L'homélie du dimanche (prochain)

28 avril 2024

Dieu premier Aimant

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Dieu premier Aimant

 

Homélie du 6° Dimanche de Pâques / Année B 

05/05/24

 

Cf. également :

Êtes-vous entourés d’amis ou des serviteurs ?
L’Esprit nous précède
Conjuguer le verbe aimer à l’impératif
Le communautarisme fait sa cuisine
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Les chrétiens sont tous des demeurés
Jésus que leur joie demeure
Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel
« Passons aux barbares »…


La puce et l’éléphant

Dieu premier Aimant dans Communauté spirituelle dessin_de_mila_cpcUne puce voyageait avec une de ses amies dans l’oreille d’un éléphant. L’éléphant passe sur une passerelle en bois qui tremble sous le poids de l’animal. Arrivé à l’autre bout de la passerelle, la puce dit à son amie : « Tu as vu comme on a fait trembler le pont ! »

 

Nous sommes souvent cette puce enivrée d’exploits qui ne sont pas les siens. Et le risque est grand d’être excité comme une puce en entendant le commandement central du christianisme en ce dimanche (Jn 15,9-17) : « aimez-vous les uns les autres ». Nous croyons un peu trop vite que c’est un à nous d’abord d’aimer en premier. Nous faisons de ce commandement une morale d’injonction, alors que c’est une morale de réponse. Pour les chrétiens, aimer n’est pas un préalable (au salut, au pardon, à la communion) mais une conséquence. La preuve ? Notre Évangile commence par rappeler que le Christ nous a aimés d’abord, sans aucun mérite de notre part : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ». Et notre deuxième lecture (1Jn 4,7-10) enfonce le clou : « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés ».

Jean insiste avec force sur l’antériorité divine : « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ».

 

On ne le répétera jamais assez, surtout dans notre culture occidentale volontariste et pélagienne : aimer pour la Bible est un passif, car nous sommes aimés avant que de pouvoir aimer en retour. Ce passif est très actif, car il suscite une réponse d’amour à la hauteur du don reçu.

 

Se laisser choisir

i-want-you amour dans Communauté spirituelleOn présente quelquefois la Confirmation des adolescents comme le sacrement de leur engagement chrétien adulte. Grossière erreur ! L’intention pastorale est d’instrumentaliser ce sacrement pour maintenir les jeunes au caté ou à l’aumônerie le plus longtemps possible, ou pour sacraliser leur adhésion supposée pleinement volontaire. Mais les trois sacrements de l’initiation chrétienne sont normalement conférés en une seule fois. Cela est manifeste lors du baptême d’adultes qui sont confirmés pour être solidement ancrés dans l’Esprit de Dieu, puis eucharistiés pour nourrir la vie divine en eux, dans cet ordre (baptême-confirmation-eucharistie). Les orthodoxes donnent ces trois sacrements aux bébés qu’ils baptisent, pour souligner que la grâce divine est vraiment gratuite, donnée sans condition avant même que nous puissions répondre.

Bref : nous sommes choisis par Dieu avant que de le choisir en réponse. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ».

Les termes : militant, engagement, effort, impératif moral etc. sont ambigus, et même dangereux s’ils conduisent à faire comme la puce de l’éléphant en s’attribuant une capacité de croire/aimer/pardonner qui n’est pas la nôtre.

Le cardinal Jean-Marie Aaron Lustiger a explicité comment « le choix de Dieu » [1] a bouleversé sa vie. Le jeune juif Aaron Lustiger a été choisi par Dieu pour devenir le cardinal de Paris : il ne l’a pas obtenu à force de le vouloir, il a accepté le choix fait par Dieu en sa faveur. De même, selon Lustiger, le choix de Dieu envers le peuple juif n’est pas une performance d’Israël qui aurait fait le bon choix, mais une responsabilité confiée par Dieu à Israël de témoigner de son Alliance afin que toutes les nations entrent dans leur alliance propre et singulière.

Autrement dit : le choix de Dieu est un génitif subjectif (c’est Dieu qui en est le sujet) qui engendre ensuite un génitif objectif (Dieu fait l’objet d’un choix). Mais l’action de Dieu est première, comme le barrit l’éléphant à sa puce…

 

Le Choix de Dieu - LustigerSe laisser choisir par Dieu a des conséquences très concrètes :

- ne pas tout décider dans sa vie mais accueillir ce que l’Esprit nous dit à travers les événements

- ne pas tout décider par soi-même mais accepter que d’autres interviennent

- ne pas tout programmer ni planifier, mais laisser une ouverture pour l’imprévu, l’étrange

- ne pas s’enorgueillir du chemin déjà parcouru mais rendre grâce pour ce qui m’a été donné.

« Qui donc t’a mis à part ? As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1Co 4,7). Ce n’est pas à la force du poignet que je réussirai ma vie ! Ce n’est pas en serrant les dents et en me calant sur le mythe prométhéen du self-made-man (ou woman !) que je réaliserai vraiment ma vocation. On voudrait nous faire croire que l’indépendance et l’autonomie sont la clé de voûte de notre dignité : grossière erreur à nouveau ! C’est dans la relation, donc dans l’interdépendance et dans l’échange mutuel don/contre-don que nous devenons plus humains.

 

Un débat dans l’histoire a marqué la réception de cette phrase de l’Évangile : « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ». C’est le débat sur la prédestination, que Calvin a porté à son incandescence. Le réformateur est tellement obnubilé par la gratuité du salut que seule la foi permet d’accueillir qu’il en conclut que Dieu librement nous destine au ciel ou à l’enfer, et que nous ne pouvons rien y faire, même si cela nous paraît incompréhensible :

« Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il voulait faire de chaque homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition, mais ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à l’éternelle damnation. Ainsi, selon la fin à laquelle est créé l’homme, nous disons qu’il est prédestiné à mort ou à vie » (Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, 1541).

 

Cette doctrine de la prédestination a même – selon le grand sociologue allemand Max Weber – encouragé le développement du capitalisme occidental. En effet, le calviniste veut savoir – avec angoisse – de quel côté de la prédestination Dieu l’a rangé. Il va chercher à se rassurer en regardant si sa richesse augmente. Car Dieu bénit ses élus en leur accordant prospérité et réussite, selon l’Ancien Testament tel que Calvin le lit. Donc travailler dur, s’enrichir, vivre sobrement dans l’esprit des Béatitudes, épargner pour réinvestir à nouveau etc. : voilà la martingale du calviniste qui vérifie dans ses affaires que Dieu l’a bien prédestiné au ciel et non à l’enfer. Voilà pourquoi, selon Max Weber, il y a une « affinité élective » entre « l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme ».

 

On le voit : durcir à l’extrême l’antériorité du choix de Dieu est aussi dangereux que l’annulation de la grâce par la morale du mérite.

Le juste milieu est sans doute de garder le cap de la passivité-active tenant ensemble l’initiative première de Dieu et la libre réponse nécessaire de l’homme. La passivité-active de Marie reste à cet égard le modèle qui conjugue grâce divine et coopération humaine. Et il nous faut maintenir avec Paul que Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité » (1 Tm 2,4).

Se laisser choisir est alors le chemin proposé à tout homme, quelle que soit sa religion, sa culture, son histoire.

 

Se laisser aimer

Accepter-de-se-laisser-aimer-692x415 choisir« Celui qui aime est né de Dieu » (1Jn 4,7) Or naître ne relève pas d’abord de notre volonté. Ce sont nos parents qui en premier ont voulu nous faire naître, ou qui n’ont pas voulu, comme le rappelle avec désolation le chiffre des 245 000 IVG en France en 2022. Le premier, Dieu nous fait naître, en nous aimant inconditionnellement. Nos parents humains ont pour vocation de participer à cet amour premier : hélas, ils faillissent souvent, allant même jusqu’à ne pas faire naître… Les enfants non-nés ne nous manquent pas, et c’est bien là le drame. En Dieu, l’amour est offert, du début à la fin, sans reniement.

 

Se laisser aimer n’est pas si facile en réalité. On sait que beaucoup ont du mal dans un couple à se laisser aimer par l’autre, physiquement, émotionnellement, intellectuellement… Se raidir sous la caresse, se refuser à l’invitation amoureuse, croire qu’on n’est pas digne, s’épuiser à vouloir ‘être à la hauteur’, ou au contraire se laisser aller par amertume et déception… : les voies sont multiples qui reviennent à se dérober à l’amour de l’autre ! Il en est de même dans notre relation à Dieu, et d’ailleurs les deux vont ensemble : se raidir sous l’impulsion de l’Esprit, imaginer un Dieu-surmoi inatteignable, ou désespérer de lui, ou se croire indigne de lui…

En fait, se laisser aimer n’est pas le résultat de notre volonté : c’est là encore le fruit de l’accueil du don gratuit que Dieu nous fait de nous-mêmes.

Recevoir de Dieu la capacité de nous laisser aimer est une forme d’abandon spirituel, mobilisant activement toutes nos ressources.

 

Se laisser aimanter

 LustigerUne image peut nous aider à visualiser comment Dieu nous façonne à travers son choix et son amour. Prenez un tas de limaille de fer, informe et gris, sur une feuille de papier. Passez au-dessus de lui un fort aimant. Vous verrez se dessiner des lignes de force qui tout d’un coup transforment le tas de limaille en figure géométrique ordonnée et structurée. C’est l’attraction magnétique de l’aimant qui opère cette métamorphose. Ainsi fait Dieu avec nous : par la force de son attraction d’amour, il nous fait émerger de l’animalité, il dessine en nous des lignes de force spirituelles. En nous choisissant, il nous structure à son image et à sa ressemblance.

En nous laissant faire par cette attraction amoureuse, nous prenons forme divine, nous devenons nous-mêmes, nous naissons à la vie véritable.

 

Dieu est en ce sens le premier Aimant de l’homme, de tout l’homme, tous les hommes.

Le Christ, élevé de terre, nous attire à lui mieux que l’aimant la limaille ; il nous suscite comme des êtres de désir, capables d’aimer en réponse à son amour, jusqu’à aimer ceux qui ne nous aiment pas comme il le fit lui-même. Jusqu’à aimer nos ennemis. Pour un palestinien ou un ukrainien, cela résonne comme un appel impossible, sauf si cela ne vient pas de nous mais nous est donné par un autre…

 

Nous sommes la petite puce dans l’oreille de l’éléphant qui peut s’émerveiller : « tu vois comment nous avons fait trembler le pont ! », en sachant bien que l’éléphant a fait le plus gros…

 

La pucelle d’Orléans avait choisi comme devise : Dieu premier servi. Nous pouvons la paraphraser : Dieu premier Aimant est la devise des artisans de paix, des martyrs, des champions des Béatitudes…

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[1]. Jean-Marie Lustiger, Le choix de Dieu, Ed. de Fallois, 1987.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Même sur les nations païennes, le don de l’Esprit Saint avait été répandu » (Ac 10, 25-26.34-35.44-48)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Comme Pierre arrivait à Césarée chez Corneille, centurion de l’armée romaine, celui-ci vint à sa rencontre, et, tombant à ses pieds, il se prosterna. Mais Pierre le releva en disant : « Lève-toi. Je ne suis qu’un homme, moi aussi. » Alors Pierre prit la parole et dit : « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes. » Pierre parlait encore quand l’Esprit Saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la Parole. Les croyants qui accompagnaient Pierre, et qui étaient juifs d’origine, furent stupéfaits de voir que, même sur les nations, le don de l’Esprit Saint avait été répandu. En effet, on les entendait parler en langues et chanter la grandeur de Dieu. Pierre dit alors : « Quelqu’un peut-il refuser l’eau du baptême à ces gens qui ont reçu l’Esprit Saint tout comme nous ? » Et il donna l’ordre de les baptiser au nom de Jésus Christ. Alors ils lui demandèrent de rester quelques jours avec eux.
 
PSAUME
(Ps 97 (98), 1, 2-3ab, 3cd-4)
R/ Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations. ou : Alléluia ! (Ps 97, 2)

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s’est assuré la victoire.

Le Seigneur a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations ;
il s’est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d’Israël.

La terre tout entière a vu
la victoire de notre Dieu.
Acclamez le Seigneur, terre entière,
sonnez, chantez, jouez !

DEUXIÈME LECTURE
« Dieu est amour » (1 Jn 4, 7-10)

Lecture de la première lettre de saint Jean
Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour.
Voici comment l’amour de Dieu s’est manifesté parmi nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui. Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés.
 
ÉVANGILE
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 9-17)
Alléluia. Alléluia. Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, dit le Seigneur ; mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui. Alléluia. (Jn 14, 23)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres. »
Patrick Braud

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13 juillet 2016

Choisir la meilleure part

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Choisir la meilleure part 


Homélie du 16° dimanche du temps ordinaire / Année C
17/07/2016

Cf. également :

Le je de l’ouie

Bouge-toi : tu as de la visite !


Un marché de poisson à Seattle.
Apparemment semblable à tous les marchés de poisson à ciel ouvert. Mais écoutez les vendeurs crier. Notez les regards éberlués des clients.

Il règne ici un climat spécial. En fait, ce sont ces drôles poissons volants qui transforment le marché en aire de jeu, de surprise et de bonne humeur qui font la différence. Les employés vont au contact des passants, leur font toucher les poissons, leur racontent comment ils vivent. Ils jouent avec les enfants. Et quand un client commande une dorade, ils se la lancent d’étal en étal pour qu’elle arrive dans la balance devant la foule médusée. Ce marché périclitait autrefois. Il a failli fermer devant la concurrence. Mais sa philosophie du travail l’a sauvé ! La Fish philosophy du Pike Place Market de Seattle se résume en quatre propositions :

1. Choisir son attitude
Tous les jours, ces travailleurs se lèvent et choisissent de travailler avec le sourire. Le terme « choisir » est très important. Tous les matins, vous pouvez choisir si vous allez appréhender la journée avec une attitude positive. C’est le point qui demande le plus d’effort dans cette philosophie.

2. Être présent
Tous les jours, ils effectuent des routines mais sont présents. Quand les gens ont besoin d’eux, ils sont là, pas uniquement physiquement mais émotionnellement. Ils prêtent attention à leurs clients.

3. Jouer
Tous les jours, ils transforment les tâches les plus pénibles en jeu. Ils jouent, se lancent des poissons, crient, s’amusent.

4. Illuminer la journée de quelqu’un
Tous les jours, ces marchands de poisson illuminent la journée des personnes qu’ils croisent. Les gens rentrent chez eux, retournent travailler après la pause déjeuner et repensent à cette énergie positive avec le sourire, et partageront cette expérience le soir avec leur famille. 

Fish philosophie quatre règles

On est bien loin de l’évangile de Marthe et Marie, me direz-vous ! Pas si sûr… Il s’agit bien dans les deux cas de servir le passant (le Christ / le client). Et de servir sans dissocier le plaisir de la relation (Marie) d’avec le professionnalisme du métier (Marthe).

La philosophie de l’Évangile pour concilier les deux se résume dans cette phrase de Jésus :« Marie a choisi la meilleure part ». Et cette réponse contient elle-même trois composantes essentielles d’un service réussi : choisir / une part / la meilleure part.

 

Choisir

Reprenez cette maxime de Fish philosophy : « Choisir chaque jour son attitude au travail ».

Afficher l'image d'origineJe n’ai peut-être pas choisi mon métier, encore moins mon poste de travail, ma mission, mes collègues. Comme il faut bien travailler pour manger, je peux me résigner à une conception ‘alimentaire’ de mon boulot. Ou je peux, comme à Pike Place, choisir chaque jour l’attitude que je vais avoir au travail. L’employé chargé de la tâche la plus humble (nettoyage, entretien…) peut par son comportement rayonner quelque chose de plus fort, de plus humain que son patron irascible. Cela n’enlève en rien l’ardente obligation de rétablir l’équité dans les entreprises, de supprimer les privilèges, de diminuer la pénibilité et d’augmenter l’intérêt des tâches à accomplir. On a même inventé la cuisine à l’américaine, en bordure de la salle à manger, pour ne pas isoler les cuisiniers de leur public comme Marthe l’était de Jésus…

Choisir mon attitude du jour permet en même temps de ne pas se résigner et de ne jamais subir un travail par ailleurs imposé.

L’aigreur de Marthe envers sa soeur vient sans doute du fait qu’elle subit ce rôle de femme à la cuisine que la société de l’époque lui impose. Au lieu de vivre joyeusement la préparation des plats – et les cuisiniers savent combien ces gestes peuvent être chargés d’amour – pour leur invité, Marthe peste en son fort intérieur. Elle râle, elle trouve injuste d’être privée de la conversation avec ce Jésus qu’on aimerait écouter des heures durant. Du coup elle en devient jalouse, et voudrait tant qu’à faire que sa soeur Marie soit rabaissée elle aussi à ce rang de servante, à l’écart.

Ne pas choisir son travail, ne pas choisir de faire avec amour ce qui est à faire produit le plus souvent aigreur et jalousie. La même mission, quelque soit sa nature, peut devenir aliénante ou épanouissante selon la densité de présence que l’on y accorde.

Dans une équipe professionnelle, sur un open space ou sur un chantier, il y a toujours une ou deux de ces personnes qui catalysent par leur manière d’être le plaisir de travailler ensemble, la cohésion, l’entraide, la bonne humeur qui rend tout plus facile…

Chacun peut/doit choisir comment il va vivre sa journée. Ne pas choisir, c’est subir, se résigner, s’aigrir.

 

Choisir une part

« Je choisis tout » écrivait Thérèse de Lisieux… On peut légitimement critiquer cette envie un peu folle d’être tout ! La sagesse commande au contraire d’accomplir d’accepter ses limites, de réguler cette volonté de toute-puissance, et d’apprendre joyeusement à mourir à cette folie adolescente qui veut tout embrasser. Nous ne sommes pas Dieu ! Et Dieu lui-même, en Jésus-Christ, a accepté de se limiter en s’incarnant dans une portion du temps, dans un petit peuple insignifiant… Le Verbe de Dieu a choisi une part d’humanité en ce juif de 30 ans : il n’a pas rêvé d’être de toutes les cultures à la fois ni de tous les temps.

Choisir une part d’humanité est notre façon de jeter l’ancre dans l’existence. Pour avoir une identité singulière il faut bien un jour accepter d’être de tel pays, de telle langue, de tel milieu  professionnel (sans les idolâtrer pour autant). On ne peut pas être tout à la fois. Qui trop embrasse mal étreint, constate fort justement la sagesse populaire.

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Plus j’habite ma particularité, plus je peux entrer en contact, en relation, en écoute avec ceux qui ont choisi une autre part. Plus je réalise la part est la mienne et mieux je peux laisser les autres accomplir la leur.

Le patron qui veut tout faire devient un tyran. L’évêque qui décide de tout s’isole de tous. Les parents qui veulent être à la fois le copain, l’éducateur, le professeur, l’animateur, le confident de leurs enfants seront rejetés comme étouffants et finalement incompétents.

Choisir sa part est donc un enjeu d’humanité pour trouver sa place, être reconnu dans la société. Le plus difficile est évidemment de discerner quelle est ma part, celle où je vais donner le meilleur de moi-même, celle où le fait d’être moi-même aidera les autres à devenir eux-mêmes, sans jalousie.

Ce choix est à réactualiser sans cesse ! Charles de Foucauld a d’abord choisi d’être un étudiant fêtard et bling bling. Puis il a voulu partir au Maroc comme explorateur au service de l’armée française. Puis il a ressenti l’appel à s’enfouir à Nazareth, incognito, comme jardinier anonyme d’une communauté de religieuses. Et finalement il a discerné que sa part à lui était à l’Assekrem, en plein désert du Hoggar, au milieu des touarègues et de l’umma musulmane. À chaque étape son choix était limité, voire étroit. C’est pourtant ainsi qu’il est devenu le « frère universel » dont la trajectoire peut parler à des chercheurs de Dieu de tous bords.

Choisir une part d’humanité et l’habiter intensément est le deuxième palier que Marie a franchi pour réussir l’accueil de Jésus dans sa maison. Je ne peux pas être à la fois à la cuisine, sur la route avec les apôtres, dans la foule des suiveurs, et au pied du Christ : alors je ne choisis qu’une part, celle de l’écoute par exemple, et je vais pleinement assumer cette part de l’accueil qui ainsi va devenir la meilleure part pour moi.

 

Choisir la meilleure part

« La meilleure » : on peut bien sûr interpréter cet adjectif de Jésus comme une supériorité de la contemplation sur l’action, de l’écoute sur le faire.

On pourrait également penser que cette  part est devenue la meilleure pour Marie à partir du moment où elle l’a choisie et l’habite intensément. Car au lieu de « s’agiter pour beaucoup de choses », si Marthe avait exercé son art de la cuisine pour quelqu’un, et dans la paix intérieure de celle qui sait pour qui elle accomplit tout cela, alors Marthe aurait découvert que cette part est également la meilleure pour elle.

La cohérence et l’unité intérieure de celui qui accomplit une action fait de ce moment le meilleur moment au monde. Que ce soit écouter de la musique, chanter des psaumes, jongler avec un tableau Excel ou négocier un contrat pour son équipe, toute tâche si elle est accomplie avec amour devient réellement la meilleure que nous pouvons vivre à l’instant t.

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Examinons les choix que nous pouvons faire, la manière dont nous les habitons, et nous entendrons au plus intime de nous-mêmes l’Esprit du Christ nous encourager : « tu as choisi la meilleure part, va jusqu’au bout ! »

 

1ère lecture : « Mon seigneur, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur » (Gn 18, 1-10a)
Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham, qui était assis à l’entrée de la tente. C’était l’heure la plus chaude du jour. Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente et se prosterna jusqu’à terre. Il dit : « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur. Permettez que l’on vous apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre. Je vais chercher de quoi manger, et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « Fais comme tu l’as dit. » Abraham se hâta d’aller trouver Sara dans sa tente, et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine, pétris la pâte et fais des galettes. » Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer. Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l’on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d’eux, sous l’arbre, pendant qu’ils mangeaient. Ils lui demandèrent : « Où est Sara, ta femme ? » Il répondit : « Elle est à l’intérieur de la tente. » Le voyageur reprit : « Je reviendrai chez toi au temps fixé pour la naissance, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »

Psaume : Ps 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5

R/ Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? (Ps 14, 1a)

Celui qui se conduit parfaitement,
qui agit avec justice
et dit la vérité selon son cœur.
Il met un frein à sa langue.

Il ne fait pas de tort à son frère
et n’outrage pas son prochain.
À ses yeux, le réprouvé est méprisable
mais il honore les fidèles du Seigneur.

Il ne reprend pas sa parole.
Il prête son argent sans intérêt,
n’accepte rien qui nuise à l’innocent.
Qui fait ainsi demeure inébranlable.

2ème lecture : « Le mystère qui était caché depuis toujours mais qui maintenant a été manifesté » (Col 1, 24-28)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Colossiens

Frères, maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église. De cette Église, je suis devenu ministre, et la mission que Dieu m’a confiée, c’est de mener à bien pour vous l’annonce de sa parole, le mystère qui était caché depuis toujours à toutes les générations, mais qui maintenant a été manifesté à ceux qu’il a sanctifiés. Car Dieu a bien voulu leur faire connaître en quoi consiste la gloire sans prix de ce mystère parmi toutes les nations : le Christ est parmi vous, lui, l’espérance de la gloire !
 Ce Christ, nous l’annonçons : nous avertissons tout homme, nous instruisons chacun en toute sagesse, afin de l’amener à sa perfection dans le Christ.

Evangile : « Marthe le reçut. Marie a choisi la meilleure part »(Lc 10, 38-42)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
Heureux ceux qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance.
Alléluia. (cf. Lc 8, 15)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Patrick BRAUD

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