Saules pleureurs
Saules pleureurs
Cf. également :
L’Aujourd’hui de Dieu dans nos vies
L’événement sera notre maître intérieur
Homélie du 3° dimanche du temps ordinaire / Année C
24/01/2015
Nous admirons souvent ces amples panaches verts au bord des fleuves : les saules pleureurs font partie de ces arbres à la puissance évocatrice impressionnante. On dirait qu’ils tirent du flux du courant à leur pied une grâce nonchalante dont les branches-lianes s’épanouissent en courbes majestueuses, en paraboles vert tendre retombant vers la rivière. Pourquoi nous faut-il penser aux larmes au point de les appeler pleureurs ? Peut-être parce que de la sève ou de l’eau de condensation peuvent s’écouler des feuilles et des branches en quantité abondante. Peut-être parce que ces branches semblent couler comme des larmes vers le fleuve…
En tout cas, le peuple écoutant la Loi proclamée et interprétée (cf. première lecture Ne 8,2-10) devient comme les saules pleureurs le long de nos rives. Il boit les paroles découlant des textes, il est touché par l’interprétation qu’en font les lévites, il est ému aux larmes lorsqu’il ressent l’actualité de ce message pour lui aujourd’hui.
Avez-vous jamais pleuré en écoutant ou lisant la Bible ?
Pleuré au point de laisser réellement couler ces perles d’abandon que sont les larmes du peuple écoutant Esdras ?
Vous avez sans doute pleuré devant un paysage à couper le souffle, ou quand une musique vous perce le coeur, ou devant l’être aimé qui vous comble de bonheur… Mais avez-vous souvenir d’une telle émotion à la lecture d’un passage biblique, à l’audition d’une homélie sur des lectures du dimanche, à l’écho qu’une parole de Dieu a suscité en vous ? Si non, priez instamment pour que ce don des larmes vous soit fait avant de mourir ! Celui qui est imperméable à la parole biblique au point de la laisser ruisseler sur lui comme sur les plumes d’un canard sans jamais en être inondé peut-il vraiment en vivre ? Comment un saule pourrait-il s’épanouir s’il n’était plus pleureur grâce à ses racines puisant l’eau du fleuve ?
Le don des larmes
Les siècles précédents faisaient l’éloge de ce don des larmes. Blaise Pascal notamment sur ses bouts de papier cousus dans la doublure de son vêtement en guise de témoins de sa conversion : « Joie, joie, joie, pleurs de joie »…
Les mystiques racontent avec pudeur comment certains passages de la Bible ont rompu en eux les digues intérieures qui cherchaient à maîtriser et contenir la grâce et la joie.
Dans la première lecture, le peuple pleure de contrition, car la parole de Dieu lui révèle son péché d’idolâtrie à l’origine de son exil à Babylone, et en même temps il pleure de joie, car le salut lui est donné par le Dieu d’Israël.
Pleurer est l’une des expériences les plus bouleversantes qu’il nous soit donné de vivre (cf. Et Jésus pleura).
Là, nous lâchons prise, enfin.
Là, nous consentons à nous-mêmes, vraiment.
« L’âme est émue de pleurs de joie. L’esprit conçoit une joie ineffable qui ne peut plus être cachée et qu’aucun mot ne peut exprimer… Il n’est pas dit ‘Heureux le peuple qui dit sa joie’, mais qui la connaît – cette joie qui peut être connue ne peut se dire. Elle est ressentie mais elle est bien au-delà de tout sentiment. La conscience de celui qui la ressent ne suffit pas à la contempler, comment pourrait-elle jamais l’exprimer. Je verrai ta face dans l’allégresse (Jb 33, 26).
Grégoire le Grand, Moralia 23, 10
Ces larmes nous lavent de nos souillures, puis fertilisent le terreau de nos vies pour s’épanouir en arabesques aussi belles que les lianes du saule…
Saül pleureur ?
Saül a-t-il pleuré lors de son éblouissante rencontre du Ressuscité ? Le jeu de mots est tentant… On sait juste que ses yeux ont été touchés, d’une autre manière, par des écailles lui ôtant la vue. L’eau du baptême a ruisselé sur sa tête après que ces écailles soient tombées : les larmes sacramentelles de l’Église ont coulé sur les yeux de Saül délivrés de leur carapace aveuglante.
« Les larmes du cœur, c’est ce qui distingue le fait extérieur des faits intérieurs. Vous savez que les hypocrites ne savent pas pleurer. Ils ont oublié comment pleurer, ils ne demandent pas le don des larmes » (Pape François, pour le Mercredi des Cendres 2015).
Être comme des saules pleureurs est donc l’un des enjeux de la vie spirituelle ! Cela demande du lâcher-prise, de la familiarité avec ses propres émotions.
Des pleurs à Nazareth ?
Les yeux des habitants de Nazareth sont fixés sur Jésus venant de proclamer le livre d’Isaïe (Lc 4,14-21). Certains ont-ils pleuré en entendant cet enfant du pays déclarer accomplir la prophétie ? « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre ». Ceux-là deviendront disciples. Les autres voudront éliminer celui qui se prétend prophète en son pays.
Devant quoi, devant qui pleurons-nous ?
Quelles paroles nous émeuvent aux larmes ?
Gravons précieusement en mémoire, comme Pascal les cousant dans sa doublure, ces moments si précieux où l’Écriture nous est devenue parole bouleversante.
Dans les moments de doute, revenons à ces pleurs de joie.
Dans les temps d’épreuve, ouvrons à nouveau ces réservoirs de confiance.
Et si par bonheur l’indicible nous submerge encore à nous faire pleurer à chaudes larmes, souvenons-nous de ces saules somptueux qui transforment le courant en frondaison magnifique…
1ère lecture : « Tout le peuple écoutait la lecture de la Loi » (Ne 8, 2-4a.5-6.8-10)
Lecture du livre de Néhémie
En ces jours-là, le prêtre Esdras apporta le livre de la Loi en présence de l’assemblée, composée des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre. C’était le premier jour du septième mois. Esdras, tourné vers la place de la porte des Eaux, fit la lecture dans le livre, depuis le lever du jour jusqu’à midi, en présence des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre : tout le peuple écoutait la lecture de la Loi. Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois, construite tout exprès. Esdras ouvrit le livre ; tout le peuple le voyait, car il dominait l’assemblée. Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout. Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu très grand, et tout le peuple, levant les mains, répondit : « Amen ! Amen ! » Puis ils s’inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur, le visage contre terre. Esdras lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu, puis les Lévites traduisaient, donnaient le sens, et l’on pouvait comprendre.
Néhémie le gouverneur, Esdras qui était prêtre et scribe, et les Lévites qui donnaient les explications, dirent à tout le peuple : « Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu ! Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! » Car ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi. Esdras leur dit encore : « Allez, mangez des viandes savoureuses, buvez des boissons aromatisées, et envoyez une part à celui qui n’a rien de prêt. Car ce jour est consacré à notre Dieu ! Ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre rempart ! »
Psaume : Ps 18 (19), 8, 9, 10, 15
R/ Tes paroles, Seigneur, sont esprit
et elles sont vie. (cf. Jn 6, 63c)
La loi du Seigneur est parfaite,
qui redonne vie ;
la charte du Seigneur est sûre,
qui rend sages les simples.
Les préceptes du Seigneur sont droits,
ils réjouissent le cœur ;
le commandement du Seigneur est limpide,
il clarifie le regard.
La crainte qu’il inspire est pure,
elle est là pour toujours ;
les décisions du Seigneur sont justes
et vraiment équitables.
Accueille les paroles de ma bouche,
le murmure de mon cœur ;
qu’ils parviennent devant toi,
Seigneur, mon rocher, mon défenseur !
2ème lecture : « Vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps » (1 Co 12, 12-30)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, prenons une comparaison : notre corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit. Le corps humain se compose non pas d’un seul, mais de plusieurs membres.
Le pied aurait beau dire : « Je ne suis pas la main, donc je ne fais pas partie du corps », il fait cependant partie du corps. L’oreille aurait beau dire : « Je ne suis pas l’œil, donc je ne fais pas partie du corps », elle fait cependant partie du corps. Si, dans le corps, il n’y avait que les yeux, comment pourrait-on entendre ? S’il n’y avait que les oreilles, comment pourrait-on sentir les odeurs ? Mais, dans le corps, Dieu a disposé les différents membres comme il l’a voulu. S’il n’y avait en tout qu’un seul membre, comment cela ferait-il un corps ? En fait, il y a plusieurs membres, et un seul corps. L’œil ne peut pas dire à la main : « Je n’ai pas besoin de toi » ; la tête ne peut pas dire aux pieds : « Je n’ai pas besoin de vous ». Bien plus, les parties du corps qui paraissent les plus délicates sont indispensables. Et celles qui passent pour moins honorables, ce sont elles que nous traitons avec plus d’honneur ; celles qui sont moins décentes, nous les traitons plus décemment ; pour celles qui sont décentes, ce n’est pas nécessaire. Mais en organisant le corps, Dieu a accordé plus d’honneur à ce qui en est dépourvu. Il a voulu ainsi qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres. Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie.
Or, vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps.
Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l’Église, il y a premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement ceux qui ont charge d’enseigner ; ensuite, il y a les miracles, puis les dons de guérison, d’assistance, de gouvernement, le don de parler diverses langues mystérieuses. Tout le monde évidemment n’est pas apôtre, tout le monde n’est pas prophète, ni chargé d’enseigner ; tout le monde n’a pas à faire des miracles, à guérir, à dire des paroles mystérieuses, ou à les interpréter.
Evangile : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture »(Lc 1, 1-4 ; 4, 14-21)
Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Le Seigneur m’a envoyé, porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux captifs leur libération. Alléluia. (Lc 4, 18cd)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole. C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus. En ce temps-là, lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge. Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre »
Patrick BRAUD