L'homélie du dimanche (prochain)

9 janvier 2022

La pureté ne sert à rien

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 30 min

La pureté ne sert à rien

Homélie du 2° Dimanche du temps ordinaire / Année C
16/01/2022

Cf. également :

Notre angoisse de Cana
Intercéder comme Marie
La hiérarchie des charismes
Jésus que leur joie demeure
Le mariage et l’enfant : recevoir de se recevoir

Toc, toc…

 trouble obsessionnel compulsif« Pour moi, tout ce qui a pu être en contact avec l’extérieur est contaminé. Je peux me laver les mains plus de 60 fois par jours par peur de tomber malade. Même mes propres affaires comme mon portable ou mes clés sont à risque. Je suis obligé de les nettoyer et de me laver les mains pour enlever les microbes. C’est devenu un vrai cauchemar. Même lorsque les personnes de ma famille touchent à des objets comme la télécommande de la télé, je me sens obligé de les nettoyer avec une lingette antibactérienne pour les désinfecter. En fait, que ce soit les clefs, les sacs, etc., tout objet doit être désinfecté. Cette situation est source d’une grande anxiété et me fait perdre des heures chaque jour » [1].

Des témoignages comme celui-ci, il en existe malheureusement des milliers. Ce genre de rituels de propreté, répétitifs, épuisants et disproportionnés, est connu sous l’appellation bien choisie de « trouble obsessionnel compulsif » (‘toc’). Le ‘toc’ porte souvent sur le lavage des mains, le ménage, le nettoyage des objets touchés etc. C’est une vraie maladie, dont il est difficile de guérir totalement. Médicaments et psychothérapies sont des remèdes, mais le chemin est long pour ceux qui veulent s’affranchir de leur toc.

À y regarder de près, beaucoup de religions semblent souffrir de ‘toc’ de pureté. Les hindous se baignent dans le Gange dès qu’ils le peuvent, les juifs font ablution sur ablution, les musulmans également se nettoient symboliquement avant la mosquée et à maintes autres occasions. Même les chrétiens ont gardé un vague souvenir de ces anciennes obsessions, avec par exemple au cours des offices les multiples prières pour demander pardon, l’aspersion de l’assemblée au début de la messe ou le lavabo du prêtre avant l’offertoire [2]. Ce qui était une mesure d’hygiène devient vite un toc religieux légèrement malsain…

L’obsession de la pureté rituelle est quasi maladive dans les grandes religions. Sauf normalement en christianisme. Car s’il en est un qui a contesté la primauté de cette obsession, c’est bien Jésus de Nazareth ! Il fréquente les impurs (lépreux, collecteurs d’impôts, prostituées etc.), il guérit les impurs (par exemple la femme hémorroïsse), il est lui-même impur au plus haut point sur le bois de la croix où la malédiction de ce châtiment l’assimile à un maudit de Dieu : « maudit soit qui pend au bois du gibet » (Dt 21,23 ; Ga 3,13). Il se permet des libertés choquantes avec les rituels juifs de purification. Ainsi il ne se lave pas forcément les mains avant de passer à table, ce qui lui vaut une polémique célèbre où il développe ce qu’est la vraie pureté pour lui : la pureté du cœur, intérieure, et non la soi-disant pureté du corps, extérieure. « Il y eut une dispute entre les disciples de Jean et un Juif au sujet des bains de purification » (Jn 3,25). « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous purifiez l’extérieur de la coupe et de l’assiette, mais l’intérieur est rempli de cupidité et d’intempérance ! » (Mt 23, 25). On le soupçonne même d’être un ivrogne et un glouton (Mt 11,19), puisqu’il n’est pas ascétique comme son cousin Jean-Baptiste !

 

Les 6 jarres de Cana

La pureté ne sert à rien dans Communauté spirituelle 53263_7Au premier regard, l’Évangile des noces de Cana de ce dimanche (Jn 2, 1-11) ne paraît pas aborder ce sujet. On entend bien qu’il s’agit de mariage, de festin, de vin, de fête, de noce ratée ou réussie. C’est visiblement la nouvelle Alliance conclue dans le sang de Jésus – que le vin annonce – qui constitue la trame principale de ce récit si bien construit. On entend ensuite que Marie a un rôle bien précis dans l’avènement de « l’heure » de son fils (sa Passion) : « faites tout ce qu’il vous dira ». Et là, les commentaires mariaux sont innombrables.
On peut entendre également, comme une harmonique trois octaves au-dessus, la critique sévère des rites de purification que le signe de Cana opère.

Comment ! ? Il y a là 6 jarres de 100 litres, et personne ne s’étonnerait qu’elles soient vides, ni qu’elles se remplissent d’autre chose ? Personne ne relèverait le contraste entre l’austère neutralité de l’eau et la chaleur enivrante du meilleur vin pour la noce ? entre la dureté du grès des jarres et la douceur de vivre du vin versé pour la noce ?

Car ces jarres ne sont pas là pour la décoration, ni pour boire. Ce sont des jarres de purification (καθαρισμς = katharismos en grec) où les invités vont puiser de l’eau pour faire leurs ablutions rituelles avant de passer à table. C’est pour cela qu’on appelait les albigeois du nom grec « cathares », les « purs », car ils se voulaient les seuls vrais chrétiens en méprisant la chair, en étant végétaliens, et en vivant à part, séparés des impurs. Mais 600 litres, c’est énorme ! Même s’il y a foule au mariage, elle a dû exagérer sur la propreté pour épuiser une telle réserve d’eau ! D’ailleurs, si Jean précise qu’elles sont 6, c’est sans doute parce que 6 est le chiffre de l’imperfection (la semaine sans le shabbat), le chiffre qui désignera Néron faisant mourir les baptisés (666 cf. Ap 13,18). Dire qu’il y avait 6 jarres à Cana sous-entend que le vieux système de purification rituelle est imparfait, voire meurtrier…

Le geste de Jésus renverse donc les mentalités religieuses de toute époque.
En remplaçant l’eau par le vin, il conteste l’ascèse comme clé d’entrée à la table de l’Alliance.
En demandant de servir le vin aux convives et non plus de prendre de l’eau pour se laver, il indique que recevoir est plus important que prendre, que la joie des noces est un don gratuit et non le fruit d’un effort.
La dure pierre opaque des jarres d’eau – dure loi des purifications innombrables et obsessionnelles – est remplacée par le fin cristal des verres à vin, doux et transparent comme la grâce…

 

Recevoir d’abord, donner ensuite

imperf Cana dans Communauté spirituelleComment mieux dire que la joie de l’amour ne se mérite pas, mais s’accueille ? Elle ne vient pas suite à nos efforts, à notre ascèse, à la force du poignet. Elle est versée gratuitement, par surprise, indépendamment de nos tentatives d’y arriver par nous-mêmes.

L’obsession de la pureté n’est pas chrétienne. Elle est centrée sur le mérite à acquérir, au lieu de préparer à recevoir la grâce. Elle nous enferme dans des répétitions rituelles maladives, au lieu de goûter la joie qui coule à flots.
Jésus ne méprise pas le souci de purification. Ainsi il demande au lépreux guéri d’aller au Temple offrir le sacrifice d’action de grâces. Mais il inverse le cours des choses : d’abord la grâce (la guérison, le vin nouveau, le salut), puis la purification. Recevoir d’abord, donner ensuite. Jésus formule clairement ce qui est finalement la loi anthropologique la plus fondamentale : « Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement » (Mt 10,8). La vie est d’abord un passif, puis ce passif devient actif. Personne ne se fait naître lui-même, il se reçoit de l’union de deux êtres. Personne ne sait aimer en premier : il a d’abord été aimé, désiré, choyé. Alors il peut aimer à son tour.

Cana nous place sous le signe du don et non du mérite. L’ancienne obsession de la pureté à obtenir par soi-même fait place à la joie d’être avec l’époux, sans conditions.
Certes il y a des conséquences à une telle expérience. ! On ne vit plus après comme avant. La morale, l’ascèse, la pureté du cœur viennent comme des conséquences et non plus des préalables : la grâce accueillie avec reconnaissance produit des fruits de conversion, de droiture, de générosité. Mais l’accumulation de rituels ne fait qu’assécher la source de la joie avec l’eau des jarres de purification.

 

Tout est pur pour les purs (Ti 1,15)

L'apôtre Pierre a reçu une vision avec des bêtes impures qu'il n'a pas le droit de mangerUn juif aussi intègre que Pierre a eu du mal à accepter cette libération de l’obsession de pureté rituelle. Hélas, les juifs, musulmans ou hindous n’ont toujours pas franchi ce seuil aujourd’hui ! Le chapitre 10 des Actes des apôtres montre Pierre très hésitant après un songe où Dieu lui demande de manger des animaux impurs selon la loi juive. Pourtant, il écoutera l’Esprit l’autorisant à consommer l’impur ! Mieux : il fera le lien entre l’abolition de l’impureté rituelle et l’abolition des barrières entre les peuples. Car, lorsqu’il est appelé à entrer dans la maison du centurion romain Corneille à Jaffa, il se souvient qu’en tant que juif il ne devrait pas entrer. Mais rien n’est impur aux yeux de Dieu, sinon le mal qui sort du cœur de l’homme. « Saisi par la faim, il voulut prendre quelque chose. Pendant qu’on lui préparait à manger, il tomba en extase. Il contemplait le ciel ouvert et un objet qui descendait : on aurait dit une grande toile tenue aux quatre coins, et qui se posait sur la terre. Il y avait dedans tous les quadrupèdes, tous les reptiles de la terre et tous les oiseaux du ciel. Et une voix s’adressa à lui : ‘Debout, Pierre, offre-les en sacrifice, et mange !’ Pierre dit : ‘Certainement pas, Seigneur ! Je n’ai jamais pris d’aliment interdit et impur !’ À nouveau, pour la deuxième fois, la voix s’adressa à lui : ‘Ce que Dieu a déclaré pur, toi, ne le déclare pas interdit.’ » (Ac 10, 10 15). Pierre s’est peut-être souvenu alors de l’épisode où Jésus « déclarait purs tous les aliments » (Mc 7,19).
Chez Corneille, il découvre le lien si fort entre l’abolition de la pureté rituelle et la communion avec les païens, les étrangers, les autres. « Vous savez qu’un Juif n’est pas autorisé à fréquenter un étranger ni à entrer en contact avec lui. Mais à moi, Dieu a montré qu’il ne fallait déclarer interdit ou impur aucun être humain » (Ac 10, 28).

L’antidote au séparatisme pourrait-on dire ! Car croire qu’on devient impur en faisant ceci ou cela interdit de fréquenter ceux qui le font… Le véritable universalisme chrétien naît à Cana et s’épanouit à Jaffa ! Sans ce chamboulement religieux, le rite étouffe la grâce, et l’obsession de la pureté empêche la fraternité avec tous.

Personne n’est assez pur pour prétendre mériter paraître face à Dieu ! Abandonner ce toc de la pureté nous libère de nous-mêmes, et nous ouvre à la joie promise. Le vin coule à flots là où l’eau stagnait, le cristal remplace le grès, la joie de la communion efface l’austérité de l’ascèse, le don reçu prime sur le mérite acquis, la surprise sur l’attendu…

Cana relègue les immenses jarres de purification au rang de collections de musée : utiles en leur temps où l’homme tâtonnait vers Dieu, obsolètes en ce temps où Dieu vient à l’homme.

Serons-nous en tirer toutes les conséquences pour les impurs d’aujourd’hui ?

 


[2]. « Lavabo » est un mot latin signifiant « Je laverai ». Il est tiré du psaume : « Je laverai mes mains en signe d’innocence pour approcher de ton autel, Seigneur » (Psaume 25,6).



Lectures de la messe

Première lecture
« Comme la jeune mariée fait la joie de son mari » (Is 62, 1-5)

Lecture du livre du prophète Isaïe
Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté, et son salut comme une torche qui brûle. Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur dictera. Tu seras une couronne brillante dans la main du Seigneur, un diadème royal entre les doigts de ton Dieu. On ne te dira plus : « Délaissée ! » À ton pays, nul ne dira : « Désolation ! » Toi, tu seras appelée « Ma Préférence », cette terre se nommera « L’Épousée ». Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ». Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu.

Psaume
(Ps 95 (96), 1-2a, 2b-3, 7-8a, 9a.10ac)
R/ Racontez à tous les peuples les merveilles du Seigneur !
 (Ps 95, 3)

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
chantez au Seigneur et bénissez son nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur, la gloire et la puissance,
rendez au Seigneur la gloire de son nom.

Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.
Allez dire aux nations : Le Seigneur est roi !
Il gouverne les peuples avec droiture.

Deuxième lecture
« L’unique et même Esprit distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier » (1 Co 12, 4-11)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens
Frères, les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ; à un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter. Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier.

Évangile
« Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée » (Jn 2, 1-11)
Alléluia. Alléluia. 
Dieu nous a appelés par l’Évangile à entrer en possession de la gloire de notre Seigneur Jésus Christ. Alléluia. (cf. 2 Th 2, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
En ce temps-là, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples. Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. » Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres). Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent. Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. » Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
Patrick BRAUD

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13 janvier 2019

Notre angoisse de Cana

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 12 h 00 min

Notre angoisse de Cana


Homélie pour 2° dimanche du temps ordinaire / Année C
20/01/2019

Cf. également :

Intercéder comme Marie
La hiérarchie des charismes
Jésus que leur joie demeure

Symbole du mariage rompu avec fissures dans le béton et le mot Banque d'images - 25256186Je me souviens d’Olivier. Il avait tout pour lui, ce jeune homme si brillant qui allait se marier bientôt. Avec Stéphanie, ils mordent dans la préparation au mariage à pleines dents, et on passe des heures à discuter, avec prolongation autour d’une bonne table de restaurant de temps en temps, sans oublier d’impliquer les témoins pour échanger sur leur rôle auprès d’eux. Ils vivent ensemble depuis plus d’un an et se connaissent bien. Bref, un vrai mariage en perspective, enfin ! Quinze jours avant l’événement, Stéphanie me téléphone en larmes :

- « je me suis réveillée seule dans l’appartement lundi, et depuis Olivier n’est pas revenu, pas un mot de lui. Pas une explication. »

Panique à bord ! J’arrive à joindre Olivier au téléphone, depuis les USA où il s’était réfugié. Il avait tout simplement fui devant la proximité de l’événement. Mis au pied du mur, il avait été emporté par une violente crise d’angoisse où tout d’un coup, l’évidence de la fuite s’imposait à lui plutôt que de s’engager dans quelque chose qui ne lui ressemblait pas. Évidemment, j’ai eu du mal à plaider devant les ex-futurs beaux-parents - qui avaient envoyé les faire-part et réservé le traiteur pour 300 personnes - que la liberté d’Olivier n’avait pas de prix, et que cette séparation avant valait mieux qu’après…

Olivier voulait dire oui avec sa bouche, mais son corps et tout son être criaient non intérieurement, jusqu’à ce que la proximité de l’événement fasse éclater son vrai désir au grand jour : « non, cette vie de couple avec Stéphanie n’était pas faite pour moi ».

 

Devenir fils

Eh bien, toutes proportions gardées, on pourrait dire qu’il arrive à Jésus à Cana (Jn 2, 1-11) exactement l’inverse de ce qui s’est produit en Olivier. Jésus dit apparemment non à sa mère : « mon heure n’est pas encore venue ». Mais ce non du bout des lèvres débouche en pratique sur un oui éclatant puisque Jésus consent à intervenir publiquement en faveur de ces mariés, et l’évangéliste conclut :
« Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. »

Ce non apparent de Jésus est-il un refus ou la trace d’un combat intérieur ?
« Mon heure n’est pas encore venue »
: on peut interpréter cette phrase de plusieurs manières. Ce n’est peut-être pas une négation, mais plutôt une dénégation. La nuance est subtile. La négation serait un refus clair et net, mais on voit mal pourquoi il changerait d’avis aussitôt après, surtout que Marie ne lui a rien demandé auparavant : elle ne fait que constater devant lui qu’« ils n’ont plus de vin » ; et elle ne lui demande rien non plus après.
La dénégation est bien différente : c’est l’attitude de celui qui sent bien qu’une décision s’impose, mais il lutte contre elle en affirmant non alors qu’il sait bien que le oui va finir par s’imposer.

Pourquoi dire non alors qu’il va faire oui ?
Le concept de l'angoisse par KierkegaardParce que Jésus ressent l’angoisse de ce moment de bascule où une décision existentielle va lui faire prendre un virage irréversible. L’angoisse d’Olivier à l’envers, en quelque sorte.

L’angoisse, Jésus connaît. À Gethsémani, il en suera sang et eau. Le sentiment de solitude et d’abandon devant l’infamie de la croix qui s’approche, juste avant de plonger dans sa Passion, le fera hésiter une dernière fois : « que cette coupe s’éloigne loin de moi », avant finalement de consentir : « que ta volonté soit faite et non la mienne ». La dénégation de Gethsémani est marquée de la même angoisse que celle de Cana : plonger dans sa Passion qui va commencer avec l’arrestation ou plonger dans sa vie publique avec le signe de Cana qui l’engage inexorablement sur sa route prophétique ne se font pas sans débat intérieur, sans angoisse.

Avez-vous déjà ressenti cette angoisse de Cana ? Au moment de prendre la décision de vous marier, de divorcer, de démissionner, de prendre un risque majeur, de changer d’existence du tout au tout ? Si oui, vous savez pourquoi Jésus résiste, renâcle, a besoin de Marie pour enfin se manifester au monde.

Cette angoisse, profondément humaine, ne trahit en rien la divinité de Jésus. Elle traduit son union parfaite avec notre nature humaine, « en toutes choses excepté le péché ». Car ressentir l’angoisse n’est pas pécher ni s’éloigner de Dieu. C’est la trace de notre combat intérieur pour consentir à être nous-mêmes, en vérité. C’est même un puissant et utile moteur pour nous pousser à chercher, et chercher encore, quel est notre désir le plus vrai. Le philosophe danois Sören Kierkegaard a étudié ce sentiment que la foi chrétienne n’élimine pas mais assume et transfigure :

L’angoisse est la possibilité de la liberté ; seulement, grâce à la foi, cette angoisse possède une valeur éducative absolue ; car elle corrode toutes les choses du monde fini et met à nu toutes leurs illusions. [1]

vertigeOui, l’angoisse de Jésus à Cana au moment où il va basculer dans sa vie publique, dont il pressent qu’elle sera courte et violente, est également la nôtre. Méfions-nous si nous prenons de grandes décisions sans éprouver de quelque manière que ce soit ce vertige intime, qui peut aller jusqu’au combat spirituel le plus intense (agonistique, du grec agôn = agonie, comme à Gethsémani). Accueillons avec reconnaissance l’angoisse de Cana lorsqu’elle nous avertit d’un virage existentiel majeur. Battons-nous avec l’angoisse de Gethsémani lorsque nous pressentons le prix à payer d’un engagement courageux que pourtant il nous faut assumer parce que c’est nous, parce que c’est pour cela que nous sommes venus sur terre en fait.

C’est bien à une naissance que nous assistons à Cana. Jésus va quitter le nid douillet de Nazareth pour les chemins dangereux de Palestine jusqu’à Jérusalem. Il ne suivra plus sa mère, sa mère le suivra. Il ne mènera plus une vie ordinaire, cachée, anonyme, mais publique, exposée, risquée. Ce moment charnière le fait frissonner d’angoisse, comme chacun de nous, et il en vient même à dire non alors qu’il va faire oui.

 

Devenir mère

“Remplissez d’eau ces jarres” ... et ils les emplirent jusqu’au bord”. “Puisez maintenant et portez-en au maître du festin” ... et ils lui en portèrent.”  Dans leur obéissance aux paroles de Jésus, leur rôle de “servants” apparaît en pleine lumière.  Le servant - d’un repas - n’est-il pas celui qui porte à leur destinataire des mets qu’un autre a préparés ?  Telle est la situation aujourd’hui dans l’Eglise, non seulement du diacre, mais de « tout ministre » : évêque, prêtre ... ou apôtre. Qui lui révèle son angoisse et lui donne de la traverser ? Marie, sa mère. Il l’appelle « femme », là encore comme pour marquer une distance, se débattre et échapper à sa révélation. Marie quant à elle ne lui demande rien. Elle le met seulement devant la réalité, pour qu’il en tire les conclusions qu’il désire : « ils n’ont plus de vin ». Avec une autorité étrange pour une invitée qui n’est pas chez elle, elle commande aux serviteurs : « faites tout ce qui vous dira ». Car elle sait ce qu’il y a de divin en son fils, peut-être mieux que lui à ce moment-là, elle qui ne l’a pas engendré à la manière humaine. Elle fait confiance à la puissance de vie qui est en lui pour l’amener à se manifester publiquement pour la première fois, comme une naissance à sa mission prophétique. Alors Jésus est troublé de constater que cette femme semble ici en connaître davantage sur lui-même que lui-même. Il devine qu’elle est en train de l’accoucher une deuxième fois, de le mettre au monde à nouveau en l’expulsant de sa vie ordinaire de Nazareth. Lorsque Jésus s’écrie : « qu’y a-t-il entre toi et moi ? », c’est peut-être que son angoisse lui fait reconnaître l’appel à sortir qui provient de Marie. Son trouble est celui du passage de l’immersion maternelle à l’exposition au monde à l’air libre. Il en crie d’angoisse et de douleur, comme le nouveau-né à peine expulsé. Mais il saura désormais qu’une dette le lie à jamais à cette femme qui l’a aidé à consentir à devenir ce qu’il est vraiment : le fils de Dieu.

Quand Jésus dit : « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? » j’avais toujours entendu gloser : « pourquoi, femme, te mêles-tu de mes affaires ? » mais cela veut dire à mon sens : « Femme, qu’est-ce qu’il y a tout à coup en moi ? Quelle est cette résonance extraordinaire à tes paroles ? »
C’est une question. Le Christ pose une question à sa mère, exactement comme le fœtus pose une question muette à sa mère au moment où se déclenchent les premiers mouvements qui font dire à la mère : « ça y est, l’enfant va naître. »
C’est la même chose en ce moment entre Jésus en Marie : « Qu’y a-t-il entre toi et moi ? »
Il y a certainement entre une mère et son fils, entre une mère et son fruit vivant qu’est un enfant, il y a cette connivence, il y a quelque chose à ne pas manquer : c’est le moment où tous les deux sont accordés pour qu’une mutation advienne, pour que la naissance arrive.
Peut-être, est-ce à ce moment-là, aux noces de Cana, que Marie est devenue mère de Dieu. 
[2]

Paradoxalement, c’est lorsque Marie devient réellement sa mère qu’il l’appelle femme. Mais Jean ne s’y trompe pas ; il n’appellera plus Marie par son prénom, mais par sa mission : « mère de Jésus ».

Devenus d’autres christs par le baptême, nous n’échapperons pas nous non plus à ce passage au travers de l’angoisse de Cana. Ce passage prendra bien des visages selon les événements.
N’en ayons pas peur. Faisons-lui fête au contraire. Sans cette angoisse, le superficiel et l’insignifiant envahiraient nos décisions.
Apprivoisons-là, cette amie venue en éclaireur nous avertir que quelque chose de grand va se jouer.
Sachons la reconnaître sans la confondre avec les tentations de lâcheté et de désertion.
Découvrons les Marie qui, à nos côtés, nous aident à dire consentir à nous-mêmes, sans s’arrêter à nos dénégations maladroites du moment.

 


[1]. Sören Kierkegaard, Le concept de l’angoisse, 1844.

[2]. Françoise Dolto, L’Évangile au risque de la psychanalyse, Éditions Universitaires, 1977.

 

Lectures de la messe

Première lecture
« Comme la jeune mariée fait la joie de son mari » (Is 62, 1-5)

Lecture du livre du prophète Isaïe

Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté, et son salut comme une torche qui brûle. Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur dictera. Tu seras une couronne brillante dans la main du Seigneur, un diadème royal entre les doigts de ton Dieu. On ne te dira plus : « Délaissée ! » À ton pays, nul ne dira : « Désolation ! » Toi, tu seras appelée « Ma Préférence », cette terre se nommera « L’Épousée ». Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ». Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu.

Psaume
(Ps 95 (96), 1-2a, 2b-3, 7-8a, 9a.10ac)
R/ Racontez à tous les peuples les merveilles du Seigneur !
(Ps 95, 3)

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
chantez au Seigneur et bénissez son nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur, la gloire et la puissance,
rendez au Seigneur la gloire de son nom.

Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.
Allez dire aux nations : Le Seigneur est roi !
Il gouverne les peuples avec droiture.

Deuxième lecture
« L’unique et même Esprit distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier » (1 Co 12, 4-11)

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ; à un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter. Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier.

Évangile
« Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée » (Jn 2, 1-11)
Alléluia. Alléluia.
Dieu nous a appelés par l’Évangile à entrer en possession de la gloire de notre Seigneur Jésus Christ. Alléluia. (cf. 2 Th 2, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

En ce temps-là, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples. Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. » Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres). Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent. Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »
Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

Patrick BRAUD

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13 janvier 2016

Intercéder comme Marie

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Intercéder comme Marie

Cf. également :

La hiérarchie des charismes

Jésus que leur joie demeure

 

Homélie du 2° dimanche du temps ordinaire / Année C
17/01/2015

 

Comment prier pour les autres ? Où peut en trouver une école d’intercession ?

L’épisode des noces de Cana nous donne une référence solide : la mère de Dieu elle-même.

 

1. Partir du lien qui nous unit

Lisez attentivement comment elle intervient dans ce premier signe qui manifeste la gloire de Jésus à Cana. Elle n’est citée que trois fois dans ce passage, et toujours en tant que mère.

C’est peut-être un premier indice : si vous voulez intercéder pour quelqu’un, il faut d’abord partir de votre responsabilité, votre lien avec lui ou elle. Ici, c’est bien au titre de sa vocation de mère que Marie intervient. Nous, c’est parce que nous sommes parents, amis, voisins, collègues… de ceux que nous voulons porter dans la prière.

Cette identité de mère lui est d’ailleurs contestée par Jésus : « femme, que me veux-tu ? » Les commentaires les plus fins de cette réplique cinglante l’interprètent comme la vraie naissance de Jésus dans l’évangile de Jean : lorsque Marie accepte que son fils existe par lui-même, c’est comme si elle accouchait symboliquement de son enfant. Acceptant d’être femme, à juste distance de son fils, elle devient authentiquement mère en écoutant sa parole et en s’y conformant. « Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère et une soeur et une mère » (Mt 12,49).

Voilà donc une première piste pour intercéder : partir du lien qui nous unit à ceux que nous voulons présenter devant Dieu, en acceptant que ce lien soit retravaillé, transformé, accompli par le fait même de l’exposer à la parole de Dieu dans la prière.

Afficher l'image d'origineLes Noces de Cana. Vers 1384-90.
Fresque du transept sud de l’église du Saint-Sauveur
à Tsalenjikha en Géorgie. 

Les trois mentions de Marie à Cana sont très sobres :

- la mère de Jésus était là

- la mère de Jésus lui dit : ils n’ont plus de vin

- sa mère dit aux serviteurs : faites tout ce qui vous dira.

Cela suffit pourtant à nous enraciner dans une belle attitude d’intercession à la manière de Marie.

 

2. Être là

Afficher l'image d'origineÇa n’a l’air de rien, mais la première condition de l’intercession est rarement remplie : être là.

Au temps de Jésus, cela signifiait être présent physiquement, s’être déplacé pour aller voir celui qui a besoin de nous, que ce soit ici à Cana pour partager une grande joie ou plus tard à Béthanie pour aller voir Lazare etc.

Au XXI° siècle, être là pour l’autre passe bien sûr par la présence physique - et Dieu sait combien elle est toujours déterminante - mais également par la présence vocale, écrite, audiovisuelle etc. Une lettre, un coup de fil, un mail, un audio-call avec Skype, un chat sur Facebook, une photo sur Instagram… : les moyens ne manquent pas de prouver à l’autre que nous sommes avec lui, et d’éprouver ainsi sa détresse et son manque.

Chacun en fait un jour l’expérience : lorsque la maladie est trop dure ou dure trop longtemps, lorsque la galère devient honteuse homme et socialement déclassante, lorsque les ennuis deviennent très sérieux, beaucoup de relations ‘ne sont plus là’, c’est-à-dire ne répondent plus présent à nos appels à l’aide, surtout s’ils ne sont pas explicites. Il y a mille  manières de détourner la tête et d’aller ailleurs. Il y a mille excuses qui permettent de ne pas se compromettre.

Être là, comme Marie sortie de chez elle pour répondre à l’invitation de Cana, est la première attitude de ceux qui veulent intercéder.

 

3. Présenter à Dieu le constat de la situation

Afficher l'image d'origine« Ils n’ont plus de vin ». Ce n’est pas une demande de la part de Marie : c’est un constat. Adressée à son fils, il résonne non pas comme une injonction, mais comme une grande confiance.

« Cela vaut la peine d’approfondir un peu plus la compréhension de ce passage évangélique : pour mieux comprendre Jésus et Marie, mais précisément aussi pour apprendre de Marie à prier de manière juste. Marie n’adresse pas une véritable demande à Jésus. Elle dit simplement: « Ils n’ont pas de vin » (Jn 2, 3). En Terre Sainte, les noces étaient fêtées pendant une semaine entière; tout le village y participait, et l’on consommait donc de grandes quantités de vin. Or, les époux se trouvent en difficulté, et Marie le dit simplement à Jésus. Elle ne demande pas une chose précise, et encore moins que Jésus exerce son pouvoir, accomplisse un miracle, produise du vin. Elle confie simplement le fait à Jésus et Lui laisse la décision sur la façon de réagir. Nous constatons ainsi deux choses dans les simples paroles de la Mère de Jésus : d’une part, sa sollicitude affectueuse pour les hommes, l’attention maternelle avec laquelle elle perçoit la situation difficile d’autrui; nous voyons sa bonté cordiale et sa disponibilité à aider. […]

Mais à ce premier aspect très familier à tous s’en ajoute un autre, qui nous échappe facilement : Marie remet tout au jugement du Seigneur. »

Extrait de l’homélie de Benoît XVI à Alttoting (Allemagne), 11 septembre 2006

Cf. http://www.mariedenazareth.com/qui-est-marie/benoit-xvi-commente-les-noces-de-cana#sthash.z8jv7cIE.dpuf

C’est comme si Marie disait à Jésus : ‘tu as vu ce que j’ai vu ? Ce n’est pas à moi de te dicter ce qu’il faut faire pour les mariés, tu le sais mieux que moi. Je ne te demande pas ceci ou cela en particulier. Personne ne sait ce qui est le mieux pour l’autre ou pour lui-même. Mais, simplement, avec confiance, j’attire ton attention sur telle situation qui va devenir douloureuse. Je remets entre tes mains ces nouveaux mariés dont la joie est compromise. Fais pour le mieux.

 

La véritable prière de demande est bien celle-là : non pas ‘donne-moi ceci ou cela’, mais vois  là où j’en suis, là où il en est, et agit selon ton cœur’. C’est ce que les autres évangélistes appellent demander l’Esprit Saint plutôt que de demander du pain du poisson ou une pierre.

 

4. Laisser le Christ agir

« Faites tout ce qui vous dira ».

Marie ignore comment son fils va réagir. Elle ne sait pas s’il va intervenir directement ou non. Elle crée seulement les conditions de son action. Elle dégage les obstacles éventuels. On dirait aujourd’hui qu’elle crée un environnement propice à la résolution du problème. Attendre avec confiance l’action du Christ en faveur de celui pour qui j’intercède, sans chercher à la maîtriser, mais en m’engageant pour que soit possible : voilà la troisième et dernière attitude de Marie intercesseuse…

C’est la célèbre spiritualité du laisser-faire (Dieu), ou du non-agir (qui est une action véritable, cf. Le management du non-agir et « Laisse faire » : éloge du non-agir )

 

Les noces de Cana. Miniature du Codex Egbert.  Entre 980 et 993. Trèves. Stadtbibliothek. Les noces de Cana. Miniature du Codex Egbert.
Entre 980 et 993. Trèves. Stadtbibliothek. 


Intercéder pour l’autre (et pas seulement ceux que nous aimons instinctivement, rappelons-le !) est donc un cheminement spirituel qui peut s’inspirer de Marie à Cana :

- partir du lien qui nous unit en acceptant qu’il soit remodelé dans et par cette  intercession.

- être la, physiquement, au bout du fil, du stylo ou du clavier, faire le déplacement intérieur qui permet d’être aux côtés (à côté) de l’autre.

- présenter à Dieu le constat de la détresse de l’autre, sans exercer de pression, avec confiance.

- laisser le Christ agir tout en créant les conditions de possibilité de son action.

 

5. Être comme Marie : un catalyseur

Ajoutons juste que Marie ne s’attribue aucune gloire du signe de Cana. Elle n’a été qu’un catalyseur amorçant la réaction de Jésus.

Dans une réaction chimique, un catalyseur est une substance différente des deux substances en présence, sans laquelle il n’y aurait aucune interaction entre les deux. Le catalyseur se combine avec l’une pour réagir ensuite avec l’autre, mais à l’issue de la réaction chimique il est à nouveau distinct du composé final, comme s’il n’y avait été pour rien. C’est bien là le rôle de l’intercesseur-catalyseur : favoriser l’action de Dieu pour l’autre, et se retirer lorsqu’elle est accomplie.

 

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Que Marie de Cana nous inspire une intercession fidèle à l’Esprit de Dieu dont elle était remplie !

 

 

1ère lecture : « Comme la jeune mariée fait la joie de son mari » (Is 62, 1-5)
Lecture du livre du prophète Isaïe

Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté, et son salut comme une torche qui brûle. Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur dictera. Tu seras une couronne brillante dans la main du Seigneur, un diadème royal entre les doigts de ton Dieu. On ne te dira plus : « Délaissée ! » À ton pays, nul ne dira : « Désolation ! » Toi, tu seras appelée « Ma Préférence », cette terre se nommera « L’Épousée ». Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ». Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu.

Psaume : Ps 95 (96), 1-2a, 2b-3, 7-8a, 9a.10ac

R/ Racontez à tous les peuples les merveilles du Seigneur !

(Ps 95, 3)

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
chantez au Seigneur et bénissez son nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur, la gloire et la puissance,
rendez au Seigneur la gloire de son nom.

Adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté.
Allez dire aux nations : Le Seigneur est roi !
Il gouverne les peuples avec droiture.

2ème lecture : « L’unique et même Esprit distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier » (1 Co 12, 4-11)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères, les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ; à un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter. Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier.

Evangile : « Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée » (Jn 2, 1-11)

Acclamation : Alléluia. Alléluia. 
Dieu nous a appelés par l’Évangile à entrer en possession de la gloire de notre Seigneur Jésus Christ.
Alléluia. (cf. 2 Th 2, 14)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

 En ce temps-là, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples. Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. » Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres). Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent. Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »
Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
Patrick BRAUD

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16 janvier 2010

Jésus que leur joie demeure

Classé sous Communauté spirituelle — lhomeliedudimanche @ 0 h 01 min

Jésus que leur joie demeure

Homélie du  2° Dimanche du temps ordinaire / Année C
17/01/10


C’est un peu le sens de l’intercession de Marie dans ses noces de Cana.

« Ils n’ont plus de vin ». En disant cela à son fils, c’est comme si Marie le suppliait : « Jésus, que leur joie demeure »…

Car le vin est dans la Bible le symbole de la joie qui coule à flots. « Le vin réjouit le coeur de l’homme » (Ps 104,15) ne cessent de répéter les textes bibliques (cf. Jg 9,13 ; Dt 14,26 ; Qo 10,9 ; Za 10,7?), bien loin en cela du Coran pour qui le vin ne conduit qu’à des excès et doit donc être interdit.

Sur le fronton du temple de Jérusalem, le peuple d’Israël était représenté par une grappe de raisin destiné à produire du vin savoureux. Dans le repas de Pâques, on boit trois coupes de vin, la quatrième restant cachée jusqu’à la venue d’Élie annonçant le Messie : là on pourra boire cette quatrième coupe, car la joie sera complète.

Vous le voyez, Marie s’inscrit dans cette longue tradition qui aime la vie, qui aime la fête : « Jésus, que leur joie demeure ».

S’ils n’ont plus de vin, leur joie va s’épuiser…

Comme Marie est la figure de l’Église, son icône personnifiée, on voit là un des rôles majeurs de notre Église dans le monde de ce temps : intercéder auprès du Christ pour que la joie des hommes de s’épuise  pas…

Et comme Marie, nous ne demandons pas cette joie d’abord pour nous-mêmes, mais pour les autres, pour ceux qui nous ont invité et chez qui nous sommes de passage, à la noce.

Car la joie des hommes est fragile et s’éteint vite.

La joie du mariage dont parle notre évangile ne dure parfois que quelques mois ou quelques années en Occident… Intercéder et agir pour que la joie entre l’homme et la femme ne s’épuise pas est toujours une des missions majeures de l’Église, à la suite de Marie.

Mais on peut encore penser à d’autres joies qui ont besoin d’être sublimées, transfigurées en Christ pour ne pas se tarir : la joie de la transformation du monde par la science et les techniques, la joie de la création artistique, la joie sportive d’une communion qui nous dépasse…

Marie-Église ne méprise aucune joie humaine : elle cherche à lui donner sa plénitude en la greffant sur le Christ.


« Les deux soifs »

Cette intercession de Marie fait irrésistiblement penser à celle que Jésus osera supplier lui-même sur la croix : « j’ai soif » ? (Jn 19,28)

À Cana, les invités de la noce ont soif de vin et de joie, et Jésus leur fait servir le meilleur vin de la soirée.

Sur la croix, Jésus a soif d’eau et de compassion, et les soldats lui servent du fiel et du vinaigre.

Pourtant c’est bien la soif de Jésus sur la croix qui va nourrir (« rétroactivement ») la soif de la foule à Cana.

Le vinaigre qu’on lui donne à boire peut représenter la dérision des soldats se moquant de lui jusqu’au sadisme, jusqu’à augmenter encore sa souffrance. Ou bien le vinaigre peut aussi être un dérivatif une drogue comme un anesthésiant pour qu’il ne sente plus sa soif. Jésus refuse les deux : la dérision et la fuite. Il ne veut ni susciter le sadisme de ses ennemis, ni s’évader dans un coma artificiel. Il affronte la solitude et la mort avec cette soif inextinguible qui est en fait sa soif de communion avec Dieu…

C’est cette soif-là, tragique est crucifiée, qui change l’eau en vin à Cana ; c’est cette soif s’affrontant à la mort, la solitude, à l’abandon, qui va sauver la fête, la joie, le mariage de Cana.

Dans l’Évangile de Jean, les deux soifs se répondent : celle de Cana et celle de la Croix. Et c’est la deuxième qui exauce la première.

Ainsi donc la joie ne s’épuisera pas de nos vies, quelque soit les circonstances…

Le choral des mains vides

D’ailleurs, l’intercession de Marie-Église : « Jésus, que leur joie demeure » fait encore penser au célébrissime choral de la cantate BWV 147 de Jean-Sébastien Bach. Or, savez-vous quand Bach a écrit ce choral ? En 1716, pour le quatrième dimanche de l’Avent, alors qu’il vient d’apprendre la mort de son fils. Il est anéanti. Et pourtant il prend sa plume et compose cet air parmi les plus sereins du répertoire. C’est cela « le miracle des mains vides » : donner à d’autres la joie qu’on ne possède pas soi-même…

Dans le film sur François Mitterrand intitulé : « Le promeneur du Champ-de-Mars » (2005), c’est dans un cimetière que le président raconte cette anecdote sur Bach au journaliste qui écrit un livre sur lui : « tout le monde se serait effondré, s’étonne Mitterrand, mais c’est à ce moment qu’il écrivit : Jésus que ma joie demeure. »

Voilà comment la soif de la Croix nourrit la joie de Cana…

Puissions-nous être fidèles à ce que Marie nous indique comme rôle pour notre Église aujourd’hui : intercéder et tout préparer pour que la joie des hommes continue à couler à flots.

« Jésus, que leur joie demeure » …

  

1ère lecture : Les noces de Dieu et de son peuple (Is 62, 1-5)
Lecture du livre d’Isaïe

Pour la cause de Jérusalem je ne me tairai pas,
pour Sion je ne prendrai pas de repos,
avant que sa justice ne se lève comme l’aurore
et que son salut ne flamboie comme une torche.
Les nations verront ta justice,
tous les rois verront ta gloire.
On t’appellera d’un nom nouveau,
donné par le Seigneur lui-même.
Tu seras une couronne resplendissante
entre les doigts du Seigneur,
un diadème royal dans la main de ton Dieu.
On ne t’appellera plus : « La délaissée »,
on n’appellera plus ta contrée : « Terre déserte »,
mais on te nommera : « Ma préférée »,
on nommera ta contrée : « Mon épouse »,
car le Seigneur met en toi sa préférence
et ta contrée aura un époux.
Comme un jeune homme épouse une jeune fille,
celui qui t’a construite t’épousera.
Comme la jeune mariée est la joie de son mari,
ainsi tu seras la joie de ton Dieu.

Psaume : Ps 95, 1-2a, 2b-3, 7-8a, 9a.10ac

R/ Allez dire au monde entier
les merveilles de Dieu !

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
chantez au Seigneur et bénissez son nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

Rendez au Seigneur, familles des peuples,
rendez au Seigneur la gloire et la puissance,

rendez au Seigneur la gloire de son nom.

Apportez votre offrande, entrez dans ses parvis,
adorez le Seigneur, éblouissant de sainteté :
tremblez devant lui, terre entière.

Allez dire aux nations : « Le Seigneur est roi ! »
Le monde, inébranlable, tient bon.
Il gouverne les peuples avec droiture.

2ème lecture : Diversité des charismes dans l’unité (1Co 12, 4-11)
Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens

Frères,
Les dons de la grâce sont variés, mais c’est toujours le même Esprit. Les fonctions dans l’Église sont variées, mais c’est toujours le même Seigneur.
Les activités sont variées, mais c’est toujours le même Dieu qui agit en tous.
Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous.
A celui-ci est donné, grâce à l’Esprit, le langage de la sagesse de Dieu ; à un autre, toujours par l’Esprit, le langage de la connaissance de Dieu ;
un autre reçoit, dans l’Esprit, le don de la foi ; un autre encore, des pouvoirs de guérison dans l’unique Esprit ;
un autre peut faire des miracles, un autre est un prophète, un autre sait reconnaître ce qui vient vraiment de l’Esprit ; l’un reçoit le don de dire toutes sortes de paroles mystérieuses, l’autre le don de les interpréter.
Mais celui qui agit en tout cela, c’est le même et unique Esprit : il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté.

Evangile : Les noces de Cana (Jn 2, 1-11)

Acclamation : Alléluia. Alléluia.
Soyons dans la joie pour l’Alliance nouvelle :
heureux les invités aux noces de l’Agneau !
Alléluia. (Ap 19, 7.9)

Evangile de Jésus Christ selon saint Jean

Il y avait un mariage à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là.
Jésus aussi avait été invité au repas de noces avec ses disciples.Or, on manqua de vin ; la mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »
Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. »
Sa mère dit aux serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira. »
Or, il y avait là six cuves de pierre pour les ablutions rituelles des Juifs ; chacune contenait environ cent litres.
Jésus dit aux serviteurs : « Remplissez d’eau les cuves. » Et ils les remplirent jusqu’au bord.
Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent.
Le maître du repas goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais les serviteurs le savaient, eux qui avaient puisé l’eau.
Alors le maître du repas interpelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier, et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana en Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

Patrick BRAUD
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