L'homélie du dimanche (prochain)

24 août 2020

Mon âme a soif de toi

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Mon âme a soif de toi

Homélie pour le 22° Dimanche du temps ordinaire / Année A
30/08/2020

Cf. également :

Le serpent temporel
L’effet saumon
Le jeu du qui-perd-gagne
La différence entre martyr et kamikaze ou djihadiste
Les trois soifs dont Dieu a soif

Le Psautier : Version oecuménique, texte liturgiqueLe psaume de notre liturgie (2° lecture ; Ps 62) est celui de l’office de Laudes de chaque dimanche du temps pascal et de la semaine I. Tous ces dimanches, des millions d’hommes et de femmes s’éveillent à la louange du jour de la Résurrection avec les mêmes mots sur leurs lèvres : « Dieu tu es mon Dieu ; je te cherche dès l’aube. Mon âme a soif de toi, terre aride, altéré, sans eau ».

Le thème de la quête et celui de la soif se croisent ainsi en un gémissement où le désir de Dieu s’accroît de psalmodier ce cri plusieurs fois millénaire. Avoir soif de Dieu, le chercher en toutes choses et avant toutes choses, c’est le moteur même de la vie spirituelle. Reconnaître qu’il me manque, que mon désir le plus vrai au-delà des pulsions instinctives est orienté vers lui : les psaumes n’en finissent pas de chercher Dieu, criant vers lui « des profondeurs » ou « jubilant à l’ombre de ses ailes », blottis en lui « comme un petit enfant tout contre sa mère » ou désespérés de n’éprouver que son silence et son absence… Comme le psaume 62 (63), le psaume 41 (42) exprime lui aussi notre soif de Dieu et l’intensité de notre quête de Dieu, mais à travers l’image d’un cerf assoiffé : « comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche, toi mon Dieu ». Cette allégorie du cerf assoiffé est souvent sculptée sur les façades de nos églises romanes, en la situant dans une scène de chasse familière en ces temps-là (XI°–XIII° siècles).

 

La double frise de la cathédrale d’Angoulême

Un des plus beaux exemples de cette soif de Dieu incarnée dans un cerf est gravé sur la façade et le chevet de la cathédrale d’Angoulême (Charente). Chef-d’œuvre de l’art roman à coupoles, sa façade est une véritable catéchèse de pierre regorgeant de symboles. Parmi eux, une première frise assez longue (4m à 5 m sur 1 m de hauteur) représente un cerf pourchassé par les chiens d’une meute.

 

La chasse à courre : une frise mystique

En bas à droite de la façade, cette frise attire nos regards. Un cerf y est pourchassé par un cavalier (qui sonne de sa trompe et tient un arc à la main avec sa flèche prête à être tirée), deux chiens, et un maître piqueur avec son lévrier en laisse.  C’est donc une scène de chasse à courre.

Frise Cerf Cathédrale Angoulême Façade

Frise Cathédrale Angoulême Façade

Pourquoi graver une scène de chasse sur la façade d’une cathédrale ?
Parce que Girard II (l’auteur de la cathédrale, évêque d’Angoulême de 1102 à 1130 environ) aurait été chasseur ? par pur motif esthétique ?
Sans doute non. La chasse est en effet un thème spirituel omniprésent dans la littérature spirituelle biblique, depuis les rabbis parlant de la quête de Dieu comme d’une chasse, jusqu’aux Pères de l’Église exploitant tous les détails de cette allégorie de la chasse à courre pour parler du désir de Dieu.
Ne dit-on pas en français courant : « se mettre en chasse » pour désigner la quête d’un objet, ou même d’un partenaire amoureux ? Se mettre en quête du Christ est donc une condition indispensable pour parcourir le programme de la façade de la cathédrale.

Dans l’iconographie médiévale, le cerf en était venu à désigner le Christ. Ses bois évoquent le bois de la Croix, car ils repoussent si on les coupe, à l’image du Christ ressuscitant quand on lui enlève la vie. On raconte qu’Hubert se convertit en voyant dans les bois d’un cerf le signe de la Croix du Christ ; saint Eustache également (ils devinrent pour cela patron des chasseurs / des sonneurs).

Le chercheur de Dieu devient lui-même un cerf : « comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche, toi mon Dieu. Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant… » (Ps 42)
« De même que le cerf, après avoir été chassé, a soif, de même toi, cours tout bonnement devant toi et laisse s’allumer en toi une nouvelle soif de Dieu. C’est pour cela que tu es chassé. Ou encore : « l’homme, cerf chassé, court à Dieu comme il convient, gagné par la soif de Celui en qui sont réellement toute paix, toute vérité, toute consolation » (Tauler au XIV° siècle).

Cette frise est donc proprement mystique. Elle traduit le désir de Dieu, la quête intérieure qui permet au visiteur d’entrer véritablement dans le mystère offert par la cathédrale, au lieu d’en rester purement extérieur. Celui qui entre sans être habité par une soif de Dieu comparable à celle du cerf poursuivi par la meute risque de passer à côté de ce que la cathédrale a à lui offrir.

 

La chasse à courre : le désir infini

De manière inclusive, fortement voulue par l’auteur de la cathédrale, le chevet de l’édifice comporte une frise semblable, celle d’une biche, frémissante de sa course, poursuivie par deux chiens à la gueule ouverte et aux crocs menaçants.

Frise Cerf Cathédrale Angoulême Chevet

Frise Cathédrale Angoulême Chevet

Elle forme donc une magnifique inclusion avec la frise de la chasse à courre sur la façade, à l’autre extrémité de l’édifice, ainsi traversé de part en part par le thème de la soif de Dieu. Même après avoir franchi la porte, s’être rassemblé avec l’Église, avoir communié au Christ dans son eucharistie, le chemin n’est pas encore terminé pour autant ! Ni la vie en Église, ni les sacrements ne suffisent pour aller totalement à la rencontre du Dieu vivant. La quête spirituelle continue une fois sorti de la cathédrale, et se prolonge dans tous les domaines de la vie. La dimension mystique de la foi se nourrit de ce passage dans la cathédrale, et se joue dans la vie intérieure, mais aussi familiale, sociale…

Il s’agit de ne jamais enclore la recherche de Dieu, de ne jamais croire qu’on l’a trouvé. Comme l’écrivait le génial Saint Augustin : « Le chercher avec le désir de le trouver, et le trouver avec le désir de le chercher encore…. »

La biche poursuivant sa course, haletante du désir de Dieu, nous invite à ne jamais nous arrêter dans notre propre course intérieure. « Le seul élément stable du christianisme, c’est l’ordre de ne s’arrêter jamais » (Bergson). « Car c’est là proprement voir Dieu que ne d’être jamais rassasié de le désirer sans cesse… » (Grégoire de Nysse).

 

Jean Tauler et le cerf altéré

Une fois n’est pas coutume, voici le sermon 11 de Jean Tauler (1300–1361), un des plus grands représentants du courant appelé « mystique rhénane » (au XIV° siècle en Rhénanie), avec Maître Eckhart et Henri Suso. Tauler évoque la soif spirituelle qui fait de nous des cerfs pourchassés par les tentations, mais promis à la jubilation de la source à pleine gorgées.

 

Sermon 11 [1]

Mon âme a soif de toi dans Communauté spirituelle 51DYVRZ82XL._SX285_BO1,204,203,200_« Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi » (Jn 7,37–38).
Ce qu’est la soif de Dieu. Comment elle se développe pareille à celle d’un cerf, dans la chasse faite à l’homme par les chiens de multiples tentations.

« Si quelqu’un a soif ». Qu’est-ce donc que cette soif ? C’est tout simplement ceci : quand le Saint Esprit vient dans l’âme et y allume un feu d’amour, un charbon d’amour qui provoque dans l’âme un incendie d’amour. Du feu de cet incendie jaillisse alors des étincelles d’amour qui engendrent une soif et un délicieux désir de Dieu ; et il arrive parfois que l’homme ne sache pas alors ce qu’il a, tant il ressent une détresse et un dégoût de toute créature.

« Comme le cerf soupire après l’eau vive, mon âme a soif de toi, mon Dieu. (Psaume 41,2).
Quand le cerf est vivement chassé par les chiens à travers forêts et montagnes, son grand échauffement éveille en lui une soif et un désir de boire plus ardents qu’en aucun autre animal. De même que le cerf est chassé par les chiens, ainsi le débutant dans les voies de Dieu est chassé par les tentations. Dès qu’il se détourne du monde, il est en particulier pourchassé avec ardeur par sept forts mâtins vigoureux et agiles. Ce sont les sept péchés capitaux. Ils le chassent avec de fortes et grandes tentations. Plus cette chasse est vive et impétueuse, plus grande devrait être notre soif de Dieu et l’ardeur de notre désir. Parfois il arrive qu’un des chiens rattrape le cerf et s’accroche, avec ses dents, au ventre de la bête. Quand alors le cerf ne peut se débarrasser du chien, il l’entraîne avec lui près d’un arbre et le frappe si fort contre l’arbre qu’il lui brise la tête et ainsi s’en délivre. Voilà précisément ce que l’homme doit faire. Quand il ne peut se rendre maître de ses chiens, de ses tentations, il doit en grande hâte courir à l’arbre de la Croix et de la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ et là y cogner son chien, c’est-à-dire sa tentation et lui briser la tête. Cela veut dire que là, il triomphe de toute tentation et s’en délivre complètement.

Mais quand le cerf s’est débarrassé des gros chiens, viennent alors les petits bassets qui courent sous le cerf et le mordillent çà et là. Le cerf ne se garde pas suffisamment de ces petits chiens, et cependant ils le déchiquettent tant et si bien qu’il finit par en faiblir. Il en va de même pour l’homme. Quand il s’est débarrassé et a triomphé des grosses fautes, alors accourent les petits chien dont il ne se garde pas : bijoux, compagnies mondaines, passe-temps humains, amabilités, peu importe, tout cela l’entame çà et là par petits morceaux, c’est-à-dire qu’ils éparpillent son cœur et son for intérieur, de telle sorte que cet homme finit, comme le cerf, par faiblir dans toute sa vie pieuse, à la grâce et à la dévotion. Tout son zèle pour la piété s’évanouit un ainsi que tout sentiment de Dieu et de toute sainte pensée. C’est ainsi que ces petits chiens lui font souvent plus de tort que les grandes tentations. Car des grandes, il se garde, les tenants pour mauvaises, mais des petites, il ne s’en soucie pas.

Voici maintenant ce que font souvent les chasseurs. Quand le cerf est épuisé de soif et de fatigue, ils rappellent et retiennent les chiens pendant quelque temps – quand ils sont sûrs  de tenir le cerf – et ils le laissent un peu reprendre haleine pendant quelques instants. La bête en est ainsi très réconfortée et peut d’autant mieux supporter la chasse une seconde fois. C’est ainsi qu’agit notre Seigneur. Quand il voit que la tentation et sa chasse deviennent trop violentes et trop pénibles pour l’homme, il les arrêtent un peu et met sur les lèvres du cœur de l’homme une goutte de la douce saveur des choses divines. L’homme en est si fortifié que tout ce qui n’est pas Dieu lui paraît méprisable, et qu’il lui semble alors avoir triomphé de toute sa misère. Mais ce n’est là qu’un réconfort pour une nouvelle chasse. Au moment où il y pense le moins, voilà que les chiens lui sautent de nouveau à la gorge et l’assaillent avec un acharnement beaucoup plus fort que la première fois. Mais cependant il est fortifié et a bien plus de résistance qu’auparavant.

Quand le cerf a triomphé de tous les chiens et qu’il est arrivé à l’eau, il s’y abandonne à boire à pleine bouche et se désaltère tout à son aise, autant qu’il peut. L’homme agit de même lorsque, avec le secours de Dieu, il s’est débarrassé de toute la meute de chiens, grands et petits, et qu’altéré il arrive à Dieu. Que ferait-il alors si ce n’est de humer et boire à pleine bouche le divin breuvage tant et si bien qu’il soit vraiment enivré et si plein de Dieu, que dans la plénitude de sa félicité, il s’oublie complètement lui-même. Il ne craint plus ni vie ni mort, ni plaisir ni douleur. Cela vient de ce qu’il est enivré. Après cela, il entre dans une paix ineffable, en sorte que tout lui est allégresse et joie.

« Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi… de son sein couleront des fleuves d’eau vive » (Jn 7, 37-38).
Dieu avait besoin de trouver en nous une soif qui nous attire et lui permette de nous abreuver si abondamment que, du sein de ceux qui ont bu à ce breuvage « couleront des fleuves d’eau vive ».

 


[1]. Jean Tauler, Aux amis de Dieu, Ed. du Cerf, collection Foi vivante, 2001, pp. 41–44.

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE

« La parole du Seigneur attire sur moi l’insulte » (Jr 20, 7-9)

Lecture du livre du prophète Jérémie

Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ; tu m’as saisi, et tu as réussi. À longueur de journée je suis exposé à la raillerie, tout le monde se moque de moi. Chaque fois que j’ai à dire la parole, je dois crier, je dois proclamer : « Violence et dévastation ! » À longueur de journée, la parole du Seigneur attire sur moi l’insulte et la moquerie. Je me disais : « Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. » Mais elle était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir.

PSAUME

(Ps 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 8-9)
R/ Mon âme a soif de toi, Seigneur, mon Dieu ! (cf. Ps 62, 2b)

Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube :
Mon âme a soif de toi ;
Après toi languit ma chair,
Terre aride, altérée, sans eau.

Je t’ai contemplé au sanctuaire,
j’ai vu ta force et ta gloire.
Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !

Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
Comme par un festin je serai rassasié ;
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l’ombre de tes ailes.
Mon âme s’attache à toi,
ta main droite me soutient.

DEUXIÈME LECTURE

« Présentez votre corps en sacrifice vivant » (Rm 12, 1-2)

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains

Je vous exhorte, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.

 

ÉVANGILE

« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même » (Mt 16, 21-27)
Alléluia. Alléluia.Que le Père de notre Seigneur Jésus Christ ouvre à sa lumière les yeux de notre cœur, pour que nous percevions l’espérance que donne son appel. Alléluia. (cf. Ep 1, 17-18)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

 En ce temps-là, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. » Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Alors Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? Et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ? Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors il rendra à chacun selon sa conduite. »
Patrick BRAUD

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17 février 2016

La face de Dieu

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

La face de Dieu

 

Cf. également :

Le sacrifice interdit

Dressons trois tentes…

La vraie beauté d’un être humain

L’alliance entre les morceaux

Visage exposé, à l’écart, en hauteur 

Figurez-vous la figure des figures 

Dieu est un trou noir 

 

Homélie du deuxième dimanche de carême / Année C
21/02/16

 

La biche mystique

Avez-vous déjà remarqué les biches, les cerfs et les scènes de chasse qui ornent souvent nos églises romanes en France et ailleurs ?

Bizarre, non ? Graver une meute de chiens courant après un cerf ou une biche sur la façade d’une cathédrale… Eh bien non, ce n’est pas bizarre ! C’est la traduction médiévale de notre psaume 27,8 : « cherchez ma face, dit Dieu ». « C’est ta face Seigneur que je cherche ».

Chasse à courre 1

Frise de chasse à courre au cerf (façade de la cathédrale d’Angoulême, XII° siècle)

Pourquoi graver une scène de chasse sur la façade d’une cathédrale ? par pur motif esthétique ?

Sans  doute  non.  La  chasse  est  en  effet  un  thème  spirituel  omniprésent  dans  la  littérature  spirituelle et biblique, depuis les rabbis parlant de la quête de Dieu comme d’une chasse, jusqu’aux Pères de l’Église exploitant tous les détails de cette allégorie de la chasse à courre pour parler du désir de Dieu. 

Ne dit-on pas en français courant : « se mettre en chasse » pour désigner la quête d’un objet, ou même d’un  partenaire  amoureux ?  Se  mettre  en  quête  du  Christ  est  une  condition  indispensable  pour entrer dans une église.

Dans l’iconographie médiévale, le cerf en était venu à désigner le Christ. Ses bois évoquent le bois de la Croix, car ils repoussent si on les coupe, à l’image du Christ ressuscitant quand on lui enlève la vie. On raconte qu’Hubert se convertit en voyant dans les bois d’un cerf le signe de la Croix du Christ ; saint Eustache également (ils devinrent pour cela patron des chasseurs / des sonneurs).

Le chercheur de Dieu devient lui même un cerf : « comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche, toi mon Dieu. Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant… » (Ps 42,1)

« De même que le cerf, après avoir été chassé, a soif, de même toi, cours tout bonnement devant toi et laisse s’allumer en toi une nouvelle soif de Dieu. C’est pour cela que tu es chassé ». Ou encore : « l’homme, cerf chassé, court à Dieu comme il convient, gagné par la soif de Celui en qui sont réellement toute paix, toute vérité, toute consolation » (Tauler, XIV° siècle).

 

Cette frise traduit le désir de Dieu,  la  quête  intérieure  qui  permet  au  visiteur  d’entrer  véritablement  dans  le  mystère  offert  par  la cathédrale, au lieu d’en rester purement extérieur.

Chasse à courre 2

Biche chassée par les chiens (chevet de la cathédrale d’Angoulême, XII° siècle)

Surprise : à la sortie, à nouveau le thème de la chasse… C’est une magnifique inclusion, puisque située au chevet, symétriquement à celle de la façade. C’est donc que même après avoir franchi la porte, s’être rassemblé  avec  l’Église,  avoir  communié  au  Christ  dans  son  eucharistie,  le  chemin  n’est  pas  encore terminé  pour  autant !  Ni  la  vie  en  Église,  ni  les  sacrements  ne  suffisent  pour  aller  totalement  à  la rencontre du Dieu vivant. La quête spirituelle continue une fois sorti de la cathédrale, et se prolonge dans tous les domaines de la vie. La dimension mystique de la foi se nourrit de ce passage dans la cathédrale, et se joue dans la vie intérieure, mais aussi familiale, sociale…

Il s’agit de ne jamais enclore la recherche de Dieu, de ne jamais croire qu’on l’a trouvé. Comme l’écrivait le  génial  Saint  Augustin :  « Le  chercher  avec  le  désir  de  le  trouver,  et  le  trouver  avec  le  désir  de  le chercher encore…. »

La biche poursuivant sa course, haletante du désir de Dieu, nous invite à ne jamais nous arrêter dans notre propre course intérieure. « Le seul élément stable du christianisme, c’est l’ordre de ne s’arrêter jamais » (Bergson). « Car c’est là proprement voir Dieu que ne d’être jamais rassasié de le désirer sans cesse… » (Grégoire de Nysse).

 

Cherchez ma face

Afficher l'image d'origineLe psaume 27 de ce dimanche fait le lien en quelque sorte entre le Dieu caché de l’Ancien Testament et la transfiguration du Christ dans le Nouveau Testament :

Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

C’est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.

Beaucoup de textes bibliques, des prophètes notamment, affirmaient que Dieu n’est comparable à aucun être humain, par ce que il est le Tout Autre. Il n’est pas comme les statues des idoles « qui ont des yeux et ne voient pas, une bouche et ne parlent pas ». Dieu est inatteignable, à nul autre pareil. Son Nom même ne peut être prononcé, car ce serait avoir sur lui un pouvoir de nomination qui le rabaisserait au rang d’une idole. Le Tétragramme YHWH marque à jamais la radicale altérité de Dieu sur les frontons des synagogues.

À côté de ce courant farouchement monothéiste subsistaient au sein du peuple d’autres représentations de Dieu, plus proches du polythéisme ambiant. L’expression « la face de Dieu » viendrait ainsi de coutumes royales : on était admis en présence du roi, et voir son visage représentait un honneur et un privilège réservé à quelques-uns. Il y avait également des processions où une statue royale de YHWH, malgré l’interdiction formelle des 10 commandements de ne pas faire d’image divine, était portée dans le Temple de Jérusalem.

Quoi qu’il en soit, le psaume recherche dans l’usage de l’expression anthropomorphique « la face de Dieu » une proximité, une familiarité qui puisse nourrir le peuple de l’espoir d’un Dieu accessible, alors que les dieux étrangers étaient bien lointains et indifférents au sort des hommes.

 

Voir Dieu face à face

Afficher l'image d'origine« Nul ne peut voir Dieu sans mourir » (Ex 33,20) : cette conviction biblique qui met Dieu à l’abri de nos projections humaines a quand même quelques exceptions célèbres dans l’Ancien Testament. Moïse est le plus connu.

« Yahvé parlait à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami, puis il rentrait au camp » (Ex 33,11). « Il ne s’est plus levé en Israël de prophète pareil à Moïse, lui que Yahvé connaissait face à face » (Dt 34, 1.10).

La plupart du temps, Dieu n’est pas visible : « vraiment tu es un Dieu qui se cache, Dieu d’Israël Sauveur », ce qui ne l’empêche donc pas d’agir pour son peuple puisqu’il est sauveur, mais il le fait à sa manière. Et les voies de Dieu ne sont pas celles des hommes.

On voit que dans tout l’Ancien Testament oscille entre radicale altérité et bienfaisante proximité de Dieu envers son peuple.

 

Cherchez la face de Dieu

La vie spirituelle s’est alors focalisée sur la recherche des signes de la promesse de Dieu. La plupart du temps, c’est après coup que nous pouvons discerner les traces de son passage, un peu comme Élie n’apercevant Dieu que de dos, dans le murmure de la brise légère (1R 19, 9-18). Mais le psaume chante que chercher Dieu est la vraie soif de l’être humain, le véritable objet de la chasse à courre mystique. « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé » écrit Augustin dans ses Confessions (repris par Blaise Pascal dans ses Pensées). Comme si Dieu prenait un divin plaisir à jouer à cache-cache avec nous, pour éveiller notre désir et l’agrandir à la taille de son immensité, c’est-à-dire sans limites…

 

La Transfiguration, ou le vrai visage de Dieu

Afficher l'image d'origineEt voilà que celui que l’Ancien Testament avait cherché se révèle en Jésus de Nazareth ! Sur son visage d’homme on pouvait lire les traits divins. Sur le Mont Thabor, la face de Jésus irradie de façon si bouleversante que les trois témoins n’oublieront jamais cet éblouissement intense. Lorsque Jésus sera défiguré dans sa Passion, ils se souviendront après coup que la gloire de Dieu habitait cet homme. C’est donc pour que tout homme humilié comme le crucifié puisse recevoir du Christ la révélation de sa dignité divine qui est en lui. La transfiguration de Jésus nous apprend que, de manière surprenante, c’est Dieu le premier qui cherche le visage de l’homme. Comme au jardin de la Genèse où Adam a peur et se cache le visage, c’est nous qui nous dérobons au face à face. Dieu lui se donne entièrement à voir en Jésus de Nazareth. De la gloire du Mont Thabor à l’opprobre de la croix, c’est bien le visage de Dieu qui apparaît en cet homme faisant corps avec les damnés de la terre.

Depuis la transfiguration, chercher la face de Dieu ne se fait pas en s’évadant dans le ciel (« pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? »), mais en descendant du Thabor pour plonger au plus profond de l’enfer humain, et révéler  à tout homme humilié quelle est sa vraie beauté, sa vraie dignité en Dieu.

 

Chercher le visage de Dieu nous pousse aujourd’hui à côtoyer les regards perdus des malades d’Alzheimer dans nos EHPAD, nos foyers longs séjours d’hôpitaux. Avoir soif de la proximité divine nous amène à parcourir les jungles de Calais ou de Calcutta, les bidonvilles d’Inde ou d’Afrique pour essuyer la honte et la misère autour de ces visages, comme Véronique essuyait avec un linge la face tuméfiée de Jésus supplicié marchant vers le Golgotha.

Entretenir une vie spirituelle authentique ne peut se faire sans chercher passionnément la beauté de Dieu qui se cache en chacun, en chacune. Si Dieu a pris chair de notre chair, c’est dans la chair du monde qu’il nous donne désormais rendez-vous pour contempler sa face.

 

Les moines qui s’isolent pour chercher le visage de Dieu ne le font pas pour se couper du monde. Au contraire, toutes les règles monastiques prônent qu’accueillir les voyageurs et les étrangers, c’est accueillir le Christ en personne à l’hôtellerie du monastère, sans le dissocier de sa contemplation au tabernacle. Ainsi, saint Vincent de Paul ne disait-il pas à ses soeurs qui pestaient contre les mendiants sonnant à leur porte et les dérangeant à l’heure de l’office : 

« Il ne faut pas du retardement en ce qui est du service des pauvres. Si, à l’heure de votre oraison le matin, vous devez aller porter une médecine, oh, allez-y en repos. Offrez à Dieu votre action. Unissez votre intention à l’oraison qui se fait à la maison ou ailleurs et allez sans inquiétude. Si, quand vous serez de retour, votre commodité vous permet de faire quelque oraison ou lecture spirituelle, à la bonne heure, mais il ne faut point vous inquiéter ni croire avoir manqué, car on ne perd pas l’oraison quand on la quitte pour un sujet légitime. Et s’il y a un sujet légitime, c’est bien le service du prochain, car ce n’est point quitter Dieu que quitter Dieu pour Dieu. C’est-à-dire une œuvre de Dieu pour en faire une autre qui soit peut-être de plus grande obligation ou de plus grand mérite. Vous quittez l’oraison ou la lecture, vous perdez le silence pour assister un pauvre : sachez, mes filles, que faire tout cela c’est servir Dieu. Car, voyez-vous, la charité est par-dessus toutes les règles. Il faut que toutes les règles se rapportent à celle-là, car la charité est une grande dame et il faut faire ce qu’elle commande. Allons donc, et employons-nous avec un amour nouveau à servir les pauvres. Et même cherchons les plus pauvres et les plus abandonnés. Reconnaissons, devant Dieu, que ce sont nos seigneurs et nos maîtres et que nous sommes toujours indignes de leur rendre de petits services ».

Toute prétendue spiritualité qui voudrait se mettre à part, se couper du monde pour chercher Dieu entre soi serait en contradiction maximum avec la transfiguration du Christ sur la montagne.

Alors, cherchons nous aussi la face de Dieu, avec les psalmistes du Temple de Jérusalem, avec le roi David inventant une autre gouvernance pour son peuple, avec les prophètes défendant la dignité des pauvres, des immigrés, des orphelins et des veuves. Cherchons la face de Dieu sur les visages des inconnus comme des illustres.

« Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche, toi mon Dieu » : creusons en nous cette soif de découvrir le vrai visage de Dieu sur ceux que personne ne regarde plus, si ce n’est avec mépris, peur ou haine…

 

 

1ère lecture : Le Seigneur conclut une alliance avec Abraham, le croyant (Gn 15, 5-12.17-18)
Lecture du livre de la Genèse

En ces jours-là, le Seigneur parlait à Abraham dans une vision. Il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » Et il déclara : « Telle sera ta descendance ! » Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste.

 Puis il dit : « Je suis le Seigneur, qui t’ai fait sortir d’Our en Chaldée pour te donner ce pays en héritage. » Abram répondit : « Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir que je l’ai en héritage ? » Le Seigneur lui dit : « Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe. » Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l’autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux. Comme les rapaces descendaient sur les cadavres, Abram les chassa. Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux tomba sur Abram, une sombre et profonde frayeur tomba sur lui. Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : « À ta descendance je donne le pays que voici, depuis le Torrent d’Égypte jusqu’au Grand Fleuve, l’Euphrate. »

Psaume : Ps 26 (27), 1, 7-8, 9abcd, 13-14
R/ Le Seigneur est ma lumière et mon salut.  (Ps 26, 1a)

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

Écoute, Seigneur, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

C’est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.
N’écarte pas ton serviteur avec colère :
tu restes mon secours.

J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur. »

2ème lecture : « Le Christ transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux » (Ph 3, 17 – 4, 1)
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens

Frères, ensemble imitez-moi, et regardez bien ceux qui se conduisent selon l’exemple que nous vous donnons. Car je vous l’ai souvent dit, et maintenant je le redis en pleurant : beaucoup de gens se conduisent en ennemis de la croix du Christ. Ils vont à leur perte. Leur dieu, c’est leur ventre, et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne pensent qu’aux choses de la terre.

Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir. Ainsi, mes frères bien-aimés pour qui j’ai tant d’affection, vous, ma joie et ma couronne, tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.

Evangile : « Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre » (Lc 9, 28b-36)

Acclamation : Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.
De la nuée lumineuse, la voix du Père a retenti : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! »
Gloire au Christ, Parole éternelle du Dieu vivant. Gloire à toi, Seigneur.  (cf. Mt 17, 5)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante. Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés. Ces derniers s’éloignaient de lui, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est bon que nous soyons ici ! Faisons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu’il disait. Pierre n’avait pas fini de parler, qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu’ils y pénétrèrent. Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » Et pendant que la voix se faisait entendre, il n’y avait plus que Jésus, seul. Les disciples gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.
Patrick BRAUD

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