L'homélie du dimanche (prochain)

24 mai 2020

Le déconfinement de Pentecôte

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le déconfinement de Pentecôte

Homélie de Pentecôte / Année A
31/05/2020

Cf. également :

Les langues de Pentecôte
Pentecôte, ou l’accomplissement de Babel
La sobre ivresse de l’Esprit
Les trois dimensions de Pentecôte
Le scat de Pentecôte
Pentecôte : conjuguer glossolalie et xénolalie
Le marché de Pentecôte : 12 fruits, 7 dons
Et si l’Esprit Saint n’existait pas ?
La paix soit avec vous
Parler la langue de l’autre
Les multiples interprétations symboliques du buisson ardent

Disons-le tout net : autant le confinement du Cénacle ressemblait aux nôtres et nous aidait  à les comprendre, autant le déconfinement de Pentecôte diffère des nôtres et les critique.

Le Cénacle, vestibule de le Pentecôte
On a vu en effet que les 10 jours confinés au Cénacle entre Ascension et Pentecôte avaient bien des points communs avec nos confinements de par le monde. C’est un événement imprévisible qui les provoque (Ascension/pandémie) ; ils reposent sur l’enfermement (portes verrouillées/ »restez chez vous ») imposé ou volontaire ; ils nous font considérer l’autre comme un danger et reposent sur la peur (peur des juifs/peur d’être contaminé par les autres). Ils ne sont pourtant pas dénués de créativité (tirer au sort pour remplacer Judas par Mathias/ingéniosité des soignants en traitement et réanimation, des ingénieurs bricolant des appareils etc.), de doute (Thomas/les controverses entre scientifiques) etc.

 

La Pentecôte, attraction et sortie
À Pentecôte, c’est fort différent (Ac 2, 1-11). Il s’opère bien un déconfinement puisque Pierre sera amené à sortir pour annoncer la résurrection de Jésus à la foule rassemblée autour du Cénacle ; et la petite communauté du Cénacle eut dans la foulée environ 3000 personnes à baptiser (Ac 2,41) : il a donc fallu s’y mettre à 12 au moins, à l’extérieur de la chambre haute !

Mais quand on regarde de près le texte, on s’aperçoit que le premier mouvement n’est pas la sortie du Cénacle ! Au contraire, « tous ensemble » étaient réunis dans la maison lorsque les langues de feu survinrent et qu’ils se mirent à parler en langues (glossolalie et xénolalie). Eux ne sortent pas du Cénacle : c’est la foule des pèlerins qui vient à eux en entendant la rumeur (le chant/les phrases). C’est donc un déconfinement  » de l’extérieur »  (si l’on peut dire) qui se produit dans un premier temps : ce sont les « juifs pieux » de « toutes les nations sous le ciel » qui quittent leur appartenance ethnique pour se laisser rassembler en une seule foule qui deviendra la première communauté chrétienne de Jérusalem. Contrairement à ce qu’on nous présente souvent, le premier mouvement de la mission chrétienne ici n’est pas de sortir vers les autres, mais d’attirer, selon la promesse de Jésus lui-même : « élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32).

Toutes les nations viennent à l’assemblée (ek-klèsia = Église) du Cénacle, attirées par l’action de l’Esprit Saint en elle. Ce n’est que dans un temps second que Pierre et tout le groupe du Cénacle sortiront pour prêcher et baptiser. Centripète avant d’être centrifuge, systole avant la diastole, l’effet de la Pentecôte chrétienne est un déconfinement paradoxal où ce sont les autres qui sortent de leur enfermement (linguistique, ethnique…) pour rejoindre l’Église !

Systole et diastole

Sortir de nos confinements ne doit donc pas nous faire oublier la force d’attractivité qui caractérise normalement la vie ecclésiale : une valeur exemplaire (fraternité, justice etc.) qui attire, une valeur sacramentelle (réalisant en son sein ce qu’elle annonce à tous) qui rassemble parce qu’elle interroge et détonne au milieu de la cité.

Déconfiner les autres est toujours l’une des conséquences étonnantes de l’effusion de l’Esprit dans nos communautés !

 

Pentecôte : le monde d’après
Alors il faut sortir. Car dehors attend une foule, surprise et heureuse d’entendre chacun dans sa langue maternelle la louange de la gloire de Dieu.
À la différence de nos déconfinements, pas de planification, pas de préparation ici pour Pentecôte. Les 12 n’avaient rien prévu. C’est arrivé « tout à coup », sans décision humaine, sans débat ni vote parlementaire, sans programmation de réouverture des écoles, des usines, des restaurants… Il y a entre eux ces deux sorties de confinement le même gap, le même saut, la même rupture qu’entre l’espoir et l’espérance : nos déconfinements traduisent notre volonté de maîtrise du cycle de l’épidémie, celui de Pentecôte traduit la volonté d’abandon à l’énergie intérieure par laquelle l’Esprit Saint remplit le petit groupe du Cénacle. Pas de plan d’évangélisation, pas de programme pastoral, pas de stratégie pour convertir, mais une libre inspiration jaillissant en un témoignage rendu au Christ : « ce Jésus, Dieu l’a ressuscité, nous en sommes témoins » (Ac 2,32). Cela n’empêchera pas Pierre de fort bien construire sa prédication (son kérygme) avec force références à l’Écriture et à l’histoire d’Israël et une pédagogie très habile (« hommes de Judée », puis « Israélites », puis « Frères » Ac 2,14–36).

La responsabilité du politique est bien de prévoir, de planifier, d’organiser, de décider. La responsabilité du religieux est d’écouter ce que l’Esprit dit aux Églises, et de se laisser ainsi guider par Celui qui nous connaît mieux que nous-mêmes. Les deux responsabilités ne s’opposent pas, à condition de respecter la distinction des ordres. Le religieux se dénature lorsqu’il veut contraindre et maîtriser. Le politique devient absolutiste et tyrannique lorsqu’il prétend incarner la volonté de Dieu sur terre…

La Pentecôte inscrit la dé-maîtrise comme l’acte de naissance de l’Église, tant il est vrai que « le vent souffle où il veut ; personne ne sait ni d’où il vient ni où il va » (Jn 3,8). C’est l’Esprit qui de façon inattendue et surprenante conduira l’Église à supprimer la circoncision, à ne plus respecter les interdits alimentaires, le shabbat, à déclarer obsolètes les règles de pureté et d’impureté rituelles, à ne plus faire de différence entre juifs et non juifs etc. Autant dire que le confinement de Pentecôte est extrêmement créatif ! Le monde d’après est très différent du monde d’avant pour les chrétiens remplis d’Esprit Saint. Sortir du Cénacle n’est pas retrouver la vie d’avant, mais inventer un monde nouveau, inimaginable autrement pour ces juifs pieux éduqués selon la Loi.

Le monde d’après coronavirusMalheureusement, notre déconfinement actuel risque de nous faire replonger dans le même monde qu’avant la pandémie, sans grand changement notable. La Terre continuera de se réchauffer, les inégalités d’exploser, les riches de se divertir et les pauvres de survivre péniblement… On améliorera certes nos politiques de santé en prévision de la prochaine pandémie, mais aurons-nous le courage de transformer radicalement nos manières de travailler, de consommer, de voyager, de changer ? La peste noire au XIV° siècle a décimé un tiers de la population européenne, mais n’a pas ralenti la naissance du capitalisme des XV° et XVI° siècles. La grippe espagnole en 1918 a tué plus de gens que la guerre mondiale, mais n’a pas empêché les années folles puis la catastrophe de la crise de 1929 et la guerre de 39-45. Il est hélas fort probable que le Coronavirus n’infléchisse pas grand-chose de nos modes de vie. La majorité va se ruer à nouveau vers la surconsommation de masse, le tourisme low cost, le divertissement mondain ; la relance keynésienne va tourner à plein… La Pentecôte a tout changé pour les amis de Jésus. Notre déconfinement aura-t-il le même pouvoir de transformation de nos existences ? Honnêtement, il y a de quoi douter…

 

 

La créativité de Pentecôte

Le déconfinement de Pentecôte dans Communauté spirituelle la-circoncision

La sortie du Cénacle est certes pleine de créativité, mais pas de manière totale ni  définitive. Ainsi l’Église naissante a su s’affranchir – on l’a dit – de la circoncision, des rituels de pureté, des interdits 

alimentaires etc. mais n’a pas pu/su s’affranchir de la domination masculine dans la répartition des rôles des ministères, ni s’affranchir de l’esclavage comme structure de domination etc. Ces deux pratiques étaient si fortement ancrées et acceptées comme évidentes dans les mentalités de l’époque que même l’Esprit Saint n’a pas pu faire sauter ces verrous dans la foulée de Pentecôte ! Il faudra des siècles pour combattre l’esclavage au nom de la foi chrétienne. Il en faudra encore quelques-uns pour mieux répartir les ministères, les rôles, le pouvoir entre hommes et femmes dans les Églises… C’est comme s’il y avait une inertie du changement humain que même l’Esprit ne peut vaincre en un clin d’œil. Fêter Pentecôte est alors s’engager dans le sillon initialement tracé par l’Esprit, en qui « il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni l’homme et la femme »(Ga 3,28). Nul doute que l’Esprit suscitera d’autres réformateurs et réformes dont l’Église a besoin pour mieux se laisser guider dans la liberté des enfants de Dieu ! « Il vous mènera vers la vérité tout entière » (Jn 16,13).

 

Pentecôte : soudaineté et répétitions
Une dernière différence entre Pentecôte et notre sortie de crise est l’immédiateté.
L’événement des langues de feu est soudain : « tout à coup ». Il provoque immédiatement le parler en langues et le baptême des 3000. Notre déconfinement lui est progressif, selon les régions, les activités, voire les tranches d’âge. On ne peut pas relancer la machine économique d’un pays à 100 % en claquant des doigts, ni protéger de la contamination de manière définitive. Il y aura d’autres morts, d’autres personnes obligées de s’isoler, d’autres vagues, peut-être d’autres virus. Il faudra des mois pour résorber le chômage, les faillites, et des années pour diminuer les dettes contractées à cause du confinement.

Pourtant là encore, à bien regarder le livre des Actes, il n’y a pas qu’une seule Pentecôte en cette année 33 à Jérusalem ! Luc mentionne explicitement une deuxième effusion de l’Esprit juste après la décision de l’assemblée de poursuivre l’annonce de la résurrection malgré les lourdes menaces du Sanhédrin : « Quand ils eurent fini de prier, le lieu où ils étaient réunis se mit à trembler, ils furent tous remplis du Saint-Esprit et ils disaient la parole de Dieu avec assurance. »(Ac 4,31).

Luc raconte ensuite une troisième Pentecôte lorsque Pierre et Jean imposèrent les mains aux Samaritains qui avaient été baptisés sans recevoir l’effusion de l’Esprit Saint : « Alors Pierre et Jean leur imposèrent les mains, et ils reçurent l’Esprit Saint » (Ac 8,17).

Et une quatrième Pentecôte encore plus surprenante, lorsque l’Esprit Saint tombe sur le centurion Corneille et sa famille : « Pierre parlait encore quand l’Esprit Saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la Parole. Les croyants qui accompagnaient Pierre, et qui étaient juifs d’origine, furent stupéfaits de voir que, même sur les nations, le don de l’Esprit Saint avait été répandu. En effet, on les entendait parler en langues et chanter la grandeur de Dieu » (Ac 10,44–46).

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C’est donc que remplir l’Esprit Saint le cœur d’un homme, d’une Église, d’un peuple ne se fait pas en une fois ! Il faut plusieurs effusions répétées, s’élargissant par cercles concentriques jusqu’à atteindre « les extrémités de la terre » (Ac 1,8) et les recoins secrets de chacun. Ne désespérons pas si notre dernière « sobre ivresse  » de l’Esprit nous semble dater ! De multiples Pentecôtes, petites et grandes, jalonneront encore notre chemin : à nous de discerner quand elles se produisent…

 

 

MESSE DU JOUR

PREMIÈRE LECTURE
« Tous furent remplis de l’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues » (Ac 2, 1-11)

Lecture du livre des Actes des Apôtres

Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

PSAUME
(Ps 103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34)
R/ Ô Seigneur, envoie ton Espritqui renouvelle la face de la terre !ou : Alléluia ! (cf. Ps 103, 30)

Bénis le Seigneur, ô mon âme ;
Seigneur mon Dieu, tu es si grand !
Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur !
la terre s’emplit de tes biens.

Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
Tu envoies ton souffle : ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.

Gloire au Seigneur à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses œuvres !
Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le Seigneur.

DEUXIÈME LECTURE
« C’est dans un unique Esprit que nous tous avons été baptisés pour former un seul corps » (1 Co 12, 3b-7.12-13)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens

Frères, personne n’est capable de dire : « Jésus est Seigneur » sinon dans l’Esprit Saint. Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien.
Prenons une comparaison : le corps ne fait qu’un, il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps. Il en est ainsi pour le Christ. C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.

SÉQUENCE

Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut de ciel un rayon de ta lumière. Viens en nous, père des pauvres, viens, dispensateur des dons, viens, lumière de nos cœurs. Consolateur souverain, hôte très doux de nos âmes, adoucissante fraîcheur. Dans le labeur, le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort. Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles. Sans ta puissance divine, il n’est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti. Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé. Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé. À tous ceux qui ont la foi et qui en toi se confient donne tes sept dons sacrés. Donne mérite et vertu, donne le salut final, donne la joie éternelle. Amen.

ÉVANGILE
« De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie : recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 19-23)
Alléluia. Alléluia.Viens, Esprit Saint ! Emplis le cœur de tes fidèles ! Allume en eux le feu de ton amour ! Alléluia.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
C’était après la mort de Jésus ; le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Patrick BRAUD

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21 mai 2020

Le confinement du Cénacle

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

Le confinement du Cénacle

Homélie du 7° Dimanche de Pâques / Année A
24/05/2020

Cf. également :

Ordinaire ou mortelle, la persécution
Dieu est un trou noir
Le dialogue intérieur

 

Clac ! Ne bougez pas, la lumière revient !
Clac ! Le disjoncteur saute… Cela vous est sûrement déjà arrivé d’être ainsi plongé dans le noir. Subitement votre univers familier devient inquiétant, vos repères ne sont plus là. Vous vous cognez au moindre mouvement, au coin d’une table ou au rebord d’un meuble. Paralysé par la peur de vous blesser ou de casser, vous demandez alors à quelqu’un d’aller remettre le disjoncteur en marche là-bas au bout du couloir près de la porte d’entrée. Pendant ce temps, vous retenez votre souffle, essayant de ne pas faire de catastrophe, tâtonnant dans l’obscurité, attendant qu’un nouveau le clac du disjoncteur rétablisse enfin la possibilité d’aller et venir normalement.

Eh bien, toutes proportions gardées, l’expérience de Marie et des Onze au Cénacle est un peu celle-là ! La résurrection du Christ avait mis sous tension l’histoire humaine, incapable de supporter longtemps une telle manifestation d’énergie brute. Le « clac ! » de l’Ascension les avait provisoirement protégés de cette surexposition, mais les avait plongés dans un confinement volontaire au Cénacle d’où ils n’osaient sortir. Ils avaient verrouillé les portes de cette chambre haute par peur des juifs (Jn 20,10). Ils attendaient, sans savoir quoi exactement, un événement qu’il les tirerait de cet isolement temporaire. Il faudra la foudre de Pentecôte (ou plutôt ses langues de feu) pour que ce « clac ! » inverse vienne rétablir leur capacité de relations (les langues des peuples) en les faisant sortir de leur confinement volontaire pour parler à la foule des pèlerins de Jérusalem.

Le Cénacle est ainsi le confinement d’où jaillit l’élan missionnaire qui caractérise l’Église : « Ici est née l’Église, et elle est née en sortie. D’ici elle est partie, avec le Pain rompu entre les mains, les plaies de Jésus dans les yeux, et l’Esprit d’amour dans le cœur. » [1]

 

Le confinement dans la Bible

Le confinement du Cénacle dans Communauté spirituelle comment-vivez-vous-le-confinement-c-est-ce-que-les-archives-de-vesoul-cherchent-a-conserver-a-travers-des-ecrits-des-dessins-des-photos-des-videos-photo-er-ludovic-laude-1586974659Les autres années, nous lisions ce passage par le Cénacle (Ac 1, 12-14) d’une manière distraite, sans y accorder beaucoup d’importance. En 2020, au sortir d’un confinement mondial, la chambre haute verrouillée par peur des autres ressemble étrangement à nos appartements et maisons des mois de mars à mai… Entre Ascension et Pentecôte, le temps biblique semble se figer, et tout est rétréci dans ce Cénacle où la petite troupe des disciples s’enferme, évitant tout contact dangereux avec la ville autour. Nous comprenons désormais beaucoup mieux ce confinement volontaire (10 jours seulement en l’occurrence) qui était le sas indispensable entre le contact avec le Ressuscité après Pâques et l’annonce de l’Évangile à tous les peuples réunis à Jérusalem pour la Pentecôte. On pourrait dire que le phénomène de contagion ici est inversé : c’est bien pour que la Résurrection se propage à tous que les apôtres sortiront de leur confinement, alors que nous espérons ne rien transmettre aux autres en déconfinant nos logements, nos entreprises etc.

Cet entre-deux Ascension–Pentecôte est donc salutaire : ils protègent les proches de Jésus,  le temps de vaincre leur peur des autres.
C’est l’occasion de visiter les confinements mentionnés par la Bible, plus nombreux qu’on ne le penserait.

 

Noé l’insubmersible

L’Arche de Noé. Miniature tirée d'un manuscrit du 15ème siècle.  (Newberry Library, Chicago). Les 40 jours de Noé avec famille et animaux dans l’arche constituent le premier confinement biblique (Gn 7). Il n’est pas volontaire : c’est Dieu qui en donne l’ordre à Noé, afin qu’il ne soit pas submergé par les flots du déluge à venir. En obéissant, en enfermant les siens à l’abri du monde en furie dans l’arche, Noé fait le premier l’expérience d’un confinement salutaire : savoir rester à l’intérieur de ces planches de bois pendant 40 jours lui permettra de sauver les siens, et de refonder une humanité nouvelle vivant de l’Alliance avec Dieu (cf. l’arc-en-ciel). Notre « quarantaine » vient de là : noyer la corruption (ou la peste, ou le virus) pour sortir enfin libres de tout mal une fois le déluge (l’épidémie) asséché.

Spirituellement, Noé nous dit qu’il vaut mieux parfois nous protéger, ne pas nous laisser contaminer, plutôt que de faire comme les autres. Tout le monde se moque de lui pendant qui construit l’arche, et encore plus quand il y monte. Mais les flots ininterrompus lui ont ensuite donné raison. Les Pères de l’Église voyaient dans cette arche la figure de l’Église, faite du bois de la croix destinée à protéger les chrétiens du mal et de la mort.

À la lumière de notre expérience récente du confinement, nous pouvons voir dans la quarantaine de l’arche un appel à la vertu de prudence : ne pas nous exposer au mal plus que nous ne pourrions résister, bâtir des refuges où refaire nos forces, ne pas toujours combattre frontalement mais savoir attendre et patienter…

Et si le confinement, physique ou spirituel, était l’art de devenir insubmersible ?

 

À l’abri du sang pascal

Le peuple d’Israël, épargné grâce au sang de l'agneauLa nuit de la première Pâque, les hébreux se sont enfermés dans leurs maisons, protégés de l’ange exterminateur par le sang de l’agneau pascal marquant le linteau de leur porte (Ex 12). Confinement très bref, à la mesure de la violence intense qui en une nuit a exterminé les premiers-nés de l’Égypte. Quand la mort rôde, physique ou spirituelle, savoir se protéger à l’abri du sang pascal est salutaire.

Il y a un temps pour sortir et un temps pour rester à la maison : la Pâque juive apprend au peuple à distinguer entre ces temps. La Pâque chrétienne prolonge cette éducation du peuple en alternant Cénacle et Pentecôte dans l’histoire de chacun. Les Hébreux confinés chez eux par ordre divin la nuit de Pâques (et chaque famille juive le reproduit à Pessah  dans l’univers domestique de la liturgie de cette nuit) nous invitent à ne pas mettre notre orgueil dans une protection qui viendrait de nous seulement, mais à s’en remettre à Dieu avant tout pour notre salut, notre santé (c’est le même mot : salus en latin), notre liberté. Le confinement de Pessah débouche sur l’Exode, celui du Cénacle sur Pentecôte : c’est le même mouvement d’inspiration-expiration (ou systole-diastole si on préfère) où nous recevons de Dieu la force et le courage de briser nos chaînes pour former le nouveau Peuple de Dieu à partir de toutes les nations.

 

La quarantaine au désert

carte-moise-sinai-canaan Ascension dans Communauté spirituelleImmédiatement après la nuit pascale, confinés dans leur maison, les hébreux ont été propulsés dans un « confinement dehors » qu’ils n’ont pas aimé du tout : les 40 ans au désert, à errer parmi les sables et les rochers vers une Terre promise que la génération des premiers sortis n’a pas vue de ses yeux, Moïse en tête… Rude épreuve que d’être ainsi « enfermés dehors », dans cette immensité entre Sinaï et Golfe persique, sans connaître le but ni le chemin ! Pourtant, ces 40 ans n’ont pas été de trop pour que YHWH éduque ce peuple à la nuque raide, et en fasse le peuple de l’Alliance, des 10 Paroles. Ce douloureux confinement au désert a été la matrice de l’Alliance. Les juifs encore aujourd’hui chaque année construisent des cabanes de branchages sur leur balcon comme au désert pour célébrer Soukkot (fête des Tentes) : c’est donc que le confinement au désert doit régulièrement revenir en nos cœurs, car notre éducation à l’Alliance n’est jamais achevée…

 

Le confinement du tombeau
En demeurant trois jours (selon la mesure juive) confiné dans le tombeau, le corps de Jésus fait l’expérience ultime qui nous attend tous. Être enfermé dans la roche, prisonnier de la lourde pierre roulée à l’entrée, est l’aboutissement de l’incarnation du Verbe qui a assumé jusqu’à cette mise sous séquestre mortelle, isolant de tous et de tous. Peut-être est-ce pour cela que l’Église catholique a longtemps préféré inhumer plutôt qu’incinérer les défunts. Brûler les corps tout de suite, c’est aller trop vite dans notre désir de nous libérer de la mort, comme si les cendres nous évitaient l’épreuve de l’enfermement dans les liens de la mort…

En tout cas, le confinement du sépulcre a permis à Jésus de recevoir la vie nouvelle en son corps : ce n’est pas un fantôme, une idée, une théorie ou une image qui sortit du tombeau, mais un corps humain transfiguré par l’amour tout-puissant de son Père.

Le prophète Jonas avait en quelque sorte préfiguré ce confinement pascal : en restant trois jours et trois nuits dans le ventre du gros poisson (la Bible ne dit pas que c’était une baleine !) qui l’avait avalé, il se préparait à aller malgré tout jusqu’au bout de sa mission. Et quand la créature l’a rejeté sur le rivage Ninive la païenne, Ninive la corrompue, il a compris qu’il ne pourrait pas se dérober à être signe de salut pour ces étrangers tant redoutés et méprisés. Or comme le dit Jésus lui-même : « il y a ici bien plus que Jonas »(Lc 11,32). Le signe de Jonas dont il parle – les trois jours au tombeau, puis le tombeau vide – repose sur ce mystérieux séjour souterrain, presque symétrique de celui - sous-marin - de Jonas qui le préparait à son rôle de prophète pour les païens.

Comment ne pas voir en Jonas à Ninive la figure des apôtres à Jérusalem pendant la fête de Pentecôte où toutes les nations étrangères étaient représentées parmi les pèlerins ?

 

Les confinements inhumains
Tous les confinements bibliques ne sont pas si positifs !
Il suffit d’évoquer par exemple les sièges des cités comme Samarie (2R 6) ou Jérusalem (2R 25) en temps de guerre. Le blocus de la ville engendre famines, rivalités, trahisons, délations, violences comme le confinement a pu en provoquer dans nos quartiers réputés difficiles. Le confinement peut être déshumanisant (jusqu’au cannibalisme lors du siège de Jérusalem), et aggraver les inégalités sociales, jusqu’à la guerre civile.

 cénacleMême en temps de paix, les hommes s’ingénient hélas à exclure et isoler ceux dont ils ont peur, jusqu’à leur imposer un confinement injuste et dégradant. Ainsi les lépreux doivent demeurer hors du camp (Lv 13,46) et finalement hors de la vie commune. De même l’obsession de la pureté rituelle interdisait l’accès du Temple aux femmes ayant leurs règles, aux personnes ayant touché un cadavre ou un porc (!) etc.

Le confinement social imposé à quelques-uns par peur ou ignorance est de tous les temps. Les pauvres sont toujours parqués dans les favelas de Rio ou les bidonvilles de Nairobi, les vieux sont mis à l’écart dans nos EHPAD (ils étaient déjà confinés avant le Coronavirus !), les malades mentaux dans d’effrayantes prisons psychiatriques avec leur camisole chimique etc.

Le confinement social imposé – par peur, égoïsme ignorance – est une torture inhumaine dont nos mois de confinement ne nous ont donné qu’une petite idée. Passer du Cénacle à Pentecôte demande de nous engager à lever ces écrous abominables, à faire sauter ces verrous déshumanisants qui maintiennent les indésirables à l’écart, si près de nous…

 

Les confinements heureux
Heureusement, il y a aussi les confinements volontaires positifs !
Quand Jésus cherche la solitude, à l’écart, pour prier. Quand il nous invite à nous retirer dans une pièce isolée pour prier notre Père qui est là dans le secret (Mt 6,6). Quand les Onze reprennent leur souffle au Cénacle.

La clôture monastique reprendra plus tard ce fil du confinement spirituel volontaire, qui paradoxalement rend plus ouvert à Dieu et aux autres. La cellule du moine est sa source de liberté.

Lorsque la tiédeur se généralisa dans l’Église suite à l’édit de Constantin au IV° siècle, les ermites allèrent au désert, aux confins des sables connus, pour maintenir vivante la flamme mystique sans laquelle la foi devient une convention sociale, voire mondaine.

Lorsque le besoin de réforme se fera criant, le retour à l’Évangile viendra des moines, de Martin à Benoît ou Bruno, de François à Dominique, puisant dans la vie conventuelle confinée la force et l’inspiration d’une vie ecclésiale renouvelée et plus fidèle.

Apprenons nous aussi à inventer les confinements volontaires qui nous aideront à revenir à la source, à l’essentiel.

 

Nos propres confinements
La quarantaine de Noé, la nuit de Pâques et les 40 ans au désert, les trois jours de Jonas ou du sépulcre, « l’enfermement dehors » des lépreux, des impurs, des plus pauvres, le siège sanglant des cités en guerre, le retrait dans le secret de la prière… : les confinements bibliques ont l’ambivalence des jours que nous venons de traverser, et des masques que nous portons depuis. Ils nous protègent mais ils excluent. Ils nous préparent mais peuvent aussi nous dégrader.

Imposés ou volontaires, à nous de les vivre comme Marie et les Onze au Cénacle, en nous rendant disponibles pour prendre à nouveau les risques que l’Esprit de Pentecôte nous soufflera.

 


[1].  Homélie du Pape François, Salle du Cénacle (Jérusalem), 26/05/2014.

 

 

LECTURES DE LA MESSE

PREMIÈRE LECTURE
« Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière » (Ac 1, 12-14)

Lecture du livre des Actes des Apôtres
Les Apôtres, après avoir vu Jésus s’en aller vers le ciel, retournèrent à Jérusalem depuis le lieu-dit « mont des Oliviers » qui en est proche, – la distance de marche ne dépasse pas ce qui est permis le jour du sabbat. À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute où ils se tenaient habituellement ; c’était Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques. Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères.

PSAUME
(Ps 26 (27), 1, 4, 7-8)
R/ J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneursur la terre des vivants.ou Alléluia ! (Ps 26, 13)

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche :
habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie,
pour admirer le Seigneur dans sa beauté
et m’attacher à son temple.

Écoute, Seigneur, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
Mon cœur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

 

DEUXIÈME LECTURE
« Si l’on vous insulte pour le nom du Christ, heureux êtes-vous » (1 P 4, 13-16)

Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre
Bien-aimés, dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d’être dans la joie et l’allégresse quand sa gloire se révélera. Si l’on vous insulte pour le nom du Christ, heureux êtes-vous, parce que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu, repose sur vous. Que personne d’entre vous, en effet, n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur, ou comme agitateur. Mais si c’est comme chrétien, qu’il n’ait pas de honte, et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là.

ÉVANGILE
« Père, glorifie ton Fils » (Jn 17, 1b-11a)
Alléluia. Alléluia.Je ne vous laisserai pas orphelins, dit le Seigneur ; je reviens vers vous, et votre cœur se réjouira. Alléluia. (cf. Jn 14, 18 ; 16, 22)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
 En ce temps-là, Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie. Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair, il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire. Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe. J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole. Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi, car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données : ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé.
 Moi, je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi. Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ; et je suis glorifié en eux. Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. »
Patrick BRAUD

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30 mars 2016

Le Passe-murailles de Pâques

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Le Passe-murailles de Pâques  

Homélie du 2° dimanche de Pâques / Année C 03/04/2016

Cf. également :

Le maillon faible

Que serions-nous sans nos blessures ?

Croire sans voir

Au confluent de trois logiques ecclésiales : la communauté, l’assemblée, le service public

Riches en miséricorde ?

 

Le Ressuscité, anti Garou-Garou

Afficher l'image d'origineVous souvenez-vous du Passe-murailles, ce héros fantastique du roman de Marcel Aymé ? C’est « un excellent homme nommé Dutilleul qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être incommodé. Il portait un binocle, une petite barbiche noire, et il était employé de troisième classe au ministère de l’Enregistrement. » Il profite de ce don insoupçonnable pour se venger de son chef honni, pour dérober de l’argent dans les banques (en signant ses forfaits « Garou-Garou »), et autres aventures incroyables.

Dans notre évangile de Jn 20,19-23, le ressuscité se joue des portes fermées et, tel un Passe-murailles, se manifeste au milieu de ses disciples alors que la peur les tenait repliés sur eux-mêmes. C’est le Passe-murailles à l’envers de Marcel Aymé en quelque sorte, puisqu’il se sert de ce don de Dieu non pour son intérêt, mais communiquer la vie et l’espérance.

Bien des commentaires savants, gêné par cette performance, essaient d’en minimiser la portée en réduisant cet épisode à la conscience que les disciples auraient eue de Jésus vivant dans leur prière. Mais le texte est clair : Jésus vient « alors que les portes étaient verrouillées ».

Qu’est-ce qui est le plus difficile, le plus incroyable : être ressuscité d’entre les morts ou franchir les portes fermées du cénacle ?

Jésus ressuscité a une nouvelle façon d’être au monde, ce que Paul appelle un « corps spirituel » faute d’avoir des mots pour décrire ce qui échappe à notre expérience ordinaire. Cette nouvelle relation au monde matériel s’affranchit des contraintes habituelles de l’espace-temps. Comment des portes fermées pouvaient-elles arrêter celui pour qui le rideau du temple se déchirait ? Car depuis ce déchirement du vendredi saint, les séparations entre Dieu et l’homme ne tiennent plus. En présence du Christ victorieux de la mort, cloisons humaines, barrières matérielles et morales, ethniques ou économiques sont inopérantes, et là n’est pas la moindre des bonnes nouvelles de Pâques !

 

Les murailles de la peur de l’autre

Faites la liste des portes fermées, des murailles érigées par les hommes encore aujourd’hui : le rideau de barbelés entre les USA et le Mexique, le mur de béton entre Israéliens et Palestiniens de Jérusalem, et maintenant à nouveau des kilomètres de surveillance politique policière et de fil de fer dans les pays d’Europe de l’Est pour éviter les flux massifs de réfugiés et de migrants venus de Libye, de Syrie, d’Irak, d’Iran, d’Afghanistan…

Fêter le Passe-murailles de Pâques oblige les chrétiens à ne pas sanctuariser cette peur de l’autre, à percer des passages dans ces frontières hostiles pour qu’elles ne soient plus étanches…

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Les murailles du communautarisme

Afficher l'image d'origineÀ l’intérieur de nos villes - et pas seulement Bruxelles comme les récents attentats viennent de le démontrer hélas - il y a des murs érigés par les communautés, volontairement ou non, entre elles. Allez donc demander une bière avec votre burger dans un kebab halal de certains quartiers ! Vous expérimenterez rapidement que vous ne faites pas partie de la communauté se rassemblant ici. La cuisine dressera une barrière entre vous et « eux » plus sûrement qu’une muraille entre américains et mexicains. C’est vrai également de la langue, des habits, des moeurs imposées par tel ou tel ‘grand frère’ etc. Le repli sur son identité religieuse ou ethnique a de multiples causes, de multiples justifications, de multiples conséquences. Mais il engendre toujours la peur : la peur qu’on cherche à inspirer à l’autre pour qu’il se conforme aux habitudes de la communauté, ou la peur de l’autre qui pousse à s’enfermer sur soi comme les disciples le soir de Pâques, « par crainte des juifs ».

Combattre ces particularismes exclusifs fait partie intégrante de la fête de Pâques : pendant les 40 jours jusqu’à l’Ascension, le Christ ressuscité au milieu des siens fait éclater les appartenances, les cloisons, les frontières. L’abolition de tous les interdits alimentaires en sera une conséquence spectaculaire.

 

Le Passe-murailles de Jéricho

Afficher l'image d'origineUn autre Jésus avait déjà inauguré cet exploit sans frontières : Josué, dont le nom est le même que Jésus (Dieu sauve). Pour faire entrer le peuple en Terre promise, il fallait passer par Jéricho. Hostile et bien défendue derrière ses remparts, la ville de Jéricho défiait les hébreux et les empêchait de monter à Jérusalem. José a trouvé en Rahab, prostituée bien connue en ville, une alliée imprévue. Accueillant et cachant sur sa terrasse deux envoyés de Josué, elle leur sauve la vie et leur permet de retourner vers les hébreux sains et saufs, avec tous les renseignements sur la ville. Lorsque les murailles de Jéricho s’effondreront au son de la trompette lors de la septième procession avec l’arche d’alliance autour des remparts, le fil écarlate accroché à la fenêtre de Raab la sauvera, avec sa famille, du massacre général (Jos 2-3).

Comment ne pas y voir en filigrane l’annonce de la Pâque du Christ ? Jésus franchit la mort comme Josué le Jourdain ; il passe les portes fermées du cénacle comme Josué les murailles fortifiées de Jéricho. Il s’appuie sur Marie-Madeleine pour annoncer aux apôtres que le passage est ouvert comme José sait s’appuyer sur Rahab pour faire chuter les murailles de Jéricho. Et le fil écarlate sauvant la prostituée Rahab préfigure le sang du Christ sauvant la prostituée Église à chaque fois qu’elle y communie comme Rahab l’accrochant à sa fenêtre…

Être un Passe-murailles pascal suppose donc de se faire des alliés de ceux qui comme Rahab sont enfermés dans la domination des puissants, exploités dans l’injustice ou la misère, méprisés par ceux qui l’humilient (le prénom Rahab signifie d’ailleurs en hébreu : la déchue cf. Is 30,7). Impossible de faire tomber les barrières qui séparent les hommes sans s’appuyer sur les déchus de nos cités, les exclus de nos frontières si sélectives, les Rahab et Marie de Magdala contemporaines.

 

Quelles sont les murailles qui vous entourent ?

Afficher l'image d'origineAu travail, cela va des niveaux hiérarchiques (engendrant domination et séparation) à l’iniquité des salaires (discriminant par le niveau de vie, les loisirs, l’habitat… correspondants) ou aux missions professionnelles (certaines étant considérées comme nobles, d’autres comme inférieures etc.).

Dans nos quartiers, cela va de l’ignorance des voisins au regroupement entre soi, ou même à la haine de l’autre.

Dans une paroisse, cela va de la bonne conscience du pratiquant au dénigrement de ceux qui ne le sont pas etc.

Les plus grands saints, tel François d’Assise, furent des Passe-Murailles de leur époque. Ainsi François a-t-il traversé les barrières sociales entre bourgeois marchands, seigneurs et petit peuple du XIII° sicèle grâce à la fraternité franciscaine. Il a contesté l’inégalité engendrée par l’argent en revenant à la pauvreté évangélique de son ordre mendiant. Il a refusé que ces murailles s’installent au cœur de l’Église en restant obstinément diacre, alors que prêtre aurait été une promotion sociale. Il a profité de l’Europe marchande de son père pour que ses frères sillonnent toute la chrétienté sans frontières et propagent la réforme franciscaine d’une Église simple, proche et pauvre.… Et, plus récemment, le Pape François a défié les barbelés séparant USA et Mexique en s’adressant à la foule mexicaine par-dessus la muraille.

 

Que le Passe-murailles de Pâques nous aide, à l’inverse de celui de Marcel Aymé, à user de la liberté du Ressuscité pour nous mettre au service des proches, en les libérant de toute peur qui les aliénerait, portes fermées

 

 

1ère lecture : « Des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachèrent au Seigneur » (Ac 5, 12-16) Lecture du livre des Actes des Apôtres

À Jérusalem, par les mains des Apôtres, beaucoup de signes et de prodiges s’accomplissaient dans le peuple. Tous les croyants, d’un même cœur, se tenaient sous le portique de Salomon. Personne d’autre n’osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge ; de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur. On allait jusqu’à sortir les malades sur les places, en les mettant sur des civières et des brancards : ainsi, au passage de Pierre, son ombre couvrirait l’un ou l’autre. La foule accourait aussi des villes voisines de Jérusalem, en amenant des gens malades ou tourmentés par des esprits impurs. Et tous étaient guéris.

Psaume : Ps 117 (118), 2-4, 22-24, 25-27a

R/ Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !Éternel est son amour !ou : Alléluia ! (117, 1)

Oui, que le dise Israël : Éternel est son amour ! Oui, que le dise la maison d’Aaron : Éternel est son amour ! Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur : Éternel est son amour !

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

Donne, Seigneur, donne le salut ! Donne, Seigneur, donne la victoire ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! De la maison du Seigneur, nous vous bénissons ! Dieu, le Seigneur, nous illumine.

2ème lecture : « J’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles » (Ap 1, 9-11a.12-13.17-19) Lecture de l’Apocalypse de saint Jean

 Moi, Jean, votre frère, partageant avec vous la détresse, la royauté et la persévérance en Jésus, je me trouvai dans l’île de Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus. Je fus saisi en esprit, le jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une voix forte, pareille au son d’une trompette. Elle disait : « Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le aux sept Églises : à Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. »

 Je me retournai pour regarder quelle était cette voix qui me parlait. M’étant retourné, j’ai vu sept chandeliers d’or, et au milieu des chandeliers un être qui semblait un Fils d’homme, revêtu d’une longue tunique, une ceinture d’or à hauteur de poitrine. Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort, mais il posa sur moi sa main droite, en disant : « Ne crains pas. Moi, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant : j’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles ; je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. Écris donc ce que tu as vu, ce qui est, ce qui va ensuite advenir. »

Evangile : « Huit jours plus tard, Jésus vient » (Jn 20, 19-31)

Acclamation : Alléluia. Alléluia.  Thomas parce que tu m’as vu, tu crois, dit le Seigneur. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Alléluia. (Jn 20, 29)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »  Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »  Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »  Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Patrick BRAUD

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