L'homélie du dimanche (prochain)

25 janvier 2014

Descendre habiter aux carrefours des peuples

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Descendre habiter aux carrefours des peuples

Homélie du 2° dimanche du temps ordinaire / année A
26/01/14

Descendre à Capharnaüm

Les provinciaux disaient facilement autrefois : monter à Paris. Qu’on fut de Toulouse ou de Strasbourg, monter à la capitale c’était venir tenter sa chance et rechercher une ascension sociale par un travail plus important et mieux situé.

Descendre habiter aux carrefours des peuples dans Communauté spirituelle lactiberiademontarbel1À l’inverse, les gens de Nazareth disaient : descendre à Capharnaüm, avec une pointe de mépris. Capharnaüm est en effet plus bas que le village de Nazareth. On peut s’en rendre compte aujourd’hui encore en faisant la route à pied à travers un paysage aride qui descend vers le lac. Et en plus, la réputation de Capharnaüm était plutôt celle d’une ville de basses oeuvres que d’une ville sainte comme Jérusalem !

 

Quitter et descendre : ce déménagement physique de Jésus qui vient habiter à Capharnaüm est le symbole de son incarnation même.

Quitter la divinité, descendre au plus bas de notre humanité : tel est le début du parcours du Verbe de Dieu en notre chair. Saint Paul en parle en termes de kénose : « il s’est vidé de lui-même » dit-il de Jésus, « en prenant la condition de serviteur » (Ph 2,6-11).

Voilà donc un premier mouvement caractéristique de tout ministère fidèle à celui du Christ : quitter sa zone de privilèges pour rejoindre ceux qui sont au plus bas, descendre de Nazareth à Capharnaüm.

En entreprise, c’est accepter de voir les choses à partir du point de vue des plus petits, des moins gradés.

En Église, c’est rejoindre et donner la parole à ceux qui sont considérés comme à la marge ou hors-jeu.

En société, c’est ne pas revendiquer de place supérieure, et savoir se mélanger avec tous milieux sociaux, tous courants de pensée.

 

Habiter le carrefour des païens

« Galilée, toi le carrefour des païens » : cette apostrophe célèbre d’Isaïe est reprise par Mathieu pour expliquer le choix de Capharnaüm par Jésus.

La Galilée, c’était cela : « Galil ha-goyim », le « carrefour des païens ». Nous comprenons ainsi qu’il s’agit d’une région où se mêlent les religions et les ethnies : Juifs, Cananéens, Grecs, Phéniciens, etc. Non pas la Judée des Judéens, l’ex-Royaume de Juda, très centralisé et homogène – mais un pays « ouvert », de plein vent. Symboliquement, c’est là que peut s’amorcer l’annonce de l’Évangile à tous les peuples (même si bien sûr Isaïe, lui, visait à l’origine les tribus israélites du Nord opprimées par les Assyriens, cinq siècles avant Jésus). Un pays « carrefour » des cultures, qui annonce l’Église, dès l’origine à la croisée de la culture juive et de la culture gréco latine, et qui au long de son histoire s’est ouverte (et s’ouvre encore) à de multiples peuples avec leur langue et leur culture. Un pays très mélangé, où il n’y avait pas la fermeté de la foi, la pureté de la religion et des moeurs qui régnaient chez les bons Juifs de Judée. La Galilée, c’était toute une histoire, vieille de plusieurs siècles. Une histoire d’invasions, de brassage de peuples, de races, de religions. Il y avait eu des unions plus ou moins légitimes. Si bien que les Juifs qui habitaient là, dans cette Galilée carrefour des nations, terre d’invasion, n’étaient pas des Juifs de race pure, de religion pure. C’étaient des « sang-mêlés ». On les prenait un peu pour des bâtards.

Or, c’est là que Jésus inaugure sa mission. Non pas à Nazareth, qui était un petit village où il ne se passait rien. Mais au coeur même, au centre vital de cette Galilée, carrefour des nations, c’est-à-dire à Capharnaüm, où il y avait une garnison romaine, du commerce, où l’on était à la frontière avec les territoires païens.

Voie navigable, le lac de Tibériade sert de pont géographique vers la Décapole, les dix villes païennes aux confins du territoire d’Israël. Puisque la Galilée était le « carrefour » des païens, Jésus, en s’installant à Capharnaüm, village frontalier en quelque sorte, où il y avait un poste de douane, choisit de plonger au coeur de la mêlée des ethnies, des cultures et des valeurs. L’homme élevé à Nazareth ne va pas se réfugier dans sa judaïté : il expose plutôt sa foi sur la place publique, en territoire juif certes, mais au carrefour des nations !

carrefour-de-lautoroute,-los-angeles-149111 Capharnaüm dans Communauté spirituelleIl s’agit en effet de planter sa tente à un endroit où les peuples se rencontrent, se mélangent. Il s’agit d’aller habiter dans une ville impure, méprisée par les ‘vrais’ croyants de Jérusalem, ville bâtarde ni totalement juive ni réellement romaine, ouverte à tous les vents du commerce, au coeur du réseau d’échanges d’influence de la Décapole.

Bref, habiter la Galilée c’est ne pas avoir peur de se compromettre avec ceux qui viennent d’ailleurs, qui façonnent un monde nouveau. Capharnaüm étant une ville de garnison militaire, au croisement des routes commerciales, elle engendrait tous les excès que l’argent et la force savent engendrer de tous temps.

Aujourd’hui encore, habiter la Galilée des nations c’est vouloir comprendre de l’intérieur ceux qui font naître un monde nouveau. C’est discerner quels sont aujourd’hui les carrefours où les cultures se brassent, où les peuples se rencontrent, où les exclusions se fabriquent.

Cela peut aller des cités d’urgence du Quart-Monde aux milieux financiers des grandes banques, des clubs sportifs aux réseaux sociaux, des festivals au dialogue interreligieux…

L’essentiel est d’aller là où les hommes se rencontrent, pour que de ces carrefours émerge une possibilité de vivre ensemble en paix, rassemblés en une seule famille humaine, selon le sens que Jean a donné à la vie du Christ : « le Christ est mort afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52).

 

Faire de nos capharnaüms des lieux de consolation et de beauté

Le nom de Capharnaüm suggère cela : la ville du prophète Nahum, et aussi la ville de la consolation, ou de la beauté.

Capharnaüm : ville de passage entre la Syrie et Israël, Damas et Césarée, et aussi l’est et l’ouest, un brassage des populations – un vrai capharnaüm – « carrefour des païens ».

Son nom vient de l’hébreu : « Kfar Nahum », Kfar désignant le village et Nahum la compassion, la consolation. C’est littéralement le « village du Consolateur ».

Ainsi, Origène interprète Kefar Nahum comme « le village de la consolation », d’après la signification étymologique de la racine hébraïque nhm (consolation);
quant à Saint Jérôme, il traduit parfois le même nom par « la belle ville », d’après la racine hébraïque n’m (beauté).
Les langues non sémitiques rendent toujours le nom composé Kefar Nahum par un seul nom, et elles omettent simplement la lettre gutturale h.
Les manuscrits grecs des Évangiles connaissent deux orthographes: Capharnaüm et Capernaüm. Seule est bonne la première transcription, « Capharnaüm », proche de la prononciation hébraïque et adoptée aussi par Flavius Josèphe; l’orthographe « Capernaüm » est un idiome de la région d’Antioche.  

Il s’agit donc de descendre au plus bas de l’humanité pour y apporter la consolation à ceux qui désespèrent.
Il s’agit d’adopter le point de vue des plus méprisés pour les consoler et leur redonner une dignité humaine.

À cause du brassage des peuples qu’elle symbolise, la ville de Capharnaüm est devenue en français synonyme de bazar inextricable, de chaos insensé où tout est sens dessus dessous. Dire de la chambre d’un enfant que c’est un vrai capharnaüm, c’est l’inviter à y mettre un peu d’ordre pour qu’elle devienne enfin habitable et ressemble à une chambre !

Le Christ à Capharnaüm apporte la consolation au coeur du charivari ambiant : il annonce le Royaume de Dieu tout proche de ces païens si loin de la sainteté, il guérit toute infirmité et toute maladie dans le peuple. Il transforme les pêcheurs de poissons en des pêcheurs d’hommes : arrachant les hommes au mal – symbolisé à l’époque par la mer obscure et inconnue – les apôtres transforment les païens en baptisés, en poissons (ictus) chrétiens.

Apporter consolation et beauté là où la vie avait créé exploitation et noirceur est la première mission du Christ de Capharnaüm.

 carrefourOui : ce Jésus de Capharnaüm est à l’aise au milieu des impurs ; il est chez lui plus qu’à Nazareth - au coeur de ce brassage de cultures et de peuples, à tel point que cette ville est sa ville, plus que Nazareth ou Jérusalem. Si vous allez en pèlerinage en Terre Sainte, n’oubliez pas ce détour par Capharnaüm. Au bord du lac, au carrefour de la Décapole, célébrez l’eucharistie sur les ruines de la maison de Pierre retrouvée au XIXe siècle, et vous éprouverez pourquoi Jésus a choisi ce carrefour des païens comme sa ville. « Il est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus », et Capharnaüm était la ville la plus symbolique de ce salut offert à tous, de la lumière qui resplendit au pays de l’ombre…

Quitter nos univers de privilèges pour rejoindre ceux qui sont au plus bas, habiter les carrefours où les hommes se rencontrent, y apporter consolation et beauté : l’évangile de ce dimanche décrit ainsi notre mission à la suite du Christ.

Mais quels sont donc les capharnaüms proches de chez vous ?…

 

 

1ère lecture : Une lumière se lèvera sur la Galilée (Is 8, 23; 9,1-3)
Lecture du livre d’Isaïe
Dans les temps anciens, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée, carrefour des païens.
Le peuple qui marchait dans les ténèbresa vu se lever une grande lumière ; sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi.
Tu as prodigué l’allégresse, tu as fait grandir la joie : ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit en faisant la moisson, comme on exulte en partageant les dépouilles des vaincus.
Car le joug qui pesait sur eux, le bâton qui meurtrissait leurs épaules, le fouet du chef de corvée, tu les as brisés comme au jour de la victoire sur Madiane.

Psaume : Ps 26, 1, 4abcd, 13-14
R/ Le Seigneur est lumière et salut.

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ? 

J’ai demandé une chose au Seigneur, 
la seule que je cherche : 
habiter la maison du Seigneur 
tous les jours de ma vie.

J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur 
sur la terre des vivants. 
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; 
espère le Seigneur. »

2ème lecture : Le scandale des divisions dans l’Église du Christ (1Co 1, 10-13.17)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères,
je vous exhorte au nom de notre Seigneur Jésus Christ à être tous vraiment d’accord ; qu’il n’y ait pas de division entre vous, soyez en parfaite harmonie de pensées et de sentiments.
J’ai entendu parler de vous, mes frères, par les gens de chez Cloé : on dit qu’il y a des disputes entre vous.
Je m’explique. Chacun de vous prend parti en disant : « Moi, j’appartiens à Paul », ou bien : « J’appartiens à Apollos », ou bien : « J’appartiens à Pierre », ou bien : « J’appartiens au Christ ».
Le Christ est-il donc divisé ? Est-ce donc Paul qui a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ?
D’ailleurs, le Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile, et sans avoir recours à la sagesse du langage humain, ce qui viderait de son sens la croix du Christ.

Evangile : Jésus commence son ministère par la Galilée (brève : 12-17) (Mt 4, 12-23)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. Béni soit le Seigneur notre Dieu : sur ceux qui habitent les ténèbres, il a fait resplendir sa lumière. Aléluia.(cf. Lc 1, 68.79)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean Baptiste, il se retira en Galilée. Il quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord du lac, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali. Ainsi s’accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète Isaïe :
Pays de Zabulon et pays de Nephtali,
route de la mer et pays au-delà du Jourdain,
Galilée, toi le carrefour des païens :
le peuple qui habitait dans les ténèbres
a vu se lever une grande lumière.
Sur ceux qui habitaient
dans le pays de l’ombre et de la mort,
une lumière s’est levée.
À partir de ce moment, Jésus se mit à proclamer : « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche. »
Comme il marchait au bord du lac de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans le lac : c’étaient des pêcheurs.
Jésus leur dit : « Venez derrière moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. »
Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.
Plus loin, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans leur barque avec leur père, en train de préparer leurs filets. Il les appela.
Aussitôt, laissant leur barque et leur père, ils le suivirent.
Jésus, parcourant toute la Galilée, enseignait dans leurs synagogues, proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple.
Patrick Braud

Patrick Braud

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7 juillet 2012

Le Capaharnaüm de la mémoire : droit à l’oubli, devoir d’oubli

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Le Capaharnaüm de la mémoire :
droit à l’oubli, devoir d’oubli

Homélie du 14° dimanche ordinaire / Année B
8 juillet 2012.

 

Le Capharnaüm de la mémoire

Dieu que c’est meurtrier de croire qu’on connaît quelqu’un !

Jésus en fait l’amère expérience : lorsqu’il revient chez lui, « dans son pays », à Le Capaharnaüm de la mémoire : droit à l'oubli, devoir d'oubli dans Communauté spirituelleCapharnaüm (où on a retrouvé les restes de la synagogue et de la maison de Simon-Pierre), personne ne croit en lui. Pourquoi ? Justement parce que c’est un enfant du pays, et que tout le monde croit le connaître. « N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses soeurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » (cf. Mc 6,1-6)

Autrement dit : les habitants de Capharnaüm ne peuvent pas (ou ne veulent pas ?) voir en Jésus quelqu’un d’autre que celui qu’il a toujours été : l’un des leurs, ni plus ni moins. La prétention de cet enfant devenu homme à être le prophète qui accomplit les Ecritures les heurte profondément.

Pour les juifs, le Messie doit venir d’ailleurs, et manifester ainsi la radicale altérité de  Capharnaüm dans Communauté spirituelleDieu lui-même. Mais ils imaginent cette altérité comme géographique (le Messie ne sera pas d’ici) ou familiale (nul ne saura son origine), alors que Dieu l’a pensée plus radicale encore : cet homme Jésus vient de Dieu. Alors l’incompréhension est totale (« Ils étaient profondément choqués à cause de lui. »), et elle navre Jésus qui s’étonne de leur manque de foi.

Avec ce célébrissime adage : « nul n’est prophète en son pays », Jésus constate avec tristesse que la proximité peut engendrer l’aveuglement, la familiarité peut éloigner de la vraie connaissance de l’autre.

C’est une expérience que nous avons tous pu faire, en la subissant ou en la provoquant.

Nous subissons la méconnaissance des autres lorsque les proches refusent de voir en nous autre chose que ce qu’ils y ont toujours vu.
Nous provoquons cette méconnaissance lorsque nous savons tellement de choses sur quelqu’un que nous lui interdisons en pratique de changer.

Or se laisser surprendre par quelqu’un que l’on croyait connaître est une grande marque de respect.

Le conjoint avec qui vous partagez votre quotidien est un bon test : au bout de quelques années de vie commune, vous laissez-vous encore étonner par lui ? Abordez-vous des questions et des sujets de discussion nouveaux ? Lui laissez-vous la possibilité de changer ? Changer d’habitudes, de pensée, d’état d’esprit : on ne peut s’y aventurer que si les plus proches comprennent, en encourageant, en accompagnant. Sinon on se résigne ; ou bien on quitte. C’est le symptôme de la fameuse crise du milieu de vie : lorsque les choix fondamentaux sont à nouveau à faire, les proches prennent peur et font blocage au lieu d’accepter que l’autre change.

Ce qui est vrai pour le conjoint l’est également pour le collègue. Dans une entreprise, certains trimbalent des étiquettes comme des boulets : ‘celui-là on le connaît, c’est un tire-au-flanc, ou bien un vrai tyran, ou encore un type à éviter’. Parce que cette rumeur s’étend à tout un service, ou bien simplement parce qu’il fait partie des murs, tel collaborateur sera prisonnier du regard porté sur lui comme sur Jésus à Capharnaüm : ‘n’est-ce pas Machin qu’on connaît par coeur ? Et il voudrait nous faire croire qu’il serait capable d’autre chose ? Foutaises !’

Et pourtant, dès qu’on donne la parole aux salariés en brassant leurs appartenances, leurs niveaux hiérarchiques, leurs métiers, il se passe des révélations surprenantes. Un tel qu’on croyait transparent se révèle bon animateur ; une telle qu’on pensait  distante se révèle blessée et touchante ; un autre qu’on jugeait agressif ne demandait seulement qu’une écoute pour adopter un comportement plus positif etc.

 

Dieu que c’est meurtrier de croire qu’on connaît quelqu’un !

Le mieux serait alors de professer une docte ignorance : je confesse ne pas savoir qui tu es vraiment (que tu sois ami, conjoint ou collègue). Et chaque matin je repars à ta découverte sans laisser l’accumulation des acquis du passé me fermer à la surprise du lendemain. Lorsque la relation est difficile, l’autre percevra ainsi un signal de liberté : ?tu ne m’enfermes pas dans ce que j’ai été’. Lorsque la relation est belle et bonne, l’autre percevra dans cette docte ignorance de ma part un encouragement à continuer à aller plus avant, en continuant à se transformer.

 

L’oubli est parfois plus important que la mémoire.

Oublier ce que j’ai appris sur l’autre me permet de le découvrir à chaque fois avec un regard neuf, de l’accompagner dans ses changements. Les habitants de Capharnaüm étaient prisonniers de leur mémoire commune avec Jésus : l’ayant vu gamin travailler avec son père charpentier, jouer avec ses cousins et cousines dans les rues du village (les fameux « frères et soeurs » de Jésus), ils ne peuvent imaginer que Jésus est différent de ce qu’ils savent déjà de lui.

Leur mémoire leur joue des tours, mais c’est paradoxalement en les empêchant d’oublier !

Le Capharnaüm de la mémoire, c’est lorsque celle-ci est trop en ordre, trop archivées sur trop longtemps pour pouvoir s’ouvrir à la nouveauté.

S’ils avaient mis de côté leurs souvenirs avec la famille de Joseph, les habitants de Capharnaüm se seraient rendus disponibles à la nouveauté de Jésus, comme le seront ceux qui ignorent tout de lui.

 

Devoir d’oubli / droit à l’oubli

Il y a donc comme un devoir d’oubli qui flotte dans cet évangile…

1001privacyday.1264684203.thumbnail InternetÉlément très actuel, quand vous pensez aujourd’hui à toutes les traces numériques que les jeunes notamment laissent sur Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux. Dans 5 ans ou 10 ans, alors qu’ils auront changé, un employeur leur ressortira peut-être la vidéo où ils s’exhibaient ivres et en plein délire estudiantin :c’est vous là  sur cette photo ? Et vous croyez que je vais vous faire confiance ?’ Le jeune protestera :mais c’était moi il y a cinq ans ! Maintenant je suis différent.’  Peine perdue?

Comme quoi le devoir d’oubli devrait s’accompagner d’un droit à l’oubli, garanti par la société et par la loi, le droit à l’oubli numérique notamment pour ne pas être enfermé à jamais dans une empreinte d’un moment.

Nietzsche est étonnamment proche de Jésus à Capharnaüm lorsqu’il écrit :

« Faire silence, un peu, faire table rase dans notre conscience pour qu’il y ait de nouveau de la place pour les choses nouvelles, voilà, je le répète, le rôle de la faculté active d’oubli, une sorte de gardienne, de surveillante chargée de maintenir l’ordre psychique, la tranquillité, l’étiquette. On en conclura immédiatement que nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l’instant présent ne pourrait exister sans faculté d’oubli. »

Nietzsche, Généalogie de la morale

 

Le devoir d’oubli, c’est le regard bienveillant qui donne à l’autre la chance de renaître.

Le droit à l’oubli, c’est l’affirmation de la dignité de toute personne humaine qui est toujours plus grande que ses actes passés.

Jésus à Capharnaüm a souffert qu’on ne lui accorde pas ce droit à l’oubli. Par contre, envers les parias de son époque, il a témoigné d’un devoir d’oubli qui a choqué les gens installés dans leurs fausses connaissances.

 

Comment lutter pour ce droit à l’oubli ?

Comment mettre en œuvre ce devoir d’oubli ?

En famille, au travail, entre amis ou voisins, comment accepter finalement que quelqu’un soit prophète en son pays ?

 

1ère lecture : Le prophète envoyé aux rebelles (Ez 2, 2-5)

Lecture du livre d’Ezékiel

L’esprit vint en moi, il me fit mettre debout, et j’entendis le Seigneur qui me parlait ainsi :
« Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël, vers ce peuple de rebelles qui s’est révolté contre moi. Jusqu’à ce jour, eux et leurs pères se sont soulevés contre moi,
et les fils ont le visage dur, et le c?ur obstiné. C’est à eux que je t’envoie, et tu leur diras : ‘Ainsi parle le Seigneur Dieu…’
Alors, qu’ils écoutent ou qu’ils s’y refusent ? car c’est une engeance de rebelles ?, ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux. »

Psaume : 122, 1-2ab, 2cdef, 3-4

R/ Nos yeux levés vers toi, Seigneur, espèrent ta pitié.

Vers toi j’ai les yeux levés,
vers toi qui es au ciel,
comme les yeux de l’esclave
vers la main de son maître.

Comme les yeux de la servante
vers la main de sa maîtresse, 
nos yeux, levés vers le Seigneur notre Dieu,
attendent sa pitié.

Pitié pour nous, Seigneur, pitié pour nous :
notre âme est rassasiée de mépris.
C’en est trop, nous sommes rassasiés 
du mépris des orgueilleux !

2ème lecture : La force de l’Apôtre réside dans sa faiblesse (2Co 12, 7-10)

Lecture de la seconde lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, les révélations que j’ai reçues sont tellement exceptionnelles que, pour m’empêcher de me surestimer, j’ai dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour m’empêcher de me surestimer. Par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit : ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » Je n’hésiterai donc pas à mettre mon orgueil dans mes faiblesses, afin que la puissance du Christ habite en moi. C’est pourquoi j’accepte de grand c?ur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.

Evangile : Jésus n’est pas accepté dans son pays (Mc 6, 1-6)

Acclamation : Alléluia.Alléluia. Le Seigneur a envoyé Jésus, son serviteur, porter pauvres la Bonne Nouvelle du salut. Alléluia. (cf. Lc 4, 18a)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

Jésus est parti pour son pays, et ses disciples le suivent.
Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Les nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses soeurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à cause de lui.
Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison. »
Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Il s’étonna de leur manque de foi. Alors il parcourait les villages d’alentour en enseignant.
Patrick Braud

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