Paul et Coldplay, façon Broken
Paul et Coldplay, façon Broken
Homélie pour le 28° Dimanche du temps ordinaire / Année A
11/10/2020
Cf. également :
Le festin obligé
Tenue de soirée exigée…
Un festin par-dessus le marché
Christ-Roi : Reconnaître l’innocent
Premiers de cordée façon Jésus
Jésus et les « happy few » : une autre mondialisation est possible
Ascension : « Quid hoc ad aeternitatem ? »
Quelle est votre écharde dans la chair ?
Le vélo envolé !
11h30. Je garde mon vélo électrique récemment acheté devant la Poste centrale. Magnifique, rouge cerise, efficace et écolo : pas peu fier ! Le temps de déposer un chèque, je ressors une demi-heure après. Hélas, consterné, je vois tout de suite le cadenas gisant au sol, désossé, et le vélo volé, envolé ! Une « incivilité » de plus, mais celle-là me contrarie particulièrement, sur tous les plans : finances, transport, insécurité… Je sens la colère grandir en moi. Pourtant, sans savoir comment, une chanson recouvre progressivement le tumulte intérieur et me rend léger, voire joyeux. Je fredonne Broken, du groupe Coldplay, dont j’ai appris les paroles par cœur, ce qui est bien utile en ce moment. Car ce sont des paroles qui invitent à s’établir en Dieu pour trouver la paix même dans l’adversité :
Lord, when I’m broken On that morning Oh, shine your light |
Seigneur quand je suis brisé Ce matin Oh, Fais briller ta lumière |
Faire face dans le dénuement comme dans l’abondance
J’avais déjà fait cette expérience avec les paroles des psaumes : lorsqu’on connaît des psaumes par cœur (par le cœur), l’inconscient va facilement y puiser ce dont il a besoin en cas de grande difficulté ou de grande joie. « Dieu tu es mon Dieu je te cherche dès l’aube ». « Mon refuge, mon rempart, mon Dieu dans je suis sûr ! » « Dans cette nuit où je crie en ta présence… ». « Des profondeurs je crie vers toi Seigneur ». « Chante ô mon âme la louange du Seigneur ! » etc.
Il se produit alors une dilatation de tout l’être : la douleur est sublimée par le chant et la prière, la joie est magnifiée et décuplée en la rapportant à Dieu. Après tout, un vélo électrique n’est jamais qu’un objet, dont je pourrai me passer s’il m’est enlevé. Quid hoc ad aeternitatem ? : qu’est-ce que cela par rapport à l’éternité ?
Bon, vous me direz peut-être : un vélo, ce n’est pas grand-chose. Si c’était un divorce, un cancer… Évidemment. Mais s’habituer à trouver sa joie en Dieu au milieu des contrariétés petites peut nous aider à nous préparer aux grandes détresses. En tout cas, je me suis surpris à devenir joyeux, allégé du vélo envolé, et je n’en reviens toujours pas…
Cette sérénité est celle de Paul lorsqu’il écrit aux Philippiens : « je peux tout en celui qui me fortifie » (Ph 4,13). Notre deuxième lecture (Ph 4, 12-14. 19-20) est empreinte de ce lâcher-prise intérieur de Paul qui ne fait pas dépendre sa joie des aléas extérieurs : « je sais vivre de peu, je sais aussi être dans l’abondance. J’ai été formé à tout et pour tout : à être rassasié et à souffrir la faim, à être dans l’abondance et dans les privations. Je peux tout en celui qui me donne la force ».
Question dénuement, Paul en connaît un rayon ! À cause de sa ‘grande gueule’ pour le Christ, il a connu une longue série d’oppositions hostiles : arrestations, procès, fouet, lapidation, menaces… Sa lettre aux Philippiens est dictée à Timothée alors qu’ils sont en prison, avec des perspectives assez sombres. La communauté chrétienne de Philippes a été fondée par Paul lors de son deuxième voyage missionnaire. Elle a toujours été chère au cœur de l’Apôtre. De cette Église, seulement, Paul a accepté jadis une aide financière : « Quand je quittai la Macédoine, aucune Église ne m’assista par mode de contribution pécuniaire ; vous fûtes les seuls, vous qui, dès mon séjour à Thessalonique, m’avez envoyé, et par deux fois, ce dont j’avais besoin. Je ne recherche pas les dons ; ce que je recherche, c’est le bénéfice qui s’ajoutera à votre compte. » (Ph 4,15-17)
Cette générosité et cette affection des Philippiens se manifestent encore lors de la captivité de Paul : ils lui font parvenir des subsides par l’intermédiaire de l’un d’entre eux : Épaphrodite, que Paul appelle son frère et son collaborateur. Celui-ci est ensuite tombé malade, frôlant la mort. Les Philippiens ont appris cette nouvelle. Une fois Épaphrodite rétabli, Paul le renvoie à Philippes, sans doute porteur de la lettre, pour rassurer la communauté de la ville et la remercier. Cette lettre est aussi remplie d’une atmosphère de joie, qui dit bien le cœur de Paul malgré la prison. Les mots « joie »ou « réjouir » reviennent 14 fois dans la lettre. « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le dis encore, réjouissez-vous. » (Ph 4,4) Qui de nous oserait dire cela alors qu’il est en prison, en chimiothérapie ou au chômage ?
Ne pas se laisser déstabiliser par l’épreuve est l’une des grandes forces de Paul. Le secret de cette force, c’est – nous dit-il – que ce n’est pas la sienne, mais celle du Christ en lui : « je peux tout en celui qui me rend fort ». Il ne s’agit pas ici d’une toute-puissance délirante, mais de pouvoir faire face à l’adversité (la prison, le dénuement) sans se laisser détruire par elle. À l’opposé de la trop célèbre phrase de Nietzsche : « ce qui ne me tue pas me rend plus fort », Paul sait bien qu’il y a des épreuves d’où l’on sort amoindri, blessé à vie, handicapé ou détruit. Vivant certes, mais détruit. Allez vivre avec des SDF, des personnes âgées en EHPAD, discutez avec ceux que la dépression a défigurés, que le burn-out a fragilisés : il est des épreuves dont il vaudrait mieux ne pas sortir vivant… Le mythe du surhomme nietzschéen qui – à la force du poignet – transforme tout en occasion de progrès est aux antipodes de l’humble confiance de Paul en un Autre que lui-même. Il le répète inlassablement dans ses lettres :« ce n’est plus moi qui vis, mais Christ qui vit en moi ». « C’est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les insultes, dans les détresses, dans les persécutions, dans les angoisses pour Christ, car quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12,10). « À celui qui peut faire, par la puissance qui agit en nous, infiniment plus que tout ce que nous demandons ou pensons, à lui soit la gloire dans l’Église [et] en Jésus-Christ, pour toutes les générations, aux siècles des siècles ! Amen ! » (Ep 3, 20-21).
L’Ancien Testament ne cesse de le rappeler à Israël :
« En effet, ce n’est pas par leur épée qu’ils se sont emparés du pays, ce n’est pas leur bras qui les a sauvés, mais c’est ta main droite, c’est ton bras, c’est la lumière de ton visage, parce que tu les aimais » (Ps 44,4).
La sagesse des nations a pressenti que le détachement de l’instinct de possession était la clé de cette sérénité face à l’adversité :
Savoir se contenter de ce que l’on a, c’est être riche (Lao-Tseu).
Ce qui te manque, cherche-le dans ce que tu as (kôan zen).
Soyez content de votre sort, ami, c’est là la sagesse (Horace).
De la possessivité naît le manque ; du non-attachement, la satisfaction (Bouddha ; Les sentences bouddhistes)
Savoir se contenter de ce que l’on a constitue le plus haut degré de bonheur (Yoga Sûtra).
La foi chrétienne valide ces intuitions en les ancrant en Dieu même : c’est lui qui nous libère de notre convoitise, de notre volonté de maîtrise, de notre instinct de possession.
Un footballeur très paulinien
Olivier Giroud (attaquant de l’équipe de France de football) s’est fait tatouer sur le bras un verset du psaume 22 de ce dimanche : « le Seigneur est mon Berger. Je ne manque de rien. » Et de fait, quelle richesse pourrait faire envie à celui qui est dans l’intimité de Dieu. ? Il raconte comment sa foi évangélique l’a aidé pendant les moments de doute dans sa carrière * :
« Le dernier mercato hivernal a été très dur, je ne savais pas dans quel club j’allais jouer. J’ai beaucoup prié, pour avoir une réponse. Et j’ai aussi demandé à ma mère de prier, et à Nicole, une personne qui reçoit des prophéties. On n’est pas seul dans la prière. Je l’ai compris au fil des années. Pendant le confinement, j’ai réuni un groupe d’amis avec qui nous avons suivi un parcours Alpha (sessions de formation à la foi chrétienne, NDLR). Nous prions ensemble, c’est d’une telle puissance ! »
Il témoigne également de la reconnaissance toute paulinienne qui l’habite lorsqu’il réussit :
« Jésus est là quand je marque un but, mais il est encore là quand on échoue, bien sûr ! Je prie très souvent dans un souci de reconnaissance par rapport à la santé de ma famille, pour la chance que j’ai de vivre de ma passion. Dans la prière, je veux remercier, confier mes projets, mais aussi demander pardon pour mes erreurs. »
Faire face dans l’abondance n’est pas si facile ! Beaucoup s’y sont brûlés les ailes en oubliant d’où ils venaient, qui les avait faits roi, et la fragilité de leur succès. Par contre, nous connaissons tous des gens riches qui ne le font jamais peser sur leurs invités, ayant gardé une humilité, une simplicité, une ouverture du cœur qui met à l’aise l’employé comme le banquier invités à leur table. L’abondance peut être matérielle, ou bien culturelle, spirituelle, intellectuelle etc. : ceux qui sont à l’aise comme Saint Paul avec cette abondance-là sauront facilement en témoigner, la partager, s’en réjouir simplement, en faire un cadeau pour les autres et non une domination.
Une bénédiction lors des célébrations de mariage appelle cette sérénité en toutes circonstances sur les mariés :
« Que votre travail à tous deux soit béni, sans que les soucis vous accablent, sans que le bonheur vous égare loin de Dieu ».
Car le bonheur peut éloigner de Dieu ! Il y a des gens si satisfaits de leur sort, de leur réussite, de leur équilibre, qu’ils en deviennent athées en pratique, car ils avaient confondu Dieu avec le remède à leurs manques. Lorsqu’ils ne manquent plus de rien, ils n’ont plus besoin de lui… Or Dieu est au-delà du besoin. Il est plus grand que toutes nos projections sur lui. Le jeune homme riche lui au moins était travaillé par le désir de la vie éternelle. Zachée savait bien que sa richesse sentait mauvais. Mais l’homme qui remplit ses greniers à ras bord croit qu’il peut se reposer et jouir de la vie : « insensé, cette nuit même on va te demander ton âme ! » (Lc 12,20). Les psaumes répètent à l’oreille des puissants : « l’homme comblé ne dure pas, il ressemble au bétail qu’on abat » (Ps 48,13).
Le secret pour ne pas laisser le bonheur nous égarer loin de Dieu est sans doute cette non-possession vécue et prônée par Paul : « que ceux qui pleurent soient comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui ont de la joie, comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui font des achats, comme s’ils ne possédaient rien, ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment » (1 Co 7, 30-31).
Posséder sans posséder, être heureux sans être heureux.
Réjouissons-nous de ce qui nous est donné. Abandonnons à Dieu ce qui nous est enlevé. Fut-ce le plus beau vélo électrique ! Et nous goûterons à l’incroyable résilience de Paul : « je peux tout en celui qui me rend fort ».
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* Cf. le quotidien La Croix du 18/09/2020, pp. 11-13 : « Jésus est avec moi sur le terrain ».
LECTURES DE LA MESSE
PREMIÈRE LECTURE
« Le Seigneur préparera un festin ; il essuiera les larmes sur tous les visages » (Is 25, 6-10a)
Lecture du livre du prophète Isaïe
Le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Sur cette montagne, il fera disparaître le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples et le linceul qui couvre toutes les nations. Il fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple. Le Seigneur a parlé.
Et ce jour-là, on dira : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ; c’est lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! » Car la main du Seigneur reposera sur cette montagne.
PSAUME
(Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)
R/ J’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours. (Ps 22, 6cd)
Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi,
ton bâton me guide et me rassure.
Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.
Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.
DEUXIÈME LECTURE
« Je peux tout en celui qui me donne la force » (Ph 4, 12-14.19-20)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens
Frères, je sais vivre de peu, je sais aussi être dans l’abondance. J’ai été formé à tout et pour tout : à être rassasié et à souffrir la faim, à être dans l’abondance et dans les privations. Je peux tout en celui qui me donne la force. Cependant, vous avez bien fait de vous montrer solidaires quand j’étais dans la gêne. Et mon Dieu comblera tous vos besoins selon sa richesse, magnifiquement, dans le Christ Jésus. Gloire à Dieu notre Père pour les siècles des siècles. Amen.
ÉVANGILE
« Tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce » (Mt 22, 1-14)
Alléluia. Alléluia.Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur, pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. Alléluia. (cf. Ep 1, 17-18)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu
En ce temps-là, Jésus se mit de nouveau à parler aux grands prêtres et aux pharisiens, et il leur dit en paraboles : « Le royaume des Cieux est comparable à un roi qui célébra les noces de son fils. Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir. Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités : ‘Voilà : j’ai préparé mon banquet, mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt : venez à la noce.’ Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce ; les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent. Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et incendia leur ville. Alors il dit à ses serviteurs : ‘Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes. Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce.’ Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives. Le roi entra pour examiner les convives, et là il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce. Il lui dit : ‘Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?’ L’autre garda le silence. Alors le roi dit aux serviteurs : ‘Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.’ Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. »
Patrick BRAUD