent d’exploiter les plus pauvres.

 

 

 

1ère lecture : « Avec sa farine la veuve fit une petite galette et l’apporta à Élie » (1 R 17, 10-16)

Lecture du premier livre des Rois

En ces jours-là, le prophète Élie partit pour Sarepta, et il parvint à l’entrée de la ville. Une veuve ramassait du bois ; il l’appela et lui dit : « Veux-tu me puiser, avec ta cruche, un peu d’eau pour que je boive ? » Elle alla en puiser. Il lui dit encore : « Apporte-moi aussi un morceau de pain. » Elle répondit : « Je le jure par la vie du Seigneur ton Dieu : je n’ai pas de pain. J’ai seulement, dans une jarre, une poignée de farine, et un peu d’huile dans un vase. Je ramasse deux morceaux de bois, je rentre préparer pour moi et pour mon fils ce qui nous reste. Nous le mangerons, et puis nous mourrons. » Élie lui dit alors : « N’aie pas peur, va, fais ce que tu as dit. Mais d’abord cuis-moi une petite galette et apporte-la moi ; ensuite tu en feras pour toi et ton fils. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre. » La femme alla faire ce qu’Élie lui avait demandé, et pendant longtemps, le prophète, elle-même et son fils eurent à manger. Et la jarre de farine ne s’épuisa pas, et le vase d’huile ne se vida pas, ainsi que le Seigneur l’avait annoncé par l’intermédiaire d’Élie.

Psaume : Ps 145 (146), 6c.7, 8-9a, 9bc-10

R/ Chante, ô mon âme, la louange du Seigneur ! (Ps 145, 1)

Le Seigneur garde à jamais sa fidélité,
il fait justice aux opprimés ;
aux affamés, il donne le pain ;
le Seigneur délie les enchaînés.

Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles,
le Seigneur redresse les accablés,
le Seigneur aime les justes,
le Seigneur protège l’étranger.

Il soutient la veuve et l’orphelin,
il égare les pas du méchant.
D’âge en âge, le Seigneur régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !

2ème lecture : « Le Christ s’est offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude » (He 9, 24-28)
Lecture de la lettre aux Hébreux

Le Christ n’est pas entré dans un sanctuaire fait de main d’homme, figure du sanctuaire véritable ; il est entré dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu. Il n’a pas à s’offrir lui-même plusieurs fois, comme le grand prêtre qui, tous les ans, entrait dans le sanctuaire en offrant un sang qui n’était pas le sien ; car alors, le Christ aurait dû plusieurs fois souffrir la Passion depuis la fondation du monde. Mais en fait, c’est une fois pour toutes, à la fin des temps, qu’il s’est manifesté pour détruire le péché par son sacrifice. Et, comme le sort des hommes est de mourir une seule fois et puis d’être jugés, ainsi le Christ s’est-il offert une seule fois pour enlever les péchés de la multitude ; il apparaîtra une seconde fois, non plus à cause du péché, mais pour le salut de ceux qui l’attendent.

Evangile : « Cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres » (Mc 12, 38-44)

Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux !
Alléluia
(Mt 5, 3)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là, dans son enseignement, Jésus disait aux foules : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques, les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners. Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »
Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes. Une pauvre veuve s’avança et mit deux petites pièces de monnaie. Jésus appela ses disciples et leur déclara : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »
 Patrick Braud

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